Sujet : médecine, citations médiévales, école de Salerne, Europe médiévale, moyen-âge, ouvrage, manuscrit ancien. bains, étuves.
Période: moyen-âge central (XIe, XIIe siècles)
Titre: l’Ecole de Salerne (traduction de 1880)
Auteur : collectif d’auteurs anonymes
Traducteur : Charles Meaux Saint-Marc
Bonjour à tous,
ous revenons aujourd’hui sur le flos médicinae de l’Ecole italienne de Salerne, ce traité versifié en latin autrement connu sous le titre original de « Regimen Sanitatis Salernitanum » et traduit plus laconiquement par « l’Ecole de Salerne », par Charles Meaux Saint-Marc qui nous fit la grâce de l’adapter en français moderne, à la fin du XIXe siècle.
Comme nous l’avions déjà mentionné, cette médecine médiévale venue d’Italie et notamment ce traité d’hygiène et de santé « préventive » traversa une grande partie du moyen-âge central, avec une influence qui dura même jusqu’au moyen-âge tardif. On s’en souvient, dans le courant du XIIIe siècle, l’ouvrage fut aussi repris, annoté et « popularisé » (auprès d’une certaine élite aristocratique s’entend) par le célèbre médecin catalan et valencien Arnaud de Villeneuve ou Arnau de Villanova, enseignant à Montpellier et formé lui-même à Salerne. On retrouvera d’ailleurs des éditions de cet ouvrage publiées jusque dans les siècles suivants (ci-contre, gravure d’un exemplaire de la fin du XVe).
Les possibles facteurs de propagations
de la pratique des bains au XIIIe siècle ?
st-ce un hasard si, à partir de ce même XIIIe siècle, les infrastructures publiques liées à l’hygiène, aux étuves et aux bains se multiplient dans de nombreux lieux en Europe, en même temps que se manifeste un engouement grandissant pour les traitements médicinaux par les eaux curatives et thermales ?
Les traités d’hygiène que le XIIIe semble avoir affectionnés et qui s’y répandent même s’ils visent sans doute plus une classe lettrée y sont-ils pour quelque chose ? Peut-être. Peut-être et plus sûrement participent-ils d’un mouvement général dont ils sont aussi les signes. Dans la continuité du mouvement amorcé au siècle précédent, le XIIIe siècle verra, en effet, émerger et s’affirmer les universités. Elles enseigneront, entre autres disciplines, la médecine; les cursus seront alors longs et spécialisés et la profession de médecin s’affranchira bientôt de l’exercice que les monastères avaient pu en faire dans les siècles précédents. Pour mieux comprendre cette prise d’autonomie de la discipline, il faut encore se souvenir que différents conciles avaient, dans le courant du XIIe siècle, ramené les moines dans le giron d’une médecine de l’âme, plus résolument que dans celle du corps, leur laissant l’usage des simples mais les privant, entre autres, de celui de la chirurgie.
Miniature issue de Valerius Maximus, Faits et dits mémorables, manuscrit ancien du XVe, (1425) Bnf
Au rang des hypothèses expliquant cet intérêt croissant du XIIIe pour les bains et, participant de la même dynamique, il faut également ajouter les retours des croisades et la découverte sur le sol moyen et proche-oriental d’une tradition solidement implantée dans ce domaine particulier de l’hygiène corporelle, et se souvenir encore de l’influence des médecines juives et arabes sur la jeune médecine occidentale médiévale. Enfin, pour en avoir une vision juste, il faut sans doute aussi ajouter que même si certaines pratiques, la nudité des corps, leur joyeuse mixité et certains autres plaisirs associés au bain, ne furent, dans certains établissements du sol occidental, sans doute pas pour ravir une partie de la classe religieuse de l’Europe médiévale catholique, (le XVe siècle verra d’ailleurs poindre quelques interdictions) la purification et même la sanctification par l’eau, au coeur du baptême chrétien, ne pouvaient pas non plus tout à fait contredire certains bienfaits du bain.
La marque certaine d’une hygiène collective médiévale mais un inventaire difficile à faire
« N’en déplaise à Michelet *, les hommes du Moyen Âge se baignaient. Ni en Orient, ni en Occident, ils ne négligèrent la toilette et ils usèrent avec profit de l’eau ou de la vapeur d’eau pour prendre des bains. La présence d’étuves dans les villes de France — comme à Paris au XIIIe siècle — le confirme amplement. »
Didier BOISSEUIL, Espace et pratiques du bain au moyen-âge,
Revue Médiévales – Numéro 43
i les médiévistes s’entendent bien aujourd’hui pour affirmer que le moyen-âge central a réservé une place plus importante à l’hygiène corporelle que certaines idées reçues et forgées plus tard ont bien voulu l’affirmer, il demeure intéressant de noter, en suivant le fil de l’article de Didier BOISSEUIL dont nous empruntons ici les premières lignes, combien la modestie « monumentale » des installations de l’occident médiéval dans ce domaine a pu parfois compliquer la tâche de leur identification pour les historiens comme pour les archéologues. Nous ne sommes pas, en effet, face à une culture comparable à celle du monde musulman et de ses hammams ou même ses installations thermales, ni plus tout à fait dans celle de la civilisation romaine et de ses traditions des bains ou des thermes.
Hors des infrastructures publiques inventoriées et mises à jour, qui, encore une fois, se multiplient dans le courant de ce XIIIe siècle, on peut encore trouver les traces documentaires ou archéologiques d’installations élaborées (étuves, bains, faisant appel à de la tuyauterie, certains modes de chauffage de l’eau, de la vapeur, etc ) dans des habitats « luxueux » et aristocratiques, même si, là encore, la taille autant que l’ingénierie des installations peuvent rendre la tâche de l’identification difficile. Que dire alors quand ce type de demeure ne comporte que de simples lieux dédiés à de modestes bains, au cuvier ? Dans ce contexte, on le comprend bien, faire un panorama exhaustif du sujet et des pratiques relève, de la gageure.
Dans son ouvrage: Les temps de l’eau: la cité, l’eau et les techniques : nord de la France, André GUILLERME, admet, lui aussi, les signes clairs au XIIIe siècle de l’émergence d’une hygiène publique (sans doute réservée, nous dit-il, avec quelques précautions, à une certaine aristocratie) mais il relève bien à son tour, la nature problématique de « l’inventorisation » :
« Au vrai, il est difficile d’apprécier l’hygiène domestique du citadin du XIIIe siècle. On en est réduit à relever ça et là quelques mentions de « bassines » et de « cuviaux » dans les testaments des riches marchands ou la présence de baigneurs dans les miniatures.«
André GUILLERME (opus cité)
Hygiène de classes & pratiques sociales au moment du bain
Miniature tirée du codex Manesse, Manessische Handschrift XIVe, 1310-1340
Si, dans le courant du XIIIe siècle, les infrastructures publiques ou les installations dans les habitats nobles ou aristocratiques attestent d’un goût indéniable pour la pratique du bain (avec ou sans vapeur), on ne peut donc pas pour autant réduire l’hygiène corporelle de l’homme médiéval à la seule présence de ses dernières. Là encore, la division sociale commande et pour autant que les valeurs d’hygiène puissent être partagées, les classes ont chacune leur lieu et leur façon de la mettre en pratique. En dehors des espaces privatifs des habitations seigneuriales et aristocratiques, et concernant les installations publiques, leurs tarifs semblent, en effet, les réserver à une classe relativement aisée de citadins et peut-être, à une classe un peu plus modeste, de manière occasionnelle. Pour les classes les plus démunies, en milieu urbain comme en milieu rural, il reste encore les fontaines, les rivières, ou les points d’eau qui peuvent encore fournir l’occasion du bain et, à défaut d’un bain chaud ou à la vapeur, il fallait bien savoir se contenter d’une toilette au baquet.
Tout cela étant dit, répétons-le une fois de plus pour être bien certain que cela soit acquis, la présence notable des installations publiques en milieu urbanisé, autant que l’engouement pour les eaux thermales et les traités d’hygiène faisant mention des bienfaits du bain, restent les signes indéniables d’une hygiène corporelle présente et importante dans le courant du moyen-âge central. Pour faire un peu la nique au siècle des lumières, notons que ce type d’infrastructures, finira par se raréfier autour du XVIe siècle dénotant bien cette fois-ci, en pleine Renaissance, d’une baisse notable de l’hygiène publique.
La médecine de Salerne au temps des bains
our abonder dans le sens d’une hygiène médiévale bien plus prégnante qu’on avait pu l’avancer, on notera l’insistance que mettait déjà l’école de Salerne sur le bain, quelques siècles déjà avant le XIIIe siècle. Nous sommes toujours ici dans les préceptes d’hygiène généraux du Flos Medicinae mais avant même de lui dédier les vers que nous vous présentons aujourd’hui sur le sujet, le bain était déjà mentionné à d’autres reprises en début d’ouvrage, marquant bien l’importance que le collectif des médecins médiévaux de Salerne accordait à la propreté corporelle dans la prévention des maladies.
Indéniablement, pour eux, le bain est une affaire sérieuse que l’on doit entourer de certaines précautions; ils lui préféreront même dans certains cas, la saignée qu’ils ont décidément grand coeur de promouvoir. Ajoutons enfin qu’ils mentionnent encore ici (et ce n’est pas non plus la première fois), le « commerce amoureux », entendez charnel, affirmant bien la distance et une certaine liberté prise à l’égard des préceptes ascétiques catholiques, par nature, pas très prompts à promouvoir ouvertement de tels plaisirs.
De l’Usage des Bains, De Usu Balneorum
Veux-tu, robuste, atteindre à la verte vieillesse.
Des préceptes suivants pratique la sagesse:
Ne va pas boire à jeun quand tu descends du lit;
Que ton front découvert redoute un froid subit
Ou d’un soleil ardent l’atteinte meurtrière.
Une fraîche blessure, une fièvre, un ulcère,
Douleur de tète ou d’yeux, l’estomac irrité
Ou vide d’aliments, l’air pesant de l’été,
Te prescriront de bains un entier sacrifice.
Cherche dans la saignée un prompt et sûr office.
Le bain, après la table, épaissit, mais avant
Il amaigrit le corps; sec, il est échauffant,
Mais humide il engraisse. Au sortir de la table,
Pour l’estomac rempli le bain si redoutable,
Quand les mets sont passés, n’a rien de dangereux.
Le repos après bain ou commerce amoureux,
De peur d’épuisement, doit toujours se prescrire.
Si tu tiens à tes yeux, garde-toi lors d’écrire;
Garde-toi bien encor (le conseil en est sain)
De boire ou de manger, dès que tu sors du bain.
Eau de mer pour le corps est âcre et desséchante;
Eau de lotion, froide; eau de fleuve, astringente.
Ne siège pas longtemps au bain chaud apprêté,
Untel contact, du corps accroît l’humidité.
l’Ecole de Salerne (traduction de 1880)
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
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