Sujet : musique, poésie, chanson, médiévale, ancienne, pastourelle
Période : moyen-âge tardif
Auteur : Anonyme (XVe siècle)
Titre : l’autrier quand je chevauchoys
Interprète : Newberry Consort
Album : « De Villon à Rabelais, XVIe siècle, musiques de rue, de théâtre et de cour (1999 Harmonia Mundi)
Bonjour à tous,
ous partageons aujourd’hui un peu de musique du XVe siècle avec une chanson médiévale, dans le plus pur style de la pastourelle, genre dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises ici et qui demeure répandu durant tout le moyen-âge.
On ne connait pas l’auteur de la pièce du jour et elle est demeurée anonyme. On la retrouve classée comme provenant du XVe siècle dans un ouvrage du célèbre historien médiéviste et philologue du XIXe siècle Gaston PARIS. Il est possible qu’elle soit légèrement antérieure à cette période dans la tradition orale mais elle témoigne en tout cas encore de la popularité de ce genre rupestre et champêtre, jusque dans le courant du moyen-âge tardif. Comme fréquemment pour une pastourelle, c’est le personnage du chevalier lui-même qui nous conte l’histoire, ce qui ne l’empêchera aucunement de se retrouver « le bec dans l’eau » à la fin, comme le veut la « tradition »(1) et ce malgré, cette fois, l’engagement de l’innocente et pure bergère à céder à qui sauvera sa brebis.
L’ensemble Newberry Consort
ous ne finissons pas de découvrir à quel point l’engouement pour la musique médiévale dépasse de loin les frontières de l’Europe. De fait, les interprètes du jour nous entraînent, cette fois, du côté du continent américain et des Etats-Unis.
Formé en 1986, originaire de Chicago, le Newberry Consort se dédie à un répertoire assez large qui va du XIIIe au XVIIIe siècle avec même quelques incursions, à l’occasion, sur des pièces plus récentes.
Du point de vue des concerts, l’ensemble se produit essentiellement aux Etats-Unis et comme de nombreuses formations dans le domaine des « Early Music », ses artistes s’attachent également à la sensibilisation et la pédagogie autour de leur passion. Dans ce cadre, ils sont étroitement associés à l’Université de Chicago mais aussi à la bibliothèque et au centre d’études de la Renaissance de Newberry.
De Villon à Rabelais : du moyen-âge tardif aux début de la renaissance.
n 1999, ils nous gratifiaient d’un album ciblé sur le moyen-âge tardif et les débuts de la renaissance, du XVe au XVIe: Villon to Rabelais, 16th century, Music of the Streets, Theatres, and Courts (De Villon à Rabelais, 16e siècle, musiques des rues, des théâtres et des cours). Cette production et la formation y est dirigée par Mary Springfels qui est également musicienne et vielliste (au premier plan et en bas sur la photo ci-dessus).
Le site web (en anglais) du Newberry Consort ne propose pas, pour l’instant, semble-t-il, ses productions musicales à la vente en ligne, mais on peut tout de même trouver cet album à la vente sur Amazon. En voici le lien, si cela vous intéresse : De Villon A Rabelais Vous pouvez également cliquer sur l’image de l’album pour y accéder.
L’autrier quant je chevauchoys
les paroles
A l’orée d’ung vert boys
Trouvay gaye bergére :
De tant loin qu’ouy sa voix
Je l’ay araisonnée,
Tanderelo !*
« Dieu vous adjust, bergére!*
Dieu vous adjust, bergére ! »
Tandis que l’araisonnoys,
Ung grant lou saillit du boys
O la goulle baée :
La plus belle des brebiz
Il en a emportée,
Tanderelo !
Dieu vous adjust, bergére!
Dieu vous adjust, bergére !
Quant la bergère si vit
Que le lou tint sa brebiz,
A haulte voiz s’escrye :
« Qui m’y rendra ma brebiz,
Et je seray s’amye ? »
Tanderelo !
Dieu vous adjust, bergére !
Dieu vous adjust, bergére!
Quant le chevalier oyt
Ce que la bergére a dit,
Mist la main à l’espée :
Au devant du lou s’en va.
La brebiz a laissée.
Tanderelo !
Dieu vous adjust, bergére !
Dieu vous adjust, bergére I
« Tenez, belle, tenez cy :
Je vous rends vostre brebiz
Saine comme les aultres ;
Or me faictes mon plaisir
Comme j’ay fait le vostre. »
Tanderelo!
Dieu vous adjust, bergére!
Dieu vous adjust, bergére !
« Chevalier, cinc cens mercyz :
Pour ceste heure n’ay loisir,
Aussi je n’oseroye ;
Et m’en eussiés sauvé dix.
Pour rien ne le feroye. »
Tanderelo !
Dieu vous adjust, bergére !
Dieu vous adjust, bergére !
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Bonjour,
il me semble qu’il y a une erreur dans votre article. Vous écrivez, « Cette fois-ci, ce qui n’est pas très fréquent pour une pastourelle, c’est le personnage du chevalier lui-même qui nous conte l’histoire ». Or, dans le modèle classique de la pastourelle, c’est toujours le chevalier/le poète qui raconte l’histoire. Dans son évolution tardive vers la pastorale, le narrateur s’efface progressivement pour laisser les bergers au premier plan, mais dans la pastourelle, c’est bien le « je » du narrateur, avec sa subjectivité, qui domine le poème.
Par ailleurs, l’échec du « chevalier », s’il est fréquent n’est pas l’unique fin, une partie non négligeable des pastourelles se concluant par le viol de la bergère par le narrateur.
Je vous renvoie à l’ouvrage de Michel Zink, La pastourelle, poésie et folklore au moyen âge, si la question vous intéresse.
Sur la question du viol dans la pastourelle, l’article de Kathryn Gravdal, Camouflaging Rape: The Rhetoric of Sexual Violence in the Medieval Pastourelle, dans la Romanic Review propose une réflexion intéressante.
Merci pour les liens youtube qui promettent d’agréables moments d’écoute !
Bonjour,
Merci de votre commentaire. Au sujet de la fréquence, il s’agissait en effet d’une coquille et nous vous remercions de l’avoir soulignée. Nous nous efforçons de publier un article par jour et quelquefois, malgré les nombreuses relectures, certains changements de tournure de dernière minute font que des erreurs subsistent. Quand ces dernières nous font dire le contraire de ce que nous voulions exprimer c’est, il faut en convenir, plutôt gênant, aussi merci encore.
Pour le reste, dans son ensemble autant que dans ses évolutions, le genre de la pastourelle est bien plus hétérogène, il est vrai, que nous l’avons laissé ici paraître. Nous devons confesser avoir sans doute péché par un excès d’idéalisation : « la bergère s’en sort ». Ce modèle est quelquefois tellement présenté comme archétypal que nous l’avons sans doute donné, autant que pris, pour argent comptant. Pour les fins plus brutales et plus grossières, on rêverait presque qu’elles soient définies ou rangées sous un autre genre tant l’interprétation, dans ce cas, nous met à l’opposé des versions où la campagne, la bergère et l’amour ont raison du pouvoir, de l’argent et de tous ses artifices et attraits et où le chevalier se plie à un certain modèle « idéal » de valeurs et de conduite. Il me semble, en plus, dans une perspective historique que plus tardivement (XIVe et peut-être surtout XVe), la vie rurale et ses attraits, loin des excès de la vie curiale et de ses artifices notamment, conduisent à idéaliser et réhabiliter tout de même un peu la campagne et ses acteurs, en évacuant de fait les « grivoiseries » ou pire les violences quelque peu malvenues qui sont l’objet des « pastourelles » aux fins tragiques auxquelles vous faîtes allusion. On retrouve chez Marot et d’autres émules de son école des tours grivois mais cette fois il concerne le couple de paysans et plus son opposition avec le pouvoir et les contraintes que ce dernier peut se sentir en droit d’exercer sur les corps… Tout cela étant dit, je suis comptable désormais de faire une étude plus approfondie sur la question en vue d’un article sourcé dans lequel il sera question de rétablir la pastourelle dans toute sa complexité, de ses tours les plus courtois aux plus vulgaires et déplorables.
Merci encore de votre commentaire et de très beaux moments d’écoute. 🙂
Cordialement
Fred