Sujet : poésie morale, poète satirique, poésie médiévale, politique, lois, dits moraux, poésie courte, français moyen
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Henri Baude (1430-1490)
Ouvrage : Les vers de Maître Henri Baude, poète du XVe siècle, M. Jules Quicherat (1856),
Bonjour à tous,
n continuant notre exploration de la littérature médiévale, voici quelques vers bien tournés de Henri Baude, poète du Moyen Âge tardif. Ils sont extraits de ses Dictz moraulx pour mettre en tapisserie. Ces petites historiettes, qui ne constituent qu’une partie de son oeuvre, mettaient en scène des personnages variés. Elles étaient destinées à être brodées ou même encore des peintes sur du verre ou d’autres objets décoratifs.
Le bon homme et la toile d’araignée
Ung bon homme regardant dans ung bois ouquel a
entre deux arbres une grant toille d’éraigne. Ung
homme de court luy dit :
— Bon homme, diz-moy, si tu daignes,
Que regarde-tu en ce bois?
LE BON HOMME.
Je pence aux toilles des éreignes
Qui sont semblables à noz droiz :
Grosses mousches en tous endroiz
Passent; les petites sont prises.
LE FOL.
Les petitz sont subjectz aux loix.
Et les grans en font à leurs guises.
Dictz moraulx pour mettre en tapisserie Henri Baude
Henri Baude, esquisse de biographie
Suivant ses biographes ( Jules Quicherat et Pierre Champion ), Henri Baude est né autour de 1430, à Moulins. Il est donc contemporain de François Villon même s’il a vécu bien plus longtemps que ce dernier.
Les mésaventures d’un petit fonctionnaire, poète satirique à ses heures
L’histoire n’est pas très précise sur son éducation mais on retrouve Buade à l’âge adulte, commis à la cour. Au moment de la praguerie, il a tout d’abord suivi le dauphin Louis XI, alors prince, dans le conflit qui l’opposait à son père Charles VII. Finalement, le fonctionnaire royal changera d’avis et reviendra vers la couronne officielle. Cela peut, peut-être, expliquer sa nomination en 1458, comme « élu » attaché à la cour du roi. La fonction consistait à répartir l’impôt, mais aussi à collecter et traiter les réclamations sur ce même thème. Henri Baude était en charge au bas Limousin mais comme il disposait d’un commis, il passait le plus clair de son temps à Paris. Installé à la capitale, il pouvait, tout à loisir, suivre de près les affaires qui concernaient sa charge et ses plaignants et houspiller les juges quand ils traînaient trop à les traiter.
Comme il était aussi doté d’un véritable talent de plume et d’humour, Baude ne se priva pas de les exercer. Il faisait même alors partie d’une confrérie de juristes et clercs qui occupaient une partie de leurs loisirs à se moquer entre eux ou à se rire de certains nobles et notables. Plus tard, son goût de la satire et du bon mot allait d’ailleurs lui valoir quelques sérieux déboires.
Henri Baude au Châtelet
En réalité, le poète connut deux fois la prison. Dans les deux cas, le temps avait passé et Louis XI, le prince que Baude avait suivi, puis lâché, était devenu roi. La première affaire n’est pas très claire sur le fond, même s’il subsiste un certain nombre de documents juridiques à son sujet. Baude semble avoir servi de bouc-émissaire à un noble qui le fit embastillé manu militari, après l’avoir sérieusement fait molester. Le poète fonctionnaire parvint toutefois à se faire libérer et à avoir gain de cause, en obtenant même, au passage, des dédommagements.
Dans la deuxième affaire, c’est une poésie satirique qui le fit mettre en prison, sur ordonnance royale. Le texte précis s’est perdu, mais on peut en déduire la teneur entre les lignes du poète et des sources juridiques. Baude avait fait, semble-t-il, une courte « moralité » pour moquer les manœuvres et les jeux de pouvoir à la cour et autour de Louis XI. Bien qu’allusive, de nombreux courtisans de l’entourage du souverain s’étaient sentis directement visés, ce qui valut à notre homme d’être à nouveau emprisonné. Voila ce que l’on trouve rapporter dans l’audience de 1486 : « Aucuns, soubz umbre de jouer ou faire jouer certaines moralitez et farces, ont publiquement dit ou fait dire plusieurs parolles cedicieuses, sonnans commocion, principalement touchant a nous et a notre estât. »
Pour avoir le détail des deux affaires, on pourra se reporter aux écrits de Pierre Champion sur le sujet : Histoire poétique du quinzième siècle, t 2, Honoré Champion (1923) et Maître Henri Baude devant le Parlement de Paris, Romania, n°141 (1907). A son habitude, le grand historien, passionné de Moyen Âge, y épluche les archives avec minutie et fait un travail d’orfèvre pour remonter l’identité des acteurs impliqués et leur interrelations.
Dans tout les cas, on peut se demander si Henri Baude ne paya pas, indirectement, le prix de son soutien un peu trop épisodique au prince Louis XI, sous la praguerie. Si, après son couronnement, le monarque n’avait pas démis le fonctionnaire de sa charge, il ne semblait pas, non plus, lui montrer de soutien particulier, et encore moins d’empathie. Il ressort, en tout cas, de ce dernier séjour en prison, que Baude en sortit échaudé et rendu plus méfiant sur l’usage qu’il faisait de sa liberté d’expression. Au Moyen Âge, la poésie satirique est rarement compatible avec les exigences de cour et les susceptibilités qu’on y croise. Le dit moral de l’auteur, publié ici, résonne un peu comme une sorte d’écho à ses diverses mésaventures.
Les œuvres de Baude
Elles sont assez fournies et de nature principalement morale ou satirique. On retrouve le plus grand nombre d’entre elles dans l’ouvrage que le médiéviste Jules Quicherat a consacré à Baude au milieu du XIXe siècle. Ce dernier confesse, toutefois, en avoir censuré quelques unes dont la nature lui paraissait trop verte et trop grossière pour présenter un réel intérêt. A 160 ans de là, on aurait aimé pouvoir en juger nous-mêmes.
Dans les œuvres de Baude, on a souvent mis en avant son Testament de la mule Barbeau . Dans cette satire humoristique, l’auteur se met dans la peau d’un pauvre animal, vieilli et éreinté, ayant servi de nombreux nobles et puissants au cours de sa vie. Aux côtés de ce testament, on trouve encore nombre de poésies d’intérêt dans lesquelles l’auteur médiéval montre de belles aptitudes de plume. Ce talent semble, du reste, avoir été reconnu du temps de Baude et son biographe lui prête d’avoir inspiré certains de ses contemporains. On a même pu, alors, le comparer à Villon. Un peu plus tard, Clément Marot aurait aussi été sujet à cette influence sans s’en réclamer. Le poète de Cahors aurait, en effet, « pillé » (le mot est de Quicherat) certaines des pièces de Baude sans le citer.
Les vers de Baude et sa biographie, selon Quicherat, sont réédités chez Forgotten books. On peut toujours trouver ce livre à la vente en ligne. Voici un lien utile pour plus d’informations à son sujet : Les Vers de Maitre Henri Baude, Poète Du XVe Siècle: Recueillis Et Publiés Avec Les Actes Qui Concernent Sa Vie (Classic Reprint)
Le MS Français 24461 & ses belles illustrations
Du point de vue des sources, les écrits de Baude se trouvent réparties dans plusieurs manuscrits médiévaux mais on notera, avec intérêt, l’ouvrage dont est tiré cette poésie courte du jour et son illustration (voir en haut de l’article).
Daté du XVIe siècle, le manuscrit Français 24461 (ancienne cote La Vallière 44) est, en effet, un manuscrit de 142 feuillets très joliment illustré (Consulter le Ms Français 24461 sur le site de la Bnf ). En plus des diz moraux pour tapisserie et peinture sur verre de Baude, il contient d’autres auteurs et classiques. On y trouve, notamment, Les triomphes de Pétrarque.
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
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