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A la découverte d’une des Premières Révoltes Paysannes médiévales

Sujet : jacquerie, paysans, révolte paysanne, poésie médiévale, anglo-normand, vieux français, langue d’Oïl, littérature médiévale.
Période : Moyen Âge central, XIIe siècle, an mil
Auteur : Robert Wace
Ouvrage : Roman de Rou et des Ducs de Normandie par Robert Wace, publié pour la première fois par les Manuscrits de France et d’Angleterre. Frédéric Pluquet, 1827 (Edouard Frère Editeur, Rouen).

Bonjour à tous,

ujourd’hui, pour faire écho à la révolte paysanne qui gronde en France et jusqu’aux portes de Bruxelles, nous vous proposons un texte médiéval. Daté de la dernière partie du XIIe siècle, il s’agit d’un extrait du Roman de Rou du poète anglo-normand Wace (ou Gace). Son auteur nous conte comment les serfs et les petites gens des campagnes d’alors se lièrent entre eux contre les seigneurs et les abus du pouvoir en place, dans une tentative d’affranchissement.

On découvrira, au passage, les contraintes que le poète porte aux crédits des travailleurs de la terre de l’an mil. Certes, les temps ont changé mais, à lire Wace, les paysans normands de cette période voyaient déjà peser sur leur dos normes, taxes, bureaucraties et contraintes variées qui résonnent, d’une manière particulière, dans le contexte actuel. Vous en jugerez.

Naissance d’une révolte paysanne en l’an mil

Rédigé par Wace autour de 1160-1170, le Roman de Rou et des ducs de Normandie est une chronique historique en vers qui reprend l’histoire et la génèse du duché de Normandie depuis Rollon et l’épopée viking. L’attribution de la totalité de cette œuvre à Wace a été contestée depuis par certains érudits.

On trouve notre extrait du jour souvent cité dans les manuels historiques et littéraires, sans doute parce qu’il est assez représentatif des premiers tentatives d’affranchissement des serfs. Les abus et les contraintes que leur faisaient peser le pouvoir des seigneurs et des nobles d’alors y sont aussi dépeints de manière assez explicite par Wace. C’est un détail linguistique mais il semble également que cette pièce voit la notion de « bocage » apparaître pour la première fois en littérature française médiévale.

Aux sources médiévales du Roman de Rou

La Révolte paysanne de l'an mil dans le manuscrit médiéval ms 375 : Roman de Rou et des ducs de Normandie

Vous pourrez retrouver le Roman de Rou de Wace dans un certain nombre de manuscrits médiévaux conservés à la BnF ou même encore à la British Library. Pour l’extrait du jour, nous avons choisi le manuscrit ms Français 375 de la BnF. Cet ouvrage consultable sur Gallica présente un ensemble de poésies, de pièces littéraires et de romans divers datés des XIIe au XIIIe siècles. Ce manuscrit ancien est lui-même daté de la fin du XIIIe et des débuts du XIVe siècle.

Pour situer historiquement cet extrait du Roman de Rou, nous sommes sous le règne naissant de Richard II de Normandie, entre la toute fin du Xe siècle et le début du XIe siècle. Wace nous la raconte donc un peu moins d’un siècle plus tard.


La Jacquerie des paysans normands

N’aveit encore guere regné
Ne guaires n’aveit duc esté
Quant el païs surst une guerre
Ki dut grand mal faire en la terre.

Li païsan e li vilain
Cil del boscage et cil del plain,
Ne sai par kel entichement
Ne ki les mut premierement
Par vinz, par trentaines, par cenz
Unt tenu plusurs parlemen
Tel parole vunt conseilant
S’il la poent metre en avant
Que il la puissent a chief traire.
Ki as plus hauz faire cuntraire
Privéement ont porparlè
E plusurs l’ont entre els juré
Ke jamez, par lur volonté,
N’arunt seingnur ne avoé.

Seingnur ne lur font se mal nun ;
Ne poent aveir od els raisun,
Ne lur gaainz, ne lur laburs ;
Chescun jur vunt a grant dolurs.
En peine sunt e en hahan
Antan fu mal e pis awan
Tote jur sunt lur bestes prises
Pur aïes e pur servises.

Tant i a plaints e quereles
E custummes viez e nuveles
Ne poent une hure aveir pais
Tut jur sunt sumuns as plais :
Plaiz de forez, plaiz de moneies
Plaiz de purprises, plaiz de veies,
Plaiz de biés fair, plaiz de moutes,
Plaiz de defautes, plaiz de toutes.
Plaiz d’aquaiz, plaiz de graveries,
Plaiz de medlées, plaiz d’aïes.

Tant i a prevoz e bedeaus
E tanz bailiz, vielz e nuvels,
No poent avier pais une hure :
Tantes choses lur mettent sure
Dunt ne se poent derainier !
Chascun vult aveir sun lueier
A force funt lur aveir prendre :
Tenir ne s’osent ne defendre.
No poent mie issi guarir :
Terre lur estuvra guerpir.
Ne puent aveil nul guarant
Ne vers seignur ne vers serjant :
Ne lur tiennent nu cuvenant.

« Fiz a putain, dient auquant.
Pur kei nus laissum damagier !
Metum nus fors de lor dangier ;
Nus sumes homes cum il sunt,
Tex membres avum cum il unt,
Et altresi grans cors avum,
Et altretant sofrir poum.
Ne nus faut fors cuer sulement ;
Alium nus par serement,
Nos aveir e nus defendum,
E tuit ensemble nus tenum.
Es nus voilent guerreier,
Bien avum, contre un chevalier,
Trente u quarante païsanz
Maniables e cumbatans. « 

Roman de Rou et des Ducs de Normandie, Wace
(chap 1, vers 815 à 880, op cité)

Traduction en français actuel

NB : l’anglo-normand reste une langue relativement difficile à percer avec un simple bagage en français moderne. Nous vous proposons donc une traduction de cet extrait. Pour la suite, vous pouvez vous reporter au Roman de Rou (opus cité) ou encore à l’article de Louis René et Michel de Boüard (1).

Il n’avait encore guère régné
Et n’était duc que depuis peu
Quand au pays survint une guerre
Qui fit grand mal à la terre.

Les paysans et les vilains
Ceux du bocage (des bois) comme ceux de plaines
Je ne sais sous quelle impulsion
Ni qui les y poussa en premier lieu
Par vingt, par trentaine et par cent
Ont tenu plusieurs assemblées
Ils y délibèrent d’un projet,
Qui, s’ils pouvaient le mener bien
Et le réaliser,
Pourrait contrarier de nombreuses personnes en haut lieu.
En privé, ils ont convenu
Et se sont jurés entre eux
Que jamais, de leur propre volonté,
Ils n’auraient seigneur, ni avoué (protecteur noble, représentant généralement les abbayes et églises).

Les seigneurs ne leur causent que du mal
Les paysans ne peuvent s’en sortir
Ni par leurs gains, ni par leur labeur.
A chaque jour, vient son lot de souffrances,
Ils triment et ahanent sans trêve
Si naguère fut mal, c’est pire à présent.
Chaque jour, ils voient leurs bêtes prises,
Pour des aides ou pour des services.


On les afflige de tant de plaintes et de querelles
de tant de coutumes vieilles et anciennes
Qu’ils ne connaissent jamais de trêve.
Chaque jour, on leur fait des procès :
Procès de forêts, procès de monnaies
Procès à propos des voies ou des chemins
Procès de biefs (usage des cours d’eau) ou de droit de mouture,
Procès pour défaut, procès de saisie
Procès pour service de guet, procès pour les corvées
Procès pour des altercations, procès pour des aides…

Il y a tant de prévôts et d’huissiers,
Tant de baillis, anciens et nouveaux
Qu’on ne leur laisse aucun répit.
On les charge de tant de griefs,
Qu’ils ne peuvent s’en disculper.
Chacun veut prélever son loyer sur leur dos,
On leur prend leurs avoirs de force
Et les paysans n’osent résister, ni se liguer contre cela,
De sorte qu’ils ne pourront jamais s’en sortir.
Il ne leur restera qu’à déserter le pays.
Impossible de trouver un protecteur
Ni du côté du seigneur, ni vers son sergent
qui ne respectent jamais leur parole.

« Fils de p…, disent certains,
Pourquoi nous laissons-nous malmener ?
Mettons nous hors de leur portée,
Nous sommes des hommes tout comme eux
Comme eux, nous avons des bras et des jambes
Comme les leurs, nos corps sont robustes
Et nous pouvons résister tout autant qu’eux.
Il ne nous manque que du cœur au ventre.
Faisons un serment d’alliance,
Défendons nous et nos avoirs,
Et tous ensemble soutenons-nous.
Et s’ils veulent nous faire la guerre
Nous avons bien, contre un chevalier
Trente ou quarante paysans,
vaillants, solides et combattants.


Une répression dans le sang et la violence

L’épisode de cette première jacquerie, comme beaucoup d’autres, fut réprimé dans la violence et par le fer, au détriment de toute justice. Les actions sanglantes furent menées de la main de Raoul comte d’Evreux, agissant pour le duc de Normandie alors tout jeune. Le nom de ce dernier ne fut pas entaché semble-t-il, de cette répression qui étouffa la révolte paysanne dans l’œuf. On le nomma, en effet, plus tard « Richard le bon ».

Au XIXe siècle, Eugène Bonnemère, historien et auteur de l’Histoire des paysans (1) parle de tortures effroyables, de mains tranchées et d’yeux arrachés, etc… (toutes proportions gardées, cela pourrait rappeler des souvenirs pas si lointains à certains gilets jaunes ). Selon l’auteur du XIXe siècle, le comte d’Evreux ne s’arrêta pas là. Plomb fondu et empalement vinrent se joindre à la répression mais il prit bien soin de renvoyer chez eux certains émissaires éborgnés et diminués afin qu’ils dissuadent les autres serfs de rêver de liberté.

Fort heureusement, la Ve république n’est pas encore allée jusque là avec nos agriculteurs même si le positionnement dissuasif et malencontreux de quelques engins blindés aux abords du marché de Rungis avait pu faire craindre la pire des escalades. De leur côté, les paysans sont restés pacifiques dans leurs manifestations. Ils ont aussi démontré qu’ils savaient jouer les blocus à distance, en évitant les affrontements directs trop près de la capitale.

Serfs sous la houlette d'un contremaître agriculteur, Psautier de la reine Mary, Ms. Royal 2. B. VII, British Library, XIVe siècle
Enluminure : serfs sous la houlette d’un préfet (contremaître désigné par le Seigneur)
Psautier de la reine Mary, Ms. Royal 2. B. VII, British Library, XIVe siècle.

Vers une asphyxie de la France rurale et agricole

Pour rester encore un peu sur l’actualité, le contexte n’est, bien sûr, pas le même que celui de notre extrait. Nous sommes à plus de huit siècles du roman de Wace. Pourtant, certains rapprochements ne peuvent s’empêcher de venir à l’esprit. Asphyxiés, nombre de nos paysans ne vivent plus qu’à grand peine de leur labeur. On ne compte plus le nombre d’exploitations qui se voient contraintes de mettre la clef sous la porte ou d’agriculteurs qui mettent fin à leur jour.

Incohérences technocratiques, injonctions de productivité dans un océan de normes, politique de prix sans cesse révisée à la baisse et rentabilité nulle, les lois de la grande distribution comme la mondialisation font mal et la bureaucratie en rajoute. Dans ce contexte, le nombre d’heures de labeur abattues ne suffit pas à combler le fossé et dans le monde paysan, on s’use souvent sans trêve, pour bien peu.

Ajoutons à cela une politique européenne qui laisse entrer, par la grande porte, des marchandises à prix cassés, en provenance de pays non soumis aux règles drastiques imposées à nos agriculteurs. La logique d’un marché à 27 pays avec d’énormes disparités économiques entre eux battait déjà de l’aile mais l’ouverture à tous les vents fait craindre le pire. Tout cela commence à faire beaucoup et on comprend la réaction du monde agricole et de nos paysans d’autant qu’au delà de leur seule condition, la souveraineté alimentaire reste au centre du débat.


A propos des jacqueries et des révoltes paysannes, voir aussi :

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric Effe
Pour Moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

Notes

(1) La Normandie Ducale dans l’œuvre de Wace, Supplément aux annales de Normandie, Louis René, de Boüard Michel. (1951).
(2) Histoire des paysans depuis la fin du Moyen Âge jusqu’à nos jours, Tome 1, Eugène Bonnemère, Edition F Chamerot, Paris (1856)

NB : Sur l’image d’entête vous retrouverez la page de garde du Roman de Rou dans la Ms Français 375 de la BnF


Un Chantier Historique et Médiéval pour rebâtir une cathédrale en 2024

Sujet : lieu d’intérêt, chantier médiéval, projet expérimental, bâtisseurs médiévaux, art roman art gothique, chantier historique, construction cathédrale, architecture médiévale.
Période :  Moyen-âge central à tardif.
Lieu :  Le Chantier Médiéval de Guyenne, La Lande-de-Fronsac, Gironde, Nouvelle Aquitaine.

Bonjour à tous,

uelquefois, les hommes portent en eux des rêves et des ambitions qui peuvent sembler démesurés aux yeux de leurs contemporains. Plus rarement encore, certains d’entre eux portent ces songes suffisamment loin pour les concrétiser. Le rêve que nous vous présentons aujourd’hui prend sa source du côté du Moyen Âge, au temps des cathédrales. Son ambition est de faire sortir de terre des édifices médiévaux, au cœur de notre temps. Après 5 ans d’étude et de démarches, il est déjà en train de prendre la forme d’un chantier historique inédit.

Ceux qui s’intéressent à l’architecture médiévale et qui nous suivent connaissent déjà des expériences comme celles du Château Guédelon, le Musée des temps barbares, ou le Village médiéval de l’an mil de Melrand. Cette fois-ci, c’est en Aquitaine qu’une équipe de bâtisseurs passionnés s’est lancé un défi de taille.

Nous sommes à la Lande-de-Fronsac, à quelques lieues au Nord-Est de Bordeaux et au cœur des vignes. Ce chantier historique s’est ouvert, il y a quelques mois à peine. Sur trois hectares de plaine, il devrait voir s’édifier, dans les décennies qui viennent, tout un monde médiéval. Retour sur les premiers pas de cette aventure.

chantier médiéval et historique, croquis général du terrain avec cloître et chapelle

le Chantier médiéval de Guyenne : sur les traces des bâtisseurs de cathédrale

Baptisé le Chantier médiéval de Guyenne, ce projet d’envergure a été lancé par Valéry Ossent. Cet ingénieur du bâtiment, formé au métier de tailleur de pierre, affiche une longue expérience dans la conduite de travaux. Il a aussi formé de publics de haut niveau dans les métiers du bâtiment et de l’ingénierie.

C’est en visitant des chantiers historiques comme Guédelon et l’Hermione (1) que le virus de la reconstitution l’a piqué. Construire, former et transmettre, cette triple ambition n’a pu que résonner avec son propre parcours. Le projet germe alors, dans son esprit, de se lancer dans un chantier médiéval d’envergure proche de là où il réside, en Gironde.

Un chantier médiéval, certes, mais quel chantier ! Le maître d’œuvre met d’entrée la barre haute. Il laisse à Guédelon son beau château fort du XIIIe siècle et sa frégate à l’Hermione. De son côté, il projette l’édification d’un ensemble architectural médiéval dont le point culminant sera une cathédrale gothique. Sur les croquis d’architecte, on distingue également une chapelle, un superbe cloître, ainsi que d’autres dépendances religieuses de taille plus modeste.

croquis du chantier historique et médiévale ; une chapelle et un cloître.

Sur la vue d’ensemble, ce chantier historique s’annonce rien moins que pharaonique. Construire une cathédrale, même modeste, en plein cœur du 21e siècle, quand on vous disait que le projet était ambitieux !

Sur 40 ans de construction, les différents édifices devraient illustrer différentes période de l’architecture médiévale, de l’art roman à l’art gothique. A la vue du projet et des bâtiments pressentis, les défis seront aussi variés et complexes. De nombreuses spécialités et techniques seront requises pour mener à bien cet ensemble. Différents corps de métiers y seront aussi sollicités. Enfin, il faudra une part importante de recherche et d’ingéniosité pour retrouver certains savoir-faire dont il ne subsiste aucune trace écrite.

Un chantier d’insertion : construire comme au Moyen Âge en restant tourné vers l’avenir

Nous le disions plus haut, 5 ans ont passé de l’idée initiale à l’ouverture du chantier. Entre-temps, Valery Ossent s’est entouré de collaborateurs compétents. La Fabrique de Guyenne, association en charge du pilotage se présente comme un vivier d’experts de la construction ancienne et de la restauration, de d’histoire médiévale, avec également une dose de pédagogie.

L’objectif du chantier historique est, en effet, double. Ouvert au public, il devrait permettre d’expérimenter et d’exposer les méthodes de construction en usage au Moyen Âge. Pourtant ses objectifs ne limitent pas là. Il affiche également des visées d’insertion puisqu’il sera ouvert aux personnes en quête de qualification. Le chantier médiéval de Guyenne devrait ainsi employer une dizaine de salariés et demandeurs d’emplois longue durée en recherche de reconversion. Un tremplin en quelque sorte vers les métiers du bâtiment pratiqués autrement.

Les premières pierres du chantier médiéval et historique de Guyenne

Partenaires institutionnels, mécènes privés
et soutien du public


Comme on peut l’imaginer, il a fallu de longues études en amont pour viabiliser le projet : financement, normes de sécurité, choix des matériaux en usage, transport, définitions des bornes entre réalisme historique et faisabilité, … Au delà de tout cela, il a fallu aussi convaincre de solides partenaires institutionnels et mécènes de le soutenir.

A ce titre, la commune de La Lande de Fronsac et la Région Nouvelle Aquitaine se sont pleinement associées au projet. C’est aussi le cas de grandes Fondations du bâtiment, dont certaines spécialisées dans les métiers de la restauration comme les bâtisseurs médiévaux de Pascal Waringo. Les compagnons bâtisseurs de Nouvelle Aquitaine sont aussi partenaires de l’opération au côté d’autres soutiens du secteur. S’y sont encore adjoints des sociétés locales privées de nature variées (assurance, cabinets d’avocats, …). On imagine que devant l’enthousiasme suscité par le projet, d’autres se joindront en cours de route.

L’opération fera appel au soutien du public de plusieurs manières : sous forme de visites, de dons ou même encore sous forme de participation active et de bénévolat. Le chantier prévoit d’ailleurs l’ouverture au public, dés cette année, afin d’associer pleinement les visiteurs à l’aventure, dès ses premiers pas.

Chantier médiéval et historique de Guyenne : torchis et pose des premières pierres de la chapelle

Lancement réussi du chantier en 2023

Le chantier médiéval de Guyenne a vu ses premières pierres posées à l’été 2023, après une campagne additionnelle de cofinancement réussie auprès du public. L’objectif de la collecte a été dépassé de plus de 50%, ce qui montre bien l’élan autour de ce beau projet de chantier médiéval artisanal et solidaire.

Sur le terrain, le chef de travaux s’est déjà attaqué à l’édification de la chapelle. C’est un maître compagnon du devoir tailleur de pierre qui a déjà largement fait ses preuves. Frédéric Thibault est notamment intervenu sur le chantier de restauration de Notre Dame de Paris. Une telle référence en matière d’encadrement augure déjà de l’excellente tenue du chantier.

Si les porteurs de ce projet citent souvent les Piliers de la Terre de Ken Follett pour faire référence à cette aventure destinée à faire revivre un peu de notre Moyen Âge en terre de Guyenne, on ne peut s’empêcher de penser aussi aux Pierres Sauvages de Fernand Pouillon. En 1964, le célèbre architecte et urbaniste français faisait revivre, dans cette fiction très réussie, la vibrante construction d’une abbaye cistercienne. Gageons que le chantier médiéval de Guyenne saura faire voyager ses publics autant que les lecteurs de ces célèbres romans historiques.

Pour suivre cette aventure et son actualité, n’hésitez pas à vous rendre sur le site officiel du projet. De notre côté, nous lui souhaitons une longue vie et beaucoup de courage à tous les professionnels et bénévoles impliqués. Ils en auront besoin pour résoudre les défis que ce chantier historique ne manquera pas de poser.


Sur un sujet semblable, voir aussi :


En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

(1) Ce chantier historique consiste à restaurer une superbe frégate de la fin du XVIIIe siècle. Voir fregate-hermione.com

Au XIIIe siècle un rondeau amoureux du trouvère Adam de la Halle au moment du départ

Enluminure d'un musicien du Moyen Äge

Sujet : musique, chanson médiévale, vieux français, trouvère d’Arras, rondeau, amour courtois, langue d’oïl, courtoisie, musique ancienne.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Auteur : Adam de la Halle (1235-1285)
Titre : « A Dieu commant amouretes« 
Interprète : Ensemble Sequentia
Album : Trouvères, chants d’amour courtois des pays de langue d’oïl (1987)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous repartons pour le XIIIe siècle en musique et en chanson, avec Adam de la Halle. Nous retrouverons le trouvère d’Arras dans un rondeau courtois. Le poète y lamentera son départ et les amours qu’il s’apprête à laisser derrière lui.

A l’origine de ce rondeau courtois

Adam de la Halle a composé une variation plus longue de ce rondeau dans une chanson. Comme les deux pièces partagent de nombreuses similitudes, cela permet de cerner un peu mieux le contexte historique de la pièce du jour. Conformément à ce genre poétique, ce rondeau reste, en effet, assez court et ne donne guère de détails.

Dans cette chanson plus longue, donc, le trouvère nous expliquait qu’il devait quitter sa ville d’Arras pour des raisons économiques. Un changement de réglementation monétaire en était à l’origine qui portait sur les « gros tournois ». En l’occurrence, il ne s’agissait pas de tournois au sens habituel (chevalerie, lice, joutes, etc…) mais de monnaies d’argent en usage sous Saint Louis.

Un peu avant la composition de ce rondeau, il semble qu’une ordonnance prise par la couronne française à Chartes (1262-1264) en avait réglementé l’usage, refusant que soient acceptées certaines pièces frappées auparavant. Arras et sa province s’en sont trouvés directement affectés suivant les affirmations du trouvère :

A Dieu commant amouretes,
Car je m’en vois,
Dolans pour les douchetes
For dou douc païs d’Artois
Qui est si mus
(silencieux) et destrois (en détresse),
Pour che que li bourgeois
Ont esté si fourmené
Qu’il n’i queurt drois ne lois.
Gros tournois
(monnaie d’argent) ont anulé
Contes et rois,
Justiches et prélats tant de fois
Que mainte bele compaigne,
Dont Arras méhaigne
(souffre, pâtit)
Laissent amie et maisons et harnois
Et fuient, chà deux, chà trois,
Souspirant en terre estrange.

Ce texte médiéval auquel le rondeau du jour fait écho, daterait donc de 1263 ou de l’année suivante. Quelque temps plus tard, le trouvère reviendra dans sa ville natale pour y prendre épouse (1).

Si ce contexte n’est pas absolument indispensable à la compréhension de notre rondeau, il nous aide à mieux le cerner. Il pourrait, en effet, ressembler à une chanson de trouvère ou de troubadour comme il en existe beaucoup à cette période : le poète sur le départ, se lamente sur la douleur de la séparation, etc… à ceci près qu’ici, Adam de la Halle emploie le pluriel tout du long (reinettes, doucettes, amourettes,…). Parlent-ils uniquement de « ces amours » ? On semble un peu sortir du schéma classique du loyal amant courtois, triste de devoir laisser sa dame et peut-être sont-ce plutôt les belles d’Arras qu’il pleure ?

Source médiévales et plus récentes

Pour vous présenter ce rondeau d’Adam de la Halle, nous avons choisi les pages annotées musicalement du manuscrit médiéval ms Français 25566. Connu encore sous le nom de chansonnier W, cet ouvrage de 283 feuillets est daté de la fin du XIIe et des débuts du XIIIe siècle. Composé à Arras, il contient l’œuvre d’Adam de la Halle ainsi que de nombreuses autres textes et poésies d’époque. Il est actuellement conservé à la BnF et peut être consulté en ligne sur Gallica.fr.

Le rondeau d'Adam de la Halle dans le manuscrit médiéval enluminé Ms Français 25566 de la BnF

Pour les partitions modernes de ce rondeau, ainsi que d’autres pièces du trouvère d’Arras, vous pouvez consulter valablement l’ouvrage « Œuvres complètes du trouvère Adam de la Halle » d’Edmond de Coussemaker. Ce livre daté de la fin du XIXe siècle (1872) a été réédité aux éditions Hachette Livre BnF.

Sequentia, une formation majeure
dans le monde des musiques médiévales

Pour découvrir ce rondeau courtois en musique, nous revenons à l’excellent album « Trouvères, chants d’amour courtois des pays de langue d’oïl » de l’ensemble médiéval Sequentia sous la direction de Benjamin Bagby. Formée à Paris au début des années 80, cette formation de grand talent s’est imposée, en près de 35 ans de carrière, comme une référence sur la scène des musiques médiévales et anciennes.

Avec un répertoire qui s’est largement focalisé sur l’Europe médiévale des XIIe siècle et suivants, les programmes de Sequentia couvrent tout autant les musiques sacrées et profanes de France, que celles d’Espagne, d’Allemagne, d’Italie ou d’Angleterre. L’œuvre d’Hildegarde von Bingen tient également une belle place dans leur discographie. Nous vous invitons à les suivre sur leur site officiel très complet. Il est pour le moment en anglais mais la version Française est en préparation.

Trouvères, chansons d’amour courtois
du nord de France (1175 à 1300), l’album

Le double album "Trouvères" de l'ensemble de musique médiéval Sequentia

Adam de la Halle tient une belle place sur ce fabuleux double-album de l’ensemble Sequentia, et de nombreuses compositions du trouvère y sont présentes.

En approchant une période qui couvre le dernier quart du XIe siècle pour s’étaler jusqu’à la fin du XIIe siècle, Sequentia s’est vraiment montré à la hauteur de son ambition dans cette production qui, de notre point de vue, devrait avoir sa place dans la discothèque de tout bon amateur de musiques médiévales. On y retrouvera également de nombreuses pièces des premiers trouvères, entre Conon de Béthune, Gace Brulé, Blondel de Nesle, mais également Jehan de Lescurel, et encore de nombreuses chansons anonymes ou compositions instrumentales françaises ce cette partie du Moyen Âge central.

Vous pourrez débusquer cet album au format CD chez votre meilleur disquaire ou même digitalisé sur les plateformes légales en ligne. Voici un lien utile à cet effet.


Le rondeau d’Adam de la Halle
dans son français d’Oïl d’origine

A Dieu comant amouretes
Car je m’en vois
Souspirant en tere estrange
Dolans lairia les douchetes
Et mout destrois
A Dieu comant amouretes.

J’en feroie roïnetes,
S’estoie roys,
Comant que la chose empraigne
A Dieu comant amouretes
Car je m’en vois
Souspirant en tere estrange.

Sa traduction en français actuel

A Dieu je confie mes amours,
Car il me faut partir
A regrets, en terre étrangère.
Avec peine, je laisserais les tendres et douces
Et en grande détresse
A Dieu je remets mes amours.

J’en ferais des reines,
Si j’étais roi
Mais quoi qu’il puisse survenir
A Dieu je remets mes amours,
Car il me faut partir
A regrets, en terre étrangère.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Notes

(1) Voir Li jus Adan et de la Feuillée, Mélanges publiés par la Société des Bibliophiles Français 1829 (Imprimerie Firmin Diderot).

Comment le roi doit prendre soin de ses sujets dans le Secret des Secrets du Pseudo Aristote

Sujet : miroir des princes, précis politique, littérature politique, guide moral, bon gouvernement, roi, devoirs politiques, Aristote, Alexandre le Grand, citation médiévale.
Période : Moyen Âge central (à partir du Xe siècle)
Livre : Sirr Al-Asrar, le livre des secrets du Pseudo-Aristote, ouvrage anonyme du Xe siècle. Le Secret des Secrets, édition commentée par Denis Loree (2012).

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous poursuivons notre exploration du « Secretum Secretorum« , en français, « Le Secret des Secrets« . Au Moyen Âge central, cet ouvrage moral et politique connut un véritable succès. Il y est question d’une supposée correspondance entre Aristote et l’empereur Alexandre le Grand.

Aucune source historique fiable n’ayant, à ce jour, permis de rattacher le philosophe grec à cet ouvrage, la seule certitude qui nous reste est son origine arabe, autour du Xe siècle. Le nom de celui qu’on pensait être son auteur original a donc cédé la place depuis, à un Pseudo-Aristote.

« Miroirs des princes »
et littérature médiévale à usage politique

Précis des règles de bon gouvernement et de bonne conduite en matière politique, guide à l’usage du puissant empereur Alexandre dont la réputation et les faits ont traversé le Moyen Âge en continuant d’inspirer le respect, le Secret des Secrets s’est répandu en Europe à partir des des XIIe et XIIIe siècles et jusqu’aux suivants. Il l’a fait d’abord dans des traductions latines, puis dans des versions en langage vernaculaire, dont le vieux français.

Il n’est pas le seul ouvrage de la sorte. Le Moyen Âge central occidental a été friand de « miroirs des princes » comme on nomme alors souvent ce genre littéraire médiéval moral et politique. Le Kitab Sirr Al-Asrar » ou livre des secrets l’atteste (même s’il déborde, par endroits, du simple sujet de ce type de traité). Il faut également noter qu’on retrouve également ces guides éducatifs à usage politique dans la littérature perse et arabe de la même période. Nous avons eu l’occasion de croiser ce sujet en abordant l’œuvre du conteur et poète Mocharrafoddin Saadi.

Le Secrets des Secrets, chap XXIII avec une enluminure du manuscrit médiéval Nouvelle Acquisition Français 18145  de la BnF

De l’écoute et de la nécessaire compassion
du roi envers les misères de son peuple

Le passage du Secretum Secretorum que nous avons choisi aujourd’hui pourrait paraître presque de circonstance. Il touche, en effet, à l’écoute, la compassion ( on nous parle même « d’amour ») nécessaires d’un roi envers ses sujets et leurs misères. Certains tristes épisodes républicains récents continuent peut-être d’être dans les esprits à ce propos. Inutile d’épiloguer.

Au delà, il est aussi question pour le souverain de savoir déléguer ce pouvoir délicat à un « prudhomme », autrement dit un homme d’expérience, de mérite et de bien, digne de l’exercer et qui soit proche du peuple. Les remaniements en matière d’exécutif français depuis une paire d’années, pourraient sembler teinter d’ironie ce conseil venu du Moyen Âge et de plus de dix siècles en arrière, mais, là encore, chacun sera libre de projeter ses propres attentes, espoirs ou désespoirs sur l’actualité. Tenons-nous en, de notre côté, au cadre médiéval.

Nous sommes donc au Moyen Âge, en terre de croyances et le Pseudo-Aristode est là pour nous le rappeler. Comme il se doit, le créateur veille, guide et récompensera le juste souverain. En contrepartie (on le verra en d’autres endroits du Secret des Secrets), le Tout Puissant punira durement le prince outrecuidant par l’échec, la chute et la disgrâce.


Comment le roi doit subvenir à ses sujets
extrait du Secretum Secretorum

« Je te prie treschier fils que tu doyes souvent enquerir de la neccessité de tes povres subgés et que par ta bonté, tu souviengnes a tes povres subgés en leur neccessité. D’autre part, tu dois eslire uns homme qui soit preudoms et qui aime Dieu et justice et qui sache la langue de tes subgés, auquel tu commettes le gouvernement de tes subgés et qu’il le gouverne piteusement et en amour. Et se ainsi le faiz, tu feras le plaisir de ton créateur et sera la garde de ton royaume et la leesce de tes subgés. »

Comment le roi doit soubvenir à ses subgés, Le Secret des Secrets, édition commentée; Denis Lorée (op cité), chap XXIII

Traduction de ce passage en français actuel

« Je te prie, très cher fils, de souvent t’enquérir des besoins de tes pauvres sujets et que; par ta bonté, tu subviennes à tes pauvres sujets dans la nécessité. D’autre part, tu dois nommer un homme qui soit de grande honnêteté et de valeur et qui aime Dieu et la Justice et qui connaisse aussi la langue de tes sujets, à qui tu confies le gouvernement de tes sujets afin qu’il les gouverne avec compassion et avec amour. Et s’il le fait de la sorte, tu feras le plaisir de ton créateur, tu protégeras ton royaume et obtiendra la la joie (reconnaissance) de tes sujets. »


Sources manuscrites médiévales

Le chapitre du Secrets de Secrets dans le manuscrit médiéval NA fr 18154
Le manuscrit Nouvelle Acquisition Fr 18145, XVe s (consulter en ligne sur Gallica)

En matière de sources manuscrites, notre choix s’est encore porté sur le manuscrit médiéval Nouvelle Acquisition Fr 18145 de la BnF, daté du XVe siècle. On y trouve quelques belles enluminures représentant Aristote et Alexandre le Grand. Pour l’entête d’article et l’illustration, nous avons opté pour celle représentant Dieu apparaissant à Alexandre sur le champ de Bataille en entête du chapitre XXV du manuscrit.

En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
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