Archives de catégorie : Auteur anonyme

La littérature médiévale est abondante et quantité de textes nous sont parvenus. Pourtant, dans les manuscrits anciens et les sources de cette période, de nombreux auteurs sont aussi demeurés anonymes. Cette rubrique leur est consacrée.

Vous pourrez y découvrir des textes, poésies, fabliaux médiévaux (en vieux français, en occitan, ou dans d’autres langues anciennes), commentés, traduits et sourcés.

Greensleeves, emmenée par l’énergie des mythiques Jethro tull

Sujet : musique ancienne, folk, chanson traditionnelle anglaise, version musicale
Période : XVIe siècle, début de la renaissance, toute fin du Moyen Âge.
Titre : Lady Greensleeves, Greensleeves to a Ground, Greensleeves
Groupe : Jethro Tull
Album : Christmas album (2003)

Bonjour à tous,

Voilà bien longtemps que nous n’avions posté de nouvelles versions de la célèbre chanson anglaise Greensleeves. Comme il n’est pas rare que cette pièce, plus renaissante que médiévale, revienne, outre-Manche ou même outre-Atlantique, dans des albums de chants de Noël, le partage de son interprétation par le groupe Folk Rock Jethro Tull nous a semblé tout indiqué à l’approche des fêtes.

Une mélodie & une chanson indémodable

Cette chanson qui demeure, sans doute, une des plus populaires du répertoire folk et traditionnel anglais a traversé le temps pour inspirer des dizaines et des dizaines de groupes célèbres de par le monde. Compositeurs classiques, ensembles de musiques anciennes, formations de la scène folk ou celtique, on la retrouvera même encore dans des répertoires plus inattendus. On pense, par exemple, à ses inspirations largement plus Jazz chez le grand John Coltrane.

En France, nul n’a, bien sûr, oublié le Port d’Amsterdam de Jacques Brel et plus proche de nous, la chanteuse Nolwenn Leroy lui prêtait encore sa voix. Pour tout savoir de cette chanson traditionnelle et ancienne d’anthologie, de son histoire à ses paroles, nous vous renvoyons à l’article que nous lui avions déjà consacré : Greensleeves, ballade folk traditionnelle anglaise.

Greensleeved, la version de Jethro Tull

Les Jethro Tull, légende de la scène folk rock progressif

Formé dans le courant de l’année 1967, le groupe anglais Jethro Tull allait, bientôt, devenir un ensemble mythique des 70’s. Entraîné par la créativité débridée de Ian Anderson, par sa voix unique et ses belles envolées de flûtes traversières, la formation connut une carrière de plus de 40 ans qui allait s’achever, en terme de discographie, sur l’album du jour. Sur la scène, ils allaient continuer à faire le bonheur de leurs fans jusqu’à l’année 2011. On le pensait définitivement dissous après sa date, mais en 2018, à l’occasion de l’anniversaire des 50 ans du groupe, Ian Anderson créa la surprise en montant sur scène avec un Jethro Tull nouvelle formule, un excellente nouvelle pour les millions d’aficionados de la formation britannique.

Jethro Tull ensemble musical

The Jethro Tull Christmas Album

C’est donc en 2003 que le groupe Folk Rock Progressif décida de faire tribut, à sa manière, à la période des fêtes et aux chants de Noël. Avec quelques 16 pièces de choix, ce Christmas Album demeure unique en son genre. Du point de vue des compositions, il présente un mélange de pièces et chansons maison signées Ian Anderson, ainsi que des morceaux pris dans le répertoire des musiques folk, traditionnelles ou anciennes anglaises. On y trouve également des pièces de Gabriel Fauré, Felix Mendelssohn et JS Bach.

Une signature unique pour un album de Noël tout sauf classique

Un album de musiques traditionnelles et anciennes par Jethro Tull

Derrière l’intention plutôt classique de proposer album de Noël, rien ne l’est dans l’interprétation. Ce Christmas Album conserve le style et l’empreinte indélébile de la formation anglaise. Signature 200% Jethro Tull donc. Il est tout entier inspiré et habité par le vent du rock progressif des 70’s et du folk, avec, bien sûr, la magie de Ian Anderson et ses départs de flûtes solo qui font décoller l’écoute vers les hauteurs.

En définitive, c’est exactement le genre d’album qui, avec l’arrivée de Noël, pourrait bien épater, vos amis fans de Genesis, Led Zeppelin, Yes, et autres groupes mythiques des seventies, tout en restant écoutable en toute saison. Du point de vue distribution, on le trouve encore à la vente en version CD. Attention, toutefois, aux imports « collector » qui peuvent s’arracher à prix d’or. Sinon, à plus petits budgets, il est également disponible en version MP3 plus abordable. Voici un lien utile pour plus d’informations à ce sujet : The Jethro Tull Christmas Album.

Membres de Jethro Tull sur cette production

Ian Anderson (chant, flûtes, guitare acoustique, mandoline, piccolo, percussions), Martin Barre (guitares), Jonathan Noyce (basse), Andrew Giddings (claviers, accordéon), Doane Perry (batterie)

Titrée Greensleeved (contre l’habituel Greensleeves), la version de la mythique chanson par les Jethro Tull se situe dans la continuité de cet album qui est, toute à la fois, un voyage original dans la période de Noël, un couronnement de la longue carrière de la formation anglaise, mais encore un témoignage historique à mettre au crédit du folk rock progressif. Orchestration et sonorités foisonnantes, rythme enjoué, en tendant l’oreille, on y trouvera même un solo de guitare qui pourrait évoqué celui de Mark Knopfler dans les Sultans of Swing des Dire Straits.

En vous souhaitant une belle journée.
Fréderic EFFE
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Triste plaisir et douloureuse joye, rondeau médiéval du Manuscrit de Bayeux

manuscrit-de-bayeux-chansons-medievales-poesie-moyen-age-tardif-XVe-siecleSujet :  rondeau, chanson, musique, médiévale, poésie médiévale,  manuscrit de Bayeux
Période  : Moyen Âge tardif (XVe)
Auteur :  anonyme, Alain Chartier ?
Titre :   Triste plaisir et douloureuse joye
Interprète  : Ensemble La Maurache
Album :  Ambroise Paré et la Musique (2012)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous partons au Moyen Âge tardif, à la découverte d’un rondeau tiré du Manuscrit de Bayeux. Au XVe siècle, cette chanson a connu d’autres versions que celle présentée ici et, jusqu’à  nos jours, une variation de Gilles Binchois  a même eu tendance à l’éclipser. Il faut donc rendre grâce à l’ensemble  médiéval La Maurache pour s’être attaché à nous faire redécouvrir la pièce tirée du Ms de Bayeux.

Source  médiévale : le Manuscrit de Bayeux

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Nous avons déjà eu l’occasion de  vous présenter quelques chansons du Manuscrit de Bayeux. Cet ouvrage  du XVIe siècle,  très coloré et plutôt  bien conservé, est aussi connu sous la référence Ms   Français 9346 à la BnF où il est précieusement gardé.  Il contient  un peu plus de 100 compositions d’époque avec leur notation musicale (version d’époque consultable ici). Pour la version en graphie moderne du rondeau du jour,  nous nous appuyons, quant à nous, sur les travaux de Thédore Gérold, daté de 1921 :  Le manuscrit de bayeux, texte et musique d’un recueil de Chansons du XVe. Pour les musiciens, cet ouvrage (qu’on trouve encore réédité) a l’avantage de fournir, en plus des textes du manuscrit médiéval, leurs   partitions modernes. 

La version de Gilles  Binchois  & Alain Chartier

Comme indiqué en introduction, il existe une version médiévale sensiblement différente de ce rondeau du Manuscrit de Bayeux.   Composée par Gilles Binchois, sa mélodie diffère même de la pièce du jour. Si elle  contient également le même refrain, « Triste plaisir et douloureuse joye, … »,  son texte varie aussi de nombreux points.

On peut retrouver cette version de Gilles de Binche dans le manuscrit médiéval MS Misc Canonici 213 de la librairie Bodléienne d’Oxford. Ce dernier est d’une datation antérieure à celui de chanson-medievale-triste-plaisir-ms-canonici-213-gilles-binchois-alain-chartier-moyen-age_sBayeux. Les vers sur lesquels s’est appuyé Gilles Binchois sont attribués à Alain Chartier (1385-1430). Cette chanson de Chartier, datée du XVe, connut même une popularité assez tardive puisqu’on la retrouve, jusque dans le courant du XVIe siècle, avec une mention dans le Pantagruel de  Rabelais.  Notons que dans la version du Manuscrit de Bayeux, l’auteur n’est pas mentionné et demeure anonyme.

Registre courtois pour une poésie absconse

Dans les deux cas,  ce rondeau semble faire référence au registre courtois, même si le rapprochement peut paraître, de prime abord, un peu abstrait, du moins par rapport à d’autres poésies du genre :    la dame n’y est pas citée, ni même complimentée, le texte s’étale sur des états émotifs sans en donner vraiment  les causes, …  Pourtant,  si le poète ne fait pas l’effort d’être très clair, au point de basculer (assez tardivement pour son temps) dans  un jeu poétique qui pourrait évoquer  les  trobar clus des XIIe/XIIIe siècles,   les sentiments contradictoires qu’il exprime pourraient aisément être rattachés  au registre de la fine amor : souffrance et joye, présence « d’envieux » ou de médisants qui veulent lui nuire.  On sait  que la courtoisie fait son nid dans les émotions contradictoires :  plaisir et douleur, tension et relâchement, désir et frustration, distance et proximité. Cette référence tout de même un peu brouillée, à la courtoisie,  est plus clair dans la version de Chartier.

Figures de style et oxymorons

Quoiqu’il en soit, les tensions émotionnelles donneront lieu ici à de très beaux  oxymorons (ou oxymores) : « triste plaisir », « douloureuse joye », « Ris en plorant », « souvenir oublieux ». C’est aussi d’époque. Ces énoncés  qui jouent sur les contradictions et les oppositions,  sont un procédé assez prisé  dans la poésie du XVe siècle. On les retrouve chez Charles d’Orléans (sous l’influence, sans doute, de Chartier) mais  également chez François Villon qui en sera, lui aussi très friand (voir la ballade des contre-vérités, par exemple). D’autres poètes médiévaux suivront également et, même jusqu’à nous, un nombre important d’illustres auteurs modernes (Molière, La Fontaine, Corneille, Victor Hugo, Balzac, Baudelaire, Rimbaut, sans oublier  le  silence assourdissant de la Chute chez Albert Camus).

« Triste plaisir et douloureuse joye »,   Ensemble Médiéval La Maurache 

L’Ensemble La Maurache :   de l’art des trouvères du XIIe aux airs de cour du XVIIe siècle

l’Ensemble La Maurache a été fondé en  1978 par  le compositeur,  chanteur et musicien Julien Skowron.  Ce multi-instrumentiste n’en était pas à son galop d’essai puisque on lui devait,  depuis le début des années 60, la participation à un certain nombre d’autres formations de musiques médiévales et renaissantes. On se souvient notamment des Ménestriers qui avaient reçu, en leur temps, une belle reconnaissance   de la presse et de    la scène musicale.

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Pendant plus d’une vingtaine d’années, La Maurache s’est concentrée sur un répertoire qui partait du Moyen Âge central et du XIIe siècle  pour aller jusqu’à la musique du XVIIe siècle, sur des terrains à la fois religieux et profanes. Sous la houlette de son directeur  qui  a fêté, cette année, ses quatre-vingt printemps (et que nous saluons au passage), la formation a été très active jusqu’à l’année 2005.  Depuis lors,   elle ne semble plus s’être produire.

Album : Ambroise Paré et la Musique 

Originellement, on trouvait l’interprétation de la pièce du jour par la Maurache dans un double album daté de 2005. L’opus était dédié très à propos aux musiques du temps de François Villon« Le Paris de François Villon : Ballades au XVe siècle sous la direction de  Julien Skowron. Nous aurons, sans doute, l’occasion d’y revenir  dans un futur article.

la-maurache-album-musique-medievale-renaissance-ambroise-pare-XVIe-XVe-pleiadePour revenir à l’album du jour, qui propose à nouveau ce rondeau du Manuscrit de Bayeux, il a pour titre   Ambroise Paré et la Musique. Daté de 2012, comme son titre l’indique, c’est une compilation de pièces contemporaines de  la vie de Ambroise Paré (1510-1590). On y découvre donc plutôt des musiques et chansons du XVIe siècle, plus « post-pléiades » que médiéval tardives. Sur les 17 pièces proposées, trois sont interprétées par l’ensemble la Maurache. A sa suite, on retrouve un bon nombre d’interprètes et formations : l’Ensemble Madrigal, l’Ensemble Bourscheid, Jean-Paul Lécot, Bernard Soustrot, François-Henri Houbart, … L’album est toujours disponible à  la distribution au format  MP3 ou Cd   : Ambroise Paré et la Musique (Ambroise Paré Music Favorites)


Triste plaisir et douloureuse joye,

La version du manuscrit de Bayeux

Triste plaisir et douloureuse joye
Apre(s) doulceur, reconfort anuyeux.
Ris en plorant, souvenir oublieux
M’accompaignent, combien que seul je soye.

Se j’ay soulas* (joie, plaisir), d’aultre part je lermoye ;
J’ay bon support, maiz danger d’envyeux.
Triste plaisir et douloureuse joye,
Apre(s) doulceur, reconfort anuyeux.

Je suis hermé (entouré, cerné?) de mensonge et de soye.
L’ung me trahit ; l’aultre m’est cauteleux* (fourbe, rusé).
D’estranges tours l’on joue en plusieurs lieux.
Pompeux* (glorieux) je suis, mais l’on deffend la soye.

La rondeau de Alain Chartier
(version de Gilles Binchois)

Triste plaisir et douloureuse joye,
Aspre doulceur, desconfort ennuieux,
Ris en plorant, souvenir oublieux
M’acompaignent, combien que seul je soye.

Embuchié sont, affin qu’on ne les voye
Dedans mon cueur, en l’ombre de mes yeux.
Triste plaisir et amoureuse joye !

C’est mon trésor, ma part et ma monoyé ;
De quoy Dangier est sur moy envieux
Bien le sera s’il me voit avoir mieulx
Quant il a deuil de ce qu’Amour m’envoye.
Triste plaisir et douloureuse joye.


Découvrir d’autres chansons du ms de Bayeux :     le roy  engloys  –  La belle se sied

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
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« Qui d’amours se plaint » au XIIIe siècle, fine amor et motet du chansonnier de Montpellier

trouveres_troubadours_musique_poesie_medievale_musique_ancienneSujet :   codex de Montpellier,   musique, chanson médiévale, amour courtois, vieux-français,  chants polyphoniques, motets, fine amor
Période :   XIIIe siècle, Moyen Âge central
Titre: 
Qui d’amours se plaint,  Lux magna
Auteur :   
 Anonyme
Interprète :  Anonymous 4
Album :   
Love’s Illusion Music from the Montpellier Codex 13th Century    (1993-94)

Bonjour à tous,

C_lettrine_moyen_age_passionelui qui « d’amour se plaint » et n’en a pas aimé jusqu’aux doux maux, comment pourrait-il prétendre avoir jamais aimé, ou plutôt, avoir jamais su le faire en amant loyal et véritable ?

Dans ses formes littéraires et poétiques les plus exacerbées, le Moyen Âge codifie un amour qu’il encense jusqu’à dans sa non réalisation, dans ses souffrances, dans son attente et dans un désir inassouvi, voué,  peut-être, à ne jamais devoir se poser sur son objet.  Toutes ces tensions n’ont pas de prix. Mieux même, si elles n’étaient pas partie intégrante   de l’expérience, ou si l’amant devait ne pas s’en délecter et s’y complaire, alors son amour ne serait pas vraiment l’amour. Il  n’en serait pas digne et son  cœur ne serait pas assez grand.

La fine amor : des formes « psychologiques » aux formes sociales

Au delà de ces aspects psychologiques codifiés qui pourraient nous paraître tortueux à certains égards, le monde  médiéval peut encore se plaire à ajouter une dimension sociale transgressive à son amour courtois.

deco_medievale_enluminures_trouvere_On le chante encore volontiers, quand il devient sulfureux et qu’il s’affirme envers et contre tous : contre la raison, contre les médisants, contre les conventions sociales, contre le devoir des époux, contre le cloisonnement entre la petite et moyenne noblesse et la haute :  le chevalier amoureux de la reine,  le troubadour et petit seigneur en émoi pour une princesse lointaine et qu’il n’a jamais vu,  le vassal ou le poète (bien né mais pas suffisamment) qui flirte avec  la belle de son suzerain ou  qui louche, avec convoitise, sur la fille ou la cousine de ce dernier. Le poète a-t-il alors, comme seule excuse ou comme seul refuge, son unique volonté d’éluder le passage à l’acte ? Non, pas toujours, même si le loyal amant pourrait parfois, comme il nous le dit, « mourir » pour un seul baiser.

A l’opposé de ces transgressions, le monde médiéval pourra encore faire entrer certains codes de cette fine amor dans le  sentiment religieux. Devenu pur et chaste, on appliquera alors à la vierge et au culte marial  cet amour de loin et inaccessible. Les codes sont les mêmes, leur  vocation change. D’une certaine façons, ils sont alors plus normatifs  ou « compatibles » au sens médiéval chrétien du terme.

 Aujourd’hui,  c’est sous sa forme profane, datée des XIIe et XIIIe siècles que nous vous invitons à retrouver cette lyrique courtoise. Nous serons, pour le faire, en compagnie du codex de Montpellier et d’un très beau quatuor féminin.  Pour la transcription en graphie moderne de la pièce que nous avons choisie, nous nous appuierons, une nouvelle fois, sur l’ouvrage Recueil de Motets français des XIIe et XIIIe siècles  de   Gaston Raynaud  (1881).

La courtoisie mise en musique
dans le codex H196 de Montpellier

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Avec ses 395 feuillets garnis de compositions et de motets annotés musicalement, le Chansonnier de Montpellier  H196    chante cette fine amor, à travers des pièces assez courtes  et demeurées anonymes ( consulter ce manuscrit médiéval en ligne).  La chanson médiévale du jour s’inscrit tout entière dans cette tradition courtoise.  On verra que le poète  y fait une véritable apologie des (doux) maux d’amour. Tout en les gardant tacites,  il nous expliquera que celui qui aime loyalement et qui a du cœur, ne s’en plaindra jamais et n’en ressentira aucun mal. Mieux même, quand il aura trouvé et éprouvé ces maux, les bienfaits et la récompense n’en seront que plus grands, au bout du chemin.

« Qui d’amours se plaint » par la quatuor féminin Anonymous 4

Love’s Illusion ou le chansonnier    de Montpellier  par le quatuor féminin Anonymous 4

chanson-musique-medievale-album-amour-courtois-codex-montpellier-moyen-ageNous vous avons déjà touché un mot dans un article précédent, du quatuor américain Anonymous 4, mais aussi de leur album Love’s illusion. Sortie en 1994, cette production  faisait une large place au codex de Montpellier avec 29 pièces  toutes issues   du célèbre manuscrit médiéval. Avec près de 65 minutes d’écoute,   Love’s Illusion, Motets français des XIIIe et XIVe siècles  a été réédité en   2005 chez Harmonia mundi USA. Il est donc toujours   disponible à la vente au format CD ou dématérialisé.

Membres de la formation Anonymous 4  :   Ruth Cunningham, Marsha Genensky, Susan Hellauer, Johanna Rose


« Qui d’amours se plaint »  ,  paroles en vieux français et clés de vocabulaire

NB : concernant la traduction littérale de cette pièce, du vieux-français vers une langue plus actuelle, nous l’avons jugé un peu inutile pour le moment. A quelques clés de vocabulaire près, que nous vous indiquons, cette chanson se comprend, finalement, assez bien .   

Qui d’amours se plaint
Omques de cuer n’ama
Car nus qui bien aint (aime loyalement)
D’amours ne se clama  (se plaindre);
Ja loiaus amans ne se feindra  (hésiter, manquer de courage)
Ne ne se pleindra
Des doz maus d’amer ja,
Nuit ne jor tant n’en avra,  (nuit et jour, il n’en aura jamais assez)
Car douçour si trés grant i trovera
Qui bon cuer a,
Que ja mal ne sentira.
Por ce ne departira   (se séparer,   s’en défaire)
Nus tant n’en dira
De cele que tou mon cuer a :
Touz jors est la,
Ja voir ne s’em partira,
Car quant les maus trovés a,
Si doz les biens partrovera (partrover : trouver) :
Trop douz si les a.


En vous souhaitant une  excellente journée

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Plus belle que fleur : chanson médiévale courtoise du codex de Montpellier

trouveres_troubadours_musique_poesie_medievale_musique_ancienneSujet :   chanson médiévale, amour courtois, vieux-français, langue d’oïl,  musique médiévale, manuscrit ancien,  chansonnier de Montpellier,    motets,    chants polyphoniques
Période :    XIIIe siècle, Moyen Âge central
Titre :   
Plus bele que flor     Auteur :  anonyme
Interprète :   Ensemble Venance Fortunat
Album :   
Trouvères à la cour de Champagne (1996)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous retrouvons,  ici, le Moyen Âge des trouvères  du nord de la France médiévale avec le Chansonnier de Montpellier et ses motets. A l’image des autres pièces  de ce manuscrit, présentées jusque là, la chanson du jour est encore empreinte de lyrique courtoise ; on verra qu’elle ouvre aussi  sur une partie dédiée plus directement au  culte marial  et on pourra ainsi noter à quel point les formes de l’amour courtois ont pu être transposée au sentiment religieux envers la Sainte mère par  certains auteurs médiévaux (voir Retrowange novelle de Jacques de Cambrai).

Pour découvrir ce motet, nous serons en compagnie d’une belle formation médiévale française :  l’Ensemble   Venance Fortunat sous la direction de Anne-Marie Deschamps. Nous en profiterons pour  dire un mot de son legs et de sa longue carrière.

« Quant revient et fuelle et flor » par    l’Ensemble Venance Fortunat

l’Ensemble Venance Fortunat

anne-marie-deschamps-ensemble-medieval-venance-fortunat-chants-polyphonique-musiques-sacres-moyen-ageC’est autour de l’année 1975 que la directrice Anne-Marie Deschamps fonda l’Ensemble Venance Fortunat.  Quelques années plus tard, en 1980 le premier album de la formation voyait le jour en collaboration avec le Centre de Recherches Musicales du Couvent Royal de l’Abbaye aux Dames.  Ce premier  opus allait porter sur le Mystère de la résurrection et les chants  latins primitifs monodiques et polyphoniques.  Il allait donner le  La d’une longue carrière consacrée aux musiques anciennes et à leur restitution.

Ainsi, de 1980 à 2003, guidée par la passion de sa directrice pour le répertoire médiéval en général et les chants grégoriens en particulier, l’Ensemble Venance Fortunat produisit plus de vingt albums. Avec l’appui des manuscrits anciens, mais aussi l’intervention de compositeurs plus contemporains, la grande majorité  de ses productions   partit à la conquête des chants liturgiques polyphoniques, de la fin du haut-Moyen Âge au cœur du Moyen Âge central.   L’album du jour se situe, quant à lui, sur des rives plus « profanes » du répertoire de la formation, puisqu’il fait un tribut plus  marqué à la lyrique courtoise et à la fin’ amor.

Trouvères à la cour de Champagne, l’album

Sorti en 1996,  Trouvères à la cour de Champagne contient 19 pièces d’auteurs médiévaux, dont la majeure partie sont passés à la prestigieuse cour de Champagne, entre la fin du XIIe  et le XIIIe siècle. Certains sont de la génération de Thibaut de Champagne, d’autres de la génération précédente.

musique-medievale-trouveres-champagne--ensemble-venance-fortunat-chansonnier-montpeliier-moyen-ageAu titre des trouvères représentés, on retrouve des pièces d’anthologie  de Gace Brulé, Conon de Béthune, ou même encore la chanson D’amors qui  m’a Tolu à moi de Chrétien de Troyes.   Difficile d’évoquer la cour de Champagne sans ménager une belle place à Thibaut de Champagne. Avec trois de ses compositions, il est fait largement justice à son talent dans cet album. Citons encore la présence de   Guiot de Provins, Gautier de Coincy, Raoul de Soissons, et , pour finir,  celle de  motets ou autres chansons   de  la même période. Demeurés anonymes, comme la pièce du jour,  ces derniers sont tirés du Chansonnier de Montpellier et du Roman de Fauvel.

Musiciens & chanteurs :  Catherine Ravenne (alto), Dominique Thibaudat (soprano),  Gabriel Lacascade (bariton), Bruno Renhold (tenor), Philippe Desandré (basse), Guylaine Petit (harpe)

  On peut encore trouver ce bel album  sur quelques sites  de vente en ligne. Voici un lien utile pour plus d’information à ce sujet :   Trouvères à la cour de Champagne [Import anglais]

Plus bele que flor :  un chant courtois
du Moyen Âge central en langue d’oïl

Concernant la langue de cette chanson médiévale, trouvère oblige, elle  est en vieux français d’oïl mais, nous vous donnerons ici des éléments de traduction pour l’éclairer. Dans sa première strophe, on notera l’analogie médiévale, classique et familière, de la fleur pour évoquer la vierge Marie (voir  la cantiga de Santa Maria   10).  Quant à sa transcription en graphie moderne à partir du manuscrit, nous nous appuyons sur  le travail de   Gaston Raynaud  dans   Recueil de Motets Français des XIIe et XIIIe siècles, Tome  1er, Introduction, le Chansonnier de Montpellier    (1881).

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Par rapport à l’interprétation du jour, l’ensemble a pris le parti de changer l’ordre des strophes, en commençant par la troisième pour revenir vers la seconde, la première n’étant pas présente. De notre côté, par simple convention, nous avons repris l’ordre  du    manuscrit médiéval d’origine, tel que retransposé par G Raynaud. La pièce se trouve donc ici dans sa totalité.


Plus bele que flor
Est, ce m’est avis,
Cele a qui m’ator.
Tant con soie vis,
N’avra[i] de m’amor
Joie ne delis
Autre mès la flor
Qu’est de paradis:
Mère est au Signour,
Qu’est si noz amis
Et nos a retor
Veut avoir tôt dis.

Plus belle que fleur
Est, à mon avis,
Celle dont je suis proche.
Aussi longtemps que je vis
Nul n’aura de mon amour
joie ni plaisir,
Hormis la fleur
Qui est de Paradis.
Elle est la mère du Seigneur
Qui, si, de toi et moi, amis,
Attends fidélité pour toujours (?)

Quant revient et fuelle et flor,
Contre la saison d’esté,
Deus ! adonc me sovient d’amors
Qui toz jors
M’a cortois et doz esté.
Moût aim ses secors   (concours, secours) ,
Car sa volenté
M’alege de mes dolors ;
Moût me vient bien et henors
D’estre a son gré.

L’autrier joer m’en alai
Par .I. destor (chemin détourné);
En .I. vergier m’en entrai
Por queillir flor.
Dame plesant i trovai,
Cointe d’atour   (pleine de grâce, d’atours), cuer ot gai ;    
Si chantoit en grant esmai (ainsi elle chantait pleine d’émotion) :
Amors ai,
Qu’en ferai ?
C’est la fin, la fin,  queque nus die (quoiqu’on en dise),
J’amerai.


Retrouvez ici d’autres pièces d’amour courtois tirés du Codex de Montpellier :   Ne m’oubliez mie  –  Puisque Belle dame m’aime Coeur qui dort

Au sujet de la  courtoisie  au Moyen Âge, vous pouvez également consulter  réflexions sur l’amour courtois au Moyen Âge.

En vous souhaitant une  excellente journée.

Fred
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