Archives de catégorie : Citations médiévales ou sur le moyen-âge
Le monde médiéval en question : une large sélection de citations regroupant des auteurs du moyen-âge à des penseurs du passé, mais aussi des historiens plus contemporains.
« Il n’y a point de place faible, là ou il y a des gens de cœur »
Citation médiévale du célèbre chevalier « sans peur et sans reproche », Pierre de Terrail de Bayard (1476 – 1524).
(ci-contre, détail de la statue du chevalier dauphinois, à Grenoble, Isère, XIXe siècle, sculpteur Raggi, 1823)
«C’est une bonne chose que la paix ; car en terre de paix ceux qui vont à quatre pieds mangent l’herbe paisiblement ; et ceux qui vont à deux, labourent la terre [dont les biens viennent] paisiblement.» Kubilai Khan (1215-1294), roi des Tartares, Grand Khan des Mongols, Lettre à Louis IX (vers 1260)
Attention citation médiévale piégée!
Bonjour à tous!
oilà encore un petit article léger pour se détendre et appeler au sens critique; une autre façon de dire, finalement, méfions-nous des citations et de l’information toute mâchée.
Il y a quelque temps, au hasard de mes errances sur le web, je trouvais, en effet, cette citation que je reprends volontairement, en tête d’article. Je me disais: quel beau témoignage de paix fait par ce roi tartare et mongol, petit-fils de Ghengis Khan, dans cette missive à Saint Louis, en plein coeur du moyen-âge. La phrase était tirée de l’ouvrage « Œuvre de Jean, sire de Joinville » de 1867 de Natalis de Wailly, traduction de textes du XIIIe siècle du célèbre chroniqueur, historien, poète, écrivain et Sénéchal de Champagne, Jehan de Joinville (1225-1317). Le journaliste ou l’historien qui la mentionnait ajoutait: « Les deux rois s’entendent pour manifester le même amour de la paix. Et c’est chose rare, à l’époque. » Bref, tout cela valait bien une recherche un peu plus poussée, en vue, peut-être, d’un article. (peinture ci-contre, Jehan de Joinville par Blondel Merry Joseph, XIXe siècle, salle des croisades, château de Versailles).
Insatiable curieux de nature, je décidais, avant toute chose, d’en savoir un peu plus et me mettais donc en quête d’information sur la question. Qui était ce roi mongol si pacifique? Quelle était donc cette lettre? La lecture de Joinville pouvait certainement m’en apprendre plus. Je finis ainsi par trouver le texte original de l’ouvrage cité et, pour être honnête, à l’heure où j’écris ces lignes, je suis encore en train d’en rire.
En effet, en fait de missive de paix, la belle citation de Kubilai Khan ressemble plutôt à une belle introduction avant racket, façon Soprano ou Corleone. Je vous laisse en juger par vous-même en découvrant ce que nous apprend la lecture complète de cette missive du roi tartare (mongol) au roi de France, Saint Louis, en réponse aux présents et messages que ce dernier lui avaient adressés. L’ombre du Attila de Kaamelott n’est pas très loin.
Traduction de Jean de Joinville par Natalis de Wailly (1867)
« Avec les meffagers vinrent les leurs; & ils apportèrent au roi de France des lettres de leur grand roi* (*le roi tartare donc) qui étaient ainfi conçues : « C’eft une bonne chofe que la paix ; car en terre de paix, ceux qui vont à quatre pieds mangent l’herbe paifiblement; et ceux qui vont à deux labourent la terre (dont les biens viennent) paifiblement. Et nous te mandons cette chofe pour t’avertir : car tu ne peux avoir la paix fi tu ne l’as avec nous. Ca prêtre Jean fe leva contre nous, & tel roi & tel (& ils en nommaient beaucoup), & tous nous les avons paffés au fil de l’épée. Ainsi, nous te mandons que chaque année tu nous envoies affez de ton or & de ton argent pour que tu nous retiennes comme ami. & fi tu ne le fais, nous te détruirons toi & tes gens, ainfi que nous avons fait de ceux que nous avons ci-devant nommé. » Et fachez que le faint roi fe repentirt fort d’y avoir envoyé. »
Source historique de la lettre de Saint Louis
L’original de Jean de Joinville pour le plaisir de la langue
« Avec les meffages, le roy vindrent li leur & aportèrent lettres de leur grant roy*(*le roi tartare donc) au roy de France qui difoient ainfi : « Bonne chofe eft de pez, quar en terre de pez manguent cil vont à quatre piez, l’erbe pefiblement. Cil qui vont à deus labourent la terre dont les biens viennent paifiblement. Et cefte chofe te mandons-nous pour toy avifer; car tu ne peus avoir pez fe tu ne l’as à nous. Car preftre Jehan fe leva encontre nous, & tel roy & tel (& moult en nommoient), & tous les avons mis à l’efpée. Si te mandons que tu nous envoies tant de ton or et de ton argent chafcun an, que tu nous retieignes à amis. & fe tu ne le fais, nous deftruirons toy & ta gens auffi comme nous avons fait ceulz que nous avons devant nommez. »Et fachiez qu’il fe repenti fort quand yl y envoia. »
Toute la Vérité Historique en Images
Du coup, rétablir l’Histoire véritable de la lettre du grand roi tartare Kubilai Khan à Saint Louis valait bien une illustration et nous nous en sommes fendus sans plus attendre.
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Aller du coeur des textes vers les citations
En quelques lignes pour conclure, il semble bien que le monde lise de moins en moins et cite de plus en plus. De mon côté, je me méfie toujours des citations, même si je m’y adonne, parce qu’on peut faire dire tout et n’importe quoi, à n’importe qui, quand on saucissonne un texte.
En général, en sciences humaines, qu’il s’agisse d’Histoire, d’Anthropologie ou de Sociologie, comme on devrait le faire aussi en journalisme, on lit d’abord l’ouvrage entier avant de lui faire référence et, quand on le cite, on extrait des passages significatifs de la pensée de l’auteur et qui abondent dans son sens. Il y a, bien sûr, toujours des historiens porteurs d’idéologies fortes qui vous feraient entrer n’importe quel auteur dans n’importe quel concept à coup de copier-coller douteux, mais c’est un procédé réputé malhonnête et qui ne tient jamais la distance. Je parle donc ici du chercheur honnête ou même de l’amateur éclairé qui conduit sa recherche de la vérité avec une certaine honnêteté.
Dans le cas présent et pour la source que nous aurons l’élégance de ne pas citer, je pense qu’il s’agissait surement plus d’une petite négligence à creuser, mais il faut avouer que le commentaire n’en est que plus désopilant, une fois qu’on connait l’ensemble de cette lettre à Saint Louis. A l’ère d’une certaine superficialité, on trouve aussi dans le genre, de nombreux repiquages faciles de contenus non vérifiés sur le web par des webmasters en mal de contenus ou d’imagination et qui ne cherchent que l’audience. Dans un autre registre, enfin, depuis que les réseaux sociaux existent, on n’a jamais autant prêté à des personnages célèbres comme Albert Einstein ou Bouddha des tas de choses qu’ils n’ont, en réalité, jamais dites ou écrites.
D’une certaine manière, tombé, par hasard, sur cette citation, il y a quelques temps, aura été une illustration éclatante de ce propos. Il n’y a pas à en douter, c’est toujours un saint réflexe que d’aller chercher l’information au coeur des textes avant d’en utiliser des parties extraites sans les connaître.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge et du monde médiéval sous toutes ses formes, et toujours avec passion.
« Non pas qu’il faille s’évader de son être intérieur, s’en échapper ou y devenir infidèle ; il faut apprendre, au contraire, à agir avec lui, par lui et en lui, de façon que l’intériorité perce dans l’activité et que l’activité revienne à l’intériorité, et qu’ainsi nous prenions l’habitude d’agir librement. »
Maître Eckhart (1260-1328), Théologien, philosophe et grand mystique chrétien et dominicain du moyen-âge ( XIIIe siècle)
Citation médiévale, sagesse médiévale et mystique chrétienne.
Sujet : médecine médiévale, philosophie, science médiévale. savan, médecin, biographie, portrait.
Période : moyen-âge central 11e siècle,
Auteur : Avicenne, Ibn Sina, Abou Ali Al Housayin Ibn Abdoullah Ibn Sina (980-1037)
Avicenne : philosophe, médecin, mystique
et savant iranien du XIe siècle
«Marche avec des sandales jusqu’à ce que la sagesse te procure des souliers.»
i l’exercice de la citation est toujours commode en cela qu’il pointe une pensée précise, il emporte souvent avec lui son lot de frustrations et ce, particulièrement, quand leurs auteurs sont des êtres brillants et complexes dont l’héritage a influencé, pour des siècles, des disciplines aussi importantes que la science, la médecine, la philosophie ou encore la mystique. C’est le cas d’Avicenne, de son vrai nom Abou Ali Ibn Abdillah Ibn Sina (980-1037), brillant philosophe, savant et médecin, né aux portes de l’Iran, à Boukhara en Perse (aujourd’hui en Ouzbékistan), autour de l’an mil. Bien des siècles après que cet homme hors du commun ait arpenté notre monde, il est encore considéré comme l’un des plus grands philosophes de l’Islam et son héritage aura pesé fortement sur la médecine orientale comme sur la médecine chrétienne du moyen-âge et même sur la pensée occidentale durant des siècles.
Ibn Sina : un être hors du commun,
éléments de biographie
En vérité, et sans risquer de tomber dans les superlatifs outranciers, nous sommes avec Avicenne en présence d’un véritable génie. Très tôt et dès l’âge de 11 ans, il se passionnera, seul, de sciences naturelles et de médecine. Quelques années après, on le retrouvera, à l’âge de 16 ans, étudiant avec les plus grands médecins. D’aucuns disent même qu’il les dirigeait déjà. Réputé posséder toutes les sciences connues à l’âge de 18 ans, il rédigera à 21 ans son premier traité de philosophie en vingt volumes! Et même si la nécessité de survivre le poussera à occuper d’autres emplois prestigieux dans l’administration, il y excellera aussi. Il brillera notamment dans des fonctions de ministre qui lui vaudront de tomber dans les jeux de pouvoir, attisant les jalousies et s’attirant les foudres de certains de ses contemporains, au risque d’y laisser sa vie et de devoir fuir. Poursuivi, puis gracié, il sera même emprisonné à nouveau, plus tard, par l’émir Sama Ad Dwala pour avoir refusé d’être son ministre. Malgré la charge de ses fonctions et toutes ses vicissitudes, Avicenne continuera pourtant à se passionner sans relâche de science, de médecine, de physique, de métaphysique, de logique et de philosophie, travaillant à ses affaires le jour et à ses passions la nuit.
De fait, ce talentueux savant médecin iranien du moyen-âge laissera derrière lui une œuvre qui, si elle ne nous est pas parvenue entière, demeurera encyclopédique; on dit d’ailleurs de lui qu’il écrivait en tout lieu et sans relâche, et qu’il était aussi capable de citer parfaitement Aristote dans le texte sans autre support que sa mémoire. On lui prête plus de 150 ouvrages en arabe et plus d’une vingtaine en persan; il traduira également Gallien ou Hippocrate, étant, comme de nombreux savants orientaux de son temps, influencé par la pensée des philosophes grecs et leurs textes.
Influence d’Avicenne
sur le monde occidental médiéval et chrétien
Au douzième siècle, l’occident médiéval, alors en pleine croisade, ramènera de l’Orient, les précieux ouvrages d’Avicenne et l’on commencera à les traduire, notamment à Tolède. Par le biais de ses écrits et dans la mouvance d’autres savants arabes, le moyen-âge chrétien et universitaire découvrira alors Aristote à travers les commentaires qu’en fait Ibn Sina et son désir de suivre les préceptes du grand philosophe grec, qu’il considère comme son premier maître, pour les appliquer de manière concrète à ses propres problématiques et à sa discipline médicale. Avicenne léguera alors, à la philosophie autant qu’à la médecine occidentale du XIIe siècle, deux de ses ouvrages maîtres, le Canon de la médecine, une encyclopédie médicale en cinq volumes comprenant pas moins d’un million de mots et Le livre de la guérison de l’âme, un traité de philosophie, de logique et de métaphysique.
Du point de vue philosophique, la distinction qu’il fera de l’essence de l’être et de l’existence influenceront entre autre, le célèbre Thomas d’Aquin (gravure ci-contre) et jetteront les bases de la philosophie scolastique néo-aristotélicienne du Moyen Âge chrétien. Son « canon de la médecine » ou « canon d’Avicenne », traduit dès le XIIe siècle sous le titre « canon Medicinae » par Gérard de Crémone (grand érudit arabophone et traducteur italien), continuera de faire référence dans l’occident chrétien comme en terre musulmane, et ce jusqu’au XVIIe siècle.
Les références de cette encyclopédie ne se limitent pas à la posologie mais outre l’attention toute particulière qu’Avicenne accorde au diagnostic et à l’écoute de ses patients, de leur corps, de leur pouls, comme de leur état émotionnel dans son approche médicale, l’ouvrage détaille par le menu une liste impressionnante de maladies allant jusqu’à la psychiatrie : méningite, cataracte, ulcère à l’estomac, affections cutanées, paralysies faciales, tuberculose, diabète et obésité, etc… Pour ceux qui sont convaincus que la médecine était totalement aveugle jusqu’au siècle dernier, bien avant Molière et ses médecins pétris d’ignorance, Avicenne mettait à jour et partageait des centaines de découvertes dans ce domaine et ce dès le XIe siècle. Prônant encore une médecine préventive, insistant aussi sur l’importance de l’hygiène autant que de l’entourage du patient dans le processus de rémission, il listera encore dans son « canon » plus de 800 médicaments et démontrera dans tout l’ouvrage d’un grand travail de formalisation, déployant de louables efforts pour ramener la médecine à une véritable science du concret qui obéit à des lois et doit s’opérer dans un cadre rationnel. (photo ci-dessus et ci-contre enluminures du Canon Medicinae)
Avicenne dans les universités médiévales
De fait, les universités prestigieuses de médecine de Montpellier, Toulouse et Louvain du moyen-âge ne s’y tromperont pas et feront du canon d’Avicenne, pendant de longs siècles, leur bible de médecine et il faudra attendre la renaissance pour que l’influence de l’ouvrage commencera à diminuer de manière sensible. Les bases de l’Anatomie d’Avicenne seront d’abord rejetées par Léonard de Vinci, tandis que Paracelsus, de son côté, brûlera l’ouvrage, de manière symbolique et théâtrale, dans la cour de l’université de Bâle après l’avoir copieusement critiqué.
Dans le courant de ce même XVIIe siècle , la découverte de la circulation sanguine par Harvey achèvera de signer la fin du canon comme œuvre de référence en matière médicale, en remettant notamment en cause les préceptes de la « théorie des humeurs ». A titre anecdotique, on trouvera pourtant encore à Bruxelles, jusqu’au début du XXe siècle, un cours sur la médecine d’Avicenne même si l’on convient que les progrès de la science occidentale, à compter de la renaissance, lui auront définitivement fait perdre les belles lettres de noblesse qu’il aura su tenir dans la médecine occidentale pendant plus de cinq siècles.
Pour finir, nous vous laissons sur une belle citation de cet étonnant médecin et savant du moyen-âge, emporté à l’âge de cinquante sept ans par une crise intestinale qu’il ne parvint pas à soigner :
« Quand je grandis, cité ne fut à ma mesure ; quand mon prix s’éleva, je manquai d’acheteurs. » Avicenne
Une excellente journée et même une bonne santé, c’est de circonstance!