Archives de catégorie : Conférences Moyen Âge

Des conférences sur le moyen-âge et autour de la période médiévale par les plus grands érudits et experts de ces questions (historiens médiévistes, romanistes, etc…)

Entretien : l’autre Moyen-âge et la nouvelle histoire de Jacques le Goff

conference_monde_medieval_moyen-age_Jacques-le-Goff_nouvelle-histoireSujet : histoire médiévale, historien, médiéviste, moyen-âge, définition, vidéo-conférence, nouvelle Histoire
Période : moyen-âge
Auteur : Jacques le Goff entouré de Jean-Claude Schmitt, Robert Philippe, Emmanuel Le Roy Ladurie, Pierre Nora.
Titre : « Pour un autre moyen-âge : un entretien avec Jacques le Goff », conférence produite par Marc Ferro en 1992 (EHESS) (canal-U.tv)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous avons souvent eu l’occasion de parler, ici, de l’historien médiéviste Jacques le Goff, en partageant notamment quelques extraits de ses entretiens ou même quelques-unes de ses citations. Avec son « autre moyen-âge », il a proposé de déplacer, et même d’étirer, les lignes chronologiques de cette période mais, dans la veine de l’Ecole des Annales et avec l’apport de sciences humaines connexes à l’Histoire, il s’est aussi évertué à restituer les formes vivantes du monde médiéval et  ses mentalités.

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« (…) Ce que je veux appeler notre moyen-âge c’est un moyen-âge très concret. Et ça je tiens à le dire par rapport au moyen-âge insipide que l’on présentait à ce moment là, j’ai vraiment eu l’envie de proposer un moyen-âge qui était fait de sang, de chair, autant que d’esprit, et en plus si possible, un moyen-âge qui ne serait pas ennuyeux. Le moyen-âge qu’on nous proposait était mortellement ennuyeux. L’Histoire est une chose passionnante et on doit passionner les gens à l’Histoire en leur montrant que ce n’est pas du tout un discours embêtant. Et j’ai éprouvé très vite le besoin d’aller chercher, en dehors de ce que l’on appelait les sciences auxiliaires de l’Histoire traditionnelle. »
Jacques Le Goff – Citations –  Extrait entretien EHESS – 1992

Dans cette conférence de 1992, il revenait sur son parcours intellectuel, ses influences, ses maîtres en Histoire, tout en donnant quelques clés sur sa vision si particulière du Moyen-âge et sur son approche méthodologique de la « Nouvelle Histoire ». Au passage, avec la présence autour de la table de Emmanuel Leroy Ladurie, il revenait également sur leur collaboration mutuelle autour de Mélusine dont nous avions déjà touché un mot ici (voir article à ce sujet).

Sujets abordés

– Le long Moyen-Âge (04:37)
– De l’histoire à l’anthropologie historique (34:44)
– Histoire nouvelle et nouvelle histoire (50:24)
– De l’imaginaire au politique (1:11:12)

Si vous aviez quelques difficultés pour visualiser cette vidéo-conférence, nous vous conseillons de cliquer sur la roue dentée dans la barre de contrôle du Player et d’en réduire le débit. Cela n’affectera pas la qualité du son mais vous permettra d’en avoir une lecture bien plus fluide.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes

Jordi Savall, l’autobiographie intellectuelle d’un grand maître de musique ancienne

jordi_savall_fusion_art_et_recherche_musique_ancienne_medievaleSujet : Musique ancienne, musique médiévale, viole de Gambe, maître de musique, autobiographie, artiste, conférence vidéo. viole de gambe.
Période : Moyen-âge, renaissance, baroque
Auteur : Jordi Savall
Lieu : Fondation Juan March   (2014)

Bonjour à tous,

Q_lettrine_moyen_age_passionu’est-ce qui fait un artiste ? Est-ce une capacité ou une volonté de dépasser ses propres inquiétudes et ses peurs, les siennes, mais aussi celles des autres ? Vais-je survivre ? Mangerais-je à ma faim ? Pour avoir la ténacité indispensable de pratiquer son art dans d’infinis efforts, jour après jour, durant des heures incomptables, sans garantie et sans contrepartie économique immédiate ou évidente, il lui faut aussi une flamme que seule la passion peut entretenir  mais n’y a-t-il pas encore, au fond de cet être unique, la certitude obstinée qu’il n’y a pas d’autres voies, quels qu’en soient les sacrifices ? Habité par une sorte de nécessité impérieuse, l’artiste véritable semble quelquefois laissé sans d’autres choix que de poursuivre inlassablement sa quête, comme si c’était pour lui la seule façon possible de traverser la vie.

Sur ce long chemin qui mène à un aboutissement jamais atteint, mené par la soif intarissable de toujours explorer de nouveaux territoires en friche, jordi_savall_autobiographie_intellectuelle_musique_ancienne_viele_de_gambeil faut aussi une poignée de rencontres clefs et de visages amis croisés sur le chemin  qui l’encouragent à poursuivre, ceux qui font un geste aux moments les plus inattendus ou qui, par leurs élans, lui délivrent autant de signes, comme une façon de lui murmurer à l’oreille : « Continues, tu es sur la bonne route ». Et parmi tous ceux-là, il y a bien sûr aussi les maîtres, ceux qui montrent la voie et qu’il faut savoir écouter. Sans une reconnaissance profonde à leur égard, sans l’humilité d’apprendre encore et toujours et sans une gratitude sincère pour ses pairs, un artiste pourrait bien finir par se perdre en chemin. A l’évidence, celui que nous avons le plaisir de vous présenter aujourd’hui ne s’y est pas perdu.

Jordi Savall et la saveur des fraises sauvages

E_lettrine_moyen_age_passionn 2014, le maître de musique, directeur d’orchestre et  virtuose de la viole de gambe Jordi Savall était reçu par la Fondation Juan March pour y donner une conférence au sujet de son autobiographie intellectuelle et de son itinéraire artistique. Le lieu était propice à plus d’un titre puisque l’institution mécène espagnole avait compté dans son parcours en lui offrant, au moyen d’une bourse et alors qu’il étudiait encore son art, la possibilité de pourvoir à ses besoins et de poursuivre son apprentissage.

Itinéraire artistique et biographie à tiroir

Comme on le verra, il n’est pas question ici de répertoire médiéval stricto sensu, même si la quête inlassable des musiques anciennes, jusque dans les manuscrits et les traités d’époque, est demeurée au cœur des préoccupations de toujours de Jordi Savall. En plus de cette fascination singulière pour l’histoire de la musique, de ses instruments et de ses techniques, il aura fallu à ce grand artiste, une infinie patience et une vie soutenue d’efforts pour débusquer, jouer et faire découvrir au public, des trésors de compositions médiévales,
renaissantes ou baroques issus du plus lointain patrimoine méditerranéen et même au delà, jusqu’aux rivages des mondes celtiques ou latino-américains. Une partie de ces musiques compte jordi_savall_maitre_de_musique-ancienne_viole_de_gambe_autobiographie_video_conferencedes partitions pour viole de gambe que personne, jusqu’à lui, ne s’était aventuré à travailler et sa contribution, sur ce seul instrument, demeure unique sur la scène musicale internationale.

Pour le reste, on aura plaisir à suivre dans cette conférence, les pas du grand musicien catalan, de son enfance jusqu’à ses projets les plus récents et les plus ambitieux, en passant par son passage à la Schola Cantarum Basiliensis ou par son travail demeuré célèbre sur la bande originale du film d’Alain Corneau Tous les Matins du Monde. Il nous emmènera également à la source de ses célèbres formations, Hespèrion XX, la Capella Reial de Catalunya, l’Orchestre des nations et on y croisera aussi de grands noms de la scène classique et baroque du XXe siècle.

Pour qui sait écouter, il y a encore, dans cette autobiographie empreinte d’humanité, des leçons à tiroir qui débordent largement le champ historique pour s’intéresser à l’humain, à l’art et encore à l’itinéraire de l’artiste (avec un grand A), et c’est une véritable joie pour nous de pouvoir la partager avec vous ici.

Qui est la Fondation Juan March ?

Pour la culture espagnole et l’Humanisme

C_lettrine_moyen_age_passionréée en 1955, par le financier et homme politique Juan March Ordinas, cette fondation madrilène est une institution patrimoniale et familiale de grand renom en Espagne. Dès son origine, elle s’est donnée pour mission de promouvoir le fleuron de la culture ibérique avec l’objectif d’en faire bénéficier la communauté la plus large et toujours avec un parti-pris de qualité. Dans les premiers temps de son existence, elle a agi principalement à travers des bourses d’études concédées à ceux qui arpentaient les larges avenues de la Culture et de l’Art espagnols et les valorisaient. Un peu plus tard, elle a mis en place ses propres programmes culturels ; ces derniers qui s’inscrivent dans la durée et dans la gratuité ont vocation, pour reprendre les propres mots de la fondation « à diffuser et renforcer la confiance dans les principes de l’humanisme dans des temps tout à la fois d’incertitude et d’opportunités, augmentées par l’accélération du progrès technologique« .

Programmes et actions de la fondation

fondation_juan-march_culture_espagne_musique_artOn y trouvera nombre d’expositions, de conférences et de concerts. La fondation héberge aussi, en son sein, une bibliothèque sur le thème de la musique, un théâtre et possède encore deux musées : le Musée d’Art Abstrait de Cuenca, et le Musée de la Fondation Juan March de Palma de Mallorque. On retrouve également cette institution aux sources de la recherche scientifique, notamment dans le domaine des Sciences Sociales, à travers l’Institut Carlos III Juan March de l’Université Carlos III de Madrid.

La programmation musicale forme un partie importante de ses actions puisqu’elle propose, chaque année, près de cent cinquante concerts. Entre musiques anciennes, opéras, et genres variés, l’approche demeure toujours didactique et orientée sur la découverte et la sensibilisation. Quant aux conférences, elles balayent le large champ de la littérature et de la poésie, celui du théâtre et du cinéma, et vont encore jusqu’à la philosophie, en débordant les frontières de l’Espagne territoriale pour s’étendre jusqu’à l’Amérique latine.  A noter que sur son site web, la Fondation rediffuse gracieusement toutes ses productions par l’intermédiaire de sa propre web Tv : Canal March

Note sur la traduction et la version française

Nous avions mis, depuis longtemps déjà, dans notre « bucket list » la traduction de cette véritable pépite, postée, il y a quelque temps, sur Youtube par la Fondation Juan March elle-même. On peut trouver en ligne nombre de vidéos et d’entrevues de Jordi Savall (qui s’exprime, par ailleurs, dans un français parfait), mais cette autobiographie demeure unique et très particulière, aussi nous espérons que vous aurez autant de plaisir à l’écouter que nous en avons eu à l’adapter en français. Puissiez-vous y goûter, comme le fait le maître de musique, à la saveur incomparable des fraises sauvages.

Avant d’en terminer, il nous faut souligner, une nouvelle fois, l’importance du mécénat ou des aides institutionnelles dans le domaine de la Culture. Il est merveilleux de penser qu’en faisant le geste, il y a près de 50 ans, d’aider un jeune étudiant têtu et passionné à poursuivre ses rêves les plus chers, une fondation a contribué à faire naître l’un des plus grands artistes sur la scène internationale des musiques anciennes.

En vous souhaitant une très belle journée

Frédéric F
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

Thibaut le Chansonnier, l’amour courtois d’un comte et roi-poète à la cour de Champagne, avec Jean Dufournet

thibaut_le_chansonnier_troubadour_trouvere_roi_de_navarre_comte_de_champagneSujet : chansons, poésie médiévale, amour courtois, poésie lyrique, trouvère, vieux français, fine amor, lyrique courtoise.
Période : moyen-âge central
Auteur : Thibaut IV de Champagne (1201-1253), Thibaut 1er de Navarre
Programme : »Une vie, une Oeuvre, la chanson du Mal aimé » 
Intervenants : Jean Dufournet, Claude Mettra, France Culture (1989)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn 1989, Claude Mettra recevait sur France Culture, le médiéviste et romaniste Jean Dufournet dans le cadre de l’émission « Une vie, une oeuvre » dédiée tout entière à Thibaut IV de Champagne, roi de Navarre et grand poète courtois du XIIIe siècle.

thibaut_champagne_roi_de_navarre_poete_trouvere_amour_courtois_moyen-age_central« De touz maus n’est nus plesanz
Fors seulement cil d’amer,
Mès cil est douz et poignanz
Et deliteus a penser
Et tant set biau conforter,
Et de granz biens i a tanz
Que nus ne s’en doit oster. »
Thibaut de Champagne, Chanson

Nous avons déjà souligné, à plusieurs reprises, l’importance de la cour de Champagne, de son rayonnement culturel dans le courant du Moyen-âge central, en particulier des XIIe, XIIIe siècles. Son influence s’étendra au nord jusqu’à la Flandre et même l’Allemagne. Dans les pérégrinations des intervenants du jour, on croisera, au nombre des personnages ayant compté dans ces échanges culturels entre différentes provinces de la France médiévale, Aliénor d’Aquitaine, mais aussi plus près de la Champagne, l’incontournable  Gace Brûlé, aîné de Thibaut d’une génération et qui l’aura, à coup sûr, influencé, même s’il est difficile d’établir qu’ils se soient physiquement croisés.

Dans la lignée de ses pairs, le comte et roi-poète poursuivra ainsi, à son tour, la promotion et l’élévation de la fine amor et de ses codes  courtois en langue d’Oïl, pour la situer dans une quête d’absolu, qualifiée même de « religion » par Jean Dufournet.

Une invitation au décryptage de la fine amor
en compagnie d’un grand médiéviste

On fera ici, un large et salutaire détour pour  aborder, avec l’historien, les arcanes de l’amour courtois, ses principes, ses ressorts mais aussi  le  positionnement social  presque « subversif » de ses valeurs au sein du moyen-âge chrétien féodal.

jean_dufournet_medieviste_hitorien_romaniste_moyen-age_chanson_roland« Ce qui est paradoxal c’est que d’une part, la courtoisie développe la sociabilité, les rapports entre les gens, mais d’autre part, l’amour courtois tend à s’opposer, et au christianisme puisqu’il ne s’agit pas d’amour conjugal et au système féodal puisque, souvent, le poète ou le vassal est amoureux, ou prétend être amoureux, de la dame de son seigneur. Dans la mesure où la femme tend à vivre dans un univers particulier, éloignée de l’humanité quotidienne, les choses s’atténuent, mais il reste que les gens du moyen-âge ont bien senti cette difficulté et qu’en 1277, parmi les condamnations de l’évêque de Paris, Tempier, (Etienne Tempier 1210 -1279) il y avait la condamnation de la courtoisie et de l’art d’aimer d’André le Chapelain qui avait mis en forme tous les principes de cette courtoisie. »
Jean Dufournet. Extrait d’un entretien avec Claude Mettra.
Une vie, une oeuvre, Thibaut de Champagne. France Culture (1989).

A la lumière de la poésie et des chansons de Thibaut, on reviendra encore sur cette union des contraires, cette tension auquel nous invite constamment la lyrique courtoise, dont nous avons déjà parlé à diverses occasions (voir notamment A l’entrant d’esté de Blondel de Nesle, ou encore amour courtois et fine amor, le point avec trois experts)

deco_medievale_enluminures_trouvere_« La joie et la douleur, la folie et la sagesse, la crainte et l’espérance sont étroitement liées. Il n’est pas de douleur, sans joie, ni de joie sans douleur. c’est à dire qu’il faut passer par la douleur de la séparation, de l’absence, des épreuves pour atteindre à cette joie supérieure. Il y a tout un long apprentissage, une sorte d’ascèse à la fois poétique et religieuse pour parvenir à cet état et il faut abandonner les chemins réguliers de la raison, de la connaissance rationnelle, tomber dans une sorte de folie.  La pire folie pour les gens du moyen-âge c’est de ne pas aimer, et l’attitude la plus raisonnable c’est d’aimer à la folie. »
Jean Dufournet. (op cité, France Culture, 1989).

Un peu plus loin, le médiéviste rapprochera la quête du fine amant, de celles des aventures chevaleresques et des croisades ou même encore des pèlerinages pour en faire une quête qui garde en commun avec toutes les autres, la recherche constante d’une perfection, d’un dépouillement, d’une purification, vouée peut-être à ne jamais véritablement aboutir. Ainsi et selon lui, le Roman de la Rose ou  le Perceval et l’oeuvre de Chrétien de Troyes, entre autres exemples, ne seraient peut-être pas demeurées inachevés par hasard.

Enfin, dans ce tour d’horizon de la lyrique courtoise et de son influence, on évoquera, au passage,  le culte marial venu se greffer sur ses codes pour faire de la Vierge Marie, à la fois la dame idéale et la médiatrice privilégiée et miséricordieuse, passeuse d’âmes vers le monde d’après.

Claude Mettra, Jean Dufournet, France Culture (1989)

Pour conclure, on trouvera  dans cette rediffusion un lot de beaux extraits et d’heureuses lectures dans le vieux-français original du Comte de Champagne et Roi poète de Navarre et il faut rendre hommage à la grande qualité des questions de Claude Mettra, autant qu’aux comédiens qui l’entourent pour avoir su faire de ce programme un véritable moment d’exception.

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

Conférence : le travail en milieu urbain au Moyen-âge, avec l’historienne médiéviste Julie Claustre

conferences_audio_video_moyen-age_monde_medieval_agriculture_paysan_serfs_vilain_moyen-ageSujet: ville médiévale, métiers médiévaux, travail moyen-âge, artisans, corporations, corps de métiers valorisation, culture technique, histoire médiévale, médiéviste
Période : moyen-âge, du XIIe au XVe siècles
Média: conférence vidéo, chaîne youtube
Lieu: Musée de Cluny, décembre 2017
Titre: Travailler en ville au Moyen Âge
Conférencière: Julie Claustre

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous reprenons la suite du cycle passionnant de conférences proposées par  le Musée de Cluny sur le travail au moyen-âge et qui valait vraiment que nous lui consacrions quelques  articles séparés. Après le travail de la terre avec Didier Panfili, celui des chantiers avec Cécile Sabathier et celui des moines et des monastères avec Elisabeth Lusset, l’intervention du jour a pour objet le travail dans la ville médiévale. Elle nous est proposée par l’historienne médiéviste Julie Claustre.

Réalité de la ville médiévale :
entre espace urbain espace rural

Dans la ville du moyen-âge, espace urbain et espace rural s’interpénètrent et les frontières entre nature et agriculture, d’un côté et, de l’autre, activités proprement urbaines et espace construit y sont bien moins tranchées qu’aujourd’hui. A ce titre, comme l’intervenante du jour nous le rappellera, au début du XVe siècle on trouve encore à Paris de nombreuses parcelles cultivées ou dédiées ville_medievale_enluminures_conference_moyen-ageà l’élevage des animaux destinés à nourrir les habitants de la ville. Un tiers de l’espace leur est même consacré. Le phénomène débordera largement la période médiévale puisque laboureurs et vignerons vont se côtoyer, dans la capitale, jusqu’au XVIIe siècle.

(ci-contre, chronique de Girart de Roussillon, construction d’une église à Saint-Denis (XVe siècle)
Bibliothèque de vienne, 

Au milieu de ce savant mélange d’urbanité et de ruralité, émergent pourtant des spécificités liées à la vie urbaine et notamment certains métiers qui lui sont propres. C’est de ce travail là dont il est question dans la conférence du jour. Dans ce vaste champ de pratiques, elle se concentrera en particulier sur certaines activités « productives » et marchandes de la cité, sur leur organisation et sur les représentations qui s’y trouveront bientôt attachées. On y parlera donc de diversité même mais encore de corporations, de culture technique et d’une valorisation hétérogène des savoirs-faire qui ne rimera pas systématiquement avec la reconnaissance sociale de ces acteurs ni avec leur réussite économique.

« Le travail en ville au moyen-âge » par Julie Claustre (Musée de Cluny)

Julie Claustre est maître de conférences en Histoire du moyen-âge  à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et attachée au Laboratoire de Médiévistique Occidentale de Paris.

Activités productives citadines

« …Vraiment on eût volontiers dit qu’en qu’en la ville se tenait une foire perpétuelle, tant elle regorgeait de richesses, cire, poivre, graines et fourrures de vair et de gris, et toutes marchandises qui se peuvent imaginer. »  Chrétien de TroyesPerceval le Gallois ou contes de Graal

Fourmillement, diversité, technicité

En partant de l’arrivée du Gauvain de Chrétien de Troyes à Escavalon, la première réalité à laquelle nous confronte le travail dans la ville médiévale tient autant de la diversité et de l’effervescence  :  « bons ouvriers qui travaillent aux métiers les plus variés »  fonderies d’or et d’argent, orfèvreries, travail des émaux, du verre, du cuir, fabrication d’armures et d’écus, draperie et textile, fourrures, épices, etc. Tout s’y fabrique et tout s’y vendent et l’image est celle d’un fourmillement, de l’opulence, mais encore d’une forme « d’excellence » (le mot est moderne mais l’idée est là).

Savoir-faire, technicité, complexité des opérations réalisées, à travers certaines formes d’artisanat urbain, il est donc question de maîtrise et les villes des XIIe, XIIIe et XIVe siècles verront s’organiser autour de ces métiers de véritables corporations (« mestier », « guildes », etc…) qui deviendront bientôt les interlocuteurs privilégiés du pouvoir et qui auront même une forme de représentation d’influence variable, dans les instances décisionnaires de certaines cités.

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La ville médiévale. « Le Chevalier errant ». BnF, département des Manuscrits, Français 12559, Thomas III de Saluces,

Naissance et développement
d’organisations corporatives des métiers

Ces « corporations » régiront bientôt les droits d’entrée et de sorties des individus à l’intérieur de leurs différentes spécialités, leurs conditions d’exercice, leurs filières d’apprentissage et mettront en place de véritables chaînes pour contrôler et réglementer chaque métier, tout autant que pour garantir la qualité de leurs oeuvres ou productions. Un peu plus tard dans le temps, certaines d’entre elles seront même à l’initiative de la constitution de caisses pour aider leurs membres victimes de maladies professionnelles ou même pour financer leur funéraille.

Intrication du politique et de l’économique

On notera, au passage, l’implication des pouvoirs seigneuriaux dans ces processus dans un véritable dialogue qui s’installera alors entre pouvoir politique et économique. Les instances de la ville y auront bien sûr un intérêt de contrôle social tout autant que fiscal et même encore militaire et participatif, mais le phénomène dénotera aussi, sur certains secteurs clés, d’une véritable volonté d’implication du pouvoir politique dans la « signature » des productions.

C’est notamment souvent le cas du secteur de la draperie et on s’en étonne moins quand on sait l’importance que ce dernier a revêtu pour le développement intra-muros de nombreuses villes draperie_artisanat_medieval_travail_ville_moyen-age_livres_12_freresmédiévales mais aussi pour leur rayonnement économique et culturel « hors frontières ». Dans le courant du moyen-âge central, nombre de cités européennes ont été, en effet, littéralement propulsées vers l’avant par la vente et l’exportation de leurs textiles.

(ci contre, étapes de confection textile, illustrations tirées du manuscrit allemand
« Le livre de douze frères des maisons mendel, » (XIVe)
cité dans la conférence.)

L’activité en question emploie aussi une main d’oeuvre conséquente aux différentes étapes de sa production qui justifiera d’un large crochet de l’intervenante de cette conférence, pour nous le détailler. On notera  notamment avec elle et pour en donner la mesure, qu’une ville comme Florence employait, à un moment donné de son histoire médiévale, plus d’un quart de ces habitants dans ce secteur.

Valorisation sélective

Le développement de ces métiers urbains, en particulier ceux liés à la production et à la « création » de la matière (opérations techniques réputées complexes), donnera le jour à une valorisation générale de leur exercice et de leurs productions, mais il ne suffira pourtant pas qu’on les loue ou qu’on les consacre sur les vitraux des cathédrales pour en faire de larges voies d’accès à la richesse ou à l’opulence économique. Si, là-encore les drapiers ont souvent tiré leur épingle du jeu (on pourrait peut-être y ajouter certaines productions stratégiques de la ville qui ont prises, draperie_artisanat_medieval_enluminures_travail_ville_moyen-age_livres_12_frerespour des raisons locales et historiques, une importance particulière au regard de leur exportation ), certains secteurs sont exclus de cette valorisation et certains métiers, à l’intérieur de secteurs pourtant valorisés, le sont aussi. L’historienne nous en donnera ici quelques exemples éloquents.

Dans le même ordre d’idées, compétence et  maîtrise d’oeuvre technique ne garantiront pas toujours à leurs détenteurs, fussent-ils aux échelons les plus élevés de leur profession, une indépendance financière ; ainsi,  certains maîtres artisans seront même contraints de se ranger sous le régime du salariat pour pouvoir subsister. D’égale façon, des barrières financières, réglementaires , sociales ou légales existeront aussi pour passer du statut de salarié à celui d’artisan indépendant ou de maître d’oeuvre. Enfin, on pourra encore ajouter aux limites de cette valorisation, des différences de reconnaissance qui touchent encore les notions de genre, puisque masculin et féminin ne sembleront pas s’y trouver logés à la même enseigne.

Pour conclure sur un voeu pieux et tout en rendant grâce à la qualité de ces interventions proposées par le Musée de Cluny, on peut espérer que d’autres conférences viendront compléter le tableau sur le sujet immensément vaste du travail dans la ville au moyen-âge. Si bonne soit-elle, une seule conférence ne saurait en effet l’épuiser. On pense notamment à d’autres secteurs  et métiers (métiers de bouche, restauration, etc…), mais aussi aux activités urbaines de service ou encore pourquoi pas aux métiers de la justice, de la régulation ou de la loi, pour ne donner que ces quelques exemples.

Pour le moment, sachons toutefois nous contenter et disons-le encore une fois, en les articulant, ces quatre belles conférences nous offrent un panorama assez complet de la réalité du travail au moyen-âge et des règles qui le régissent et demeurent une véritable mine d’information. Merci donc encore une fois au Musée du moyen-âge pour partager gracieusement tout cela avec le public sur sa chaîne youtube.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.