Archives de catégorie : Romans et livres

Romans récents ou livres anciens, le moyen-âge s’édite et se réédite : fiches de lecture, extraits, impressions, une balade dans l’univers du livre autour du monde médiéval,

La bonne Renommée, guide de l’Action Politique dans le Livre des Secrets

Enluminure du philosophe Aristote à son pupitre ( XVe siècle)

Sujet : miroir des princes, devoir politique, bonne renommée, bon gouvernement, Aristote, morale politique, Best Seller médiéval.
Période : Moyen âge central (Xe au XVe siècle)
Livre : Sirr Al-Asrar, le livre des secrets du Pseudo-Aristote, ouvrage anonyme du Xe siècle. Le Secret des Secrets, édition commentée par Denis Loree (2012), Manuscrit médiéval Français NAF 18145, BnF.

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous poursuivons notre exploration du Secretum Secretorum ou Livre des Secrets du Pseudo-Aristote. Cet ouvrage de nature politique et encyclopédique connut un très large succès du Moyen Âge central au début de la Renaissance.

Apparu originellement dans le monde arabe du Xe siècle, sous le titre Sirr al-Asrar, le Secretum Secretorum fut traduit en latin au début du XIIe siècle. On en connait encore de nombreuses éditions sous cette forme. Dans les siècles suivants, il sera diffusé dans de nombreuses autres langues, ce qui en fait un véritable best seller de l’Europe médiévale 1.

L’origine du Secretum Secretorum

Les versions originales du Secretum Secretorum le présentaient comme la transcription de missives réelles du philosophe Aristote à l’empereur Alexandre le Grand. D’après les notes de l’ouvrage, une traduction du grec vers l’arabe datant du IXe siècle en aurait été l’origine.

Avec l’avènement des méthodes historiques modernes et en l’absence de preuves documentaires susceptibles de confirmer son authenticité grecque, le Livre des Secrets fut finalement attribué à un auteur dénommé Pseudo-Aristote. Les érudits pensent aujourd’hui que son auteur a pu être un auteur arabe contemporain du Xe siècle et non un copiste du IXe siècle comme l’indiquait la version originale.

L’importance de la bonne renommée dans la conduite du pouvoir

La bonne renommée dans la conduite du pouvoir avec enluminure du Naf 18145 (l'honneur)

L’extrait du jour nous entraînera, une fois de plus, du côté de la morale politique et des Miroirs des princes (dans le courant du Moyen Âge central, ces précis de morale et d’éducation à l’usage des puissants sont assez appréciés). Quelle doit être l’intention ou la motivation ultime du Prince et du gouvernant dans l’exercice du pouvoir ? Le Pseudo-Aristote mettra ici l’accent sur l’importance de la recherche de « bonne renommée » comme guide dans l’action politique.

On croisera cette importance de la bonne renommée dans l’exercice du bon gouvernement chez bien des auteurs politiques et moraux du Moyen Âge. De la Perse de Saadi 2 à l’Espagne médiévale de Don Juan Manuel 3 , la notion voyage à l’image du Secretum Secretorum. Chez les auteurs médiévaux et poètes français du Moyen Âge tardif, les références ne manquent pas non plus. On peut en citer une, édifiante, issue d’une célèbre ballade d’Eustache Deschamps :

« Il vaudroit mieulx l’omme de faim perir,
Tant soit puissans, que mal renom avoir ;
Renoms mauvais fait tout homme haïr
Et sanz cause dommaige recevoir
Souventefoiz, mais l’en puet percevoir
Que bons renoms et sa suite est amée
En tout païs, pour ce vous fait sçavoir :
Plus que fin or vault bonne renommée. »

Œuvres complètes d’Eustache Deschamps,
Ballade MCCCLIV, tome VII, Gaston Raynaud (1861)

Soif d’argent, de conquête et de pouvoir, avidité, hubris, recherche de reconnaissance, coquetterie, flagornerie, ne pèsent rien au regard de la recherche de bonne renommée. Pire même, toutes ces mauvaises raisons de gouverner entraîneront inéluctablement le prince vers l’abîme. Cette importance pour le souverain d’user de sa bonne renommée comme gouvernail, en s’élevant dans la vertu et face à la postérité revient plus d’une fois dans le Livre des secrets.

Le Chap X du Secretum Secretorum dans le Manuscrit illuminé : Nouvelle Aquisition 18145 de la BnF
Le chapitre du jour dans le Manuscrit Nouvelle Aquisition Française 18145 de la BnF

De l’entencion finable que le roy doit avoir4
extrait du Secretum Secretorum

« Le commencement de sagesse et d’entendement est d’avoir bonne renommée par laquelle sont les royaumes et les grans seignories acquises et gouvernées. Et se tu aquiers ou que tu desires royaumes ou seignouries, se n’est pour avoir bonne renommée, tu n’acquerras ja a la fin autre chose, ne autre oeuvre. Et saches que envie engendre mensonge laquelle est racine et matiere de tous vices. Mensonge engendre mal parler. Mal parler engendre hayne. Hayne engendre villenie. Villenie engendre rancune. Rancune engendre contrariété. Contrariété engendre injustice. Injustice engendre bataille. Bataille engendre et ront toute loy, destruit citéz et qui est contraire a nature et destruit le corps de l’omme.

Pense donques, chier filz, et met tout ton desir que tu puisses avoir bonne renommée car par icelui desir, tu tireras a toy la verite de toutes choses, laquelle verite est racine de toute choses qui sont a louer et matiere de tous biens. Car elle est contraire a mensonge, laquelle est racine et matiere de tous vices comme dit est.

Et saches que vérité engendre desir de justice. Desir de justice engendre bonne foy. Bonne foy engendre largesse. Largesse engendre familiarité. Familiarité engendre amistié. Amistié engendre conseil et ayde. Par ces choses qui sont convenables a raison et nature fut tout le monde ordonnéz et les loys faictes. Si appert que desir de bonne renommee est pardurable vie et honnorable5. »


Dans la morale politique médiévale, le prince comme même l’honnête homme (le prudhomme) doit penser à la survivance de son œuvre et de son nom, bien après la mort. A des siècles du Sirr Al-Asrar, cette idée est toujours dans l’air en matière d’attente politique. On juge encore les qualités ou les vertus d’un gouvernant à l’aulne de sa moralité mais aussi de sa capacité à s’élever au dessus de ses propres ambitions immédiates ou personnelles pour servir le temps long.

La boussole de la bonne renommée continue-t-elle d’avoir son importance dans le monde politique du carriérisme, des mandats à court terme, de la technocratie et des intérêts de partis ? Cela reste, sans doute, une question d’hommes.

Cela n’engage que nous mais en regardant vers le pays de France et son actualité, entre manœuvres politiciennes et collusions variées, faux-pas et polémiques internationales diverses, le souci de bonne renommée et de legs à la postérité semblent avoir évacué définitivement l’ordre du jour. Si l’homme providentiel existe, il demeure encore bien caché et n’est surement pas à la gouvernance.

Découvrir d’autres extraits du Secretum Secretorum ou Secret des Secrets :


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

NOTES

NB : Sur l’image d’en-tête, ainsi que sur l’illustration, vous trouverez une enluminure du Manuscrit Naf 18145 qui représente l’Honneur.

  1. On connait des versions médiévales du Secretum Secretorum en Français vernaculaire, en Anglais, en Castillan, en Catalan, en Arargonais, en Portugais, en Italien, en Gallois, en Islandais et même encore en Russe, en Croatien, et en Tchèque ↩︎
  2. Leçons de vie de la bouche d’un mort, le Boustan de Saadi ) ↩︎
  3. Héroïsme & honneur dans l’exemple 37 du comte Lucanor, Don Juan Manuel ↩︎
  4. finable : « L’intention ultime » ↩︎
  5. De là, il résulte que le désir de bonne renommée induit une vie éternelle et honorable. ↩︎

Collection « Raconti », les Contes Corses à travers les Âges & les Cultures

écu blason corse

Sujet : contes, fables, Corse, origines comparées, collection, livre, culture, tradition orale corse
Période : du Moyen Âge à nos jours.
Titre Raconti, la collection, les Contes corses à la croisée des cultures, ouvrage collectif, 6 Tomes déjà parus
Parution : 2021-2025, Editions Maïa.

Bonjour à tous,

oilà quelque temps déjà, nous vous avions touché un mot du lancement de la collection « Raconti », grand travail de compilation autour des contes corses, entrepris par un collectif d’auteurs de l’île de Beauté. Depuis notre article, cette belle aventure éditoriale s’est poursuivie avec de nouveaux volumes parus jusqu’à tout récemment.

Portée par les éditions Maïa et la contribution du public, la collection Raconti est dirigée par un collectif de passionnés de patrimoine culturel et de langue corse, tout autant que d’histoires contées à la veillée 1. Le propos est ambitieux : consigner l’héritage oral de l’île de beauté en matière de contes, sur des périodes allant du Moyen Âge au monde contemporain, mais pas seulement. S’il est question de remonter l’Histoire, la collection Raconti dépasse le seul cadre géographique de la Corse pour parcourir le monde.

En terme de publication, ce vaste travail de compilation lancé en 2021 en est déjà à son sixième volume, dont un hors-série sous la houlette d’éminents universitaires. Le septième volume est à paraître cette année. Le Tome V vient tout juste d’être pressé. Il porte comme titre : Paradisu eppòParadis et aprés, tout un programme entre superstitions, visions d’Eden et diableries.

Les contes corses & leurs variantes à travers les cultures

La collection Raconti, contes corses, les tomes déjà parus

Tous ces « Raconti » et récits ne s’arrêtent pas, comme nous le disions, aux frontières de l’île. Des variantes hors-Corse des contes, avec leurs origines, sont aussi précieusement consignées. Pour l’amateur de tradition orale et de transmission, ce travail exhaustif, en plus d’être un précieux témoignage patrimonial, reste une belle source d’inspiration. Quant aux chercheurs et chasseurs de référence les plus exigeants, qu’ils se rassurent aussi, les bibliographies de Raconti sont exhaustives et fournies. Autre point qui nous touche particulièrement, les directeurs de la collection ont eu à cœur d’honorer très précisément leurs nombreuses contributions et c’est toujours très appréciable.

A la croisée des époques mais aussi des frontières, vous trouverez entre les pages de ces Raconti, des récits familiers mais avec des variantes originales ou inédites comme, par exemple, dans le Tome 3, une Peau d’âne corse, un Barbe-bleu créole ou encore une Cendrillon écossaise, etc…). Ce tour du monde des contes, à travers les cultures et au départ de Corse est rend vraiment cette collection originale et rafraîchissante.

Fabliaux et références médiévales

Le Tome 5 de Raconti sur le thème : le paradis et après

Entre autres références médiévales, le Fabliau du « Vilain qui conquit le Paradis en Plaidant » se trouve justement référencé dans ce Tome V récemment paru. L’adaptation que nous en avions faite en français actuel y siège en bonne compagnie, aux côtés de nombreuses autres variantes : Corses bien sûr, mais aussi versions en vieux français ou encore en provenance de l’Artois, la Provence, la Belgique, l’Islande, la Guadeloupe, l’Italie.

Ce récit, en droite ligne du Moyen Âge, est loin d’être le seul mentionné. Au fil des différents tomes de Raconti, les fabliaux ne manquent pas d’être à la fête : La Housse Partie, les deux bourgeois et le vilain, les trois larrons et tant d’autres… Et si vous doutiez encore de l’origine médiévale de nombre de nos contes contemporains, la collection vous gratifiera de nombreuses références en ce sens.

Pour finir, aux côtés de certaines références familières, de nombreux récits vous seront, sans doute, inconnus et vous aurez plaisir à vous laisser porter par leur humour, leur morale ou encore leur poésie simple et sincère. Sous ses airs de ne jamais se prendre au sérieux, le conte est un genre important dont l’humilité, la fluidité autant que la large destination à tous les publics en font un liant unique entre les hommes d’une même culture et au delà. Comme Raconti vous l’enseignera, nous sommes, en effet, nombreux sous de riches variantes, à partager les mêmes histoires.

En bref, à dévorer ou à tenir non loin du chevet, Raconti aux Editions Maïa est de ces collections qui peuvent se butiner pour y piocher de belles histoires à conter ou à rêver, en Corse, ici comme ailleurs.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric F
Pour moyenagepassion.com.
A la découverte du Monde Médiéval sous toutes ses formes.

  1. Le collectif d’auteurs à la direction de la collection Raconti : Ange -Laurent Bindi, Rinatu Coti, Paul Dalmas-Alfonsi, Claude Franceschi, Ghjuvan Ghjaseppiu Franchi. S’y ajoutent de nombreuses contributions d’auteurs référencés dont votre serviteur. ↩︎

Excalibur, Découverte de l’épée par Arthur, Alfred Tennyson

Sujet  : légendes arthuriennes, roman arthurien, poésie, citations, Excalibur, légendes du Moyen Âge,  roi Arthur, matière de Bretagne.
Période  : Moyen Âge central, haut Moyen Âge, XIXe siècle.
Ouvrage : Les Idylles du Roi, L’arrivée d’Arthur,
Auteur : Alfred Lord Tennyson (1809-1892)

Bonjour à tous,

epuis leur apparition au cœur du Moyen Âge central, les légendes arthuriennes n’ont cessé de fasciner le public. De Geoffrey de Monmouth à Chrétien de Troyes, en allant jusqu’à Robert de Boron ou Thomas Mallory et d’autres encore, le monde médiéval a vibré à l’évocation de la chanson de Roland, tout autant qu’aux récits de la matière de Bretagne. La présence de nombreux manuscrits médiévaux est encore là pour en attester (1).

Indémodables légendes Arthuriennes

Loin de se réduire au Moyen Âge, le cycle arthurien a continué de se perpétuer dans notre monde moderne. Jusqu’à des dates récentes, les hauts faits d’Arthur et d’Excalibur, son épée magique, ont inspiré les cinéastes et auteurs. Films, jeux vidéos, romans, études et essais, continuent d’alimenter la légende du roi breton et de ses chevaliers.

Du film Excalibur de John Boorman aux variations franco-françaises d’Alexandre Astier sur Kaamelott , chacun ajoute sa petite pierre à l’édifice et les richesses de l’épopée arthurienne reste une source d’inspiration inépuisable.

Les études en médiévalisme ne sont pas non plus en reste. Les conférences et les ouvrages fleurissent pour tenter d’éclairer la renommée toujours actuelle d’Arthur sous un jour nouveau (voir La Modernité d’Arthur par Justine Breton et William Blanc). Autre fait étonnant en provenance du monde de la recherche, jusqu’à dernièrement, les manuscrits médiévaux ont même révélé des nouveaux pans des légendes arthuriennes. On pense, en particulier, aux travaux de Emanuele Arioli et son chevalier Ségurant.

La poésie arthurienne d’Alfred Tennyson

Aujourd’hui, nos pas nous entraînent un peu en arrière. Nous repartons en effet, à l’époque victorienne et dans l’Angleterre du XIXe siècle, terre vivace des légendes arthuriennes. Ce siècle est aussi celui des romantiques. De Victor Hugo à des prédécesseurs plus précoces comme Gottfried August  Bürger (1747-1794), on redécouvre alors le monde médiéval, avec sa magie et ses dimensions épiques et ses promesses de mystères. Notre auteur du jour, Alfred Tennyson, se rattache lui aussi à ce courant.

"Arthur découvre Excalibur sur le lac", extrait/citation de "The Coming of Arthur" d'Alfred Tennyson, accompagné d'une gravure de Maclise Daniel (1806-1870) datée elle aussi du XIXe siècle
Arthur et Excalibur, extrait du Coming of Arthur avec gravure de Maclise Daniel (1806-1870)

Célèbre poète anglais de l’ère victorienne, on doit à Alfred Lord Tennyson une œuvre assez fournie dont un certain nombre de poésies dédiées à la matière de Bretagne. Entre 1859 à 1885, il revisita notamment en vers, le roman arthurien en se basant largement sur La Morte d’Arthur de Thomas Malory (1405-1471).

A travers 12 poésies, Tennyson s’attacha ainsi à retracer les exploits du roi Arthur, de son arrivée au pouvoir, à la formation de son royaume et jusqu’à sa tragique disparition. Ces poésies arthuriennes sont quelquefois réunies dans « Idylls of the King » (les idylles du roi) mais on peut aussi trouver d’autres textes regroupés dans des ouvrages à part.

L’extrait du jour est tiré de la première poésie de la série intitulée « The coming of Arthur » (l’arrivée d’Arthur). Elle conte l’épisode dans lequel le roi breton, en compagnie de Merlin, vogue en barque sur le lac en direction d’Excalibur pour s’en saisir. Dans La Morte d’Arthur de Malory, l’épée, surgie des profondeurs des eaux, est offerte à Arthur par la dame du lac en gage d’un futur service.

Traductions françaises d’Alfred Tennyson

La poésie d’Alfred Tennyson ne semble pas avoir connu une grande destinée en langue française. Pour la traduction de l’extrait du jour, nous nous sommes basé sur une édition anglaise de Sophie Chantal Hart, éditée chez Longman english classics en 1915. L’ouvrage contient The Coming of Arthur, The Holy Grail et The Passing of Arthur ( L’Arrivée d’Arthur, Le Sacré Graal et La Mort d’Arthur).

On pourra retrouver quelques-unes des poésies d’Alfred Tennyson en version française dans l’ouvrage In Memoriam, édité chez Classic Reprint en 2019. Pour les anglophones parmi vous, Gallica propose également une belle version illustrée par Gustave Doré des Idylls of the King, datée de 1868 (à consulter en ligne ici).


La découverte d’Excalibur par Arthur
dans la langue originale d’Alfred Tennyson

« There likewise I beheld Excalibur
Before him at his crowning borne, the sword
That rose from out the bosom of the lake.
And Arthur row’d across and took it —rich
With jewels, elfin Urim, on tlie hilt.
Bewildering heart and eye —the blade so bright
That men are blinded by it —on one side,
Graven in the oldest tongue of all this world,
« Take me, » but turn the blade and ye shall see,
And written in the speech ye speak yourself,
« Cast me away ! » And sad was Arthur’s face
Taking it, but old Merlin counsell’d him,
« Take thou and strike ! the time to cast away
Is yet far-off. » So this great brand the king
Took, and by this will beat his foemen down. »


The Coming of Arthur, Alfred Lord Tennyson (1809-1892)

Traduction en français actuel de cet extrait

« Et là encore, j’ai vu Excalibur, devant lui, lors de son couronnement, l’épée qui s’élevait au milieu du lac. Et Arthur a navigué jusqu’à elle et l’a prise, sa poignée garnie de joyaux délicats (elfiques) brillants et parfaits (Urim hébreu). Splendide et déroutante à l’œil et au cœur, la lame si brillante qu’elle aveugle les hommes, avec sur un côté, gravés dans la plus vieille langue de tout ce monde, les mots : « Prends-moi », mais en retournant la lame, tu aurais pu voir, de l’autre côté, écrit en une langue que tu parles toi aussi : « Jette-moi au loin ! » Et le visage d’Arthur était triste en la prenant, mais le vieux Merlin lui a conseillé : « Prends là et frappe ! Le moment de t’en défaire est encore loin. » Ainsi, le roi s’est saisi de cette grande lame, avec laquelle, il allait abattre ses ennemis. »

La venue d’Arthur, Alfred Lord Tennyson (1809-1892).


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

(1) voir la conférence codicologie et les romans arthuriens de Richard Trachsler.

NB : au côté du portrait d’Alfred Tennyson sur l’image d’en-tête, on peut retrouver le détail d’une illustration de N. C. Wyeth (1882-1945) de la même scène d’Arthur récupérant Excalibur sur le lac.

Devoir Politique : Miséricorde et Prévoyance du Roi dans le Livre des Secrets

Enluminure du philosophe Aristote à son pupitre ( XVe siècle)

Sujet : miroir des princes, précis politique, bon gouvernement, roi, devoir politique, prévoyance, Aristote, Alexandre le Grand, miséricorde, morale politique.
Période : Moyen âge central (Xe au XVe siècle)
Livre : Sirr Al-Asrar, le livre des secrets du Pseudo-Aristote, ouvrage anonyme du Xe siècle. Le Secret des Secrets, édition commentée par Denis Loree (2012).

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous explorons la littérature politique médiévale, avec un nouvel extrait du Secret des Secrets du Pseudo-Aristote. Dans l’Europe des XIIe au XVe siècles, ce best-seller médiéval connut un grand succès et de nombreuses traductions.

Naissance d’un best-seller médiéval

L’ouvrage a émergé au sein du monde arabe, dans le courant du Xe siècle. Il y est connu sous le titre de « Kitāb Sirr al-asrār » ou « Sirr al-Asrar », le Livre des Secrets. Il deviendra le Secret des Secrets ou Secretum Secretorum dans ses premières transcriptions latines.

Son contenu originel est présenté comme la traduction d’une correspondance entre le philosophe Aristote et l’Empereur Alexandre le Grand. N’ayant pu attester cette origine de manière documentaire, on attribua, plus tard, l’ouvrage à un auteur du nom Pseudo-Aristote. Du même coup, on supposa que le Livre des secrets avait été conçu dans le monde arabe qui l’avait vu apparaître.

Du point de vue du contenu, le Secret des Secrets ouvre sur une large partie qui adresse les devoirs des princes et les conditions d’un exercice moral et stratégique du pouvoir. « Aristote » y prodigue ses conseils à Alexandre, dans le style des miroirs des Princes bien connus du Moyen Âge. Dans les parties suivantes, le best-seller médiéval explore des thèmes plus variés et encyclopédiques : santé et médecine, astrologie, alchimie, etc…

« De la Miséricorde (ou Garnison) du Roy » dans le NA FR 18145

En version courte comme en version longue, les traductions du Livre des Secrets connurent une grande popularité. Cette propagation le fit commenter par de nombreux auteurs médiévaux (cf Lettre sur les prodiges de la nature et de l’art de Roger Bacon). D’autres s’en inspirèrent également pour leurs propres écrits.

Anticipation des temps difficiles et bienveillance du pouvoir

Le sujet de notre extrait du jour se situe pleinement dans le champ du devoir politique. Il porte sur l’importance de la prévoyance en matière de gestion alimentaire. Anticiper les futures disettes, savoir thésauriser le blé et les victuailles, le roi diligent voit loin. Il doit prévoir les temps difficiles et s’y préparer pour la sauvegarde de ses sujets. Dans le Livre des secrets, comme plus généralement dans les miroirs des princes, le gouvernant prévenant sera payé en retour de sa miséricorde et de sa bienveillance. Il y gagnera la reconnaissance de son peuple et le respect de son autorité.

Au passage, cette injonction faite au pouvoir dans le célèbre best-seller médiéval semble faire étrangement écho à certains événements d’actualité. On pense notamment aux questions de souveraineté alimentaire soulevées encore récemment par la gente paysanne en révolte et en détresse.

De la Garnison du Roi (1)

"De la Garnison du roi" Livre des Secrets avec Enluminure d'Aristote remettant une missive à un messager (tirée du Manuscrit Na fr 18145 de la BnF)

« Chier filz, je te prie et conseille que tu faces tousjours grant grenison (provision) de bléz et de potages et de toutes vitailles que ton paÿs en ait tousjours habondance afin que, quant il avendra comme aucunefoiz avient le temps de chierté (nécessité) et de famine que tu puisses souvenir par ta grant prudence a tes subgés ; et dois ouvrir tes greniers et publier par ton royaume et par tes citéz les grains et autres vitailles que tu as assemebléz et gardéz : et sera grant cautelle (habileté, ruse) et grant sagesse la garde de ton royaume et au sauvement de ton peuple.

Lors tes subgés feront de grant courage tes commandemens. Lors sera ton fait en grant prosperité et tous s’esjouiront et se merveilleront de ta grant sagesse. Lors congnoistront tous que tu regarderas de loing en tes besoingnes (affaires, tâchers) et te reputeront comme saint et par ce priseront et loueront moult ta vaillance et chacun se redoubtera de toy courroucier. »

Le Livre des Secrets : Chap XXIV (24), De la Miséricorde du roy

(1) Garnison : ici dans le sens de provision, approvisionnement. Ce chapitre apparaît également sous le titre De la Miséricorde du Roy dans certains manuscrits.


Découvrir d’autres extraits du Secret des Secrets :


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

NB : sur notre illustration, comme sur l’image d’en-tête, vous pourrez retrouver un extrait d’enluminure en provenance du manuscrit NA FR 18145 de la BnF (à consulter sur Gallica.fr)