Sujet : musique, poésie médiévale, Cantiga de amigo, galaïco-portugais, troubadour, Portugal médiéval
Période : XIIIe siècle, moyen-âge
Auteur : Estêvão Coelho (1290/1336 ?)
Interprète : Manseliña
Titre: Sedía la Fremosa
Album : Sedía la Fremosa (2018)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons de partir à la découverte d’une nouvelle Cantiga de amigo, ces chansons médiévales originaires de l’Espagne ou du Portugal qui mettaient en scène l’attente d’une jeune amoureuse, ses espoirs ou encore sa tristesse.
Estêvão Coelho, noble troubadour portugais
du moyen-âge central
La pièce du jour nous vient d’un troubadour portugais de la fin du XIIIe siècle et des débuts du XIVe du nom de Estêvão Coelho de Riba Homem. De sang noble, l’homme était le fils d’un vassal du Roi Denis 1er du Portugal : Pero Anes Coelho, lui même descendant direct d’un chevalier et conseiller du roi Alphonse III, João Soares Coelho, connu pour être également troubadour.
Hormis cela, des documents juridiques ou administratifs d’époque ont permis d’avérer quelques détails supplémentaires de la vie de Estêvão Coelho : des possessions autour de la cité portugaise de Santarém, un héritage du côté des Tierras de Santa Maria et encore même de préciser la date supposée de sa mort, autour de 1330-1336. Entre-temps, il a peut-être aussi officié à la cour.
Sources et manuscrits anciens
Du point de vue de son legs, l’oeuvre du troubadour se résume à deux Cantigas de amigo. Ces deux chansons sont mentionnées dans le Cancioneiro da Vaticana. Ce manuscrit médiéval de grand intérêt contient 228 feuillets pour un total de 1205 chansons galaïco-portugaises, datées des XIIIe et XIVe siècles. Il ne fait état d’aucune notation musicale (cliquez ici pour le consulter en ligne). On retrouve encore ces deux pièces de Estêvão Coelho dans le Cancioneiro da Biblioteca Nacional, conservé à Lisbonne. Rien d’étonnant puisque les deux ouvrages sont des copies, réalisées au début du XVIe siècle, à partir d’un même manuscrit original.
Sedia la Fremosa d’Estêvão Coelho par l’ensemble Manseliña
Manseliña : à la redécouverte du répertoire médiéval galaïco-portugais
Originaire de Galice, la jeune formation Manseliña se propose de revisiter la poésie galaïco-portugaise du moyen-âge central. Dans son répertoire de prédilection, on trouve des Cantigas de amigo d’origine variées mais encore des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille.
A travers son exploration de la péninsule ibérique aux temps médiévaux, Manseliña fait aussi le pari de remettre en musique certains textes de cette période pour lesquels les notations se sont perdues. L’ensemble privilégie ainsi la technique du Contrefactum que n’auraient pas désavouée les artistes médiévaux, qui savaient aussi en faire usage, à l’occasion. Les emprunts musicaux proviennent de mélodies et rythmes du répertoire médiéval ou traditionnel galicien et permettent de faire découvrir au public ces textes ou poésies anciennes, privés originellement de partitions.
Composition de l’ensemble Manseliña
María Giménez, voix, vièle et percussion. Belén Bermejo, orgue portatif, Pablo Carpintero, instruments à vent et percussion, Tin Novio, luth et citole
Sedía la Fremosa : l’album
Manseliña a déjà un premier album à son actif. Sorti au tout début de 2019, il a pour titre celui de la chanson du jour. Ce sont d’ailleurs les paroles de cette dernière qui ont donné son nom à la formation avec cette « voz manselinha », « belle voix » que l’ensemble médiéval entend mettre en avant, en prenant soin de ne pas la noyer sous des orchestrations trop prégnantes ou complexes.
On retrouvera, dans cet album, diverses Cantigas de Amigo, dont certaines du célèbre troubadour Martin Codax, d’autres encore, en provenance des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille.
Vous pouvez le découvrir, dans son entier, sur la chaîne youtube officielle de la formation. Si vous souhaitez l’acquérir, il est également disponible à la vente en ligne au lien suivant (format CD ou mp3) : Sedia la fremosa. Enfin, vous pouvez aussi retrouver Manseliña sur leur page facebook officielle.
« Sedía la fremosa » de Estêvão Coelho
Paroles et traduction
La chanson du jour se distingue des Cantiga de amigo habituelles qui mettent souvent les rimes dans la bouche de la demoiselle qui attend le retour de son promis. Ici, la belle se trouve plutôt questionnée par un interlocuteur et elle est aussi affairée à l’ouvrage, ce qui confère à cette pièce, une proximité certaine avec les chansons de toile qu’on trouve, à la même période, en France médiévale. Il n’est pas impossible que Estêvão Coelho se soit inspiré de ses dernières. On se souvient que certains troubadours voyagent alors, avec leurs œuvres, de cour en cour (cf par exemple Peire Vidal) et que leur influence, depuis leur foyer d’Oc d’origine vers l’Europe, est assez sûrement admise.
Si le contenu de cette « Belle assise tournant son fil de soie » s’apparente à nos chansons de toile, son style reste toutefois conforme à celui des Cantigas de amigo de la poésie galaîco-portugaise : faites de peu de vers, très épurés et au sein desquels la répétition vient en soutien, pour renforcer le rythme autant que l’ambiance.
Sedía la fremosa seu sirgo torcendo,
Sa voz manselinha fremoso dizendo
Cantigas d’amigo.
De sa belle voix disait joliment
Des Chansons à l’être aimé.
Sedía la fremosa seu sirgo lavrando,
Sa voz manselinha fremoso cantando
Cantigas d’amigo.
La belle, assise, travaillant son fil de soie
De sa belle voix chantait joliment
Des Chansons à l’être aimé.
– Par Deus de Cruz, dona, sei eu que havedes
Amor mui coitado, que tan ben dizedes
Cantigas d’amigo.
— Par Dieu sur la Croix, Dame, avez-vous
De si tristes amours, pour dire si bien
Des chansons à l’être aimé ?
Par Deus de Cruz, dona, sei eu que andades
D’amor mui coitada que tan ben cantades
Cantigas d’amigo.
— Par Dieu sur la Croix, Dame, êtes-vous
si triste en amour, pour chanter si bien
Des chansons à l’être aimé ?
– Avuitor comestes, que adevinhades.
— Avez-vous manger du vautour (1), pour le deviner ?
(1) Il peut peut-être s’agir du butor qui est nommé vautour dans certain bestiaire médiéval. S’il s’agit du vautour, ce dernier est utilisé alors en fauconnerie et il faut sans doute plus voir ici, une allusion à l’acuité visuelle de l’interlocuteur qu’à des symboles plus péjoratifs et plus actuels attachés à ce rapace.
Fred
Pour moyenagepassion.com
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