Archives de catégorie : Eustache Deschamps

Au moyen-âge tardif, Eustache Deschamps, modeste officier de cour, s’adonne à une poésie critique, morale et descriptive sur ses contemporains et sur son temps. Il vivra tout : les grands voyages, la guerre de cent ans, les épidémies, les misères des campagnes…

A travers plus de 1000 ballades, il abordera tous les sujets : les valeurs et les injustices de son temps, ce qu’on y mange, comment on s’y bat ou comment l’on se soigne, les désillusions de la vie de cour, les déroutes de l’âge,… Dans cette rubrique, nous vous emmenons à sa découverte avec des textes commentés, traduits et détaillés.

Lecture audio: une belle ballade dans le Paris du XVe siècle avec la poésie médiévale d’Eustache Deschamps

poesie_medievale_satirique_eugene_deschamps_moyen_ageSujet : poésie médiévale, poète satirique, ballade médiévale,
Auteur : Eustache Deschamps dit Morel (~1340-1406)
Titre : « Quand j’ai la terre et mer avironnée »
Période : moyen-âge tardif

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous vous proposons aujourd’hui une belle poésie de Eustache Deschamps, auteur médiéval dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises ici.  Cette fois-ci, il nous convie à sa suite dans le Paris du XVe siècle. Le texte n’est pas particulièrement satirique et il y loue même, au contraire, les beautés de la capitale de ces années là. Bien sûr, les champs et les vignes se sont forcément éloignés au fil des siècles, mais cette ode conserve le charme incomparable d’un voyage dans le temps avec comme guide privilégié, ce grand poète médiéval.

Lecture audio de la poésie
d’Eustache Deschamps en vieux français


Quant j’ay la terre et mer avironnée
version originale vieux français

Quant j’ay la terre et mer avironnée,
Et visité en chascune partie
Jherusalem, Egipte et Galilée,
Alixandre, Damas et la Surie,
Babiloine, le Caire et Tartarie,
Et touz les pors qui y sont,
Les espices et succres qui s’i font,
Les fins draps d’or et soye du pays,
Valent trop mieulx ce que les François ont :
Riens ne se puet comparer à Paris.

C’est la cité sur toutes couronnée,
Fonteine et puis de sens et de clergie,
Sur le fleuve de Saine située :
Vignes, bois a, terres et praerie.
De touz les biens de ceste mortel vie
A plus qu’autres citez n’ont;
Tuit estrangier l’aiment et ameront,
Car, pour deduits et pour estre jolis,
Jamais cité tele ne trouveront :
Riens ne se puet comparer à Paris.

Mais elle est bien mieulx que ville fermée,
Et de chasteaulx de grant anceserie,*
De gens d’onneur et de marchans peuplée,
De touz ouvriers d’armes, d’orfaverie ;
De touz les ars c’est la flour, quoy qu’on die :
Touz ouvraiges a droit font ;
Subtil engin, entendement parfont
Verrez avoir aux habitans toudis**,
Et loyaulté aux euvres qu’ilz feront :
Riens ne se puet comparer a Paris.

*anceserie : ancienneté    **toudis : toujours

Quand j’ai la terre et mer avironnée
Version français moderne

Quand j’ai la terre et mer avironnée
Et visité en chacune partie
Jérusalem, Egypte et Galilée,
Alexandrie, Damas et la Syrie,
Babylone, le Caire et Tartarie,
Et tous les ports qui y sont,
Les épices et sucres qui s’y font,
Les fins draps d’or et soies du pays
Valent trop mieux ce que les Français ont :
Rien ne se peut comparer à Paris.

C’est la cité sur toutes couronnée,
Fontaine et puits de science et de clergie,
Sur le fleuve de Seine située :
Vignes, bois a, terres et prairies,
De tous les biens de cette mortel(le) vie
A plus qu’autres cités n’ont;
Tout étranger l’aiment et aimeront,
Car, pour plaisirs et pour sites jolis,
Jamais cité telle ne trouveront :
Rien ne se peut comparer à Paris.

Mais elle est bien mieux que ville fermée,
Et de châteaux de grande ancestrerie*,
De gens d’honneur et de marchands peuplée,
De tous ouvriers d’armes, d’orfèvrerie ;
De tous les arts c’est la fleur, quoi qu’on die :
Tous ouvrages adroits font ;
Subtil engin, entendement profond
Verrez avoir aux habitants toudis**,
Et loyauté aux œuvres qu’ils feront :
Rien ne se peut comparer à Paris.


Une bien belle journée à tous.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

Guerre mener n’est que Damnation, une Ballade d’Eustache Deschamps de guerre lasse

poesie_medievale_satirique_eugene_deschamps_moyen_ageSujet : poésie médiévale, poésie satirique, ballade, auteur médiéval.
Période : moyen-âge tardif
Titre : « Guerre mener n’est que damnation », ballade contre la guerre.
Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406)

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionans un monde médiéval qui connait de nombreuses guerres, jusqu’à quel point est-il subversif de se positionner contre elle en les désapprouvant? Cette ballade contre la guerre d’Eustache Deschamps, poète-guerrier, commentateur et poète satirique du moyen-âge tardif, dénote, en tout cas, sur l’époque et les textes de ses contemporains par son ton anti-militariste. Il reste difficile de juger comment ce son de cloche a miniature_guerre_de_cent_ans_poesie_satirique_medievale_eustache_deschampspu le mettre en position délicate, lui qui naviguait dans la cour des rois et les servait par les armes mais cela ne l’a pas empêché, semble-t’il, d’affirmer haut et fort ses idées sur la question.

Il faut bien comprendre, en remettant cette ballade dans son contexte qu’Eustache Deschamps a lui-même été soldat et a participé à des campagnes. C’est donc de l’intérieur, en homme avisé et visiblement lassé, autant qu’en témoin des conflits sur le terrain, qu’il fait ce plaidoyer contre la guerre. Dans d’autres poésies, on le retrouvera encore s’exprimant sur la misérable condition des soldats, autant que sur les ravages de la guerre sur les petites gens et sur le monde rural. Il s’élèvera notamment dans son Lay de Vérité contre les dégâts des pillages et leur nature immorale en jetant l’opprobre sur ceux qui s’en rendent coupable.

« Vous qui la guerre menez
Vous Dampnez
Quant contre raison prenez
Du peuple communement
Les biens et les rançonnez »
Eustache Deschamps. Extrait du Lay de Vérité

Guerre médiévale et pillage : le pïllage de la ville de Grammont, fin XIVe, chroniques de Jean Froissart, BnF Manuscrits 2644
Guerre médiévale et pillage : le pïllage de la ville de Grammont, fin XIVe, chroniques de Jean Froissart, BnF Manuscrits 2644

Guerre mener n’est que dampnacion
Les paroles en vieux français

J’ay les estas de ce monde advisser
Et poursuiz du petit jusqu’au grant
Tant que que je suis du poursuir lassez
Et reposer me vueil doresnavant
Mais en trestouz le pire et plus pesant
Pour aame et corps, selon m’entencion
Est guerroier qui va tout detruisant
Guerre mener n’est que dampnacion

Autres estas ont de la labour assez
En seuretë vont leurs corps reposant
Et se vivent de leurs biens amassez
Jusques a fin vont leur aage menant
Et l’un estat va l’autre confortant
Sanz riens ravir, loy et juridicion
Tiennent entr’eulx, dont bien puis dire tant
Guerre mener n’est que dampnacion

Car on y fait les septs pechiez mortelz
Tollir, murdir, l’un va l’autre tuant
Femmes ravir, les temples sont cassez
Loy n’a entr’eulx, le mendre est plus grant
Et l’un voisin va l’autre deffoulant
Corps et aame met a perdiction
Qui guerre suit, aux diables la comment
Guerre mener n’est que dampnacion.

L’ENVOY

Prince, je vueil mener d’or en avant
Estat moien, c’est mon oppinion,
Guerre laissier et vivre en labourant :
Guerre mener n’est que dampnaction.

Guerre mener n’est que damnation
Les paroles adaptées en français moderne

J’ai les états de ce monde avisé
Et poursuivi du petit jusqu’au grand,
Tant que je suis de poursuivre lassé,
Et reposer me veut dorénavant
Mais entre tout, le pire et le plus pesant;
Pour âme et corps, selon mes conclusions,
Est guerroyer, qui tout va détruisant;
Guerre mener n’est que damnation.

Les autres états ont bien assez à faire
En sûreté vont leurs corps reposant,
Et vivent sur tous leurs biens amassés,
Jusqu’à la fin, vont leurs âges menant:
Et l’un état va l’autre confortant,
Sans rien ravir, loi et juridiction
Tiennent entre eux, dont bien puis dire tant:
Guerre mener n’est que damnation.

Car on y fait les sept péchés mortels,
Voler, meurtrir, l’un va l’autre tuant,
Femmes ravir, les temples sont cassés,
Loi n’a entre eux, le moindre est le plus grand,
Et l’un voisin va l’autre défoulant.
Corps et âme met à perdition
Qui guerre suit; aux diables la comment
Guerre mener n’est que damnation.

Envoi

Prince, je veux mener dorénavant
Etat moyen, c’est mon opinion,
Guerre laisser et vivre en labourant:
Guerre mener n’est que damnation.

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
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Lecture Audio : Eustache Deschamps, Mieux Vaut Honneur que Honteuse Richesse

Sujet : poésie médiévale, poésie satirique, ballade
Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle
Auteur ; Eustache Deschamps, Eustache Morel
Titre : Mieux vaut honneur que honteuse Richesse
Média : vidéo, lecture audio en vieux français

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous publions, aujourd’hui, une lecture audio autour de Eustache Deschamps, poète médiéval du XIVe siècle et officier d’armes à la cour sous Charles V et Charles VI. Nous en profitons pour dresser un court portrait de l’auteur et aussi pour faire lecture de la poésie « Mieux Vaut honneur que Honteuse richesse », toute chose dont nous avions parlé dans l’article que nous lui avions déjà consacré mais  cette fois-ci en y ajoutant la dimension du son.

Pour plus de lectures audio, voici un petit récapitulatif de ce que nous avons déjà publié:

La pauvreté Rutebeuf en Vieux français

Le Testament de l’âne, Ruteubeuf : fabliau

La housse partie du Trouvère Bernier : fabliau

Une belle journée à tous!

Frederic EFFE
Pour moyenagepassion.com
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Ballade du tournoi d’Eustache Deschamps, poésie médiévale du XIVe siècle

chevalier_tournoi_poesie_medievale_eustache_deschamps_codex_manesseSujet : poésie médiévale, auteur, poéte, chevalier, chevalerie, tournoi, poète satirique.
Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle
Auteur : Eustache Deschamps (1346 -1406)
Titre : Ballade. Au tournoi
Ouvrage : Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps, par Georges Adrien Crapelet, 1832

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous avons déjà posté, il y a quelques temps ici, un premier article sur Eustache Deschamps, dit Morel (et non l’inverse), cet auteur très particulier du XIVe siècle que l’on met volontiers en droite ligne d’un Rutebeuf et en parenté d’un François Villon pour sa verve et ses productions satiriques mais aussi, en référence à Villon, pour ses ballades, genre qu’il affectionne particulièrement et dont on lui attribue de l’avoir fait évoluer.

Même s’il fréquente de près la cour et les rois, en étant à leurs services (voir article précédent sur cet auteur), Eustache Deschamps n’hésite jamais, en effet, à s’adonner à l’art de la critique morale, religieuse ou Les tournois de chevaliers au XIII, XIVe siècle (codex Manesse, Allemagne)politique, et pour tout dire à la poésie satirique ce qui lui vaudra, d’ailleurs et à plusieurs reprises, de se faire quelques ennemis et d’essuyer quelques déboires puisqu’on cherchera à l’éloigner des couloirs du pouvoir. On y parviendra d’ailleurs pour un temps au moins; nul doute que la satire ne paye pas et ne fait jamais bon ménage avec le pouvoir. Voici ce que nous dit G.A Crapelet dans son ouvrage du XIXe siècle sur le poète :

« La hardiesse des pensées est surtout remarquable chez Eustache Deschamps et lui a valu de longues inimitiés qui lui ont fermé le chemin de la fortune et les faveurs de la cour, qu’il ne cesse pourtant de réclamer dans ses ballades pour ses longs et loyaux services. »
Citation de  Georges   Adrien  Crapelet, Opus cité

Pour ses témoignages, pour son regard acerbe et sa langue déliée, autant que pour ses apports largement reconnus sur l’art poétique et en stylistique, Eustache Deschamps reste, sans conteste, un poète et un auteur médiéval à redécouvrir. A noter que sa longévité et le fait qu’il écrivit sans relâche, lui ont permis de nous léguer un oeuvre conséquente de plus de 80 000 vers et de nombreux textes précieux sur le monde médiéval.

Ballade du tournoi, d’Eustache Deschamps
Les paroles en moyen français

Aujourd’hui, cette poésie médiévale que nous présentons de lui nous replonge dans l’ambiance des tournoi_chevalerie_monde_medieval_eustache_deschamps_poesie_balladetournois de chevaliers, avec les espoirs d’y gagner honneur, gloire et avec tout cela, d’y  conquérir le coeur de belles demoiselles. Cette ballade a été écrite pour un tournoi ayant eu lieu près de Paris, à Saint-Denis pour être plus précis, au début du mois de mai 1389 (ci-contre les tournois au XIIIe et XIVe, enluminure Codex Manesse, Allemagne, 1310-1340).

Comme on se rapproche déjà considérablement de notre français moderne, je n’ai pas annoté ou adapté ce texte qui se comprend, il me semble en tout cas, très bien.

Armes, amours, déduit, joye et plaisance,
Espoir, desir, souvenir, hardement,
Jeunesce aussi , manière et contenance ,
Humble regart trait amoureusement ,
Genz corps , joliz , parez très richement ,
Avisez bien ceste saison nouvelle ,
Ce jour de may , ceste grant feste est belle
Qui par le Roy se fait à Saint-Denys ;
A bien jouster gardez vostre querelle
Et vous serez honnorez et chéris.

Car là sera la grant biauté de France ,
Vint chevaliers, vint dames ensement,
Qui les mettront armez par ordenance
Sur la place toutes d’un parement,
Le premier jour ; et puis secondement
Vint escuiers chascun sa damoiselle ,
D’uns paremens joye se renouvelle ;
Et là feront les héraulx pluseurs cris
Aux bien joustans; tenez fort vostre selle ,
Et vous serez honnorez et chéris.

Or y perra qui bien ferra de lance ,
Et qui sera de beau gouvernement
Pour acquérir d’Amour la bienvveillance ,
Et qui durra ou harnois longuement ;
Cilz ara los, doulz regart proprement
Le monsterra; Amour, qui ne chancelle,
L’enflambera d’amoureuse estincelle.
Honneur donrra aux mieulx faisans les pris ;
Avisez tous ceste doulce nouvelle,
Et vous serez honnorez et chéris.

Envoi

Servans d’amours , regardez doulcement
Aux eschaffaux anges de paradis,
Lors jousterés fort et joyeusement ,
Et vous serez honnorez et chéris.

Codex Manesse, Manuscrit, XIVe siècle.
Codex Manesse, Manuscrit, XIVe siècle.

En vous souhaitant une belle journée à tous, mes amis, Longue vie!

Fred
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