Au XIIIe siècle, Jehan de Meung, né Jean Clopinel ou Chopinel se pose comme un grand auteur lettré de son temps. A la fois poète et moraliste, il n’hésite pas non plus à se livrer à l’art satirique et à égratigner ses contemporains.
On le connait comme le co-auteur du célèbre roman de la Rose mais encore pour son codicille et son testament. Il traduisit aussi de grands classiques. Suivez-nous à la découverte d’extraits choisis de son œuvre.
Sujet : citation médiévale, amitié, richesse, poésie médiévale, littérature médiévale, langue d’oïl. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle. Ouvrage : le Roman de la Rose (1235-1280) Auteurs : Guillaume de Lorris, Jean de Meung
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous voguons vers le Moyen Âge central et le XIIIe siècle pour y découvrir une citation médiévale issue du Roman de la Rose. On la doit à Jean Clopinel, plus connu comme Jean de Meung. Ce dernier poursuivit l’ouvrage de 4000 vers que Guillaume de Lorris avait laissé inachevé en l’allongeant de nombreux vers et de sa verve satirique.
Amitié contre richesse ? Dans cette citation, Jean de Meung aura vite fait de trancher entre possession et vrais amis. Il délivrera même une variation sur un proverbe qu’on trouve également citer dans les Proverbes au vilain : Verus amicus omni praestantior auro : « Un véritable ami est plus précieux que l’or » et, en l’occurrence, qu’une ceinture pleine de deniers.
La citation en langue d’oïl
« Et por ce que nule richesce A valor d’ami ne s’adresce, N’el ne porroit si haut ataindre, Que valor d’ami ne fust graindre, Qu’adès vault miex amis en voie; Que ne font derniers en corroie. »
Et sa traduction en français actuel
« Car il n’est de richesse ici-bas Qui surpasse la valeur d’un ami, Ni ne pourrait monter aussi haut Que la valeur d’un ami serait encore plus grande, Car toujours il vaut mieux un ami avec soi Qu’une ceinture garnie de deniers.«
Le Roman de la Rose, Jean de Meung.
Sources manuscrites médiévales
Il existe de très nombreux manuscrits médiévaux de ce best-seller médiéval que fut le Roman de la Rose. Nous vous présentons ici le feuillet du jour tel qu’on le trouve dans le ms 9576 du KBR Museum. En prime vous trouverez aussi l’enluminure de la première page de ce beau manuscrit ancien. Cet ouvrage daté du courant du XIVe siècle, a été enluminé par Richard de Montbaston. Il peut être consulter en ligne sur le site du grand musée bibliothèque de Bruxelles.
Sujet : poésie médiévale, littérature médiévale, pauvreté, richesse, poésie morale, poèsie satirique, vieux français, langue d’Oïl. manuscrit ancien, enluminure, miniatures. Période : Moyen-âge central, XIIIe siècle. Titre : Le Roman de la Rose Auteur : Guillaume De Lorris et Jean De Meung
Bonjour à tous,
‘adage ne date pas d’hier : « L’argent ne fait pas le bonheur ». Au XIIIe siècle, l’un des plus célèbres écrit médiéval, le Roman de la Rose, abordait déjà la question des pièges liés à la course interminable aux richesses et aux avoirs. Contre l’avidité, l’avarice, et leur corollaire : la convoitise du bien d’autrui, l’ouvrage prenait ici un tour satirique, en allant jusqu’à montrer du doigt certaines classes de la société particulièrement propices, selon lui, à choir dans ces travers : marchands, usuriers et autres « lombards« , mais encore avocats et médecins.
Eloge de la pauvreté
ou Apologie du contentement ?
« Le Roman de la Rose » G de Lorris et J de Meung,
Français 24392 (XVe siècle) BnF, (à consulter ici)
L’extrait proposé ici et sa traduction en français moderne, (revisitée quelque peu) sont tirés d’un ouvrage de Louis Petit de Julleville : Morceaux choisis des auteurs français, Moyen Age et Seizième siècle (1881). Le normalien et professeur d’université du XIXe siècle, spécialiste de littérature médiévale, disait alors voir entre ces lignes, un « Éloge de la pauvreté ». On pourrait tout autant y percevoir une mise en garde contre la démesure et l’avidité: « Pour autant qu’on ouvre grand la bouche, on ne peut boire toute l’eau en Seine ». Sur le terrain moral de la lutte entre « avoir » ou « être », en littérature et poésies médiévales, c’est souvent ce dernier qui ressort victorieux, plus encore quand la poursuite de l’acquis prend la forme de l’obsession. S’il y a éloge, ici, plus que de pauvreté, c’est sans doute plutôt celle du contentement et d’un contentement finalement plus lié à une disposition d’esprit – une « attitude psychologique », dirait-on aujourd’hui -, qu’à des conditions matérielles : « Nul n’est misérable, s’il ne croit l’être, qu’il soit roi, chevalier, ou ribaud. »
En relisant ces lignes du moyen-âge central, il est utile de se souvenir aussi, qu‘entre l’idéal christique du dépouillement et les excès des marchands du temple, les valeurs spirituelles chrétiennes du monde médiéval ont ménagé une bonne place à la voix du milieu : « Benoit est qui tient le moyen », nous dira Eustache Deschamps, un peu plus d’un siècle après le Roman de la Rose, en marchant sur les traces d’Horace.
Si la pauvreté se trouve « glorifiée », par endroits dans les lettres, en dehors de certaines voies monastiques, elle n’est pas non plus souhaitée ou considérée comme un idéal à atteindre, loin s’en faut. La misère véritable ferait même plutôt peur à nombre de clercs et auteurs médiévaux qui, encore au XIIIe siècle, sont presque toujours issus d’une certaine noblesse ou bourgeoisie, fut-elle modeste. Du reste, pour coller à cette thématique de classes, dans la deuxième partie de cet extrait, au sujet de ces ribauds de la place de grève que Rutebeuf a su également si bien mettre en vers, on pourrait être tenté, de ressentir une pointe de condescendance même si, sans doute un tel jugement demeure subjectif, en plus d’être à contretemps. L’auteur semble, en effet, sincère et il met même l’accent sur une certaine « exemplarité » de ces classes déshéritées. Toutefois, en l’imaginant vivant lui-même dans une certaine aisance, quand il nous explique « regardez comme ils sont heureux, s’ils n’ont rien il s’en passe, sinon on les fait porter à l’Hotel Dieu, etc..« , un certain sens critique (sociologique et moderne) pourrait avoir tendance à nous aiguillonner. Finalement, la bonne vieille question « D’où parlez-vous ? » n’en finit jamais d’être posée, même si elle se complique d’autant, quand de nombreux siècles nous séparent de celui qui porte la plume.
« Éloge de la Pauvreté ». (Extrait du Roman de la Rose.)
Si ne fait pas richesce riche Celi qui en trésor la fiche : Car sofîsance solement Fait homme vivre richement : Car tex n’a pas vaillant dous miches Qui est plus aese et plus riches Que tex a cent muis de froment. Si te puis bien dire comment (…) Et si r’est voirs, cui qu’il desplese, Nus marcheant ne vit aese : Car son cuer a mis en tel guerre Qu’il art tous jors de plus aquerre; Ne ja n’aura assés aquis Si crient perdre l’avoir aquis, Et queurt après le remenant Dont ja ne se verra tenant, Car de riens desirier n’a tel Comme d’aquerre autrui cbatel. Emprise a merveilleuse peine, Il bee a boivre toute Saine, Dont ja tant boivre ne porra, Que tous jors plus en demorra. C’est la destresce, c’est l’ardure, C’est l’angoisse qui tous jors dure; C’est la dolor, c’est la bataille Qui li destrenche la coraille, Et le destraint en tel défaut, Cum plus aquiert et plus li faut.
Advocat et phisicien
Sunt tuit lié de cest lien ;
Cil por deniers science vendent,
Trestuit a ceste hart se pendent :
Tant ont le gaaing dous et sade,
Que cil vodroit por un malade
Qu’il a, qu’il en eust quarente,
Et cil pour une cause, trente,
Voire deus cens, voire deus mile,
Tant les art convoitise et guile !..
Non, richesse ne rend pas riche Celui qui la place en trésors. Car seul le contentement Fait vivre l’homme richement. Car tel n’a pas vaillant deux miches Qui est plus à l’aise et plus riche Que tel avec cent muids (1) de froment. Je te puis bien dire comment. Et, il est vrai, à quiconque en déplaise Nul marchand ne vit à l’aise ; Car son cœur, a mis en telle guerre Qu’il brûle toujours d’acquérir plus : Et il n’aura jamais assez de biens S’il craint de perdre ceux qu’il détient, Et court après ce qui lui manque, Et qui jamais ne sera sien. Car tel, il ne désire rien Que d’acquérir d’autrui, les biens. Son entreprise a grande peine ; Il bée pour boire toute la Seine, Quand jamais tant boire ne pourra , Car toujours, il en demeurera. C’est la détresse, c’est la brûlure, C’est l’angoisse qui toujours dure ; C’est la douleur, c’est la bataille Qui lui déchire le cœur Et l’étreint en tels tourments Que plus acquiert et plus lui manque.
Avocats et médecins
Sont tous liés par ce lien.
Ceux-là pour deniers vendent science;
Et tous à cette corde se pendent,
Gain leur est doux et agréable;
Si bien que l’un, pour un malade
Qu’il a, en voudrait quarante;
Et l’autre pour une cause, trente,
Voire deux cents, voire deux mille;
Tant les brûlent convoitise vile.
Mais li autre qui ne se lie Ne mes qu’il ait au jor la vie, Et li soflit ce qu’il gaaingne, Quant il se vit de sa gaaingne, Ne ne cuide que riens li faille, Tout n’ait il vaillant une maille, Mes bien voit qu’il gaaingnera Por mangier quant mestiers sera, Et por recovrer chauceiire Et convenable vesteiire ; Ou s’il avient qu’il soit malades, Et truist toutes viandes fades, Si se porpense il toute voie Por soi getier de maie voie, Et por issir hors de dangier, Qu’il n’aura mestier de mangier ; Ou que de petit de vilaille Se passera, comment qu’il aille, Ou iert a l’Ostel Dieu portés, La sera moult reconfortés; Ou, espoir, il ne pense point Qu’il ja puist venir en ce point Ou s’il croit que ce li aviengne, Pense il, ains que li maus li tiengno» Que tout a tens espargnera Pour soi chevir quant la sera; Ou se d’espargnier ne li cliaut, Ains viengnent li froit et li chaut Ou la fain qui morir le face, Pense il, espoir, et s’i solace, Que quant plus tost definera, Plus tost en paradis ira… Car, si corne dit nostre mestre, Nus n’est chetis s’il ne l’cuide eslre, Soit rois, chevaliers ou ribaus.
Mais cet autre qui ne se lie Qu’à chaque jour gagner sa vie Et à qui suffit ce qu’il gagne, Quand il peut vivre de son gain ; Il ne craint que rien ne lui faille, Bien qu’il n’ait vaillant une maille. Mais il voit bien qu’il gagnera à manger, quand besoin aura De quoi se procurer des chaussures et un vêtement convenable. Ou s’il advient qu’il soit malade, Et trouve toutes viandes fades, Il réfléchit à toute voie, Pour se sortir du mauvais pas Et pour échapper au danger, Qu’il n’ait pas besoin de manger, Ou que la moindre victuaille Lui suffise, vaille que vaille; Ou à l’Hôtel-Dieu, se fera porter Où sera bien réconforté. Ou peut-être ne pense-t-il point Qu’il puisse en venir à ce point. Ou s’il craint que tel lui advienne, Il pense, avant que mal le prenne, Qu’il aura le temps d’épargner Quand il lui faudra se soigner, Et s’il ne se soucie d’épargner, Viendront alors le froid, le chaud Ou la faim, qui l’emporteront, Peut-être, pense-t-il, et s’en console, Que tant plus tôt il finira, Plus tôt en paradis ira. Ainsi, comme dit notre maître, Nul n’est misérable, s’il ne croit l’être, Qu’il soit roi, chevalier, ou ribaud.
Maint ribaus ont les cuers si baus, Portans sas de charbon en Grieve ; Que la poine riens ne lor grieve : Qu’il en pacience travaillent Et baient et tripent et saillent, Et vont a saint Marcel as tripes, Ne ne prisent trésor deus pipes *; Ains despendent en la taverne Tout lor gaaing et lor espergne, Puis revont porter les fardiaus Par leesce, non pas par diaus, Et loiaument lor pain gaaignent, Quant embler ne tolir ne l’daignent; Tuit cil sunt riche en habondance S’il cuident avoir soffisance ; Plus (ce set Diex li droituriers) Que s’il estoient usuriers !…
Maints ribauds ont les cœurs si vaillants, Portant sacs de charbon en Grève* (la place de Grève), Que la peine en rien ne leur pèse; Mais ils travaillent patiemment, Et dansent, et gambadent, et sautent; Et vont à Saint-Marceau aux tripes* (en acheter), Et ne prisent trésor deux pipes; Mais dépensent en la taverne Tout leur gain et toute leur épargne ; Puis retournent à leurs fardeaux, Avec joie et sans en gémir, Ils gagnent leur pain avec loyauté, Et ne daignent ravir, ni voler; Tous ceux-là sont riches en abondance, S’ils pensent avoir leur suffisance, Plus riches (Dieu le juste le sait) Que s’ils étaient usuriers ! …
(1)Unité de mesure ancienne.
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes
Sujet : citation, sagesse médiévale, poésie morale et satirique. Période : Moyen Âge central Auteur : Jean de Meung (Clopinel) (1250-1305) et Rutebeuf (1230-1285?) Ouvrage : le codicille
Bonjour à tous,
ous revenons, aujourd’hui, sur le codicille de Jean de Meung, que l’on trouve, la plupart du temps, annexé aux éditions du Roman de la rose dont il fut le co-auteur. Ce texte se présente sous la forme d’un poème critique, un legs moral que l’auteur médiéval fait à ses contemporains : clercs, hommes de religions ou puissants, notamment, et dans lequel il n’hésite pas à les égratigner ou les prendre à partie.
« Chascun scet que quant l’ame de sa charoigne part, De ce monde n’emporte avec soy point de part; Sa desserte l’emmaine, bien ou mal s’en départ, En aussi pou de temps comme il tonne ou espart.
Pensons que quant ly homs est au travail de mort, Ses biens ne ses richesses ne luy valent que mort Ne luy peuvent oster l’angoisse qui le mort, De ce dont conscience le reprent et remort » Jean de Meung – Le Codicille
Grand érudit, critique et moraliste, Jean de Meung n’en est pas à son galop d’essai pour ce qui est de manier la satire. Dans ce passage du codicille sur la conscience qui vient tourmenter le mourant sur son lit de douleur, il nous parlera tout à la fois :
de la vacuité de l’obsession d’accumuler des biens matériels et des richesses, pire encore quand ils sont acquis de manière malhonnête (« Bien mal acquis ne profite jamais »)
de ne pas transmettre à des héritiers de telles richesses mal acquises, au risque de leur empoisonner la vie et de les vouer eux-même « aux enfers ».
Le thème de la mauvaise conscience et des tourments qui se font jour face à la mort, au sujet de ses propres inconduites, n’est pas nouveau et reste cher au moyen-âge. Nous sommes dans l’Europe médiévale du XIIIe siècle et il est donc question ici de mettre en pratique les préceptes de morale et de conduite chrétienne, sans attendre qu’il soit trop tard : ce monde n’est qu’un passage et nous n’emmènerons rien dans l’au-delà que notre âme et nos actions passées.
On retrouvera pratiquement ses vers à l’identique chez Rutebeuf, et au vue des dates, Jean de Meung s’est certainement inspiré directement du célèbre jongleur et trouvère. Voici les vers de ce dernier, tirés de son dit de la croisade de Tunis :
« Vous vous moqueiz de Dieu tant que vient a la mort, Si li crieiz mercei lors que li mors vos mort Et une consciance vos reprent et remort ; Si n’en souvient nelui tant que la mors le mort. » Rutebeuf – Le dit de la croisade de Tunis
« Vous vous moquez de Dieu jusqu’à l’heure de la mort, et vous lui criez grâce lorsque la mort vous mord, que dans votre conscience sont reproches et remords; Nul n’y pense jusqu’au moment où la mort le mord. » Traduction de Michel Zink
Pour élargir au delà du moyen-âge chrétien occidental, dans nombre de cultures et de pratiques spirituelles, cultiver la conscience de sa propre impermanence et de sa propre mort est considéré, loin de toute forme de pensées négatives ou morbides, comme un guide efficace dans les actions de la vie (leur intensité, comme leur profondeur).
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Une citation médiévale Jean De Meung, moyen-âge central
Bonjour à tous,
joie cruelle et fallacieuse de la citation hors contexte, nous voici encore au pied du Codicille du bon maître Jean de Meung, alias Jean Clopinel , grand co-auteur du Roman de la Rose et érudit du XIIIe siècle, pour nous délecter de sa sagesse toute médiévale.
Et dans ce codicille qu’il nous lègue, appendice d’un autre testament qu’il a rédigé par ailleurs, il fustige de son verbe et sans complaisance, ses contemporains et, par dessus tout, les religieux ou même les clercs savants. En l’occurrence dans cet extrait que nous vous proposons aujourd’hui en forme de citation, il s’adresse plus précisément aux chefs de l’église et aux prélats: abbés et évêques. Satire? peut-être un peu. Sermon, sans aucun doute. Mais comme tant d’autres auteurs le feront durant ce moyen-âge central et ce XIIIe siècle, c’est en homme pieu, soucieux de religion et de salut de l’âme, autant que de justice qu’il s’exprime. Il ne cherche donc pas à mettre le feu aux poudres, (ce qui serait en plus un peu anachronique pour l’époque) mais plutôt à ramener dans la juste parole et, plus encore, la juste pratique les brebis égarées de la haute hiérarchie de l’Eglise.
Pourtant, oublieux un instant du contexte, comme elle est grande la tentation, en ne prenant que ces quatre pieds de vers, de les étirer un peu et d’en faire une morale du bon ou plutôt du mauvais exercice du pouvoir sous toutes ses formes, et de sauter, allègrement hors de l’église et hors du temps :
“Se tu veulx mal user de ta grant seigneurie,
Se povres gens te foulent*, je ne m’en merveille mye;
Car quant la congnoissance est trop ensevelie,
Droiz et Dieu se consent que telz gens t’humilie.” Jean de Meung (1250-1305) Le Codicille
« Si tu veux mal user de ta grande seigneurie, Si pauvres gens te foulent, point ne m’en ébahis, car quand la connaissance est trop ensevelie, Justice* et Dieu s’accordent que tels gens t’humilient. »
*justice naturelle, nature,
Mais avant de nous reprendre par quelques médiévistes que notre glissement conceptuel et temporel ferait soudain sortir légitimement de leurs gonds, empressons-nous de revenir au contexte et au sens étroit de ces vers de Jean De Meung. Comme nous le disions, il s’adresse ici clairement au prélats et les enjoint d’être justes envers leurs propres clercs tout autant qu’envers les gens du simple. On trouvera, un peu plus haut dans son codicille, les lignes suivantes qu’il leur adressent encore:
« Sçavoir vous appartient com chascun se moyenne, Soyent clercs, soyent laiz, soyent communs ou moyenne »
Et pour ramener encore dans le giron d’une pratique plus proche de leur mission première, ces ecclésiastiques dévoyés par leur propre « fortune » et leurs propres richesses, autant que par les jeux de séduction de cour et de pouvoir, il leur dira aussi dans le même passage : « Tout est perdu fors ce qu’on fait en charité; »
Difficile de ne pas lire, en filigrane, dans ce sévère rappel à l’ordre de la part de l’auteur médiéval, la marque de ce même mouvement qu’on retrouvera encore dans les fabliaux, ou dans ces doigts qui pointeront les richesses des moines blancs ou celles des évêques, dans un XIIIe siècle qui mesure la distance laissée entre les petites gens et certains dignitaires de l’église, véritable caste aristocratique affichant les marques ostentatoires de pouvoir et d’argent, au point d’être même rappelés ici par l’auteur à ses devoirs élémentaires de charité.
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.