Archives de catégorie : Musiques, Poésies et Chansons médiévales
Vous trouverez ici une large sélection de textes du Moyen âge : poésies, fabliaux, contes, chansons d’auteurs, de trouvères ou de troubadours. Toutes les œuvres médiévales sont fournis avec leurs traductions du vieux français ou d’autres langues anciennes (ou plus modernes) vers le français moderne : Galaïco-portugais, Occitan, Anglais, Espagnol, …
Du point du vue des thématiques, vous trouverez regroupés des Chansons d’Amour courtois, des Chants de Croisade, des Chants plus liturgiques comme les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, mais aussi d’autres formes versifiées du moyen-âge qui n’étaient pas forcément destinées à être chantées : Ballades médiévales, Poésies satiriques et morales,… Nous présentons aussi des éléments de biographie sur leurs auteurs quand ils nous sont connus ainsi que des informations sur les sources historiques et manuscrites d’époque.
En prenant un peu le temps d’explorer, vous pourrez croiser quelques beaux textes issus de rares manuscrits anciens que nos recherches nous permettent de débusquer. Il y a actuellement dans cette catégorie prés de 450 articles exclusifs sur des chansons, poésies et musiques médiévales.
Sujet : bibliographie, auteur médiéval, médiévalisme, actualité, éducation, littérature médiévale. Période : du Moyen Âge (XVe) à nos jours. Auteur : François Villon (1431-1463) Contributeur/Editeur : Robert Dabney Peckham, Société François Villon, Université du Tennessee. 38e bulletin
Bonjour à tous,
yez, oyez ! Amis de François Villon, de son œuvre et de son actualité, le dernier bulletin de la Société François Villon signé de la plume de Robert D Peckham vient de paraître. Pour ceux qui auraient raté les épisodes précédents, depuis près de 4 décennies, ce professeur émérite de littérature médiévale et bibliophile américain s’est efforcé de traquer et de répertorier toutes les parutions autour du poète du XVe siècle, à travers le monde.
Si cet universitaire passionné de Moyen Âge, tout autant que de poésie et de littérature en langue française, coule désormais des jours heureux , en savourant une retraite bien méritée, il n’en est pas pour autant moins actif. Désormais, il se consacre, en effet, presque entièrement à sa passion pour les musiques anciennes et la poésie, et a déjà donné de nombreux concerts, accompagné de son autoharpe, dans le Tennessee où il est installé.
L’actualité brûlante de l’œuvre de François Villon et sa postérité
Quant au bulletin de la Société François Villon, Robert D Peckham continue, gracieusement, de le maintenir et comme rien n’échappe à sa sagacité, vous y débusquerez les informations les plus variées au sujet de l’actualité villonnesque, en de nombreuses langues. Il peut s’agir d’ouvrages et de livres que des experts modernes ont fait paraître, mais aussi de séminaires, de conférences, ou encore de documents et d’articles en ligne. Enfin, vous y verrez également mentionnés des performances et spectacles et tout un tas de données touchant l’iconographie culturelle et les représentations plus actuelles autour de François Villon ( comics, BD, etc..). Il s’agit là de la 38ème édition.
Une rencontre Villon & Moebius Ballate. Ed Nuages, Milan (1995).
En bref, ce bulletin (comme le site très complet qui le sous-tend) est une invitation à découvrir l’actualité de l’un de nos plus grand poète médiéval sous toutes ses formes, des plus érudites aux plus profanes. Comme nous nous intéressons, ici, au Moyen Âge historique et littéraire autant qu’à ses manifestations plus récentes et au médiévalisme, vous comprendrez mieux en quoi cette approche peut nous séduire. Pour le reste, voila longtemps que nous n’avons rien publié sur Villon, mais nous avions trouvé bonne place dans les bulletins précédents (notamment le numéro 33 et le 35).
Vous pourrez retrouver le dernier bulletin de la société François Villon (lien alternatif de téléchargement). Il faudra encore attendre pour espérer revoir en ligne le site très complet réalisé par Robert Peckham qu’hébergeait l’Université du Tennessee à Martin. L’institution a, en effet, décidé de le fermer pour de raisons liées à des choix techniques et de maintenance. L’immense travail de compilation effectué par le biographe de Villon a pu être préservé mais il attend encore de trouver un hébergement en ligne pour reprendre vie. Quoiqu’il en soit, si vous vous intéressez à l’œuvre de Villon, aux productions qu’elle a suscitée et à son influence jusqu’à nos jours, le travail de Robert Peckham est unique et ne peut être ignoré. C’est une véritable mine que nous espérons pouvoir explorer à nouveau en ligne, dans toute sa richesse et dans un proche futur.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : l’illustration de l’image d’en-tête est un détail de la couverture du dernier opus de Bande Dessinée que le talentueux Luigi Critone a consacré au Villon de Jean Teulé : Je, François Villon, tome 3 : Je crie à toutes gens merci, Delcourt (2016).
Sujet : musique ancienne, galaïco-portugais, culte marial, miracle, résurrection, Moyen Âge chrétien, Espagne médiévale, pèlerinage. Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central Titre : CSM 167, Quen quer que na Virgen fia e a roga de femença,… Auteur : Alphonse X (1221-1284) Interprète : Conservatoire de musique Thornton, Los Angeles, Californie (2014).
Bonjour à tous,
otre expédition du jour nous ramène du côté de la cour d’Espagne pour la découverte d’une nouvelle Cantiga de Santa Maria. A partir du Moyen-âge central, les pèlerinages à la vierge, avec leurs chants de louanges et leurs histoires de miracles sillonnent les routes médiévales. Au XIIIe siècle, Alfonse X de Castille, grand roi lettré de l’Espagne médiévale, décide d’en compiler ces récits en musique dans un vaste recueil.
Plus de 400 pièces dédiées à la Sainte
Le corpus des Cantigas de Santa Maria finit par dépasser les 400 pièces annotées musicalement. Elles forment une anthologie du culte marial qui déborde largement les frontières de l’Espagne. Du point de vue linguistique, ces chants à la vierge furent rédigés en galaïco-portugais, langue alors privilégiée par les poètes, troubadours et jongleurs de la péninsule ibérique et portugaise. Depuis quelque temps déjà, nous en avons entrepris, tranquillement, la traduction (voir index des cantigas déjà traduites en français actuel)
En terme de thématique, les miracles dominent largement les cantigas de Santa Maria d’Alphonse X ; tous les sujets y sont traités, y compris les plus fantastiques et surnaturels (protection, guérison miraculeuse, résurrection, apparition, etc…). Au XIIIe siècle, aucun obstacle ne semble pouvoir se dresser devant la foi en la Sainte Mère.
Nous sommes au cœur du culte marial ; à ce moment du Moyen Âge, il s’est déjà pleinement installé, avec une vierge Marie capable d’exaucer toutes les prières des hommes et qui a pris pleinement sa place, aux côtés de son fils, « le Dieu mort en croix », si cher au monde médiéval.
La vierge réconciliatrice de tous les croyants
La CSM 167 & sa partition (MS B.I.2 códice de los músicos, Bibliothèque de L’Escurial (Madrid)
Aujourd’hui, nous vous proposons de découvrir la Cantiga de Santa Maria 167. Elle nous conte un nouveau miracle survenu, cette fois, au nord de l’Espagne, dans la province de Huesca, à l’occasion d’un pèlerinage vers le sanctuaire de la vierge de Salas. Au passage, en étudiant la Cantiga 189, nous avions déjà eu l’occasion d’y croiser le miracle d’un pèlerin empoisonné par un dragon et sauvé in extremis.
Dans la CSM 167, le récit mettra en scène une mère musulmane originaire de la ville de Borja, dans la province de Saragosse. Ayant perdu son enfant et au comble du désespoir, la pauvre femme décidera de s’en remettre à la vierge de Salas. Elle a, nous dira la Cantiga, déjà entendu parler de miracles similaires accomplis par cette vierge de Salas.
Une référence à la Cantiga 118
Concernant cette allusion, il faut, sans nul doute, y voir une référence à la CSM 118. Celle-ci conte, en effet, une histoire similaire à la Cantiga du jour. Il y est, question de la résurrection d’un enfant chrétien par la vierge de Salas justement et sur demande de la mère éplorée. Il s’agit donc là clairement d’un renvoi à l’intérieur du corpus, qui vient en renforcer la cohérence et le propos. La vierge peut accomplir deux fois le même miracle pour la consolation d’une mère, indépendamment des croyances de départ de cette dernière.
Contre la désapprobation et la véhémence d’autres femmes de sa communauté qui s’opposent au pèlerinage, la protagoniste du miracle du jour tiendra bon. Elle ira prier la vierge de Salas « à la manière des femmes chrétiennes », pour que son fils lui soit rendu. Selon le poète, sa persévérance et ses prières se verront largement récompensées puisqu’elle assistera, sans délai, à la résurrection de son fils. Saisie d’émerveillement et de reconnaissance pour avoir retrouvé son enfant vivant, la femme se convertira même à la religion chrétienne et (nous dit la cantiga), elle vouera, pour le reste de ses jours, une grande vénération à la vierge.
A l’habitude, le refrain de cette cantiga de Santa Maria scande la leçon à retenir : « Quen quer que na Virgen fia e a roga de femença, Valer ll’a, pero que seja d’outra lee en creença« . Autrement dit, la vierge Marie ou Maryam pour les musulmans (le Coran la mentionne, de son côté, à plusieurs reprises), sait écouter toutes les doléances et elle peut les exaucer, y compris celles faites par des croyants qui se sont rangés sous une autre loi que la loi chrétienne.
A ce sujet, on pourra encore rapprocher ce chant à la vierge du miracle de la Cantiga de Santa Maria 181 dans laquelle la sainte chrétienne répondra à l’appel des musulmans, en volant au secours du Khalife de Marrakech et de ses gens.
L’Espagne médiévale au cœur de Los Angeles
Pour la version musicale de la Cantiga du jour, nous avons choisi une interprétation en provenance d’Outre-Atlantique et du Conservatoire de musique de l’Université de Thornton (University of Southern California Thornton School of Music). Cette école de musique américaine, basée à Los Angeles, a vu le jour, il y a près de 150 ans, en 1884. Elle forme, depuis, ses étudiants à l’apprentissage des musiques et des instruments les plus divers, ce qui inclue des formations aux musiques anciennes, mais aussi des répertoires plus modernes, pour des cursus complétés par des cours dans des matières théoriques variées.
Aujourd’hui, cette école de musique californienne affiche plus que jamais l’ambition de préparer ses apprenants à des carrières d’envergure internationale. On jugera de la qualité de leur formation autant que du talent de ces derniers avec cette interprétation pleine de légèreté de la cantiga 167. La performance date de 2014 et nous l’avons empruntée à la chaîne YouTube officielle de l’établissement dédié aux musiques anciennes. Si vous êtes amateurs de musiques anciennes, vous pourrez y trouver de nombreuses pièces en provenance de répertoires médiévaux et baroques.
La Cantiga de Santa Maria 167 et sa traduction en français actuel
Esta é como hua moura levou seu morto a Santa Maria de Salas, e ressucito-llo.
Quen quer que na Virgen fia e a roga de femença, Valer ll’a, pero que seja d’outra lee en creença.
Celle-ci (cette cantiga) raconte comment une femme musulmane emporta son enfant défunt à Sainte Marie de Salas, qui le ressuscita.
Quiconque a foi en la Vierge et la prie avec ardeur sera entendu (valorisé, protégé), même s’il suit une autre loi en matière de religion.
Desta razon fez miragre Santa Maria, fremoso, de Salas, por ûa moura de Borja, e piadoso, ca un fillo que avia, que criava, mui viçoso, lle morrera mui coitado dûa [muy] forte doença. Quen quer que na Virgen fia e a roga de femença…
A ce propos, Sainte Marie de Salas fit un beau miracle, plein de piété, pour une femme maure de Borja, Qui avait un fils très beau qu’elle élevait Et qui mourut très affligé par une maladie très grave. Quiconque a foi en la Vierge et la prie avec ardeur…
Ela, con coita do fillo, que fezesse non sabia, e viu como as crischãas yan a Santa Maria de Salas, e dos miragres oyu que ele fazia, e de fiar-sse na Virgen filloumui grand’ atrevença; Quen quer que na Virgen fia e a roga de femença…
Pleine d’affliction pour l’enfant et ne sachant que faire, Elle vit comment les chrétiennes allaient en pèlerinage à Sainte-Marie De Salas, et entendit parler des miracles qu’elle avait accomplis Et en décidant de placer sa foi en la vierge, elle fit montre d’une grande audace Quiconque a foi en la Vierge et la prie avec ardeur…
E comendou-ll’o menynno e guisou ssa offerenda. Mais las mouras sobr’aquesto lle davan mui gran contenda; mais ela lles diss’: « Amigas, se Deus me de mal defenda, a mia esperença creo que vossa perfia vença. Quen quer que na Virgen fia e a roga de femença…
Et elle lui recommanda l’enfant et prépara son offrande. Mais les femmes maures, à ce propos, lui firent de grands reproches ; Mais elle leur rétorqua : « Mes amies, si Dieu ne me protège pas du mal, Je crois que mon espérance vaincra votre insistance pesante. Quiconque a foi en la Vierge et la prie avec ardeur…
Ca eu levarei meu fillo a Salas desta vegada con ssa omagen de cera, que ja lle tenno conprada, e velarei na eigreja da mui benaventurada Santa Maria, e tenno que de mia coita se sença. » Quen quer que na Virgen fia e a roga de femença…
Car j’emménerai mon fils à Salas, cette fois, Avec une image en cire (1) que j’ai déjà achetée Et je veillerai en l’Eglise de la bienheureuse Sainte Marie, et je tiens pour sûr qu’elle se souciera de mon affliction. » Quiconque a foi en la Vierge et la prie avec ardeur…
E moveu e foi-sse logo, que non quis tardar niente, e levou seu fillo morto, maravillando-ss’a gente; e pois que chegou a Salas, diss’aa Virgen: « Se non mente ta lee, dá-me meu fillo, e farey tig’avêença. » Quen quer que na Virgen fia e a roga de femença…
Puis, elle prit congé et s’en fut, car elle ne voulait point tarder Et elle emporta son fils défunt, en suscitant l’émotion de tous, Et une fois qu’elle fut arrivée à Salas, elle dit à la vierge : « Si ta loi n’a pas menti Rends-moi mon fils et je te montrerai une grande reconnaissance. » (2) Quiconque a foi en la Vierge et la prie avec ardeur…
Ua noite tod’enteira velou assi a mesquinna; mas, que fez Santa Maria, a piadosa Reynna? ressucitou-lle seu fillo, e esto foi muit’aginna; ca a ssa mui gran vertude passa per toda sabença. Quen quer que na Virgen fia e a roga de femença…
Une nuit entière, la pauvre femme veilla ainsi Mais que fit alors Sainte Marie, la reine pleine de miséricorde ? Elle ressuscita son fils, et cela survint très rapidement ; Car sa très grande vertu dépasse tout entendement. Celle qui a foi en la Vierge et la prie avec ardeur…
Quand’aquesto viu a moura, ouv’en maravilla fera, ca ja tres dias avia que o fillo mort’ouvera; e tornou logo crischãa, pois viu que loo vivo dera Santa Maria, e sempre a ouv’en gran reverença. Quen quer que na Virgen fia e a roga de femença…
Quand la femme maure vit cela, elle en fut tout émerveillée Car cela faisait déjà trois jours que son fils était mort : Et après cela, quand elle vit qu’il était vivant grâce à Sainte Marie, Elle se fit chrétienne,et pour toujours, elle voua à cette dernière une grande vénération. Quiconque a foi en la Vierge et la prie avec ardeur…
(1) il s’agit d’une statuette de cire faite à l’effigie de l’enfant défunt. La CSM 118 fait allusion à la même pratique. (2) reconnaissance (union, accord, pacte, concorde)
En vous souhaitant une belle journée !
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
NB : concernant l’enluminure de l’image d’en-tête, elle est également tirée Ms T1 dit Codice rico de la Bibliothèque Royale de l’Escurial à Madrid. Ce manuscrit daté du XIIIe est contemporain d’Alphonse X. Il peut être désormais consulté en ligne.
Sujet : poésie, élégie, courtoisie, sentiment amoureux, moyen-français, auteur, poète médiéval. Auteur : Clément Marot (1496-1544) Période : Moyen Âge tardif, Renaissance Titre : « Le plus grand bien qui soit en amitié » Ouvrage : Œuvres complètes de Clément Marot, Tome 2, Pierre Jannet (1873)
Bonjour à tous,
ous revenons, aujourd’hui, à l’œuvre poétique de Clément Marot. Au début du XVIe siècle, ce poète de cour s’inscrivit à la charnière du monde de la renaissance et du Moyen Âge. S’il ne cacha pas son goût pour des poètes et des textes médiévaux, comme Le Testament de Villon ou même LeRoman de la rose qu’il édita, il puisa également largement dans les auteurs antiques et on pourra voir en lui, la marque d’une certain renouveau littéraire propre au XVIe siècle.
En dehors de cela, Marot se fit connaître pour son esprit, ses traits d’humour mais aussi pour son œuvre abondante et plus grave, par endroits, qui comprend la traduction des psaumes. Fils du rhétoriqueur Jehan Marot, il fut d’abord protégé de François 1er, mais il eut par la suite quelques déboires qui l’obligèrent à l’exil, hors de France, et en particulier, près des cours italiennes (voir sa biographie).
L’élégie, un genre antique
Nous vous avons présenté, jusque là, un certain nombre d’épigrammes, de dizains et de pièces courtes de Clément Marot. Aujourd’hui, nous le retrouvons pour une élégie, genre qu’il contribua à créer en français, en lui prêtant sa plume, son talent et son sens des chutes.
L’élégie est une forme de poésie lyrique, qui avait été connue des grecs avant de passer ensuite aux romains. Elle fut favorisé par certains poètes antiques pour exprimer des thèmes variés, dont notamment le sentiment amoureux, mais toujours sur une note assez triste et mélancolique.
De Marot à la Pléiade
A la fin du Moyen-âge et aux débuts de la renaissance, l’élégie ressurgira donc en langue française avec l’aide de Clément Marot qui œuvrera à la réhabiliter, en tant que genre poétique à part entière (1). La Pléiade acceptera cet héritage de Marot, mais Joachim du Bellay, soucieux de marquer la différence entre son école et l’œuvre de Marot, entrera bientôt dans le débat. A la suite du poète de Cahors, il reconnaîtra l’élégie comme un genre convenable, tout en y mettant la condition qu’on revienne à la tristesse ou la gravité antique d’un Ovide ou d’un Horace (2).
Autrement dit, la légèreté de Marot, ses traits d’esprit et son fréquent badinage lui seront, à nouveau, reprochés. Pour la Pléiade, la poésie est une affaire sérieuse et c’est un raison suffisante pour écarter Marot ou ses héritiers de leur horizon. En relisant les élégies de Marot pourtant (il nous en a laissé un peu plus d’une vingtaine), on notera que si le poète de cahors continue d’y manier la plume avec talent, légèreté et esprit, il renoue tout de même, par endroits, avec le ton un peu mélancolique du genre originel des élégies.
Notes
(1) L’élégie au XVIe siècle, Robert G Mahieu, Revue d’histoire littéraire de la France, numéro 3/4, 1939. (2)Les élégies de Clément Marot, V.L Saulnier, éditions de la Sorbonne, 1968
Elégie, Clément Marot
Le plus grand bien qui soit en amitié, Après le don d’amoureuse pitié , Est s’entr’escrire, ou se dire de bouche , Soit bien , soit dueil , tout ce qui au coeur touche : Car si c’est dueil, on s’entrereconforte ; Et si c’est bien, sa part chacun emporte. Pourtant je veux, mamye, et mon desir, Que vous ayez votre part d’un plaisir Qui en dormant l’autre nuict me survint.
Advis me fut que vers moy tont seul vint Le dieu d’amours , aussi cler qu’une estoille , Le corps tout nud, sans drap, linge, ne toille, Et si avoit, afin que l’entendez, Son arc alors, et ses yeux desbandez, Et en sa main celuy traict bien heureux Lequel nous feit l’un de l’autre amoureux. En ordre tel, s’approche et me va dire : Loyal amant, ce que ton coeur desire Est asseuré : celle qui est tant tienne Ne t’a rien dit (pour vrai) qu’elle ne tienne ; Et, qui plus est, tu es en tel crédit, Qu’elle a foy ferme en ce que luy as dit.
Ainsi amour parloit, et en parlant M’asseura fort. Adonc en esbranlant Ses aisles d’or, en l’air s’en est volé : ‘ Et au resveil je fus tant consolé , Qu’il me sembla que du plus haut des cieux Dieu m’envoya ce propos gracieux.
Lors prins la plume, et par escrit fut mis Ce songe mien, que je vous ay transmis , Vous suppliant, pour me mettre en grand heur, Ne faire point le dieu d’amour menteur.
Une belle journée à tous.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
NB : sur les illustrations de cet article, vous retrouverez le portrait « supposé » de Clément Marot, en tout cas celui qu’on lui associe le plus souvent. Il est tiré d’un œuvre du peintre italien Giovanni Battista Moroni (1520-1587) et s’intitule laconiquement : « Ritratto di un uomo » autrement dit « Portrait d’un homme« .
Sujet : poésie satirique, poète médiéval, poète breton, ballade satirique, poésie politique, auteur médiéval, Bretagne Médiévale, pauvreté, Français 24314, ballade médiévale. Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491) Titre : Gens sans argent, ressemblent corps sans âme.
Bonjour à tous,
u XVe siècle, Jean Meschinot, seigneur breton de petite noblesse, officie comme écuyer au service du duché de Bretagne. Il servira militairement sous plusieurs ducs mais connaîtra, toutefois, quelques déboires et notamment, une période compliquée qui le laissera désemparé financièrement et en grand désarroi : sa charge d’écuyer ne lui sera, en effet, pas renouvelée au moment de l’accession de François II de Bretagne au duché, le 5eme duc qu’il sert.
Après cet épisode marquant, on retrouvera notre homme d’armes et poète médiéval, occupant différentes positions dans ce même duché ainsi qu’à la maison du comte de Laval : capitaine du château de Marcillé, maître des monnaies et en charge de grands ateliers monétaires bretons, il sera encore, vers la toute fin de sa vie, maître d’hôtel pour le compte d’Anne de Bretagne.
Une œuvre critique et satirique
En matière poétique, Jean Meschinot nous a légué des textes engagés sur la morale du pouvoir autant que sur les exactions et les abus de celui-ci. Son œuvre majeure Les lunettes des Princes sera imprimée post-mortem. Le poète breton y imposera un style incisif et l’ouvrage connaîtra un succès important, en son temps, avec près d’une trentaine d’éditions. Pour en mesurer l’impact, c’est plus que ce qui fut réservé au Testament de Villon.
Nous avons déjà eu l’occasion d’en étudier quelques-unes ici, mais, en autres productions, le poète breton léguera encore 25 ballades caustiques contre le pouvoir de Louis XI en s’appuyant pour leurs envois, surLe Prince de Georges Chastelain, autre grand poète et chroniqueur du XVe siècle. Ces poésies satiriques suivent, assez souvent, les premières éditions des Lunettes des Princes.
Dans le courant du siècle suivant, Clément Marot rendra lui-même un hommage explicite à Jean Meschinot dans un épigramme en forme d’éloge aux plus grands poètes français. Le ver est demeuré célèbre : « Nantes la Brette en Meschinot se bagne. » Le Breton y trouvera bonne place, en compagnie de noms aussi prestigieux que Jean de Meung, Alain Chartier, Georges Chastelain, Octovien de Saint-Gelais, ou encore François Villon(1).
« Gens sans argent… » : une poésie amère sur l’indifférence envers les plus démunis
La ballade du jour est une autre belle pièce de poésie morale de Meschinot. Comme on le comprendra, sa propre détresse financière en est indubitablement la cause. Si le poète y fait un constat amer sur son temps, il ne s’agit donc pas d’une grande envolée sociale, comme on pourrait être tenté de l’interpréter, mais d’abord d’un témoignage sur sa propre condition et sur l’indifférence que ses propres difficultés suscitent aux yeux de la haute aristocratie bretonne.
Pour autant, comme d’autres auteurs avaient pu le faire dans le courant du Moyen Âge tardif (par exemple, Eustache Deschamps qui lui est antérieur ou Henri Baude qui lui est contemporain), Meschinot déplorera ici que l’avoir et les deniers en soient venus à supplanter les « mérites véritables » : ceux de classe, d’instruction ou encore ceux issus de valeurs et qualités morales.
Ainsi, il opposera les clercs instruits, les hommes bien nés, les humbles, les sages, les pauvres et les vertueux à tous ceux que la société et l’aristocratie de son siècle leur préfèrent, avec la complicité ouvertes des princes : autrement dit, les riches et les nantis, dussent-ils être renégats, voleurs, beaux parleurs ou même encore blasphémateurs. Meschinot ira même plus loin en déclarant que, depuis les temps bibliques, on ne connut de princes et de pouvoir plus permissifs envers les vices et les méfaits.
De ceux qui n’ont rien à « ceux qui ne sont rien »
« Dans la ploutocratie naissante du XVe siècle » comme la qualifiait, au fin du XIXe siècle, Arthur de la Borderie, historien français, biographe du poète breton (2), Mechinot relèvera donc, avec dépit, que celui qui n’a pas d’argent n’existe pas au regard du pouvoir et des jeux mondains : « Gens sans argent, ressemblent corps sans âme ». Totalement Invisibilisés, les miséreux sont condamnés à « n’être rien » aux yeux des princes que de pauvres enveloppes vides. Autrement dit, quand l’avoir se confond avec l’être, on finit par considérer, dans les hautes sphères, que « ceux qui n’ont rien, ne sont rien » : cela devrait rappeler quelques mauvais souvenirs à certains.
Pour conclure, dans sa grande détresse, Jean Meschinot en viendra même à souhaiter sa propre mort ce qui, en dehors des nombreuses allégories courtoises dont le Moyen âge est pavé (cf : je muir d’amourette) est assez peu commun dans la littérature médiévale et dans un tel contexte :Prince, ce mest a porter pesant fais, et desir estre plus que jamais, Avec les bons qui gisent soubz la lame, écrira-t-il. Autrement dit « Il me faut porter ce triste fardeau et je désire plus que jamais rejoindre les bons qui gisent sous la terre« .
Sources manuscrites médiévales
Jean Meschinot meurt à la toute fin du XVe siècle, moment où l’on entre à plein dans l’air de l’imprimerie. Pour les éditions « modernes », à partir de la première, datée de 1493, vous aurez donc l’embarras du choix. En cherchant un peu, vous en trouverez même un certain nombre en ligne datées de la fin du XVe et du XVIe siècles, que vous pourrez même vous amuser à déchiffrer.
La ballade satirique du jour dans le manuscrit ms Français 24314 de la BnF
En ce qui concerne des sources plus anciennes et manuscrites, vous pourrez vous reporter utilement au Manuscrit Français 24314 de la BnF (à consulter sur Gallica). Cet ouvrage, daté du XVe siècle, contient l’oeuvre de l’auteur breton sur quelques 146 feuillets. De notre côté, pour la transcription complète de cette ballade en graphie moderne, nous nous sommes appuyés sur l’édition des œuvres de Meschinot par Nicole Vostre (1522) : « Jehan Meschinot, escuier, en son vivant grant maistre d’hostel de la royne de France« , ainsi que sur l’édition d’Étienne Larcher, « poésies de Jehan de Meschinot », Nantes (1493).
Une réédition récente des œuvres de Meschinot
Si vous êtes intéressés par les œuvres de cet auteur médiéval, dans un format imprimé récent, il vous faudra être vigilant à ce que l’édition choisie contienne bien les additions originales des Lunettes des Princes de Meschinot et notamment les 25 ballades et autres textes de l’auteur.
En 2017, les éditions Len ont réédité un ouvrage qui semble correspondre à ces critères. Il se base sur une première édition de 1501 par le libraire Michel le Noir, ayant pour titre : « Les lunettes des princes avec aucunes balades et additions nouvellement composées par noble homme Jehan Meschinot et escuyer, en son vivant grant maistre dhostel de la Royne de France ». Vous devriez pouvoir commander ce livre broché chez votre libraire habituel. A défaut voici un lien utile pour le trouver en ligne.
Gens sans argent, ressemblent corps sans âme dans le moyen français de Meschinot
Fy d’estre fils de prince ou de baron Fy d’estre clerc ne d’avoir bonnes moeurs ! Ung renoyeurs (renégat), ung baveux, ung larron, Ung rapporteur ou bien grans blasphemeurs, Plus sont prisez aujourd’hui, — dont je meurs, Voyant ainsi les estats contrefaits (3) Qui a de quoy est en dicts et en faicts. Sage nommé et sans aucun diffame ; Mais les povres vertueux et parfaitz, Gens sans argent, ressemblent corps sans âme.
Depuis le temps que Moyse et Aaron firent a dieu prieres et clameurs Pour évader l’ire du roy pharaon Et de ses gens de leur peuple opprimeurs Ne furent moins les princes reprimeurs Des grans vices regnans et des meffais Tels qu’ils se font ne furent jamais fais. Raison pourquoi on n’ayme honneur ne fame Qui a le bruyt (la réputation, renommée), les riches et reffais Gens sans argent, ressemblent corps sans âme.
Or conviendra qu’a la fin reparon Les gras exces dont emplissons nos coeurs, D’autant que brin vault mieulx que reparon Et le bon fruict que les feuilles ou fleurs Valent vertuz plus que ces vains honneurs, Tresors mondains qui sont biens imparfaictz Les princes dont deussent heyr torsfaicts (haîr les meffaits, les forfaits) Aymer bonté donner aux maulvais blasme Mais tout ainsi qu’on bannist les infaitz (corrompus) Gens sans argent, ressemblent corps sans âme.
Prince, ce mest a porter pesant fais (triste fardeau), Et desir estre plus que jamais, Avec les bons qui gisent soubz la lame (4), Puisqu’aujourd’hui entre bons et maulvais, Gens sans argent, ressemblent corps sans âme.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
Notes
(1)Epigramme des poètes françois, à Salel De Jean de Meun s’enfle le cours de Loire En maistre Alain Normandie prend Gloire, Et plaint encore mon arbre paternel : Octavian rend Cognac éternel : De Molinet, de Jan le Maire et Georges Ceux de Haynault chantent à pleines gorges ; Villon, Cretin ont Paris décoré, Les deux Grebans ont le Mans honoré. Nantes la brette en Meschinot se baigne ; De Coquillard s’esjouyt la Champaigne ; Quercy, Salel, de toi se vantera, Et (comme croy) de moi ne se taira. Clément Marot – Œuvres complètes
(2)« Un mal toutefois sur lequel sa satire (celle de Meschinot) est abondante, verveuse, empressée, c’est la ploutocratie, dont le règne commençait déjà. » Arthur de la Borderie, “Jean MESCHINOT, sa vie et ses œuvres, ses satires contre louis XI”. Arthur de la Borderie (1865).
(3) « Les estats contrefaits », la condition de chacun est jugée contre toute raison et à l’envers de toute bienséance (ou plutôt préséance).