Archives de catégorie : Musiques, Poésies et Chansons médiévales

Vous trouverez ici une large sélection de textes du Moyen âge : poésies, fabliaux, contes, chansons d’auteurs, de trouvères ou de troubadours. Toutes les œuvres médiévales sont fournis avec leurs traductions du vieux français ou d’autres langues anciennes (ou plus modernes) vers le français moderne : Galaïco-portugais, Occitan, Anglais, Espagnol, …

Du point du vue des thématiques, vous trouverez regroupés des Chansons d’Amour courtois, des Chants de Croisade, des Chants plus liturgiques comme les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, mais aussi d’autres formes versifiées du moyen-âge qui n’étaient pas forcément destinées à être chantées : Ballades médiévales, Poésies satiriques et morales,… Nous présentons aussi des éléments de biographie sur leurs auteurs quand ils nous sont connus ainsi que des informations sur les sources historiques et manuscrites d’époque.

En prenant un peu le temps d’explorer, vous pourrez croiser quelques beaux textes issus de rares manuscrits anciens que nos recherches nous permettent de débusquer. Il y a actuellement dans cette catégorie prés de 450 articles exclusifs sur des chansons, poésies et musiques médiévales.

La complainte de Richard 1er d’Angleterre et la musique médiévale des productions Perceval

richard_coeur_de_lyon_chanson_complainte_poesie_musique_medievale_roi_poete_troubadourSujet :  musique, poésie, chanson, médiévale,  troubadour. complainte.
Titre : la complainte du prisonnier ou  Ja nuns hons pris, Ja nuls om pres
Epoque : moyen-âge central  (1193-1194?)
Auteur : le roi Richard Coeur de Lyon.
Langue originale :  occitan, langue d’oc
Interprètes : Ensemble Perceval
Album : 
« Minnesänger, Troubadours, Trouvères » (1998)
Label: ARTE NOVA Classics

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous vous proposons aujourd’hui l’écoute d’une nouvelle version de la complainte du prisonnier de Richard Coeur de Lion, cette fois-ci dans la langue originale de sa composition par le roi d’Angleterre et Duc de Normandie, soit en langue occitane.

Nous avions déjà parlé  ici des circonstances  et du contexte historique entourant cette complainte devenue célèbre, aussi  nous vous engageons à vous reporter à l’article la concernant, si vous souhaitez plus d’information :   Chanson et poésie médiévale, « la complainte du prisonnier » de Richard Coeur de Lion.

L’ensemble Perceval

C_lettrine_moyen_age_passionette très belle interprétation nous fournit l’occasion de parler d’une autre formation  spécialisée dans les musiques anciennes et médiévales avec comme ambition un parti pris de restitution sérieuse, sous-tendu par de longues recherches comparatives aux sources des manuscrits anciens. Il s’agit, cette fois, de l’ensemble Perceval.

musique_medievale_ancienne_luthiste_guy_robert_ensemble_perceval_complainte_richard_coeur_de_lionFondé et dirigé en 1979, par Guy Robert et par Katia Caré, l’Ensemble Perceval nous a légué  autour de douze albums à la recherche des sonorités, des musiques et de la poésie médiévales.

Instrumentiste, luthiste de renom, fondateur également de l’ensemble Guillaume de Machaut  en 1974, Guy Robert  s’était encore chargé en 1978 de la musique du film Perceval de Eric Rohmer qui propulsa le jeune Fabrice Luchini à l’écran et dans l’univers très ambitieux du réalisateur.  Le luthiste s’était alors inspiré de partitions  des XIIe et XIIIe siècles.

musique_medievale_ancienne_productions_perceval_katia_care_complainte_richard_coeur_de_lionAujourd’hui, le travail de recherche, de diffusion et d’interprétation insufflé par l’ensemble Perceval se poursuit avec les Productions Perceval. Sur le terrain musical, il a pris la forme d’une nouvelle formation du  nom de  Ligériana, ensemble vocal et instrumental  dirigé par  Katia Caré. Chanteuse soliste, flûtiste et directrice d’orchestre, cette artiste polyvalente était déjà  étroitement associée à la direction de l’Ensemble Perceval depuis sa création, ainsi qu’à la réalisation des albums dont, bien sûr,  celui dont le morceau du jour est extrait: « Minnesänger, Troubadours, Trouvères », album enregistré en  1998.

musique_medievale_ancienne_ensemble_productions_perceval_jean_paul_rigaud_chanteur_lyrique_barytonIl faut ajouter que   c’est le baryton  Jean-Paul Rigaud qui prête sa voix à  cette belle version occitane de la  complainte du prisonnier que nous vous proposons ici,  Ce chanteur lyrique d’exception, que vous aurez l’occasion de retrouver en collaboration avec de nombreuses autres formations médiévales, puisque c’est un répertoire dans lequel il s’est tout particulièrement spécialisé, est aussi directeur de l’Ensemble Beatus, autre formation dont nous aurons très certainement l’occasion de reparler ici.

Au niveau de ses activités, les Productions Perceval débordent largement du cadre des concerts et des tournées européennes pour proposer, en sus d’une discographie abondante et accessible à la vente en ligne, des actions culturelles, des ateliers pédagogiques, mais encore des expositions et d’autres événements autour du moyen-âge et des musiques anciennes. A noter que Katia Caré participe aussi activement  à la réalisation de programmes musicaux et télévisuels sur la chaîne ARTE.

Vous trouverez tout le détail de leurs activités et concerts sur leur site web très complet, ici même :   www.productions-perceval.com.

Les paroles de la complainte de Richard Coeur de Lyon en occitan

N_lettrine_moyen_age_passionous vous proposons donc cette fois-ci cette chanson dans sa langue d’oc originale. Vous pourrez retrouver également les   paroles en  vieux français ici .  Elles incluent quelques strophes qui n’apparaissent pas dans la  version occitane ci-dessous.

Ja nuls om pres non dira sa razon
Adrechament si com om dolens non
Mas per conort deu om faire canson
Pro n’ai d’amis mas paure son li don
Anta lur es si per ma rezenson
So çai dos ivers pres

Jamais nul homme pris ne dira sa pensée
De manière juste et sans fausse douleur ;
Mais il peut faire l’effort d’une chanson ;
J’ai beaucoup d’amis, mais pauvres sont leurs dons.
La honte sera sur eux si, faute de rançon,
Je reste deux hivers prisonnier

Or sapchon ben miei om et miei baron
Angles norman peitavin et gascon
Qu’ieu non ai ja si paure companhon
Qu’ieu laissasse per aver en preison
Non o dic mia per nula retraison
Mas anquar soi ie pres

Ils le savent bien, mes hommes et mes barons,
Anglais, Normands, Poitevins et Gascons :
Que jamais je n’eu si pauvre compagnon
Pour le laisser, faute d’argent, en prison.
Je ne le dis pas pour leur faire reproche
Mais je suis encore prisonnier.


Car sai eu ben per ver certanament

Qu’om mort ni pres n’a amic ni parent
E si’m laissan per aur ni per argent
Mal m’es per mi mas pieg m’es per ma gent
Qu’apres ma mort n’auran reprochament
Si çai me laisson pres

Maintenant, pour le voir, je sais parfaitement
Que morts ou prisonniers n’ont d’amis ni parents,
Et s’ils me laissent ici pour or ou pour argent
C’est bien mal pour moi, mais pire pour mes gens,
Qui jusqu’après ma mort se verront reprochés
S’ils me laissent  ici prisonnier

No’m meravihl s’ieu ai lo cor dolent
Que mos senher met ma terra en turment
No li membra del nostre sagrament
Que nos feimes els sans cominalment
Ben sai de ver que gaire longament
Non serai en çai pres

Je ne m’étonne plus si j’ai le coeur souffrant
Car mon seigneur* met ma terre en tourment
Il ne se souvient plus de notre serment
Que nous fîmes ensemble au Saint,
Mais je sais bien en vérité que guère longtemps
Je ne serai, en ces lieux, prisonnier

Suer comtessa vostre pretz sobeiran
Sal Dieus e gart la bela qu’ieu am tan
Ni per cui soi ja pres

Soeur comtesse, votre titre souverain
Vous sauve et vous garde de celui à qui je fais appel
Et qui me tient  prisonnier !

En vous souhaitant une  très belle journée !

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Une Epigramme de Clément Marot et quelques mots sur son édition de l’oeuvre de François Villon

poesie_medievaleSujet :  poésie médiévale,  François Villon, poète, épigramme, poésies courtes,  édition Villon.
Période : fin du moyen-âge, début renaissance
Auteur :  Clément Marot (1496-1544)
Titre : « Epigramme à Francois 1er sur Villon »

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionvec  l’arrivée du  mois de Mars, il sera bientôt temps de reprendre le chemin des événements et des fêtes médiévales qui nous reviennent déjà avec la promesse des beaux jours, mais comme il est encore un peu tôt pour le faire, nous publions  aujourd’hui,  une nouvelle épigramme de Clément Marot de Cahors que voici :

« Si, en Villon on treuve encore à dire,
S’il n’est reduict ainsi qu’ay pretendu,
A moy tout seul en soit le blasme (Sire)
Qui plus y ay travaillé qu’entendu :
Et s’il est mieulx en son ordre estendu
Que paravant, de sorte qu’on l’en prise,
Le gré à vous en doyt estre rendu,
Qui fustes seul cause de l’entreprise. »
Clément MAROT, (1496-1544)
Epigramme au Roy François Ier, sur  Françoys Villon (1532).

C’est cette fois-ci une poésie  qui, d’une certaine manière, réunit trois poètes:  l’auteur de l’épigramme Clément Marot lui-même, l’hommage qu’il rend au Roi François 1er,  mécène, grand amateur d’art et poète à ses heures, pour lui avoir demandé de réimprimer et rééditer François Villon, et enfin l’hommage qu’il fait directement dans ses lignes à Villon lui-même.  Le roi, Marot lui-même nous l’apprend, était un grand amateur de Villon. Qu’on ne pense pas pourtant que le grand Maistre de poésie médiévale ait dû  attendre si longtemps poesie_litterature_medievale_clement_marot_oeuvres_francois_villon_edition_ancienne_1533_renaissancepour être révélé. De la plus ancienne édition connue de l’oeuvre de Villon parue en 1489, à celle de Marot, datant de 1533, on retrouve, en effet, ce dernier publié dans plus de neuf autres éditions, en l’espace de ces quelques quarante années.

Si la popularité de ce dernier était alors indéniable, l’édition de Marot « les oeuvres de François Villon de Paris, revues et remises en leur entier par Clément Marot, Valet de chambre du Roy » est  pourtant reconnue comme la première à rendre véritablement justice au poète médiéval, en publiant son oeuvre dans son intégralité, Plus loin, Marot fera également un  véritable travail de fond pour restituer le texte de l’auteur au plus proche du verbe original, fustigeant au passage les imprimeurs pour leur négligence dans le traitement de l’oeuvre originale de Villon : coquilles variées, libertés prises avec le texte, et par dessus tout,  attribution à l’auteur médiéval de poésies dont il n’est pas l’auteur, ce que Marot résumera  au début de son ouvrage avec ses deux simples vers qui disent bien son ambition:

« Peu de Villons en bon savoir
Trop de Villons pour decevoir »
poesie_litterature_citation_medievale_epigramme_clement_marot_francois_villon_moyen-age_tardif_renaissance

C’est donc tout à la fois avec son expérience d’éditeur (il a publié quelques années auparavant le roman de rose), et toute l’exigence  et la rigueur de l’auteur et poète qu’il est lui-même que Clément Marot se posera en véritable défenseur du verbe de Villon et de son oeuvre originale. Il y mettra même, sans doute, plus d’exigence que Villon en avait lui-même projeté de son vivant, déjà conscient qu’il était que son oeuvre serait galvaudée, élargie ou même modifiée. Faut-il voir là deux conceptions de la notion d’oeuvre et d’auteur? L’une médiévale finissante qui n’a pas encore tout à fait mis en place une définition stricte du statut d’auteur et qui considère même poesie_litterature_medievale_clement_marot_oeuvres_francois_villon_edition_ancienne_1533_renaissance_2l’oeuvre comme quelque chose de vivant et « d’élastique », une sorte de patrimoine « collectif » dans un monde qui privilégie encore de manière forte l’oralité, et l’autre plus résolument renaissante qui entend cerner déjà plus précisément les contours de l’auteur, pour  le séparer de  ce que l’on pourrait nommer « un corpus ». Certains historiens le pensent et l’avancent.

Quoiqu’il en soit, le public saura reconnaître la qualité du précieux travail de Marot puisque son édition rencontrera un franc succès et sera republiée dix fois, de sa première parution à l’année 1542. Elle fera longtemps autorité et il faudra même attendre le XIXe siècle pour la voir remise en question et critiquée à la faveur des nouvelles méthodologies dont se sera alors dotée l’Histoire: datation, authentification des sources et également accès à un nombre plus large de documents anciens sur l’oeuvre de Villon.

Quelques articles complémentaires utiles
sur l’édition de  Marot :

Si vous souhaitez creuser un peu plus le sujet, voici quelques sources très utiles  comme point de départ :

L’édition des Œuvres de Villon annotée par Clément Marot, ou comment l’autorité vient au texte, de Pascale Chiron

Clément Marot éditeur et lecteur de Villon, de  Madeleine Lazard , sur Persée.

Les oeuvres de Françoys Villon, de Paris, par Clément Marot, le manuscrit original, sur Gallica, site de la Bnf

En vous souhaitant un belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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« Joie, plaisance et douce nourriture », un chant royal du XIVe siècle de Guillaume de Machaut

Guillaume-de-Machaut_trouvere_poete_medieval_moyen-age_passionSujet : musique médiévale, chant royal, maître de musique, chanson, amour courtois.
Titre : Joie, plaisance et douce nourriture
Auteur: Guillaume de Machaut (1300-1377)
Période : XIVe siècle, Moyen Âge central
Interprète : Ensemble Gilles de Binchois
Album : Guillaume de Machaut,  le jugement du roi de Navarre  (1999)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons un peu de la belle musique et de la poésie de  Guillaume de Machaut, grand compositeur de musiques du moyen-âge central, et une pièce interprétée ici pour nous par le très talentueux ensemble Gilles de Binchois.

Ce chant royal puise dans les œuvres profanes du grand compositeur du XIVe et  est extrait d’un  album que la formation Gilles de Binchois  dirigée par  Dominique Vellard  lui dédiait alors entièrement, en 1999.

Le remède de la fortune : pièce d’amour courtois

 La nature monophonique de ce chant le situe encore dans l’héritage des trouvères et des troubadours.  Il est tiré de  la longue poésie  « Le remède de Fortune » que l’auteur écrivit et mit en musique, autour de  l’année 1341. Cette longue pièce d’amour courtois qui contient sept poésies est considérée  comme ayant notablement influencé  son temps, au niveau musical comme au niveau poétique. L’œuvre conte les déboires d’un poète amoureux de sa dame et qui tardera à lui confesser, mais finira tout de même par oser s’en ouvrir à elle.  Elle  lui fournit l’occasion d’une initiation à l’amour courtois autant qu’à l’art poétique.

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Manuscrit ancien et sources médiévales

On retrouve le remède de fortune ainsi que huit autres pièces et poèmes de  Guillaume de Machaut dans le manuscrit ancien référencé Manuscrit Fr 1586  datant de 1356-1360 et donc contemporain de l’auteur.  Le titre en est :  Œuvres poétiques de Guillaume de Machaut. Et Si le cœur vous dit de le consulter, vous pourrez le trouver à l’adresse suivante sur l’excellent site Gallica de la BnF : Manuscrit FR 1586, manuscrit ancien fr1586 musique poesie medievale guillaume de machautGuillaume de Machaut.

Il y a décidément autour de ce compositeur de l’excellence autant  dans sa musique et  sa plume que dans les manuscrits dont le monde médiéval nous a gratifiés à son sujet. Outre qu’il est parfaitement conservé, l’ouvrage en question  contient, en effet, des enluminures d’exception et est même, à ce jour,  considéré par des historiens et experts de ces questions comme  une des œuvres majeures du XIVe siècle en matière d’enluminures. Son commanditaire autant que son destinataire nous sont restés inconnus autant que le nom de  l’artiste principal qui  l’a illustré.

Le remède de fortune, référence musicale et poétique du XIVe siècle, enluminure Manuscrit FR1586 Gilles de Machaut (1356-1360)
Le remède de fortune, référence musicale et poétique du XIVe siècle, enluminure Manuscrit Gilles de Machaut (1356)

Les paroles de Joie, plaisance et douce norriture  de Guillaume de Machaut

Joie, plaisance, et douce norriture
Vie d’onnour prennent maint en amer;
Et pluseurs sont qui n’i ont fors pointure,
Ardour, doulour, plour, tristece, et amer,
Se dient, mais acorder
Ne me puis, qu’en la souffrence
D’amours ait nulle grevance,
Car tout ce qui vient de li
Plaist a cuer d’ami;

Car vraie Amour en cuer d’amant figure
Trés dous Espoir et gracieus Penser:
Espoirs attrait Joie et bonne Aventure;
Dous Pensers fait Plaisence en cuer entrer.
Si ne doit plus demander
Cils qui a bonne Esperance,
Dous Penser, Joie et Plaisance,
Car qui plus requiert, je di
Qu’Amours l’a guerpi.

Dont cils qui vit de si douce pasture
Vie d’onneur puet bien et doit mener,
Car de tous biens a comble mesure,
Plus qu’autres cuers ne saroit desirer,
Ne d’autre merci rouver
N’a desir, cuer, ne bëance,
Pour ce qu’il a souffissance;
Et je ne say nommer ci
Nulle autre merci.

Mais ceaus qui sont en tristesse, en ardure,
En plours, en plains, en dolour sans cesser,
Et qui dient qu’Amours luer est si dure
Qu’il ne peulent sans morir plus durer,
Je ne puis ymaginer
Qu’il aimment sans decevance
Et qu’en eaus trop ne s’avance
Desirs. Pour ce sont einsi,
Qu’il l’ont desservi.

Qu’Amours, qui est de si noble nature
Qu’elle scet bien qui aimme sans fausser,
Scet bien paier aus amans leur droiture:
C’est les loiaus de joie säouler
Et d’eaus faire savourer
Ses douceurs en habundance;
Et les mauvais par sentence
Sont com traïtre failli
De sa court bani.

Amours, je say sans doubtance
Qu’a cent doubles as meri
Ceaus qui t’ont servi.


En vous souhaitant une  merveilleuse journée.

Frédéric EFFE
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La Paix de Rutebeuf ou l’amitié trahi par l’ivresse du pouvoir

pauvre_rutebeuf_poesie_medievale_occitan_joan_pau_verdierSujet : poésie médiévale, poésie réaliste, satirique, trouvère, vieux français, langue d’oil, adaptation, traduction
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur ; Rutebeuf (1230-1285?)
Titre : La paix de Rutebeuf

Bonjour à tous,

S_lettrine_moyen_age_passion‘il n’a pas inventé l’usage du « Je » dans la poésie médiévale, Rutebeuf s’est mis en scène de telle manière dans son oeuvre qu’il semble bien avoir avoir ouvert les portes d’un genre  à part entière dans cet exercice.

deco_frise_medevial_eustache_deschampsBien sûr, il ne s’agit pas avec lui  du « Je » de l’amant transis de l’amour courtois, condamné à convoiter un impossible objet de désir et prisonnier de sa « noble » passion. Non. Le « Je » de Rutebeuf, est bien plus proche de celui de la poésie des Goliards. et c’est aussi celui de l’homme en prise avec son temps, son quotidien, ses travers et ses misères. Il  évolue dans un espace tout à la fois, psychologique, ontologique, social et politique. Il ouvre sur la complainte, la moquerie, la satire sociale et l’auto-dérision, et comme toute satire, il contient encore,  dans le creux de ses lignes, une forme de poésie morale. Dans cet espace où il se tient à découvert, Rutebeuf fait de lui-même, tout à la fois son perpétuel sujet et objet, geignant autant qu’il se rit de ses propres déboires et de ses infortunes, dans une logorrhée qui pourrait, par instants, par ses redondances, donner le  vertige.

De l’auteur à la scène et du je au jeu

De fait, sans parler de ses jeux de langage et de mots qu’il nous coûte parfois de comprendre avec le recul du temps, la limite est si ténue chez lui du drame au rire qu’on a encore du mal, quelquefois, à remettre en perspective son humour. Il est jongleur et trouvère. Ces textes sont donc souvent, on le suppose, joués devant un public  de nobles et de gens de cour mais pas uniquement (voir article sur la place de Grève).

Dans ce passage de l’écrit à l’oral, ou dit autrement des textes qui deco_frise_medevial_eustache_deschampsnous sont parvenus de Rutebeuf au personnage scénique qu’il s’était composé, on peut se demander jusqu’à quel point il forçait le trait dans ses lectures publiques. Allait-il jusqu’à la caricature? Pardon d’avance pour cet anachronisme, mais par instants, il est plaisant d’imaginer que, peut-être, il mettait dans son jeu une touche de Comedia dell’arte, ou disons, pour être plus conforme à son époque, de « farce », que la lecture de ses textes ne peut seule refléter: des rires ajoutés, des regards silencieux et des sous-entendus, le jeu peut-être de ses mains, le mouvement de ses yeux qui roulent de manière comique, etc… Tout s’éclairerait alors différemment et c’est un autre Rutebeuf qui prendrait vie sous nos yeux. Dans sa dimension scénique et  la   distance de  la personne au personnage, dans celle encore du texte littéral à sa représentation, le poète et ses mots prendraient, tout à coup, une autre épaisseur faisant naître une infinité de nuances et de degrés que nous avons peut-être perdu en cours de route.

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Bien sûr, dans cette vision théâtralisée et hypothétique qui n’engage que notre imagination et, à travers la « farce » que deviendrait alors sa prestation, les lignes du drame demeureraient sous le vernis des facéties de l’acteur. Mais pour faire rire en public, avec certains de ses textes, ne fallait-il pas que son jeu rééquilibre ce « Je » en déséquilibre permanent et en perpétuel  disgrâce ? Ou n’est-ce qu’un effet du temps que de penser qu’il fallait nécessairement que Rutebeuf en rajoute pour couvrir d’un voile de pudeur et d’humour cette inflation de « Je » qui sombre, si souvent, dans l’auto-apitoiement ? Alors, un brin de caricature scénique pour ne pas que le tout demeure trop indigeste est-il plausible ? L’hypothèse reste séduisante, mais hélas invérifiable.

deco_frise_medevial_eustache_deschampsBien sûr, peut-être encore que certains de ses textes,  en forme de règlement de compte « moral », laissent  si peu de place à l’humour qu’ils n’étaient pas destinés à être lus publiquement ou peut-être seulement devant une audience choisie? Comment faire le tri? Nous en savons, au fond, si peu sur lui.  C’est un peu le cas de cette poésie du jour aux traits satiriques, amers et acides dans laquelle on n’a tout de même du mal  à  entrevoir l’humour, même en le cherchant bien.  De la même façon, si nous ne savons plus avec certitude à qui Rutebeuf destinait les vers de cette « paix », on s’imagine bien que certains de ses contemporains ne pouvaient l’ignorer. Le texte en question  pourrait prendre alors les contours d’un véritable affront pour celui auquel il se destinait et on a du mal à l’imaginer jouer devant un parterre de nobles visés directement ou indirectement par ses lignes. Et s’il l’a fait, on a du mal croire que la barrière du pseudonyme dont il s’est affublé comme une excuse préalable de sa rudesse ait pu suffire, seule, à lui servir de rempart.

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La « Paix » de Rutebeuf

Aujourd’hui, l’auteur médiéval nous parle encore de ses déboires en amitié comme il le faisait dans son « dit de l’Œil ». Il en profite pour dresser le portrait acide d’un « ascenseur social » qui élevant vers les sommets « l’homme de condition moyenne » (en réalité un noble de petite condition) au rang de seigneur lui fait laisser derrière lui ses amis, et notamment l’auteur lui-même. En un mot Rutebeuf règle  ici ses comptes. Jeux de cour, flatterie, voilà l’ami transfiguré, manipulé et entouré de parasites. Et lui deco_frise_medevial_eustache_deschamps encore, pauvre Rutebeuf, victime laissée à la porte d’une réussite et d’une amitié qui  se sont refermées devant lui, trace de sa plume vitriolée l’ingratitude de l’ami, tout en nommant sa poésie d’un titre qui vient, tout entier, en contredire le propos.  Il est en paix, dit-il et pourtant, il tire à boulets rouges tout du long, sur celui qui, à la merci de ses flatteurs et plein de son nouveau statut, l’a trahi.

Pour le reste, « Benoit est qui tient le moyen » dira quelques deux siècles plus tard Eustache DESCHAMPS paraphrasant Horace et Rutebeuf  encense ici, d’une certaine façon, cette même médiocrité dorée ou la « voie moyenne » qui préfère la fraicheur de l’ombre aux lumières du pouvoir et de la trop grande richesse affichée. Assiste-t’on ici à la naissance d’une poésie « bourgeoise »? Plus que de bourgeoisie, en terme de classe, nous sommes bien plutôt face  à la  petite noblesse et à la poésie de clercs qui en sont issus. La référence à  cet « homme de condition moyenne » ou ce  « moyen » là se situe déjà au dessus des classes populaires ou bourgeoises d’alors.

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Les paroles en vieux français
& leur adaptation en français moderne.

C’est la paiz de Rutebués

Mon boen ami, Dieus le mainteingne!
Mais raisons me montre et enseingne
Qu’a Dieu fasse une teil priere:
C’il est moiens, que Dieus l’i tiengne!
Que, puis qu’en seignorie veingne,
G’i per honeur et biele chiere.
Moiens est de bele meniere
Et s’amors est ferme et entiere,
Et ceit bon grei qui le compeingne;
Car com plus basse est la lumiere,
Mieus voit hon avant et arriere,
Et com plus hauce, plus esloigne.

Mon bon ami, Dieu le protège!
Mais la raison m’invite  et m’enseigne
A  faire à Dieu une prière:
S’il est de condition moyenne, Dieu l’y maintienne!
Car quand il s’élève en seigneur.
J’y perds  bon accueil et honneurs,
L’homme moyen a  de belles manières
Son amitié est droit et sincère.
Et  traite bien ses compagnons (sait gré à qui le fréquente)
Car plus basse est la lumière,
Plus elle éclaire de tous côtés,
Et plus elle  s’élève, plus elle s’éloigne.

Quant li moiens devient granz sires,
Lors vient flaters et nait mesdires:
Qui plus en seit, plus a sa grace.
Lors est perduz joers et rires,
Ces roiaumes devient empires
Et tuient ensuient une trace.
Li povre ami est en espace;
C’il vient a cort, chacuns l’en chace
Par groz moz ou par vitupires.
Li flateres de pute estrace
Fait cui il vuet vuidier la place:
C’il vuet, li mieudres est li pires.

Quand le moyen devient grand Sire,
Lors vient  flatterie et médisance:
Qui mieux les pratique, plus reçoit ses grâces.
Lors sont perdus les jeux, les rires,
Son royaume devient empire
Et tous prennent ce même chemin.
L’ami pauvre  en est écarté;
S’il vient  à  la cour, on   l’en chasse
Par l’injure ou  les grossièretés.
Le flatteur de vil extraction
Vide l’endroit de  qui  il veut:
Et s’il veut, fait passer le meilleur pour le pire.

Riches hom qui flateour croit
Fait de legier plus tort que droit,
Et de legier faut a droiture
Quant de legier croit et mescroit:
Fos est qui sor s’amour acroit,
Et sages qui entour li dure.
Jamais jor ne metrai ma cure
En faire raison ne mesure,
Ce n’est por Celui qui tot voit,
Car s’amours est ferme et seüre;
Sages est qu’en li s’aseüre:
Tui li autre sunt d’un endroit.

L’homme puissant qui croit le flatteur
Fait souvent  plus de tord que de bien,
Et facilement manque de droiture
Puisque aisément il donne ou reprend  sa confiance:
Fou est celui qui se fie à  son amitié* (*bons sentiments)
et sage, qui reste auprès de lui sans cesse.
Jamais plus je ne mettrai mes attentions
sans compter et sans mesurer,
Si ce n’est pour celui qui voit tout,
Car son amitié est  ferme et solide;
Sage est  qui se fie à lui:
Les autres  sont tous les mêmes.

J’avoie un boen ami en France,
Or l’ai perdu par mescheance.
De totes pars Dieus me guerroie,
De totes pars pers je chevance:
Dieus le m’atort a penitance
Que par tanz cuit que pou i voie!
De sa veüe rait il joie
Ausi grant com je de la moie
Qui m’a meü teil mesestance!
Mais bien le sache et si le croie:
J’avrai asseiz ou que je soie,
Qui qu’en ait anui et pezance.

J’avais un bon ami en France,
La  malchance* me l’a fait perdre. (malheur)
De toute part Dieu me guerroie,
De toute part, je perds mes moyens de subsister:
Dieu me compte pour pénitence
Que d’ici peu,  je ne verrais plus!
Qu’avec sa vue, il ait tant de joie
Qu’il m’en reste avec la mienne
Celui qui  m’a mis dans un tel pas!
Mais qu’il sache bien et qu’il le croit:
J’aurais assez ou que je sois,
Qui  que cela gène ou ennuie.

Explicit.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
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