Archives de catégorie : Musiques, Poésies et Chansons médiévales
Vous trouverez ici une large sélection de textes du Moyen âge : poésies, fabliaux, contes, chansons d’auteurs, de trouvères ou de troubadours. Toutes les œuvres médiévales sont fournis avec leurs traductions du vieux français ou d’autres langues anciennes (ou plus modernes) vers le français moderne : Galaïco-portugais, Occitan, Anglais, Espagnol, …
Du point du vue des thématiques, vous trouverez regroupés des Chansons d’Amour courtois, des Chants de Croisade, des Chants plus liturgiques comme les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, mais aussi d’autres formes versifiées du moyen-âge qui n’étaient pas forcément destinées à être chantées : Ballades médiévales, Poésies satiriques et morales,… Nous présentons aussi des éléments de biographie sur leurs auteurs quand ils nous sont connus ainsi que des informations sur les sources historiques et manuscrites d’époque.
En prenant un peu le temps d’explorer, vous pourrez croiser quelques beaux textes issus de rares manuscrits anciens que nos recherches nous permettent de débusquer. Il y a actuellement dans cette catégorie prés de 450 articles exclusifs sur des chansons, poésies et musiques médiévales.
Sujet : folk néo-médiéval, musique monde médiéval, théâtre visuel Groupe : Strella do Dia (étoile du jour) Répertoire : manuscrits, danses et chants historiques Origine : Portugal Création du groupe : 2000
Bonjour à tous,
ous vous proposons, aujourd’hui, de la musique médiévale aux notes « folk », en provenance du sud de l’Europe avec les troubadours de Strella do Dia, une bande d’artistes portugais qui s’attelle à faire revivre le moyen-âge musicalement et visuellement.
Né dans les années 2000, le groupe parcoure les festivals historiques et médiévaux d’ici et d’ailleurs pour faire partager leur passion de la musique et du monde médiéval. S’appuyant sur des sources historiques d’époque, on leur doit, à ce jour, trois albums dans lesquels ils reproduisent des titres inspirés de manuscrits aussi variés que les Cantigas de Santa Maria, les Carmina Burana, le Livre Vermeil de Montserrat, ou encore les Cantigas de Amigo; manuscrit composé au XIIIe siècle par Martin Códax, les Cantigas de Amigo sont aussi un genre poétique galéco-portugais dans le registre de l’amour courtois. Dans leur répertoire et leur production, ce groupe de troubadours des temps modernes, fait aussi revivre des danses médiévales comme l’Estampie, la Saltarelle et la Ductia. Vous pourrez trouver plus d’informations sur leurs productions ainsi que leur programme de festivals sur leur site web (version française), ainsi que sur leur chaîne youtube. Ils semblent tout de même se produire plus largement au Portugal et en Espagne, c’est dire si dans ces pays là également, les festivals et autres festivités autour de la période médiévale ne manquent pas.
omme toujours, quand le moyen-âge s’invite dans notre monde moderne, son héritage historique et musical laisse place à la libre interprétation et c’est plutôt vers des notes folks et des rythmes enlevés que le groupe portugais nous entraîne. Il faut souligner, ici, les moyens sérieux investis dans la réalisation de la plupart de leurs vidéos autant que la qualité dans la prise de son. Ce sont des choses qui ne sont, hélas, pas toujours au rendez-vous pour valoriser à leur juste mesure les productions de ce type de troubadours et de groupe musical.
En vous souhaitant une très belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes
Sujet : musique, poésie médiévale, troubadour, trouvère, sirventès, poésie satirique Thême : croisade, amour courtois Période : Moyen Âge central Auteur : Thibaut IV de Champagne, Comte de Champagne, Roi de Navarre, Thibaut le chansonnier (1201-1253). Titre : Au tans plein de félonie. Interprète :Alla Francesca (ci-contre Blason de Navarre)
« Thibault fut roi galant et valeureux, Ses hauts faits et son rang n’ont rien fait pour sa gloire, Mais il fut Chansonnier, et ses couplets heureux, Nous ont conservé sa mémoire. » Citation de Pierre René Auguis (1783-1844)
Bonjour à tous,
oici une nouvelle chanson et poésie de Thibaut de Champagne, comte de Champagne, roi de Navarre et troubadour du XIIIe siècle, que l’on surnomme aussi Thibaut le chansonnier, et dont nous avions déjà présenté, ici, le chant de croisade. Cette fois, le roi poète nous entraîne dans une critique sur la corruption de son temps, à la manière dont le faisaient les troubadours avec les Sirventès.
LesSirventès (Sirvente) désignent un genre poétique dans lequel les troubadours provençaux des XIIe et XIIIe siècles critiquaient et prenaient à partie les « vices » ou les problèmes de leur temps; c’étaient donc des poésies de nature satirique, politique ou morale. A partir de la fin du XIIIe siècle, il semble que le mot ait effectué un glissement sémantique pour désigner des poésies à consonance plus religieuse de type louanges (photo ci-dessus, troubadour médiéval jouant de la vièle, British Library).
Le roi de Navarre nous parle encore de croisades dans cette poésie, mais d’une manière bien largement plus désabusée qu’il ne le fera plus tard dans son « chant de croisade ». Le texte « Au temps plein de félonie » est, de fait, antérieur au très fort et très guerrier: « Seigneur Sachiez qui or ne s’en ira » que Thibaut de Champagne écrira, une dizaine d’années plus tard, en 1237, alors qu’il sera lui même désigné pour conduire, avec le duc de Bourgogne et Richard de Cornouailles, la sixième croisade, dite « croisade des Barons« .
Pour l’heure et au moment de cette chanson, l’amour tient le Comte de Champagne « en sa prison » et il ne veut se résoudre à partir, mais il fait aussi le constat de tant de fausseté et de corruption en observant les seigneurs et barons autour de lui qu’il ne veut les encourager à se croiser pour de mauvaises raisons et surtout dans de mauvaises dispositions. Tous ces seigneurs qui vivent dans l’abondance et loin des chemins de droiture ne pourraient-ils créer plus de nuisances en Terre Sainte et en Syrie que de bien en y allant guerroyer sans s’être amender?
Il fait également allusion à l’excommunication par le pape Grégoire IX du Saint Empereur Germanique Frédéric II, Frédéric de Hohenstaufen, Roi de Germanie, de Sicile et Roi de Jérusalem. La papauté perdant patience et refusant d’entendre les raisons politiques pour lesquelles Frédéric II n’en finissait pas de différer son départ, prit cette décision à son encontre en 1227. Il faut dire qu’en plus de montrer des velléités de conquête sur le territoire italien, au moment où le pape Grégoire IX pris cette décision, l’Empereur avait pris la croix plus de dix ans auparavant, sans qu’aucune expédition n’ait été montée. On appelle d’ailleurs cette période « la fausse croisade » et le pape Grégoire IX dut d’ailleurs lancer un nouvel appel pour que la sixième croisade soit effectivement engagée. Quoiqu’il en soit, au moment de rédiger ce texte, la décision d’excommunier Frédéric II est, à l’évidence, loin de rallier l’approbation de Thibaut de Champagne.
Outre le contexte sur le territoire et cet amour qui le retient, il y a, peut-être, à travers cette tiédeur qu’il semble montrer à se croiser un sens critique que l’on commençait alors à tirer à l’égard de certaines croisades? L’enthousiasme des premières expéditions en Orient étant désormais loin derrière, peut-être les échecs de la cinquième croisade (concile du Latran, 1215) pèsent-ils encore sur l’état d’esprit du roi troubadour? Au fond, ce n’est pas que Thibaut de Champagne s’y oppose en tous points, mais il ne semble que trouver des raisons de ne pas s’y résoudre. Il reste difficile pourtant de l’affirmer totalement pour une raison simple: quand on écume les différentes traductions du XIXe au XXe siècle de ce texte, on s’y perd quelquefois un peu. Les traductions vont du poète qui enjoint les autres à s’amender pour pouvoir partir, à celles qui penchent plus nettement du côté d’une claire démotivation de sa part même si ce sont tout de même ces dernières interprétations qui l’emportent. Quoiqu’il en soit et comme nous l’avons dit plus haut, au moment où il sera directement appelé pour la croisade des barons, près de dix ans plus tard, Thibaut de Champagne sera nettement plus motivé et le ton aura indubitablement changé. (portrait ci-dessus, dix ans après au temps plein de félonie, Thibaut de Champagne s’apprête à partir en croisade, portrait espagnol).
Au tans plein de félonie, les paroles en vieux français
Au tans plein de felonie D’envie et de traïson, De tort et de mesprison, Sanz bien et sans cortoisie, Et que entre nos barons Faisons tot le siecle empirier, Que je voi escomenïer Ceus qui plus offrent reson, Lor vueil dire une chançon.
Li Roiaumes de Surie, Nous dit, & crie à haut ton, Se nos ne nos amendon Por Deu, que n’i alons mie, N’i ferions se mal non : Dex aime fin cuer droiturier De tel gent se veut aidier Cil essauceront son nom, Et conquerront sa maison
Encor aim mielz toute voie Demorer ou saint païs Que aler povres, chaitis La ou ja solas n’auroie. Phelipe, on doit paradis Conquerre par mesaise avoir, Que vos n’i troverez ja, voir, Bon estre, ne jeux, ne ris, Que vos aviëz apris.
Amors a coru en proie Et si m’en meine tot pris En l’ostel, ce m’est avis, Dont ja issir ne querroie, S’il estoit a mon devis. Dame, de cui biautez fet oir, Je vos faz or bien a savoir, Ja de prison n’istrai vis, Ainz morrai loialz amis.
Dame, moi couvient remaindre, De vos ne me quier partir. De vos amer et servir Ne me soi onques jor faindre, Si me vaut bien un morir L’amor qui tant m’assaut souvent. Ades vostre merci atent,
Que bien ne me puet venir Se n’est par vostre plaisir. Chançon, va moi dire Lorent Qu’il se gart bien outree ment De grant folie envahir, Qu’en li auroit faus mantir.
Au Temps plein de félonie
Les paroles adaptées en Version Française.
En ce temps plein de félonie D’envie et de trahison, D’injustice et de méfaits, Sans bien et sans courtoisie, Tandis qu’entre nous, barons, Nous ne faisons qu’empirer les choses Et que je vois être excommunier Ceux qui se montrent les plus sensés,* Je veux dire une chanson. (* l’excommunication de Frédéric II)
Le Royaume de Syrie, Nous dit & crie à voix haute, Que sauf à nous amender Mieux vaut ne pas se croiser Car nous n’y ferions que du mal: Dieux aime les cœurs qui sont droits C’est sur eux qu’il veut s’appuyer; Et ceux là exhausseront son nom Et conquerront son paradis. (ce paragraphe a disparu d’un certain nombre de versions)
Encore vaut-il mieux que tout cela Demeurer en son Pays Plutôt qu’aller, pauvre et malheureux, Là où il n’y a ni joie, ni bonheur; Philippe*, on doit conquérir le paradis, par les privations car vous n’y trouverez pas bien-être, jeux et rires Dont vous aviez pris l’habitude. (* Philippe de Nanteuil, chevalier qui se croisa avec Thibaut de Navarre.)
L’amour a poursuivi sa proie Et il m’emmène captif Dans la demeure d’où, je crois, Je ne chercherai pas à sortir, S’il ne dépendait que de moi. Dame, à la beauté si grande, Je vous le fais bien savoir, Je ne sortirai jamais vivant de cette prison, Mais j’y mourrai en ami loyal.
Dame, il me faut rester, Car je ne puis me séparer de vous Jamais je n’ai pu feindre De vous aimer et vous servir. Et pourtant, il vaut bien un « mourir » L’amour qui si, souvent, m’assaille. Sans cesse j’attends votre merci Car bien ne me peut venir Si ce n’est par votre plaisir.
Chanson, va pour moi dire à Laurent Qu’il se garde autant qu’il peut D’entreprendre de grandes folies, Car il n’y aurait là que l’œuvre d’un faux martyre.
Merci à nouveau à l’ensemble médiéval Alla Francesca pour cette belle interprétation!
Longue vie et un beau dimanche à tous! Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
Sujet : musique médiévalen culte marial, Cantigas de Santa Maria Période : XIIIe siècle Auteur : Alphonse X de Castille Interprète : Jordi Savall Titre: Cantiga 248 Album : La Lira D’esperia II
Galicia, Editeur : Alia Vox (2014)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous présentons une pièce du XIIIe siècle, interprétée par le grand musicien, violiste, violoncelliste, chef de coeur et chef d’orchestre catalan Jordi Savall. Il s’agit d’une recréation d’une des pièces des Cantigas de Santa Maria, un manuscrit de poésies et de chansons galaïco-portugaises datant du règne du roi de Castille Alphonse X le sage, (Alfonso X el sabio). L’instrument que l’artiste utilise ici est un rabel (ou rebab). C’est un instrument ancien à cordes et à archet que l’on retrouve en occident dans le moyen-âge et qui provient d’Orient. Sa présence est, semble-t-il, attestée avant le XIIIe siècle, mais on le trouve également dans le manuscrit d’époque des cantigas dont provient le morceau que nous vous proposons aujourd’hui. Il en existe plusieurs formes (voir photo en haut de l’article et photo plus bas également).
Alphonse X roi de Castille et de Léon,
Dit Alphonse le sage, ou le savant
lphonse X, dit le sage ou le savant, fut roi de Castille entre 1252 et 1284. Il a connu un règne relativement mouvementé fait de rebellions, puis de querelles de succession. Ce souverain de Castille et de Léon a, à double titre, mérité ses appellations de sage et de savant. Pour le côté sage, s’il n’a pas rencontré de grand succès militaires dans ses tentatives d’annexion des royaumes voisins, pas plus que dans la guerre contre les Maures – dont certains auteurs lui reprochent quelquefois de ne pas l’avoir menée de manière assez marquée, même si très jeune il contribua tout de même à la reconquête de Murcia et plus tard de Seville – , Alphonse X a su mener un politique économique très bénéfique pour son royaume, réformant la monnaie, encourageant la création de nombreux marchés et créant encore de nombreuses réformes dans le domaine législatif, judiciaire et légal. Il essaya aussi, mais sans succès, durant une grande partie de son règne d’être sacré Saint empereur germanique mais n’y accéda pas, obtenant, tout de même, le titre de roi des romains. (ci contre la statue d’Alphonse X de Castille, devant la bibliothèque nationale de Madrid)
Pour le côté savant, Alphonse X fut un érudit dans des domaines aussi variés que l’Histoire, les sciences, le Droit, l’astronomie, mais aussi la littérature et la poésie. Il finance et parraine un réseau d’intellectuels latins, chrétiens, islamiques et juifs, connu sous le nom de l’école des traducteurs de Tolède. Ils traduiront et retranscriront pour lui de nombreux ouvrages. Il participera également activement à ses travaux en mettant sa plume à contribution. De fait, On lui doit des chroniques historiques et des traités judiciaires, mais encore des ouvrages sur l’astronomie, sur les jeux, sur les échecs ou même sur les fables, On lui reconnait aussi d’avoir donné un nouveau souffle à la prose castillane en contribuant à l’enrichir avec des apports latins, arabes, et encore hébraïques.
n reconnaissance de sa contribution dans le domaine des sciences, l’astronome Giovanni Riccioli, nomma même, en 1651, un cratère de la lune en l’honneur du roi de Castille : le cratère Alphonsus. Il se nommait au départ « Alphonsus Rex » mais plus tard, après que les noms furent normalisés, le « Rex » disparut et il n’en resta qu’Alphonsus.
D’un point de vue musical et poétique, Alphonse X le sage laissa des chansons dans les registres de l’amour courtois et même du burlesque rédigées en Galaïco-portugais, une langue qu’il affectionnait et dont on le crédite encore d’avoir contribué à la promouvoir. On lui attribue également les Cantigas de Santa Maria, manuscrit de plus de 420 poésies et chansons et leur notation musicale, dédiées, pour la plupart, comme leur nom l’indique à Sainte Marie, oeuvre de laquelle est tirée la pièce que nous vous proposons aujourd’hui. Il n’est pas certain qu’il les ait lui même toutes composées, mais le manuscrit est, en tout cas, daté de son règne et il est certain qu’il a contribué à sa création. Il existe, encore, à ce jour quatre manuscrits qui nous sont parvenus de ces Cantigas. Ils se trouvent conservés dans différentes bibliothèques d’Espagne (Bibliothèque nationale de Madrid, Bibliothèque de El Escurial, Bibliothèque de Florence).
Jordi Savall, artiste et musicien d’exception
à la recherche des sonorités anciennes
« Ce que nous proposons c’est une tentative de recréer un certain art de faire sonner l’archet pendant la période médiévale. Il ne s’agit ni d’une hypothétique reconstruction historique d’un concert de cette époque, ou une étude musicologique de faits qui ne peuvent, de toute façon, être connu avec une absolue certitude. » Citations de Jordi Savall. Voir son site web très détaillée et complet
e grand artiste s’est fait connaître particulièrement en France pour sa participation dans le film d’Alain Corneau, « Tousles matins du monde« (récompensé par le César de la meilleure bande son), Jordi Savall a également composé et interprété la musique du film de Jacques Rivette « Jeanne la pucelle« . En dehors de ces deux références côté français, le musicien et chef d’orchestre catalan est un passionné de son art et un artiste de grand talent. Il a, à son actif, une carrière de plus de cinquante ans, dédiée aux musiques anciennes et médiévales, jalonnée de succès et de récompenses, mais aussi extrêmement productive; il donne encore en moyenne près de 140 concerts par an et possède son propre label de production Alia-vox qu’il avait crée en 1998 avec la cantatrice lyrique soprano catalane Montserrat Figueras (1942-2011). A ce jour, Jordi Savall a enregistré plus de 230 disques dans des répertoires aussi divers que le monde médiéval, la renaissance, et encore les musiques baroques et classiques.
Nous espérons que vous apprécierez ce très beau morceau, interprété de main de maître et d’une gravité qui dénote avec les mélodies légères et rythmées que nous publions souvent ici.
Une très belle journée!
Fred
Pour moyenagepassion.com. « L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. »Publiliue Syrus Ier s. av. J.-C
Aujourd’hui, nous dédions un premier article à Jean Froissart, Chroniqueur, écrivain et poète du XIVe, reconnu comme comptant parmi les premiers historiens médiévaux par nombre de nos contemporains.
Eléments de Biographie
é à Valenciennes et ayant reçu une éducation de clerc qui le destinait à l’Eglise, Jean Froissart ne s’y incline pourtant pas et lui préfère, très tôt, le monde de l’Art, de la musique et de la poésie, autant que celui de la chevalerie. De fait, il commence, âgé à peine de vingt ans, à rédiger l’histoire des guerres de son siècle, et notamment bien sûr la guerre de cent ans, à la demande de son protecteur d’alors Robert de Namur, un noble proche du roi Edouard III d’Angleterre. C’est ce dernier qui amènera Froissart en Angleterre et l’introduira à la cour en lui présentant notamment la reine Philippe, épouse d’Edouard III. Il y reviendra plus tard, quand inconsolable et n’ayant pu séduire la dame de son coeur qui, non contente de s’être mariée, n’avait de cesse de se refuser à lui. (Vous voyez où ça mène l’amour courtois? Je plaisante, pardon, restons concentré). Quoiqu’il en soit, la reine Philippe le prendra longtemps sous son aile et grâce à elle, il pourra approcher nombre de nobles et les interroger pour continuer son entreprise d’historien et de témoin de son temps.
Curieux de tout et aimant les voyages, l’âme d’un troubadour tout autant que celle d’un chevalier (même si l’on est pas certain qu’il fut véritablement adoubé), Jean Froissart voyagera dans de nombreux pays d’Europe, pour satisfaire son insatiable appétit de découvertes; Angleterre, Pays de Galles, Pays Bas, Ecosse, Espagne, Italie, etc. Avec méthode, il interrogera ses différents protecteurs et les chevaliers qu’il croisera au hasard de sa grande destinée afin de parfaire l’oeuvre de sa vie: ses chroniques historiques. Vers la fin de son existence, il sera aussi ordonné prêtre, rattrapant en quelque sorte, la voie qu’on avait voulu lui faire suivre.
« Les Croniques de France, d’Engleterre et des païs voisins »
« Partout où je venais, je faisais enquête aux anciens chevaliers et écuyers qui avaient été dans les faits d’armes, et qui proprement en savaient parler ; et aussi aux anciens hérauts d’armes, pour vérifier et justifier les matières. Ainsi ai-je rassemblé la noble et haute histoire, et tant que je vivrai par la grâce de Dieu, je la continuerai ; car plus j’y suis et plus y labeur, plus me plaît. » Jean Froissart, Citation, Extrait.
n plus d’être considéré comme un des chroniqueurs de référence du quatorzième siècle dont il est contemporain, on doit encore à Jean Froissart des pièces lyriques, mais aussi un certain nombre d’écrits ou de poèmes qui s’inscrivent dans l’amour courtois, et également un roman « Meliador » qui se déroule dans le monde des légendes Arthuriennes qui semble loin de faire l’unanimité au niveau littéraire dans le genre et qui n’a connu qu’un petit succès.
En dehors de ses productions littéraires, et même si on y a, longtemps, peu prêté d’attention, l’Histoire retiendra bien plus ses Croniques de France, d’Engleterre et des païs voisins, fortement inspirées d’une chronique du chanoine liégeois Jean le Bel mais qu’il aura eu à coeur de compléter et d’étoffer de sa plume talentueuse, autant que du large travail de terrain qu’il aura pu effectuer tout au long de sa vie. Froissart n’est pas le premier, bien sûr, à s’essayer au genre des chroniques historiques et elles sont assez prisées des rois et des nobles durant cette partie du moyen-âge central. On les illustre et on les enlumine, en général, et elles servent tout autant à apprendre l’histoire qu’à s’y retrouver soi-même sous un jour avantageux. De fait, les chroniques de Jean Froissart ont donné lieu à un nombre impressionnant de manuscrits illustrés. (Ci-contre, Manuscrit 2643, Chroniques de Jean Froissart, BnF, XVe, Bruges)
Concernant cet ouvrage, haut en faits et en couleurs, on se doit encore ajouter que, comme pour bien des chroniques de cette période, il ne faut pas nécessairement y rechercher l’objectivité. Cela a-t’il vraiment changé de nos jours pour ce même genre, peut-être finalement plus proche d’un certain journalisme que de l’Histoire? Rien n’est moins certain. Dés l’instant où quelqu’un paye, il finit bien toujours par en demander pour son argent.
Quoiqu’il en soit, concernant les chroniques de Froissart, les dates n’ont pas la précision qu’un Historien moderne exigerait, les faits relatés ne le sont pas toujours à l’aide d’une méthodologie sans faille, les témoignages ne sont pas systématiquement recoupés, etc.., et Froissart n’échappe pas non plus à sa propre condition qui l’incline quelquefois à encenser ses protecteurs ou la chevalerie, au détriment du reste. Ce n’est, donc, bien entendu, qu’en les recoupant avec d’autres documents d’époque que l’on peut faire le tri des talents littéraires de Froissart et de ses propres implications, avec la justesse de ses vues sur les faits qu’il décrit. Il reste que son legs demeure une référence et, son approche opiniâtre pour témoigner de son époque autant que ses efforts pour la relater au plus près, lui ont gagné, pour beaucoup, une place de choix parmi les premiers historiens du monde médiéval. Ses chroniques restent aussi une oeuvre de référence majeure sur la guerre de cent ans.
Pour ce premier article le concernant, nous prenons un peu le contre-pied de l’habituel et plutôt qu’un extrait de ses chroniques, nous vous présentons, ici, une de ses ballades, ma foi, assez légère et très fleurie.
Ballade de Jean Froissart
SUS toutes flours tient on la rose à belle, Et, en après, je croi, la violette. La flour de lys est belle, et la perselle; La flour de glay est plaisans et parfette; Et li pluisour aiment moult l’anquelie; Le pyonier, le muget, la soussie, Cascune flour a par li sa merite. Mès je vous di, tant que pour ma partie: Sus toutes flours j’aimme la Margherite.
Car en tous temps, plueve, gresille ou gelle, Soit la saisons ou fresce, ou laide, ou nette, Ceste flour est gracieuse et nouvelle, Douce et plaisans, blancete et vermillette; Close est à point, ouverte et espanie; Jà n’i sera morte ne apalie. Toute bonté est dedens li escripte, Et pour un tant, quant bien g’i estudie: Sus toutes flours j’aimme la Margherite.
Mès trop grant duel me croist et renouvelle Quant me souvient de la douce flourette; Car enclose est dedens une tourelle, S’a une haie au devant de li fette, Qui nuit et jour m’empeche et contrarie; Mès s’Amours voelt estre de mon aye Jà pour creniel, pour tour ne pour garite Je ne lairai qu’à occoision ne die: Sus toutes flours j’aimme la Margherite.
Une belle journée à tous et longue Vie!
Fred
Pour moyenagepassion.com « A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes«