Archives de catégorie : Musiques, Poésies et Chansons médiévales
Vous trouverez ici une large sélection de textes du Moyen âge : poésies, fabliaux, contes, chansons d’auteurs, de trouvères ou de troubadours. Toutes les œuvres médiévales sont fournis avec leurs traductions du vieux français ou d’autres langues anciennes (ou plus modernes) vers le français moderne : Galaïco-portugais, Occitan, Anglais, Espagnol, …
Du point du vue des thématiques, vous trouverez regroupés des Chansons d’Amour courtois, des Chants de Croisade, des Chants plus liturgiques comme les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, mais aussi d’autres formes versifiées du moyen-âge qui n’étaient pas forcément destinées à être chantées : Ballades médiévales, Poésies satiriques et morales,… Nous présentons aussi des éléments de biographie sur leurs auteurs quand ils nous sont connus ainsi que des informations sur les sources historiques et manuscrites d’époque.
En prenant un peu le temps d’explorer, vous pourrez croiser quelques beaux textes issus de rares manuscrits anciens que nos recherches nous permettent de débusquer. Il y a actuellement dans cette catégorie prés de 450 articles exclusifs sur des chansons, poésies et musiques médiévales.
Sujet : poésie médiévale, auteur médiéval, poète, amour courtois, loyal amant, français 9223 Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Blosseville
Titre : j’en ay le dueil Ouvrage : Rondeaux et autres poésies du XVe siècle de Gaston Raynaud (1889)
Bonjour à tous,
u XVe siècle, la poésie de Blosseville traverse la cour de Charles d’Orléans. Elle n’est pas la seule à le faire ; on se presse alors autour du prince, amateur de lettres et d’art, lui-même grand poète, et, entre concours et jeux poétiques, on vient y exercer sa plume. François Villon, lui-même, fréquentera l’endroit, durant une courte période, et nous en laissera quelques pièces.
A l’image d’autres auteurs et nobles venus s’essayer à la rime auprès de Charles d’Orléans, on retrouve la poésie de Blosseville, notamment dans le MS Français 9223 conservé à la BnF. Daté du XVe siècle, l’ouvrage semble même être copié de la main de notre poète. On y trouve un peu moins de 200 pièces de quarante auteurs différents et c’est, on s’en souvient, un manuscrit dont Gaston Raynaud fit la transcription dans Rondeaux et autres poésies du XVe siècle, en 1889.
Blosseville, entre jeux courtois et poésie distanciée
Inconstance sentimentale, déboires passagers ou simplement jeux littéraires ? Dans ses différentes poésies, notre auteur médiéval se montre tantôt ironique et critique à l’encontre de l’amour courtois, tantôt, on le retrouve s’y prêtant avec talent et même émotion, comme dans ce rondeau du jour. Faut-il alors prendre Blosseville au premier degré ou relativiser son propos, à la lumière des autres pièces ? A juger l’ensemble, le jeu de pendule auquel il se livre, semble plutôt être la marque d’un exercice littéraire ludique et tout en distance. Après tout, on meurt plus d’amour dans les vers des poètes du Moyen Âge qu’on ne le fait dans la réalité et nous sommes de l’avis (qui n’engage que nous), de prendre la poésie de cet auteur du Moyen Âge tardif, plus au sérieux que son contenu.
J’en ay le dueil, Blosseville
J’en ay le dueil, et vous la joye, J’en ay la guerre, et vous la paiz, J’en cours, et vous allez en paiz, J’en ay courroux, qui vous resjoye, Vous en riez, et j’en lermoye, Vous en parlez, et je m’en tais ; J’en ay le dueil, et vous la joye, J’en ay la guerre, et vous la paiz.
Vous vous bangnez, et je me noye, Vous vous faictez, je me deffais, Vous me blasmez, dont ne puis mais, Vous ne voulez, que g’y pourvoye ; J’en ay le dueil, et vous la joye, J’en ay la guerre, et vous la paiz, J’en cours, et vous allez en paiz, J’en ay courroux, qui vous resjoye.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
Sujet : musique médiévale, galaïco-portugais, lyrisme médiéval, culte marial, miracle Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central Auteur : Alphonse X de Castille, (1221-1284) Interprète : Edouardo Panigua Titre : Cantiga Santa Maria 188, « Coraçôn d’hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar « Album : Cantigas de Mujeres (2011)
Bonjour à tous,
our aujourd’hui, voici l’étude d’une nouvelle Cantiga de Santa Maria tirée du legs du roi d’Espagne Alphonse X de Castille. Il s’agit, cette fois, de la Cantiga 188. C’est un nouveau récit de miracle à ajouter au compte de ceux que nous avons déjà commenté et étudier ( voir index des Cantigas de Santa Maria traduites et commentées).
Cette fois-ci, il est question de la très grande dévotion d’une jeune fille. Comme on le verra, le miracle accompli ne se situera pas forcément là où on l’attendait. D’une certaine façon, cette Cantiga remettra même les pendules à l’heure des mentalités très chrétiennes du Moyen Âge occidental, pour le cas où on les aurait perdu de vue.
Une image de la vierge
dans le cœur d’une damoiselle pieuse
Le poète nous conte, en effet, l’histoire d’une demoiselle a l’amour si grand pour la sainte vierge qu’elle n’avait fini par concevoir plus qu’un grand détachement, voire même du mépris, pour ce monde de matière. Emportée par ses jeûnes et sa volonté d’abstinence, la jeune fille finit même par refuser toute nourriture et toute boisson durant un mois entier. Alitée et affaiblie, quand on prononçait le nom de la Sainte devant elle, elle n’avait pour seul geste que de porter la main à son cœur. Finalement dans sa grande bonté et sans plus attendre, Dieu manda la vierge pour emporter la jeune fille au Paradis.
Ici, la dévotion se conclut donc par la mort et le miracle ne consistera pas à ramener la pieuse damoiselle à la vie. C’est là où nous sommes bien au cœur du Moyen Âge chrétien : la mort n’est pas un drame. Ce n’est qu’un passage et même l’âge n’importe pas. Ce qui compte c’est le Salut. Dans l’esprit de cette cantiga, c’est donc une fin heureuse que trouve la jeune fille. Au fond, elle l’a même presque appelée de ses vœux et elle accède ainsi au Paradis et au bonheur éternel, comme récompense suprême de sa foi, de son abstinence et de son détachement de ce monde.
Le miracle suivra. Face à la mort prématurée de la jeune fille et convaincus qu’elle faisait le geste de montrer son cœur pour designer le siège de son mal, les parents manderont une autopsie. Se pouvait-il qu’on l’ait empoisonnée ? Nenni. Durant l’opération post mortem, ils découvriront, stupéfaits, la présence de l’image de la vierge, à l’intérieur du cœur de la défunte : « même pour ceux, hommes ou femmes, qui veulent taire leur grand foi dans la sainte, cette dernière s’arrange toujours pour que cela soit établi et reconnu« .
Suite à l’histoire et, comme dans chaque miracle, les témoins, en l’occurrence les parents et leur entourage verront leur foi et leur dévotion renforcées.
La Cantiga de Santa Maria 188 par Eduardo Paniagua
« Cantigas de Mujeres » de Eduardo Paniagua
Nous vous avons déjà parlé, à plusieurs reprises, de Eduardo Paniagua. Grand musicien espagnol, passionné de musiques médiévales profanes ou sacrées, on lui doit de nombreux albums sur ce thème. Concernant les Cantigas de Santa Maria en particulier, son legs est immense puisqu’au fil du temps , il a fini par toutes les enregistrer dans de nombreux albums classés par thématique. Dans ce vaste travail on retrouve même, quelquefois, plusieurs versions de la même Cantiga. C’est le cas de cette Cantiga 188.
Dans un double album daté de 1998, intitulé Cantigas de Sevilla, Eduardo Paniagua en avait déjà proposé une version instrumentale. En 2011, avec l’album Cantigas de Mujeres, il en proposait, cette fois, un version vocale et instrumentale qui est celle que nous vous proposons aujourd’hui. En plus cette pièce, l’album en présente 8 autres issues du legs d’Alphonse le savant. Comme son titre l’indique, cette sélection se base sur le thème des femmes dans les Cantigas de Santa Maria, même s’il faut noter que ces dernières présentent un nombre de récits bien plus grand qui mettent en scène de femmes.
La Cantiga de Santa Maria 188
du galaïco-portugais au français moderne
Esta é dũa donzéla que amava a Santa María de todo séu coraçôn; e quando morreu, feze-a séu padre abrir porque põía a mão no coraçôn, e acharon-lle fegurada a omage de Santa María.
Celle-ci (cette cantiga) est à propos d’une jeune fille qui aimait Sainte Marie de tout son cœur ; Et quand elle mourut, ses parents la firent ouvrir parce qu’ils pensaient qu’on l’avait empoisonnée, et ils trouvèrent dans son cœur une image de la vierge.
Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar, macá-lo encobrir queiran, ela o faz pois mostrar.
Cœur d’hommes ou de femmes qui aiment beaucoup la Vierge, Même quand ils veulent le cacher (couvrir), cette dernière fait le nécessaire pour que cela soit montré.
Desto ela un miragre mostrou, que vos éu direi, a que fix bon son e cobras, porque me dele paguei; e des que o ben houvérdes oído, de cérto sei que haveredes na Virgen porên mui mais a fïar.
Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…
A propos de cela, elle fit un miracle que je vous conterai Et duquel je fis un bon son et de bonnes strophes, pour que vous puissiez m’en payer (?) Et dès que vous l’aurez entendu, je suis bien certain Que vous aurez encore plus confiance dans le pouvoir de la vierge.
Refrain
Esto por ũa donzéla mostrou a Sennor de prez, que mui de coraçôn sempre a amou des meninnez e servía de bon grado; porên tal amor lle fez, que o ben que lle quería non llo quis per ren negar.
Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…
Le dame de grande valeur montra ceci par une jeune fille (donzelle) Qui de tout son cœur, l’avait aimée depuis toujours et depuis l’enfance Et qui la servait de bonne volonté ; pour cela, elle lui tenait un tel amour Que le bien qu’elle lui voulait, elle n’aurait pu le nier en rien. Refrain
Esta donzéla tan muito Santa María amou, que, macar no mund’ estava, por ela o despreçou tanto, que per astẽença que fazía enfermou, e un mes enteiro jouve que non pode ren gostar
Cette donzelle aimait si fort Sainte Marie Que, bien qu’elle était dans le monde, pour la Sainte elle le méprisait tant, que par les jeûnes (abstinences) qu’elle fit, elle tomba malade Et elle demeura ainsi, durant un mois entier, sans pouvoir rien apprécier
do que a comer lle davan e a bever outrossí. E pero que non falava, segundo com’ aprendí, se lle de Santa María falavan, en com’ oí, ao coraçôn a mão ía tan tóste levar.
Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…
De ce qu’on lui donnait à manger et à boire. Et bien qu’elle ne parlait pas, suivant ce que j’ai appris, Si on lui parlait de Sainte Marie, comme je l’entendis dire, Elle posait aussitôt sa main sur son cœur. Refrain
A madre, que ben cuidava que éra doente mal e que o põer da mão éra ben come sinal que daquel logar morría; e quis Déus, non houv’ i al, que a sa Madre bẽeita a fosse sigo levar.
Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…
La mère, était bien convaincue qu’elle était gravement malade Et qu’elle mettait sa main ainsi pour signaler Un mal à cet endroit dont elle allait mourir ; Et Dieu voulut, sans plus attendre, Que sa mère bénie s’en fut pour emporter la jeune fille. Refrain
O padr’ e a madre dela, quando a viron fĩir, cuidaron que poçôn fora e fezérona abrir; e eno coraçôn dentro ll’ acharon i sen mentir omagen da Grorïosa, qual x’ ela foi fegurar.
Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…
Son père et la mère, quand ils la virent mourir, Crurent qu’elle avait été empoisonnée et la firent ouvrir; Et, sans mentir, ils trouvèrent à l’intérieur de son cœur, L’image de la glorieuse, comme la jeune fille se l’était imaginée (figurée). Refrain
E dest’ a Santa María déron porên gran loor eles e toda-las gentes que éran en derredor, dizendo: “Bẽeita sejas, Madre de Nóstro Sennor, que a ta gran lealdade non há nen haverá par.”
Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…
Et à partir de cet instant, ils firent de grandes louanges à Sainte Marie Eux et tous les gens qui les entouraient En disant : « Bénie sois-tu, Mère de notre Seigneur, Toi dont la grande loyauté n’a et n’aura jamais d’égale. » Refrain.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : musique, chanson médiévale, humour, trouvère, ménestrel, jongleur, auteur médiéval, vieux-français, amour courtois, langue d’oïl, bonne chère. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle. Auteur : Colin Muset (1210-?) Titre : « En ceste note dirai » Ouvrage : Les chansons de Colin Muset
(2e édition) éditées par Joseph Bédier (1938)
Bonjour à tous,
ous vous proposons, aujourd’hui, une nouvelle incursion au Moyen Âge central , en compagnie du trouvère Colin Muset. Entre courtoisie et légèreté, entre lyrisme et goûts pour les plaisirs de la table, ce très sympathique auteur médiéval nous a laissé une œuvre courte, d’une vingtaine de pièces, mais toujours rafraîchissante.
Une chanson courtoise
teintée de joie et de légèreté
La chanson du jour se situe en plein dans la lyrique courtoise. Colin Muset y campe le parfait amant à la merci du désir et de l’acceptation de la belle que son cœur a élue. Conventions obligent, pour peu on y mourrai d’amour. Pourtant, le ton ici reste léger, et, au sortir, cette pièce respire bien plus la joie, le divertissement et l’envie de célébrer l’amour.
A la différence de nombre de ses contemporains, si un baiser de la belle damoiselle fera, à coup sûr, s’envoler le cœur de notre poète, il sera aussi pour les deux amants, la promesse d’une vie remplie de bonne chère et de plaisirs Bacchusiens : oies grillées bien grasses et vin à profusion, chez Colin Muset, les joies des banquets et leurs libations ne sont jamais très éloignées des plaisirs de l’amour. C’est d’ailleurs bien un des traits qui fait tout son charme ; à huit siècles de sa maîtrise de la lyrique courtoise et de ses codes, ses clins d’œil aux plaisirs de l’estomac comme ici, ou ailleurs à la pingrerie de ses hôtes (voir sire cuens j’ai viélé) ou même au flirt de leurs dames, sont encore là pour nous faire sourire.
Pour le reste, cette chanson est présente dans trois manuscrits médiévaux d’époque. Depuis Bédier, les nomenclatures ont totalement changé. Il faut donc faire un peu de recherches pour les retrouver. Tout trois sont consultable en ligne sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France. En voici le détail.
Le Français 845
On citera, pour commencer le MS Français 845 (ancienne cote Regius 7222.2), désigné par Manuscrit N par Bédier. Daté de la fin du XIIIe siècle, ce superbe ouvrage contient divers chansons, jeux-partis et pastourelles de trouvères avec leur notation musicale. La chanson de notre trouvère y est annotée sur son premier couplet, et on peut supposer qu’elle se répète pour le reste de la pièce. (voir photo ci-dessus – consulter le manuscrit original sur Gallica)
Le MS 5198
On ajoutera à cela le Manuscrit médiéval désigné sous le nom de K par Bédier et ses contemporains. On le retrouve à la BnF sous la cote Ms Arsenal 5198 (photo ci-dessus). Ce véritable trésor des débuts du XIVe siècle (1300-1325), également connu sous le nom de Chansonnier de Navarre, contient pas moins de 420 pages. Elles sont emplies de pièces et chansons annotées musicalement, de trouvères du XIIIe, dont, entre autre, l’oeuvre de Thibaut de Champagne. Vous pourrez consulter ce manuscrit ancien sur Gallica au lien suivant.
Le Français 20050
Pour terminer ce tour des sources d’époque, on peut encore trouver cette pièce dans le manuscrit désigné X (par J Bédier) ou même encore U par d’autres auteurs. Il fait référence au chansonnier occitan X. A la fin du XIIIe siècle, cet ouvrage à été recopié, avec le Chansonnier français U, dans le manuscrit référencé Français 20050 à la BnF. Nous vous avons déjà parlé, à plusieurs reprises, de cet ouvrage médiéval célèbre, également connu sous le nom de Chansonnier de Saint-Germain-des-Prés (consultation en ligne sur Gallica).
» En ceste note dirai » du vieux français
de Colin Muset au français moderne
Traduction en français moderne
A l’habitude, nous avons nous sommes chargé d’approcher la traduction du vieux français d’oïl de Colin Muset au français moderne. En dehors des dictionnaires et des différents supports sur lesquels nous nous sommes appuyés, nous voulons citer ici une source d’intérêt, trouvée en chemin. Il s’agit d’un site web dédié à la littérature européenne et proposé par l’Université de Rome. Si vous parlez italien, vous y découvrirez une véritable mine d’or avec de nombreux auteurs médiévaux approchés et traduits par des chercheurs et universitaires italiens venus d’horizons divers. Voici notamment une traduction (italienne) de la chanson du jour : Colin Muset, letteratura europea, Università di Roma.
I.
En ceste note dirai D’une amorete que j’ai, Et pour li m’envoiserai Et bauz et joianz serai: L’en doit bien pour li chanter Et renvoisier et jouer Et son cors tenir plus gai Et de robes acesmer Et chapiau de flors porter Ausi comme el mois de mai.
Dans cette chanson je parlerai D’une amourette (amante) que j’ai, Et pour elle je me divertirai (réjouir, divertir) Et je serai audacieux et joyeux : On doit bien chanter pour elle Et se réjouir et se divertir, Et tenir son corps en joie Et s’orner de beaux habits Et porter un chapeau de fleurs (coiffe, couronne) Comme durant le moi de mai.
II.
Trés l’eure que l’esgardai, Onques puis ne l’entroubliai; Adès i pens et penserai: Quant la vois, ne puis durer, Ne dormir, ne reposer. Biau trés douz Deus, que ferai? La paine que pour li trai, Ne sai conment li dirai: De ce sui en grant esmai Oncore a dire li ai; Quant merci n’i puis trouver Et je muir por bien amer, Amoreusement morrai.
Dès lors que je la vis Jamais plus je ne l’oubliais ; Je pense toujours à elle et toujours y penserai: Quand je la vois, je ne peux résister, Ni dormir, ni prendre de repos. Bon et très doux Dieu, que vais-je faire? La douleur que j’endure pour elle, Je ne sais comment je lui dirai : Cela me cause un grand émoi ( inquiet), Car il me faut encore lui dire ; Tant que je ne peux trouver grâce Et que je meurs pour bien aimer Je mourrai avec amour.
III.
Je ne cuit pas ensi morir, S’ele mi voloit retenir En bien amer, en biau servir; Et du tout sui a son plesir Ne je ne m’en qier departir, Mès toz jorz serai ses amis.
Je ne pense pas qu’ainsi je mourrais Si elle voulait me garder auprès d’elle Pour bien l’aimer et bien la servir (avec application): Et en toute chose, je me tiens à son entière disposition Ni ne veux m’en séparer Mais toujours demeurer son ami.
IV.
Hé! bele et blonde et avenant, Cortoise et sage et bien parlant, A vous me doig, a vous me rent Et tout sui vostres sanz faillir. Hé! bele, un besier vous demant, Et, se je l’ai, je vous creant Nul mal ne m’en porroit venir.
Eh! Belle et blonde et agréable (notion de valeur, de mérite ?), Courtoise et sage, au beau parler A vous je me donne, à vous, je me livre Et je suis vôtre tout entier, sans faillir. Eh! Belle, je ne vous demande qu’un baiser Et si je l’obtiens, je vous garantis (créant : de creire, croire) Qu’aucun mal ne m’en pourrait advenir.
V.
Ma bele douce amie, La rose est espanie; Desouz l’ente florie La vostre conpaignie Mi fet mult grant aïe. Vos serez bien servie De crasse oe rostie Et bevrons vin sus lie, Si merrons bone vie.
Ma belle douce amie, La rose s’est épanouie; Sous la branche fleurie Votre compagnie Me procure un grand réconfort (aïe : aide, secours). Vous serez bien servi D’oie grillée bien grasse Et nous boirons le vin sur la lie, Et ainsi, mènerons une bonne vie.
VI.
Bele trés douce amie, Colin Muset vos prie Por Deu n’obliez mie Solaz ne compagnie, Amors ne druerie: Si ferez cortoisie!
Ceste note est fenie.
Belle et très douce amie, Colin Muset vous supplie Par Dieu n’oubliez jamais l’amusement, ni la compagnie, L’amour, ni les plaisirs amoureux (affection, tendresse, galanterie, gages) Ainsi vous serez courtoise! (vous pratiquerez la courtoisie)
Cette chanson est terminée.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : poésie médiévale, ballade médiévale, moyen-français, poésie réaliste, corpus Villon. Auteur : anonyme,attribuée à François Villon (1431-?1463) Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle. Titre : « Ballade pour ung prisonnier » Ouvrage : Jardin de plaisance et fleur de rethoricque, A Vérard (1502). François Villon, sa vie et ses oeuvres, Antoine Campaux (1859)
Bonjour à tous
ans le courant du XIXe siècle, avec le développement des humanités et du rationalisme, émergent plus que jamais, la volonté de catégoriser, classer mais aussi de mettre en place une véritable méthodologie dans le domaine de l’Histoire. De fait, de nombreux esprits brillants s’attellent alors aux manuscrits et à la systématisation de leur étude, et ce sera, également, un siècle de grands débats autour des auteurs du Moyen Âge et de la littérature médiévale.
Manuscrits, attributions et zones d’ombre
Corollaire de ces travaux variées, mais aussi de la découverte de nouvelles sources, on se pose alors souvent la question d’élargir, ou même quelquefois de restreindre, le corpus des nombreux auteurs médiévaux auxquels on fait face. D’un expert à l’autre, la taille des œuvres prend ainsi plus ou moins « d’élasticité », suivant qu’on en ajoute ou qu’on en retranche des pièces, en accord avec les manuscrits anciens ou même, parfois, contre eux.
On le sait, dans ces derniers, il subsiste toujours des zones d’ombre. A auteur égal, les noms ou leur orthographe peuvent varier sensiblement. En fonction des manuscrits, des pièces identiques peuvent aussi se retrouver attribuées à des auteurs différents. Enfin, certains codex foisonnent de pièces demeurées anonymes. Dans ce vaste flou, on comprend que les chercheurs soient souvent tentés de forger des hypothèses pour essayer de mettre un peu d’ordre ou de faire des rapprochements.
Ajoutons que cet anonymat des pièces n’est pas que l’apanage des codex du Moyen Âge central et de ses siècles les plus reculés. Entre la fin du XVe siècle et le début du XVIe siècle, on verra, en effet, émerger un certain nombre de recueils, fascicules ou compilations de poésies qui ne mentionneront pas leurs auteurs d’emprunt (La récréation et passe temps des tristes, Fleur de poésie françoyse, etc…). Un peu plus tard, ce phénomène sera même favorisé par l’apparition de l’imprimerie. En recroisant avec d’autres sources historiques, on parviendra alors à réattribuer certaines de ces pièces à leurs auteurs mais d’autres demeureront anonymes et, là encore, on sera tenté, quelquefois, d’y voir l’empreinte d’un poète connu et, à défaut, d’éventuels copieurs ou disciples.
Le corpus de François Villon
Concernant cette « élasticité » des corpus, à l’image d’autres poètes du Moyen Âge, François Villon n’y fera pas exception. La notion d’auteur étant peu fixée durant la période médiévale, et la copie considérée comme un exercice littéraire louable, on peut alors légitimement supposer que le poète a pu faire des émules. Bien sûr, il en va aussi des grands auteurs médiévaux un peu comme les grands peintres : on est toujours, à l’affût et même désireux, de découvrir une pièce nouvelle.
Comme Villon est un auteur du Moyen Âge tardif et donc assez récent, on lui connait, depuis longtemps, une œuvre assez bordée. Dès après sa mort et plus encore après l’invention de l’imprimerie, son legs a aussi fait l’objet de maintes rééditions. Pourtant, depuis le milieu du XVIIIe siècle, un ouvrage est déjà venu semer le doute sur le corpus réel de notre poète médiéval.
Les travaux de Nicolas Lenglet Du fresnoy
Signé de la main de Nicolas Lenglet Du Fresnoy, le MS Paris Arsenal 2948 est un essai inachevé sur l’œuvre de Villon qui élargit, notablement le nombre de pièces pouvant lui être attribuées. Pour étayer ses propos, Lenglet s’appuie sur plusieurs sources, dont une qui nous intéresse particulièrement ici. Il s’agit d’un ouvrage daté du tout début du XVIe siècle et ayant pour titre « Le jardin de plaisance et fleur de rethoricque » (Ms Rothschild 2799).
On trouve, dans ce manuscrit très fourni, certaines pièces que d’autres sources historiques attribuent, par ailleurs, clairement à Villon ; à leur côté, se tiennent d’autres poésies, inédites, demeurées sans auteur, mais qui évoquent suffisamment le style ou la vie de Villon pour que Lenglet Du Fresnoy soit tenté de les rapprocher de ce dernier.
Un aparté sur l’attribution de l’œuvre : Lenglet Du Fresnoy éclispé par La Monnoye
Pour en dire un mot, sur la question des attributions, l’affaire prend un tour assez cocasse, mais cette fois-ci, du point de vue de l’oeuvre sur l’oeuvre. En effet, une erreur fut faite au XIXe siècle, vraisemblablement par Pierre Jannet : dans ses Œuvres complètes de François Villon (1867), ce dernier attribua les travaux de Lenglet Du Fresnoy à Bernard de la Monnoye et cette erreur a perduré jusqu’à nous. Elle continue même d’être faite régulièrement et on doit à Robert D Peckham de s’être évertué à la déconstruire. Voir Villon Unsung : the Unfinished Edition of Nicolas Lenglet Du Fresnoy, Robert D Peckham, tiré de Breakthrough: Essays and Vignettes in Honor of John A. Rassias, 2007, ed. Melvin B. Yoken. Voir également Le Bulletin de la Société François Villon numéro 31.
Quoiqu’il en soit, pour revenir à nos moutons, autour des années 1742-1744, Nicolas Lenglet Du Fresnoy avait extrait du Jardin de plaisance et fleur de rethoricque de nombreuses pièces, en les attribuant à notre auteur médiéval, au risque même de le faire un peu trop largement. Ce sera, en tout cas, l’avis de certains biographes postérieurs de Villon dont notamment Jean-Henri-Romain Prompsault, au début du XIXe siècle. S’il ne suivra pas son prédécesseur sur toute la ligne, ce dernier conserva, tout de même, une partie des pièces retenues par Lenglet dans ses Œuvres de maistre François Villon, corrigées et augmentées d’après plusieurs manuscrits qui n’étoient pas connues (1835).
Antoine Campaux sur les pas de Lenglet
Vingt-cinq ans après Prompsault, dans son ouvrage François Villon, sa vie et ses œuvres (1859), l’historien et écrivain Antoine Campaux reprendra d’assez près les conclusions de Lenglet sur certaines pièces du Jardin de Plaisance et Fleur de Rhétorique et leur attribution possible à Villon. Voici ce qu’il en dira :
« Plusieurs de ces pièces semblent se rapporter, de la façon la moins équivoque, aux circonstances les plus caractéristiques de la vie du poète, comme à ses amours, à sa prison, à son exil, à sa misère, à son humeur. Quelques-unes présentent, avec certains huitains du Petit et particulièrement du Grand- Testament, des rapports si étroits et parfois même des ressemblances si grandes de fond et de forme ; l’accent enfin de Villon y éclate tellement, que c’est, du moins pour nous, à s’y méprendre. (…) Nous sommes donc persuadés avec Lenglet, qu’un grand nombre de pièces de cette compilation ne peut être que de Villon, ou tout au moins de son école. Elles en ont à nos yeux la marque, et entre autres la franchise du fond et de la forme, assez souvent la richesse de rimes, et parfois ce mélange de tristesse et de gaieté, de comique et de sensibilité qui fait le caractère de l’inspiration de notre poète. » A Campaux – op cité
Pour information, si cet ouvrage vous intéresse, il a été réédité par Hardpress Publishing. Vous pouvez le trouver au lien suivant : François Villon, Sa Vie Et Ses Oeuvres.
L’École de Villon selon Campaux
Bien que largement convaincu de la paternité villonesque d’une majorité des pièces retenues, Campaux prendra la précaution de les rattacher à une « école de Villon », en soumettant la question de leur attribution à la sagacité du lecteur ; à quelques exceptions près, ses commentaires, insérés entre chaque pièce, ne laisseront pourtant guère d’équivoque sur ses propres convictions.
Pour le reste, le médiévisteretiendra dans son Ecole de Villon, autour de 35 rondeaux et ballades, issus du Jardin de Plaisance, qu’il classera en plusieurs catégories : chansons à boire, poésies sur le thème de l’amour, ballades plus directement liées à l’évocation de l’exil, la misère et l’incarcération de Villon. Il dénombrera, enfin, des ballades sur des sujets plus variés et des pièces plus satiriques et politiques. Concernant ces toutes dernières, l’historien tendra, cette fois, à les attribuer plutôt à Henri Baude, qu’il désignera, par ailleurs, comme « un des meilleurs élèves de Villon« .
Aujourd’hui, parmi tous les poésies citées par Campaux, nous avons choisi de vous présenter celle intitulée « Ballade pour ung prisonnier ». Voici ce qu’il nous en disait : « Cette pièce est certainement de Villon, du temps qu’il était dans le cachot de Meung. J’y entends et reconnais les plaintes, les remords, les excuses, les projets de changements de vie, et il faut le dire aussi, les sentiments de vengeance de la première partie du Grand-Testament. »
Nous vous laisserons en juger mais il est vrai qu’à la lecture, on comprend aisément le trouble du médiéviste. Depuis lors, aucun expert n’a pu trancher définitivement sur la question de cette attribution et à date, on n’a trouvé cette pièce dans aucun autre manuscrit d’époque.
Ballade pour ung prisonnier
S’en mes maulx me peusse esjoyr, Tant que tristesse, me fust joye, Par me doulouser et gémir Voulentiers je me complaindroye. Car, s’au plaisir Dieu, hors j’estoye, J’ay espoir qu’au temps advenir A grant honneur venir pourroye, Une fois avant que mourir.
Pourtant s’ay eu moult à souffrir Par fortune, dont je larmoye, Et que n’ay pas pou obtenir, N’avoir ce que je prétendoye, Au temps advenir je vouldroye Voulentiers bon chemin tenir, Pour acquérir honneur et joye, Une fois avant que mourir.
Sans plus loin exemple quérir, Par moy mesme juger pourroye Que meschief nul ne peult fouyr, S’ainsy est qu’advenir luy doye. C’est jeunesse qui tout desvoye, Nul ne s’en doit trop esbahyr. Si juste n’est qui ne fourvoye, Une fois avant que mourir.
ENVOI.
Prince s’aucun povoir avoye Sur ceulx qui me font cy tenir, Voulentiers vengeance en prendroye, Une fois avant que mourir.
Une belle journée à tous.
Fred
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