Archives de catégorie : Musiques, Poésies et Chansons médiévales

Vous trouverez ici une large sélection de textes du Moyen âge : poésies, fabliaux, contes, chansons d’auteurs, de trouvères ou de troubadours. Toutes les œuvres médiévales sont fournis avec leurs traductions du vieux français ou d’autres langues anciennes (ou plus modernes) vers le français moderne : Galaïco-portugais, Occitan, Anglais, Espagnol, …

Du point du vue des thématiques, vous trouverez regroupés des Chansons d’Amour courtois, des Chants de Croisade, des Chants plus liturgiques comme les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, mais aussi d’autres formes versifiées du moyen-âge qui n’étaient pas forcément destinées à être chantées : Ballades médiévales, Poésies satiriques et morales,… Nous présentons aussi des éléments de biographie sur leurs auteurs quand ils nous sont connus ainsi que des informations sur les sources historiques et manuscrites d’époque.

En prenant un peu le temps d’explorer, vous pourrez croiser quelques beaux textes issus de rares manuscrits anciens que nos recherches nous permettent de débusquer. Il y a actuellement dans cette catégorie prés de 450 articles exclusifs sur des chansons, poésies et musiques médiévales.

Cantiga de Santa Maria n°100 : un chant de louange médiéval avec l’Ensemble Sequentia,

musique_espagne_medievale_cantigas_santa_maria_alphonse_de_castille_moyen-age_centralSujet :  musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, chanson médiévale, galaïco-portugais, culte marial, louanges, Sainte-Marie, Vierge.
Epoque :  moyen-âge central, XIIIe siècle
Auteur :  Alphonse X  (1221-1284)
Titre : Santa Maria,  Strela do dia,
Interprètes :  Ensemble Sequentia 
Album : 
  Gesänge für König Alfonso X. von Kastilien und León (1992)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous repartons, toutes voiles dehors, pour l’Espagne médiévale du XIIIe siècle et l’étude des Cantigas de Santa Maria du souverain Alphonse X de Castille. Celle qui nous intéresse, aujourd’hui, est la Cantiga 100.

Pour varier un peu des Miracles que nous avons étudiés jusque là, c’est un chant de louange. Comme le poète s’adresse ici à la Sainte sous le nom de « Strela do dia« , « étoile du jour », il faut sans nul doute y voir une allusion à un ordre que Alphonse X avait lui-même fonde : l’Ordre de Sainte-Marie d’Espagne. Connu également sous le nom de El orden ordre-sainte-marie-espagne_Alphonse-X_espagne-medievale_XIIIe-sieclede la Estrella, cet ordre militaire et religieux avait vocation à défendre la couronne contre les attaques navales. L’interprétation que nous vous proposons ici est celle de l’Ensemble Sequentia sous la direction de Barbara Thornton et Benjamin Bagby.

La Cantiga de Santa-Maria 100 par Sequentia

Chants pour le roi Alphonse X de Castille et León

En 1991-92, L’ensemble médiéval Sequentia décidait de faire une incursion dans le très célèbre répertoire des Cantigas d’Alphonse X. Sous le titre « Gesänge für König Alfonso X. von Kastilien und León. » ou « Chansons pour le roi Alphonse X de Castille et León (1221-1284) », la formation proposait ainsi une sélection de dix-huit pièces dont 14 Cantigas, accompagnées de quatre autres compositions culte-marial_ensemble-medieval_sequentia_cantigas_de_santa-maria_alphonse-X_moyen-aged’époques.

L’album est encore distribué à ce jour et, à toutes fins utiles, voici un lien pour vous le procurer :  Sequentia performs Vox Iberica III by El Sabio (DHM). Il constitue le troisième volet d’un triptyque nommé Vox Iberica (I, II et III) autour des musiques religieuses de l’Espagne médiévale. Le premier était consacré au Codex Calixtinus, musique du XIIe siècle en l’honneur de Saint-Jacques l’apôtre. ; le second au Codex de Las Huelgas de Burgos et le troisième, celui du jour, aux Cantigas de Santa-Maria.


La Cantiga de Santa Maria 100
et sa traduction en français moderne

Esta é de loor.

Celle-ci est un chant de louanges

Santa Maria,
Strela do dia,
mostra-nos via
pera Deus e nos guia.

Sainte-Marie
Etoile du jour
Montre nous la voie
vers Dieu et guide-nous

Ca veer faze-los errados
que perder foran per pecados
entender de que mui culpados
son; mais per ti son perdõados
da ousadia
que lles fazia
fazer folia
mais que non deveria.

Santa Maria…

Car tu fais voir aux égarés
Qui se sont perdus par leur péchés
Et comprendre qu’ils sont très coupables,
Mais par toi, ils sont pardonnés
De l’audace
Qui leur faisait
Commettre des folies
Qu’ils ne devaient pas.

Sainte-Marie…

Amostrar-nos deves carreira
por gãar en toda maneira
a sen par luz e verdadeira
que tu dar-nos podes senlleira;
ca Deus a ti a
outorgaria
e a querria
por ti dar e daria.

Santa Maria…

Tu dois nous montrer la voie
Pour gagner, en toute chose,
La lumière véritable et sans égale
Que tu es seule à pouvoir nous désigner
Car Dieu; à toi seule
L’a accordé
Et il a voulu te la donner
pour toi et pour que tu  la donnes.

Sainte-Marie…

Guiar ben nos pod’ o teu siso
mais ca ren pera Parayso
u Deus ten senpre goy’ e riso
pora quen en el creer quiso;
e prazer-m-ia
se te prazia
que foss’ a mia
alm’ en tal compannia.

Santa Maria…

Ton jugement peut nous guider parfaitement
plus que tout, vers le paradis,
où dieu a toujours joie et sourires
pour celui qui a voulu croire en lui;
Et il me plairait,
S’il te plait à toi,
Que mon âme se tienne
En telle compagnie.

Sainte-Marie…


Retrouvez l’index de toutes les Cantigas de Santa Maria traduites et commentés, et présentés par les plus grands ensembles de musique médiévale ici,

En vous souhaitant une très belle journée.

Fred.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

« Li nouviaus tens que je voi repairier », un serventois du trouvère Jacques de Cysoing sur son temps

trouvere_chevalier_croise_poesie_chanson_musique_medievale_moyen-age_centralSujet : poésie médiévale, chanson médiévale, sirvantois, servantois, sirventès, poésie satirique,  trouvère, vieux-français, langue d’oïl,
Période :   XIIIe siècle, moyen-âge central
Titre:
Li nouviaus tens que je voi repairier
Auteur :  
Jacques (Jaque) de Cysoing (vers 1250)

Bonjour à tous,

S_lettrine_moyen_age_passionuite au portrait que nous avions fait de Jacques de Cysoing et de son legs (voir article), nous vous proposons, aujourd’hui, de découvrir l’une de ses rares poésies satiriques. Ce trouvère du XIIIe siècle ayant, en effet, chanté principalement l’amour courtois, ce serventois, calqué sur le modèle des Sirventès provençaux, fait donc exception à la règle.

Datations, sources anciennes et manuscrits

Manuscrit-ancien_Francais_844_chanson-medievale_sirvantois_jacque-de-cysoing_moyen-age_XIIIe-siecle_s
Au vu de son contenu, cette chanson a été écrite un peu après la Bataille du Caire (1249-1250) qui, durant la 7e croisade, assista à la défaite des armées de Louis IX. Comme nous l’avions déjà mentionné, ce repère donné par le trouvère, permet encore de supposer raisonnablement que le comte de Flandres auquel il adresse ici est certainement Guy de Dampierre, contemporain lui aussi de l’événement.

On peut trouver cette chanson dans le très précieux Chansonnier du Roy (MS Français 844) (photo ci-dessus), dans lequel elle est incomplète, mais aussi dans le Manuscrit du Vatican 1490 (début du XIVe). Connu encore sous le nom de Chansonnier français A, ce dernier manuscrit a également copié par JB de La Curne de Sainte-Palaye, dans le courant du XVIIIe siècle, pour donner lieu au Manuscrit 3101 de la Bibliothèque de l’Arsenal (Anciennes chansons françoises avant 1300).

Quand les pingres  Seigneurs
ne savaient s’entourer

Jacques de Cysoing nous conte ici les misères politiques de son temps sous l’angle des cours et des nobles. Il y critique le  manque de largesse, tout autant que la cupidité des seigneurs et barons. Selon le trouvère, ces derniers n’ont d’oreilles que pour les chevaliers de peu de valeur et les moins dignes de confiance ;  l’ombre des mauvais conseillers et des alliances passées pour de mauvaises raisons planent ainsi sur l’ensemble de cette chanson satirique.  C’est même pour lui une des raisons de l’issue défavorable de la Bataille du Caire. C’est un hypothèse mais entre ses lignes, on peut se demander s’il n’exprime pas également quelques difficultés personnelles à trouver un Seigneur qui le prenne à son service.

Ajoutons enfin que dans sa dernière strophe, il prend soin d’abstraire de sa diatribe, le comte de Flandres, en signifiant bien à ce dernier qu’il n’est pas visé par ses vers.

NB : dans un premier temps et pour varier un peu l’exercice, nous avons fait le choix, ici, de l’annotation et des clefs de vocabulaire du vieux-français vers le français moderne, plutôt que de l’adaptation littérale.


Li nouveaus tans que je voi repairier

Li nouviaus tans que je voi repairier* (revenir)
M’eust douné voloir de cançon faire,
Mais jou voi si tout le mont  enpirier
Qu’a chascun doit anuier* (chagriner) et desplaire;
Car courtois cuer joli et deboinaire
Ne veut nus ber* (baron) a li servir huchier* (mander),
Par les mauvais ki des bons n’ont mestier* (n’ont d’utilité)
Car a son per* (semblable, égal) chascun oisiaus s’aaire* (faire son nid).

Nus n’est sages, se il ne set plaidier
Ou s’il ne set barons le lor fortraire (leur soustraire leurs biens).
Celui tienent li fol bon conseillier
Qui son segneur dist ce qui li puet plaire
Las! au besoing nes priseroit on gaire.
Mais preudome ne doit nus blastengier* (blâmer, calomnier).
Non fais je, voir!* (vrai!) ja mot soner n’en quier,
Ne de mauvais ne puet nus bien retraire* (en dire, en raconter).

Une merveille oï dire l’autrier
Dont tuit li preu doivent crier et braire,
Que no jöene baron font espiier
les chevaliers mainz coustans* (honéreux), maiz qu’il paire* (être égal, semblable, s’associer):
Teus les vuelent a lor service atraire.
Maiz ce lor font li malvaiz fauconnier
Qui si durs ges  lor metent au loirrier* (dressé au leurre)
Qu’il lor en font ongles es piés retraire.

Il n’i a roi ne prince si gruier* (expert),
S’il veut parler d’aucun bien grant afaire
Ançoiz n’en croie un vilain pautonier* (scélérat),
Por tant qu’il ait tresor en son aumaire* (coffre),
Que le meillor qu’il soit trusqu’a Cesaire* (Césarée),
Tant la sache preu et bon chevalier.
Mais en la fin s’en set Deus bien vengier:
Encor parut l’autre foiz au Cahaire* (la bataille du Caire).

Princes avers* (avares) ne se puet avancier,
Car bien doners toute valor esclaire.
Ne lor valt rienz samblanz de tornoier* (de tournoi),
S’il n’a en eus de largece essamplaire*(le modèle de la libéralité).
Mais qant amors en loial cuer repaire* (habite),
Tel l’atire qu’il n’i a qu’enseignier* (qui ait toutes les qualités).
Por ce la fait bon servir sanz trichier,
Car on puet de toz biens a chief traire.

Quens* (Comte) de Flandres, por qu’il vos doive plaire,
Mon serventois vueill a vous envoier,
Maiz n’en tenez nul mot en reprovier* (reproche),
Car vos feriez a vostre honor contraire.


En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes.

les Ribauds de Rutebeuf : du Paris du XIIIe siècle au Québec du XXe, avec Benoit Leblanc

pauvre_rutebeuf_poesie_medievale_occitan_joan_pau_verdierSujet : chanson, poésie médiévale, auteur médiéval francophonie, Quebec,
Auteur : Rutebeuf (1230-1285?)
Période: Moyen-âge central, XIIIe
Interprète, compositeur : Benoît LeBlanc
Album :  Le pain le pays la paix (2017)

Bonjour à tous,

Q_lettrine_moyen_age_passionuand, à un peu moins de 800 ans de ses écrits, ce bon vieux Rutebeuf traverse l’océan pour gagner les rivages du Quebec, il en revient tout rafraîchi de nouvelles notes, sous la plume du chanteur-auteur-compositeur Benoît LeBlanc.

Rutebeuf_benoit-leblanc_chanson_poesie_medievale_moyen-age_XIIIe-siecleHomme de poésie et de chansons, doté aussi d’une belle carrière en tant dans le monde de la radio et de la presse, cet artiste Montréalais s’est passionné, de tout temps, de musique ancienne, autant que de musiques traditionnelles américaines de langue française ; de l’Acadie, à la Louisiane, en passant par les mondes créoles. A la source de ses inspirations, on trouve encore les plus grands chanteurs québécois ou français, contemporains du XXe siècle : les Leclerc, les Vigneault, les Charlebois, les Brassens, Brel et Ferré, …

Ribauds de Benoît leBlanc, vidéo réalisée par Douglas Capron)

Le pain le pays la paix

Dans un album sorti en 2017, ayant pour titre Le pain le pays la paix, Benoît LeBlanc nous gratifiait  d’une mise en musique et en chanson du verbe de Rutebeuf.

benoit-leblanc_album_poesie_chanson_rutebeuf_dits-de-pouille_ribauds-de-greveEn dehors de cette pièce, on retrouve dans cette production, pas moins de dix-huit chansons et trois poésies, pour une belle balade musicale qui passe par des styles très variés : du folk, au rock et au blues, jusqu’à  même quelques accents Slam. Du point de la tessiture vocale, on notera aussi, par instant, une parenté certaine avec le chanteur Yves Duteil. Sans doute l’artiste québécois ne renierait-il pas cette référence à l’auteur de la langue de chez nous et de nombreux autres titres.

Visiter le site de Benoit LeBlanc – Ecouter l’album et l’acquérir ici 

Ribauds de Benoît LeBlanc

Pour revenir à cette chanson, elle est inspirée de deux poésies de Rutebeuf adaptées en français moderne, tout d’abord et principalement, le dit des Ribauds de grève : de son verbe aiguisé, l’auteur médiéval nous y contait les déboires de ces ribauds qui traînaient leur misère, au gré des saisons, dans le Paris du XIIIe siècle et en place de Grève (voir  anthologie poétique, le diz des ribaux de Grève) . On retrouvera encore dans cette pièce musicale quelques vers issus du dit de Pouille que nous ne résistons pas à citer ici dans le texte:

Or preneiz a ce garde, li groz et li menu,
Que, puis que nos sons nei et au siecle venu,
S’avons nos pou a vivre, s’ai je bien retenu.
Bien avons mains a vivre quant nos sommes chenu.
Rutebeuf – Le dit de Pouille (extrait)

« Prenez-y garde, grands et petits:
une fois que nous sommes nés et venus au monde,
nous avons peu à vivre, je l’ai bien retenu;
et encore bien moins quand nous avons blanchi. »
Traduction Michel Zink – Œuvres complètes de Rutebeuf 1980

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

Le Dizain d’un amant tourmenté par Melin de Saint-Gelais

Sujet :  poésies courtes,  dizain, poésie de cour, renaissance. amour courtois,
Période :  XVIe, renaissance, fin du moyen-âge
Auteur  : Mellin Sainct-Gelays, Mellin de Saint-Gelais
ou Melin (de) Saint- Gelais (1491-1558)
Ouvrage  : Les poètes françois depuis le XIIe siècle jusqu’à Malherbe Tome II Pierre René Auguis (1824)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle poésie courte datée de la toute fin du moyen-âge et même de la renaissance.

Si l’on voulait prendre un raccourci commode, bien que certainement un peu abrupt, c’est une période qui va voir coexister et même, parfois, s’opposer une poésie de cour légère, voir primesautière qui se signe par une recherche du bon mot, de la bonne chute (voir La fleur de poésie françoyse) à une autre poésie aux ambitions plus élevées, qui entend bien faire le deuil du moyen-âge et qui prend, il faut bien le dire, son rôle très au sérieux. Cette dernière sera représentée par les auteurs de la Pléiade. Inspirés par les sonnets et le legs de Pétrarque, ils se réclameront résolument des auteurs antiques. De l’autre côté, celle qui ne rougit pas de se faire, par endroits, plus divertissante et qui renie, sans doute moins aussi, certaines de ses racines médiévales, on trouvera comme chefs de file   Clément Marot et Mellin  de Saint-Gelais.

C’est à ce dernier que l’on doit le dizain du jour. Nous l’avons tiré d’une excellente anthologie de la poésie française des débuts du XIXe, signée de la main de  Pierre-René Auguis. Saint-Gelais y chante avec élégance les déboires d’un amant tourmenté qui ne sont pas sans évoquer sur le fond les affres sentimentaux auxquels l’amour courtois des siècles précédents nous a largement accoutumé.

melin_saint_gelais_dixain_XVIe

Dixain

SI j’ai du bien, hélas ! c’est par mensonge,
Et mon tourment est pure vérité :
Je n’ai douceur qu’en dormant et en songe,
Et en veillant, je n’ai qu’austérité :
Le jour m’est mal, et bien, l’obscurité :
Le court sommeil ma dame me présente,
Et le réveil la fait trouver absente. –
Ah ! pauvres yeux, où estes-vous réduits ?
Clos, vous voyez tout ce qui vous contente,
 » Tandis qu’ouverts, ne voyez rien qu’ennuis.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes.