Archives de catégorie : Musiques, Poésies et Chansons médiévales

Vous trouverez ici une large sélection de textes du Moyen âge : poésies, fabliaux, contes, chansons d’auteurs, de trouvères ou de troubadours. Toutes les œuvres médiévales sont fournis avec leurs traductions du vieux français ou d’autres langues anciennes (ou plus modernes) vers le français moderne : Galaïco-portugais, Occitan, Anglais, Espagnol, …

Du point du vue des thématiques, vous trouverez regroupés des Chansons d’Amour courtois, des Chants de Croisade, des Chants plus liturgiques comme les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, mais aussi d’autres formes versifiées du moyen-âge qui n’étaient pas forcément destinées à être chantées : Ballades médiévales, Poésies satiriques et morales,… Nous présentons aussi des éléments de biographie sur leurs auteurs quand ils nous sont connus ainsi que des informations sur les sources historiques et manuscrites d’époque.

En prenant un peu le temps d’explorer, vous pourrez croiser quelques beaux textes issus de rares manuscrits anciens que nos recherches nous permettent de débusquer. Il y a actuellement dans cette catégorie prés de 450 articles exclusifs sur des chansons, poésies et musiques médiévales.

« Volez oïr la muse Muset? » une belle version d’une chanson du trouvère, en provenance d’Allemagne

poesie_litterature_medievale_realiste_satirique_moral_moyen-ageSujet : musique, chanson médiévale, poésie médiévale, humour,  trouvère, ménestrel, auteur médiéval, vieux-français, lyrique courtoise, fine amor
Période : moyen-âge central, XIIIe siècle.
Auteur ; Colin Muset (1210-?)
Titre :  « Volez oïr la muse Muset ? »
Interprètes : Ensemble für frühe musik Augsburg
Album :
Amours & Désirs, Lieder der Trouvères Christophorus Records (1993)

Bonjour à tous,

C_lettrine_moyen_age_passion‘est toujours un grand plaisir de revenir vers la poésie médiévale de Colin Muset parce que l’on sait que l’on va très certainement y trouver de la joie. Le trouvère manie le code courtois autant qu’il le malmène ou le détourne et ses textes regorgent souvent d’un humour rafraîchissant. Sa nature de bon vivant l’emporte en effet, la plupart du temps, sur le reste et il semble qu’il ne cède à la lyrique courtoise que pour nous entraîner sur d’autres terrains. deco_medievale_enluminures_trouvere_Affaire de goût bien sûr et de moments sans doute, il faut bien avouer que la masse de textes qui gravite autour d’une fine amor aux frustrations et aux douleurs sans cesse remâchées peut devenir parfois un peu lassante. Avec la chanson médiévale du jour, nous somme loin de tout cela.

Ajoutons que pour autant qu’on puisse apprécier certaines interprétations lyriques (et elles sont légion) des pièces en provenance des troubadours et des trouvères du moyen-âge, ici, sous des accents qui pourraient sonner presque « folk », la voix franche et enjouée du chanteur/conteur semble finalement s’approcher au plus près de l’esprit du poète du XIIIe siècle. Pour un peu, on imaginerait les convives autour en train de rire et festoyer au son du trouvère et de son instrument. Tout y est retraduit : le rythme enlevé, l’orchestration minimaliste, mais aussi l’enthousiasme, la farce, la nature légère de la poésie de Colin Muset et cette version pleine d’énergie que nous partageons avec vous, aujourd’hui, demeure, de ce point de vue, une totale réussite et un véritable enchantement. Nous la devons à une formation allemande qui n’a plus fait parler d’elle depuis quelque temps déjà et que nous vous présenterons un peu plus bas :  L’Ensemble für frühe musik Augsburg.

Colin Muset par l’Ensemble pour la musique ancienne d’Augsburg

L’Ensemble für frühe musik Augsburg

F_lettrine_moyen_age_passion-copiaondé en 1977 par le musicologue, chanteur et instrumentiste Hans Ganser, accompagné de deux autres artistes et musiciens Rainer Herpichböhm et  Heinz Schwamm,  l’Ensemble für frühe musik Augsburg (l’Ensemble pour la musique ancienne d’Augsbourg) se dédia entièrement au répertoire médiéval.

Des musiques profanes au religieuses, des chants d’Hildegarde de Bingen ou des pèlerins du moyen-âge central aux chansons des trouvères français ou des minnesängers allemands, la formation a ensemble_medieval_musiques_poesies_moyen-age_Ensemble_fur_-fruhe_musik_Augsburgété active durant près d’une trentaine d’années. Durant cette longue carrière, elle a sorti près d’une vingtaine d’albums, donné des centaines de concerts en Europe et outre-atlantique et connu une véritable popularité  en Allemagne dans le champ des musiques médiévales et anciennes.

Leur dernier album remonte à 1997, date à partir de laquelle il semble que la formation musicale médiévale n’ait plus rien produit. De son côté et en 1999, Hans Ganser a fondé l’Ensemble vocal Celsitonantes dédié aux chants grégoriens, aux chants sacrés médiévaux et aux premières compositions polyphoniques du moyen-âge.

Consulter le site web de l’ensemble (en allemand)

« Amours et désirs », une heureuse incursion dans le moyen-âge des trouvères

En 1993, l’Ensemble musical allemand décidait de s’attaquer, à son tour, aux chants des trouvères, du XIIe siècle aux débuts du XIIIe. L’album avait pour titre « Amours & Désirs. Lieder der Trouvères » (chansons de trouvères). Comme son titre l’indique, plus que d’amour courtois, il y était question de couvrir le thème de l’amour et du désir, mais aussi de refléter l’effervescence créatrice de cette période dont nous avons déjà parlé ici. C’est un moment où l’art des troubadours trouve un terrain favorable en Oil, sous la plume des poètes du nord que le transposent et l’adaptent. C’est encore le siècle de floraison des grandes universités.

chanson_trouveres_musique_poesie_medievale_colin_muset_Ensemble_für_frühe_musik_AugsburgAvec 15 pièces au total, l’album nous gratifie de chansons de Colin Muset, Moniot d’Arras, Blondel de Nesle, Thibaut de Champagne, Jean Erart et contient même une pastourelle de  Jehan Bodel. Un grand nombre de pièces puise aussi dans le répertoire anonyme des XIIe, XIIIe siècles entre chants de croisades, pastourelles, chansons de toile et encore quelques estampiesIl est encore disponible en ligne au lien suivant : Amour & Desirs [Import anglais]

« Volez oïr la muse  Muset ? »
dans la langue d’oil de Colin Muset

Là où la lyrique courtoise s’épanche plus souvent qu’à son tour du côté de la frustration, de l’attente et des désirs insatisfaits, Colin Muset nous entraîne ici dans la « réalisation ». Sur le fond pourtant, l’amour de référence dont il est question reste bien « courtois » et le trouvère s’y décrit, en tout cas, de manière conventionnelle, comme un amant loyal : « Je l’aim tant,  De cuer loiaument ».

deco_medievale_enluminures_trouvere_Au sujet de la « muse » dont il est question ici et qu’il se propose de nous faire entendre, le sens est un peu sujet à caution. La « musette » désignait en effet un instrument à vent ou une cornemuse mais comme le poète nous parle de vièle et d’archet, il semble qu’il faille entendre « muse » dans le sens médiéval de muser : « faire de la musique » (Dictionnaire Godefroy), autrement dit et dans le contexte, une chanson (1).

Le poète joue aussi de son sobriquet en faisant allusion à une composition qui lui est propre. Cette « muse » désigne ainsi une pièce de son cru, connue de l’époque et Colin Muset nous conte même ici l’histoire de cette chanson qui, nous dit-il, quand il la chanta à une demoiselle chère à son coeur, en un « vergier flori », lui permit de la séduire. En entendant les vers du trouvère, la demoiselle (« dancelle », « donzelle ») dont il est question lui aurait donc cédé bien volontiers et avec force baisers, mais aussi (et cela semble pour lui et comme toujours d’égale importance) en le régalant de « bons morceaux » et de vin à profusion. La poésie s’épanche ainsi en de joyeuses ripailles copieusement arrosées à la célébration de ce moment.

Volez oïr la muse Muset ?
En mai fu fête, un matinet,
En un vergier flori, verdet,
Au point du jour,
Ou chantoient cil oiselet
Par grant baudor,* (gaiété)
Et j’alai fere un chapelet* (couronne de fleurs)
En la verdor.
Je le fis bel et cointe et net
Et plain de flor.
Une dancele* (demoiselle) 
Avenant et mult bêle,
Gente pucele,
Bouchete riant,
Qui me rapele :
« Vien ça, si vïele
Ta muse en chantant
Tant mignotement. »

J’alai a li el praelet* (prairie, petit pré) 
Atout la vïele et l’archet,
Si li ai chanté le muset
Par grant amour :
« J’ai mis mon cuer en si bon cuer
Espris d’amors… »,
Et quant je vi son chief blondet
Et sa color
Et son gent cors amoreusct
Et si d’ator,
Mon cuer sautele
Pour la damoisele ;
Mult renouvelé
Ma joie souvent.
Ele ot gounele
De drap de Castele
Qui restencele.
Douz Deus, je l’aim tant
De cuer loiaument !

Quant j’oi devant li vïelé
Pour avoir s’amour et son gré,
Elle m’a bien guerredoné* (récompensé)
Soe merci,
D’un besier a ma volenté,
Deus ! que j’aim si !
Et autre chose m’a donné
Com son ami,
Que j ‘a voie tant desirré :
Or m’est meri !
Plus sui en joie
Que je ne soloie,
Quant celé est moie
Que je tant désir ;
Je n’en prendroie
N’avoir ne mounoie ;
Pour riens que voie
Ne m’en qier partir ;
Ançois vueil morir.

Or a Colin Muset musé
Et s’a a devise chanté
Pour la bêle au vis* (visage) coloré,
De cuer joli.
Maint bon morsel li a doné
Et départi
Et de bon vin fort a son gré,
Gel vous affi.
Ensi a son siècle mené
Jusques ici.
Oncor* (encore) dognoie,
En chantant maine joie,
Mult se cointoie,
Qu’Amors veut servir,
Si a grant joie
El vergier ou dognoie,
Bien se conroie,
Bon vin fet venir
Trestout a loisir.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com.
A la découverte du Moyen-Age sous toutes ses formes.


(1)  Les chansons de Colin Muset, par Joseph Bédier, Ed. Honoré Champion (1938)

Mystère Vox Sanguinis, CD, livret et film : un projet culturel, artistique et musical participatif autour d’Hildegarde de Bingen

hildegarde_de_bingen_sainte_visions_mystique_chretienne_moyen-age_central_enluminureSujet : musique médiévale, chants, visions, mystique chrétienne, moyen-âge chrétien. Sainte Hildegarde, mystère, spectacle vivant
Période : 
moyen-âge central, XIIe siècle
Auteur : 
Hildegarde de Bingen (1098-1179)
Ensemble médiéval : Vox in Rama
Evénement :
opération participative pour le lancement du CD/livret et film  du spectacle Mystère Vox Sanguinis 

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous vous avions déjà mentionné ici, il y a quelque temps, l’opération participative lancée par l’ensemble médiéval, musical et vocal Vox In rama autour de la production d’un CD, livret et film dans le prolongement de Mystère Vox Sanguinis », spectacle vivant sur les chants et la médecine de Hildegarde de Bingen donné actuellement dans toute la France.

Depuis peu, une page dédiée à cette contribution a été créée de manière plus ouverte et c’est donc l’occasion de vous en fournir l’adresse. Vous y trouverez tous les détails du projet, ainsi que tous avantages associés à cette aventure participative.

sainte_hildegarde_de_bingen_abbesse_musique_medievale_chants_moyen-age_ensemble_medieval_vox_in_rama
Appel à Contribution CD, livret et vidéo du Spectacle Vox Sanguinis autour d’ Hildegarde De Bingen

Pour l’instant et au moment de cet article, un peu plus de 40% des fonds nécessaires ont été collectés, un petit effort reste donc à fournir pour que ce beau projet artistique, culturel et musical voit le jour.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes

Découvrir l’article exclusif de Frédéric Rantières, directeur artistique de Vox in Rama sur le rire de l’antiquité au moyen-âge et jusqu’à Hildegarde

« Tant con je vivrai » un rondeau d’Amour courtois du trouvère Adam de la Halle par l’ensemble TENET

trouveres_troubadours_musique_poesie_medievale_musique_ancienneSujet :  musique, chanson médiévale, poésie médiévale, vieux français, trouvères d’Arras, rondeau, chansons polyphoniques, amour courtois, loyal amant, rondeau.
Période :  moyen-âge central, XIIIe siècle
Auteur :  Adam de la Halle (1235-1285)
Titre :  Tant con je vivrai
Interprètes  : TENET
Média : concert donné à l’église Saint-Malachie de New-York, en 2015 (extrait)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous revenons sur les trouvères du nord de la France, et notamment d’Arras, avec le célèbre Adam de la Halle et une de ses chansons d’amour courtois. C’est un rondeau polyphonique à trois voix, comme le poète et artiste médiéval en laissa un certain nombre (dix-sept).  Son interprétation nous entraîne du côté des Etats-Unis avec une formation du nom de Tenet,  originaire de New York, que nous aurons ainsi l’occasion de vous présenter.

Tan con je vivrai, par l’ensemble TENET

Tenet, de la france médiévale des XIIIe, XIVe, aux Etats-unis du XXIe

Fondé en 2009 par la chanteuse soprano Jolle Greenleaf, l’ensemble New-yorkais TENET couvre une longue période musicale qui, partant du moyen-âge, va jusqu’à la renaissance et la période baroque et s’étend même jusqu’à des œuvres classiques plus récentes. Puisant à la source du répertoire profane ou liturgique, on peut retrouver la formation  sur des œuvres variées : Claudio Monteverdi, Michael Praetorius, Guillaume de Machaut, etc…, et nous sommes donc avec elle dans le champ des musiques anciennes (Early Music) au sens large.

Jolle_Greenleaf_soprano_tenet_ensemble_musiques_anciennesEn 2015-2016, TENET se proposait de faire une incursion dans la France du moyen-âge et des trouvères, pour explorer « l’avant-garde de la musique médiévale » avec des pièces en provenance des XIIe au XIIIe siècles. C’est dans ce cadre que la formation présentait la belle interprétation du rondeau Tant con je vivrai du trouvère Adam de la Halle. On peut la retrouver sur leur chaîne youtube  sur laquelle ils partagent très généreusement nombre de leurs travaux.

A l’occasion de ce programme « Song of trouvères », l’ensemble recevait aussi  Robert Mealy,  directeur d’orchestre, musicien, violoniste baroque et joueur de vièle et encore professeur dans le domaine des musiques historiques à l’Université de Yale. Fondateur par ailleurs de l’orchestre de musique baroque d’Harvard en 2004, cet artiste très renommé outre-Atlantique a également été primé par un Awards  dans le champ de l’enseignement des musiques anciennes.

Tenet_chanson_musique_medievale_ensemble_musiques_anciennes_trouveres_moyen-age

Du point de vue de l’actualité de TENET, le programme réadapté et rebaptisé « the Sounds of time : medieval music from France » fait toujours partie de la large palette de concerts que ces artistes accomplis proposent au public américain de la région de New-York mais aussi au delà, en Amérique latine et, bien que plus rarement, en Europe.

Site web officiel de TENET (en anglais)

Tant con je vivrai,
rondeau d’Adam de la Halle

Léger et court, comme il se doit pour un rondeau, la chanson du jour, bien qu’en vieux français, ne présente pas de difficultés particulières de compréhension. En bon loyal amant, le poète y prend un engagement amoureux envers sa dame et lui fait la promesse de se dédier tout entier à la servir.

chanson_musique_poesie_medievale_adam_de_la_halle_rondeau_tant_con_je_vivrai_moyen-age_central
Partition et notations musicales tirées des Oeuvres complètes du trouvère Adam de la Halle: poésies et musique, par ‎Charles Edmond Henri de Coussemaker, 1872

Tant con je vivrai
N’aimerai
Autrui que vous.
Ja n’en partirai,
Tant con je vivrai.
Ains vous servirai
Loiaument mis m’i sui tous.
Tant con je vivrai
N’aimerai
Autrui que vous.


En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-Age sous toutes ses formes.

Eglogue au Roi sous les noms de Pan & Robin, une parabole aux accents bucoliques de Marot, à l’automne de sa vie

portrait_clement_marot_poesie_medievaleSujet :  poésie renaissante, moyen-âge tardif, poésies courtes, églogue, Robin, Marion.
Période : fin du moyen-âge, renaissance
Auteur :  Clément MAROT (1496-1544)
Titre : « Eglogue au roy (roi), sous les noms de Pan et Robin»
Ouvrage :. oeuvres complètes de Clément MAROT, par Abel grenier, Tome 1 (1879)

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionaté de 1539, l’Eglogue au Roy de Clément Marot fait partie de la poésie tardive de l’auteur. Notre poète a passé la quarantaine et il laisse ici de côté le ton grivois et gaulois qu’il a si souvent tutoyé sur le thème de Robin et de Marion, pour une poésie plus sage et plus profonde, mais dont le ton reste léger et imagé.


Eglogue :  l’églogue est une poésie lyrique en général assez courte qui loue et met en exergue le thème de la vie champêtre et pastorale. Son origine remonte aux grecs et au poète Virgile. Dans la forme dont il est question ici, c’est un genre poétique repris aux débuts du XVe.


Les deux visages de Marot

deco_medievale_enluminures_clement_marotEn réalité, ce n’est pas qu’une affaire d’âge, ni de maturité. Les deux visages de Marot homme de cour trivial à l’humour caustique  d’un côté et, de l’autre, auteur talentueux d’une grande sensibilité qui sait aussi traiter les sujets avec style et profondeur, sont présents tout au long de son parcours.

Peut-être ne peut-on pas totalement en vouloir à Boileau de l’avoir un peu enfermé et sans doute réduit à ce rôle d’amuseur et cet « élégant badinage ». Marot a cédé plus qu’à son tour aux traits d’esprit et sa verve a, de fait et souvent, pu un peu éclipser l’auteur plus sérieux et formel qu’il savait être aussi. L’humour a quelquefois ceci de « dévorant » qu’il suffit d’en faire un peu pour qu’on veuille vous y réduire ou  même en faire, à votre place, une profession de foi. C’est loin d’être le cas de Marot et on ne peut l’y cantonner, ceux qui se sont penchés sur la totalité de son oeuvre le savent bien. Comme de notre côté, nous avons jusque là beaucoup cédé à ses bons mots, il est temps sans doute que nous approchions un peu son autre visage, pour contrebalancer.

Contexte historique

Que de chemin parcouru entre la première églogue à Virgile de l’Adolescence Clémentine, ou celle encore, en forme d’épitaphe à Ma Dame Loyse de Savoye et celle du jour. De longues années se sont écoulées, plus de vingt ans, avec dans l’intervalle, quelques sérieuses épreuves.

En 1539, Marot est revenu depuis quelque temps déjà de son premier et douloureux exil. Trois ans auparavant et sur demande de François 1er, il a abjuré solennellement à Lyon et, ayant obtenu le pardon du roi, il se tient à nouveau à la cour. Ses conflits avec les autres poètes sont loin derrière lui et sa réputation, autant que sa position, y sont de nouveau bien assises. Quelques années auparavant, ces oeuvres ont été publiées à la faveur d’une imprimerie qui s’impose de plus en plus comme une technologie avec laquelle il faudra désormais compter et malgré les vicissitudes et le parcours agité que notre auteur a connu, le roi semble toujours autant l’avoir en ses faveurs, goûtant, sans les bouder, les charmes de sa plume.

deco_medievale_enluminures_clement_marotPourtant, pour autant qu’il pourrait se contenter du confort dans lequel il se tient, il semble qu’il faille que Marot ne soit jamais tout à fait sage et conforme, ni tout à fait docile. En l’occurrence et cette  même année 1539, il sera, en plus, rattrapé par son passé. L’Enfer – sulfureux pamphlet qu’il avait composé à l’attention de ceux qui l’avaient fait emprisonner en 1526 et contre la magistrature et les théologiens – sera, en effet, édité sans son autorisation. Trois ans plus tard, le même texte sera à nouveau publié par Estienne Dollet dans des conditions similaires.

D’un autre côté et, pour le coup, bien volontairement, Marot continue d’oeuvrer à sa traduction des psaumes. Sait-il que se faisant, il prendra encore le risque d’éveiller les foudres de ses anciens ennemis qui continuent de le surveiller d’un oeil ? Il ne peut l’ignorer et, en tout cas, il semble le redouter, comme on pourra le lire entre quelques lignes de cette Eglogue du Roy.

« Il me suffit, que mon trouppeau (tu) preserves* (Pan)
Des loups, des ours , des lyons, des loucerves, »

Du reste, ces foudres, il les connaîtra à nouveau, quelques temps après, avec ses mêmes psaumes. La Sorbonne en tête, bientôt suivie par l’église et une cohorte de détracteurs, se dressera contre la traduction et la versification de Marot. Bien que le succès de la parution ait été indéniable à la cour comme ailleurs, on le frappa d’hérésie et on vint même demander au roi d’entériner la sanction. Ajoutés au contexte houleux de la réforme et de la chasse aux luthériens, la publication de l’enfer en 1542 et cette agitation autour des psaumes comptèrent sans doute parmi les raisons qui conduisirent le poète à un nouvel exil. On en connait les suites, il s’enfuit à Genève, de là et un peu plus tard, il se réfugia en Savoie, puis encore en Italie et à Turin où, il finit par périr, deux ans plus tard,  loin de son sol aimé.

Liberté et conscience de la postérité

Plus idéaliste que marginal ou même révolté ( au sens social), pour être pensionné et au service du roi, nous le disions plus haut, Marot n’en est pas, pour autant, totalement servile ; une nécessité le pousse à mener son art, autant que ses actes, là où bon lui semble et où sa conscience lui dicte. On ne peut sans doute pas réduire cette liberté à une protection royale et peut-être même une certaine bienveillance qu’il tiendrait pour acquises et dont, le supposant, il aurait fait quelques abus. En 1539, l’expérience lui en a déjà largement démontré les limites. Les choses lui échappent-elle vraiment ? Se pose-t-il même toujours  la question ? A l’image de ses convictions, il semble tout de même que l’écriture reste pour lui une affaire sérieuse qui devrait situer le poète, en dernier ressort, à une certaine hauteur de débat et même au dessus des simples contingences alimentaires. (1)

Est-ce une tendance naturelle, un trait de caractère frondeur ou est-ce l’écriture critique et satirique du Jean de Meung du Roman de la Rose, qui l’a formé à l’école d’une certaine liberté qu’on ne peut simplement réduire à de l’impertinence ? Plus haut et plus loin que le désir puéril de provoquer, la plume est un chemin vers une liberté deco_medievale_enluminures_clement_marotqui ne souffre l’aliénation. On a parlé quelquefois à son propos d’étourderie, d’impulsivité, c’est lui prêter, sans doute, un peu trop de « légèreté intellectuelle » et moins de conscience qu’il n’en avait.  La vérité est entre les deux. S’il serait exagéré de faire de Marot un auteur clairement engagé, loin s’en faut, on ne peut pour autant  le résumer à un poète de cour  épris de trivialité et aveuglément au service du roi. (2)

Peut-être un peu de la fronde de François Villon a t-elle aussi fini par se greffer dans un coin de l’esprit de Marot et jusque dans sa destinée houleuse ? On sait l’admiration qu’il vouait à ce dernier et si c’est le cas, le poète de Cahors aurait eu de qui tenir. Même si le rapprochement ne peut se faire que de loin entre  le parcours et « l’anticonformisme » de l’auteur du Grand testament et Marot,  Villon a indéniablement insufflé à la poésie une forme d’absolu, en la mettant, d’une certaine manière, au dessus des lois des hommes et du conformisme. Dans les méandres de sa vie chaotique et marginale, à travers la grande aventure de son écriture, armé de sa seule plume, Villon est finalement demeuré seul face à ses actes, face à Dieu et face à la postérité, insaisissable et élevé par son art.

Marot a-t-il pu être touché par cet absolu et la hauteur à laquelle ce dernier plaçait la poésie ? Peut-être. Dans ses siècles où se forme plus résolument la notion d’auteur, il eut aussi une conscience aiguë de la notion de legs et de postérité :

 « Et tant que ouy, & nenny se dira,
Par l’univers, le monde me lira »
Clément Marot. Epitre LXI a un sien amy (1543)

L’imprimerie, de plus en plus présente, n’est sans doute pas étrangère à cela. Dans ce XVIe siècle déjà renaissant, elle a déjà édité et souvent même égratigné des oeuvres poétiques (celles de Villon notamment) pour les besoins de son commerce, Marot s’en est assez plaint. Nouvelle technologie à double tranchant, elle peut, certes, déformer l’art du poète ou éditer contre lui des oeuvres passées en lui ôtant des mains le contrôle de son legs mais, en même temps, elle l’affranchit (idéalement plus que matériellement) de son royal bienfaiteur en lui offrant un large lectorat. Il est difficile de savoir à quel point cela a pu faire partie des éléments favorisant chez le poète de Cahors la conscience d’inscrire son art et ses actes dans la durée, à l’ère des manuscrits le succès de certains auteurs avait déjà été assuré, mais c’est un élément de contexte que l’on ne peut totalement ignorer.

L’Eglogue au Roy,
sous les noms de Pan & Robin  

Dans cet églogue à la première personne, Marot se glisse dans la peau d’un pastoureau nommé Robin qui nous conte sa vie champêtre tout en louant le Dieu Pan.

De fait, l’ensemble de cette oraison du petit berger à Pan est une belle parabole aux accents rupestres dans lequel le poète relate et « encode » les moments forts de sa vie. On y trouvera donc de nombreux allusions à son propre parcours, beaucoup de légèreté, un brin de mélancolie et de questionnement sur l’avenir mais pas de trace d’amertume. Point de verve ou de vitriol, le calme est retrouvé et à l’approche de l’hiver, l’auteur semble ne rêver que d’un peu d’abri et de tranquillité.

clement_marot_poesie_jeunesse_folle_eglogue_au_roi_pan_et_robin_moyen-age_tardif

On en connait le passage célèbre, maintes fois cité que nous reprenons ici à notre tour. Au delà de ces quelques vers connus, en plus du plaisir à la lire, cette églogue vaut vraiment d’être redécouverte dans sa totalité pour ce qu’elle nous apprend de la vie du poète, mais aussi de ses vues sur son art. Nous vous proposons d’ailleurs en pied d’article un lien vous permettant de la télécharger au format pdf.

(…)

Sur le printemps de ma jeunesse folle,
Je ressemblois l’arondelle qui volle
Puis ça, puis là : l’aage me conduisoit,
Sans peur ne soing, où le cueur me disoit.
En la forest (sans la craincte des loups)
Je m’en allois souvent cueillir le houx,
Pour faire gluz à prendre oyseaulx ramages,
Tous differens de chantz et de plumages ;
Ou me souloys (pour les prendre) entremettre
A faire bricz, ou cages pour les mettre.
Ou transnouoys les rivieres profondes,
Ou r’enforçoys sur le genoil les fondes,
Puis d’en tirer droict et loing j’apprenois
Pour chasser loups et abbatre des noix.

Saluant au passage la « jeunesse folle » de Villon,  dans quelques uns de ses premiers vers sur le printemps de sa vie, on pourrait presque entendre raisonner avec quelques siècles d’avance, certains accents lyriques du Chant du monde de Giono ou revoir encore défiler les plus belles pages contemporaines de l’enfance buissonnière de Pagnol à la Gloire de son père. Le cadre de la vie campagnarde est joliment posé.

Viendra encore s’y ajouter l’affirmation de la vocation précoce du poète et un long hommage à son père Jean Marot pour lui avoir transmis cet art que l’auteur mettra ici en comparaison avec celui des troubadours ou des trouvères de la lyrique courtoise, en parlant de ‘chants », de « chansons », de « notes » et encore de « flûtes » et de « flajolets« .

O quantesfoys aux arbres grimpé j’ay,
Pour desnicher ou la pye ou le geay,
Ou pour jetter des fruictz ja meurs et beaulx
A mes compaings, qui tendoient leurs chappeaux!
Aucunefoys aux montaignes alloye ,
Aucunefoys aux fosses devalloye,
Pour trouver là les gistes des fouynes,
Des herissons ou des blanches hermines,
Ou pas à pas le long des buyssonnetz
Allois cherchant les nidz des chardonnetz
Ou des serins, des pinsons ou lynottes.
Desja pourtant je faisoys quelques nottes
De chant rustique, et dessoubz les ormeaux,
Quasy enfant, sonnoys des chalumeaux.

Si ne sçaurois bien dire ne penser
Qui m’enseigna si tost d’y commencer,
Ou la nature aux Muses inclinée,
Ou ma fortune, en cela destinée
A te servir : si ce ne fust l’un d’eux,
Je suis certain que ce furent tous deux.

Plus tard, plus loin, arrivant à l’été, il nous parlera encore du plaisir qu’il a eut à exercer son art. Cigale plus que fourmi, il n’a eu cure d’accumuler les biens.

Plus me plaisoit aux champestres séjours
Avoir faict chose (ô Pan) qui t’agreast,
Ou qui l’oreille un peu te recreast,
Qu’avoir autant de moutons que Tityre;
Et plus (cent foys) me plaisoit d’ouyr dire :
‘( Pan faict bon oeil à Robin le berger. »
Que veoir chés nous trois cents beufz héberger,
Car soucy lors n’avoys en mon courage
D’aucun bestail ne d’aucun pasturage.
Mais maintenant que je suis en l’autonne,
Ne sçay quel soing inusité m’estonne.
De tel’ façon que de chanter la veine
Devient en moy, non point lasse ne vaine,
Ains triste et lente, et certes, bien souvent,
Couché sur l’herbe, à la frescheur du vent,
Voy ma musette à un arbre pendue
Se plaindre à moy qu’oysive l’ay rendue;

Et le souci le prend un peu de pouvoir se mettre à l’abri, lui et les siens pour anticiper sur l’hiver déjà proche :

D’autre costé j’oy la bise arriver.
Qui en soufflant me prononce l’yver;
Dont mes trouppeaux, cela craignant et pis,
Tous en un tas se tiennent accroupis,
Et diroit on, à les ouyr besler,
Qu’avecques moy te veulent appeller
A leur secours, et qu’ilz ont cognoissance
Que tu les as nourriz dès leur naissance.
Je ne quiers pas (ô bonté souveraine)
Deux mille arpentz de pastiz en Touraine,
Ne mille beufz errants par les herbis
Des montz d’Auvergne, ou autant de brebis :
Il me suffit que mon troupeau préserves
Des loups, des ours, des lyons, des loucerves.
Et moy du froid, car l’yver qui s’appreste
A commencé à neiger sur ma teste.

Certains auteurs se sont demandés si sous le visage de Pan, Marot ne s’adressait pas ici, de manière allégorique, à la personne de François 1er. De fait et par son titre cette Eglogue est explicitement adressée au souverain. On a même évoqué l’hypothèse que le poète puisse ici s’adresser au Christ (2). Il semble, en tout cas, qu’à la même période, Marot ait obtenu du roi la donation d’une demeure (« une maison avec jardin rue du clos Bruneau à Paris »).  Les auteurs sont partagés sur la question d’une doléance voilée au souverain ou même encore de remerciements que le poète lui aurait fait à travers cette oraison comme les deux derniers vers semblent le suggérer:

« Sus mes brebis, trouppeau petit et maigre,
Autour de moy saultez de cueur allaigre,
Car desja Pan, de sa verte maison,

M’a faict ce bien d’ouyr mon oraison. »

On trouvera une autre version de cette oraison plus tardive et découverte après le mort du poète. Son authenticité ou sa paternité ont quelquefois été questionnées, mais il semble qu’on n’ait plus grand doute de nos jours sur le fait que cette réécriture est bien de Marot et sans doute du temps de son dernier exil. Elle a pour titre « La Complaincte d’un pastoureau chrestien faict en forme d’églogue rustique, dressant laplaincte a Dieu, soubz la personne de pan, dieu des Bergers ». La « verte maison » en a été gommée :

Puis je connois par ce chesne tremblant
Que Pan mon dieu me monstre bon semblant,
Dont à mon coeur ferme joye est rendue
Puisqu’il a jà ma prière entendue.

Retrouvez l’Eglogue au Roy de Marot dans sa totalité ici :
Télécharger l’églogue au Roy de Clément Marot au format PDF

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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(1) Sur la liberté de Marot, on lira avec intérêt l’article de Daniel Martin « Clément Marot, nouveaux horizons de la poésie et du poète à la Renaissance«  dans le numéro 54 de la revue Réforme, Humanisme, Renaissance de 2004.

(2) Du même auteurLe Valet de chambre et son roi, Marot impertinentRéforme, Humanisme, Renaissance, 2014.