Archives de catégorie : Musiques, Poésies et Chansons médiévales
Vous trouverez ici une large sélection de textes du Moyen âge : poésies, fabliaux, contes, chansons d’auteurs, de trouvères ou de troubadours. Toutes les œuvres médiévales sont fournis avec leurs traductions du vieux français ou d’autres langues anciennes (ou plus modernes) vers le français moderne : Galaïco-portugais, Occitan, Anglais, Espagnol, …
Du point du vue des thématiques, vous trouverez regroupés des Chansons d’Amour courtois, des Chants de Croisade, des Chants plus liturgiques comme les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, mais aussi d’autres formes versifiées du moyen-âge qui n’étaient pas forcément destinées à être chantées : Ballades médiévales, Poésies satiriques et morales,… Nous présentons aussi des éléments de biographie sur leurs auteurs quand ils nous sont connus ainsi que des informations sur les sources historiques et manuscrites d’époque.
En prenant un peu le temps d’explorer, vous pourrez croiser quelques beaux textes issus de rares manuscrits anciens que nos recherches nous permettent de débusquer. Il y a actuellement dans cette catégorie prés de 450 articles exclusifs sur des chansons, poésies et musiques médiévales.
Sujet : poésie médiévale, ballade médiévale, humour médiévale, auteur, poète médiéval. moyen-français Auteur : François Villon (1431-?1463) Titre : « Ballade des femmes de Paris »,
Le grand testament, Période : moyen-âge tardif, XVe siècle. Ouvrages : diverses oeuvres de Villon, PL Jacob (1854) , JHR Prompsault (1832), Pierre Champion (1913)
Bonjour à tous,
ien que dramatique sur le fond, le Grand testamentde François Villon regorge aussi d’humour et de ballades plus légères. Certaines de ces pièces ont sans doute été composées plus avant dans le temps, et ont été réintégrées après coup, dans le fil du Testament, par l’auteur lui-même (sur ce sujet, voir entre autres, Sur le testament de Villon, Italo Siciliano, revue romania, Persée)
Légèreté et humour, c’est donc là que la Ballade des femmes de Paris que nous publions aujourd’hui, nous entraîne, pour une éloge du « talent » langagier des parisiennes d’alors et de leur verve, avec son refrain resté célèbre : il n’est bon bec que de Paris. « Reines du beau-parler, souveraines du caquet » comme le dira l’historien Pierre Champion dans son ouvrage François Villon sa vie et son temps, il y dépeindra aussi un poète, sillonnant les rues de la rive universitaire de Paris, à l’affût des belles bourgeoises, de leurs charmes et de leurs atours « coquettes, enjouées, charmantes, mises avec recherche ».
Tout cela étant dit, au vue des fréquentations et de l’univers dans lequel Villon aimait à évoluer, en fait de beau français châtié et bourgeois, il est bien plus sûrement question dans cette ballade de langage de rue : un parler vert et canaille, teinté d’accent, de répartie et de gouaille, comme on le pratiquait alors. Nous en trouverons d’ailleurs la confirmation sous la plume de Pierre Champion, plus loin, dans le même ouvrage :
« Quand nous les possédons encore, les registres des anciennes justices de Paris nous font connaître les commérages, les médisances qui devaient bien exciter la verve du poète. On y parle vertement. Les femmes de Paris, qui ont décidément « bon bec » sont promptes à se dire des injures, à se traite de sanglantes lices, des chiennes, de filles de chien, de paillardes, de ribaudes, de prêtresses… » Pierre Champion, opus cité, Tome 1er (1913)
Bien que le français « standard » soit en général réputé avoir pour origine Paris, il faut sans doute, là encore, faire quelques différences entre le parler bourgeois et celui de la rue. Pour ce qui est de l’accent du Paris d’alors, on trouvera quelques éléments dans un ouvrage postérieur à la composition de cette ballade médiévale de Villon, signé de la main de l’éditeur, imprimeur et artiste Geoffroy Tory :
« Au contraire, les dames de Paris, en lieu de A prononcent E quand elles disent : Mon mery est à la porte de Peris et il se fait peier » Champfleury (1539).
Loin de ces parisiennes gouailleuses et dans un registre plus lyrique, en 1910, le compositeur Claude Debussy inclura cette poésie à ses trois ballades de François Villon.
Ballade des femmes de Paris
Quoy qu’on tient belles langagières* (parleuses) Florentines, Veniciennes, Assez pour estre messaigières (1), Et mesmement les anciennes ; Mais, soient Lombardes, Rommaines, Genevoises, à mes perilz, Piemontoises, Savoysiennes, Il n’est bon bec que de Paris.
De beau parler tiennent chayères (2) Ce dit-on, les Napolitaines, Et que sont bonnes cacquetoeres Allemanses et Bruciennes ; Soient Grecques, Egyptiennes, De Hongrie ou d’autre pays, Espaignolles ou Castellannes, Il n’est bon bec que de Paris.
Brettes* (Bretonnes), Suysses, n’y sçavent guères, Ne Gasconnes et Tholouzaines ; Du Petit-Pont deux harangères Les concluront, et les Lorraines, Anglesches ou Callaisiennes, (Ay je beaucoup de lieux compris ?) Picardes, de Valenciennes ; Il n’est bon bec que de Paris.
ENVOI.
Prince, aux dames parisiennes De bien parler donnez le prix ; Quoy qu’on die d’Italiennes, Il n’est bon bec que de Paris.
(1) « ambassadrices » pour Prompsault, « entremetteuses » pour PL Jacob
(2) Siège réservé à des dignitaires, puissants, religieux. origine de Chaire.
Même si nous sommes déjà dans d’autres temps, plusieurs siècles après Villon, la tentation reste grande, à la lecture de cette ballade, d’évoquer des Piaf, des Monique Morelli ou encore des Arletty, en pensant à ces « bons becs de Paris ».
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE.
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Sujet : chanson, poésie d’inspiration médiévale, musique, folk, poésie, résonance poétique, médiévalisme. Période : XXe siècle Auteur : Sergueï Essénine (1895 – 1925), Etienne Roda-Gil (1941-2004), Angelo Branduardi Titre : Confessions d’un Malandrin, Interprète : Angelo Branduardi Album : Confession d’un malandrin (1981)
Bonjour à tous,
ans les mystérieuses raisons qui peuvent nous pousser, enfants, à nous intéresser à l’Histoire ( un de ses aspects ou une de ses périodes en particulier), il nous a fallu compter avec un artiste italien, qui, dans les années 80, commença à illuminer de son art et de ses textes uniques le paysage musical français. Indifférent aux modes, en plein cœur des années disco, Angelo Branduardi venait proposer ses créations, ses mélodies aux sonorités anciennes et sa grande poésie et le public en redemandait. Et peu importe alors qu’elles fussent ou non empruntées au moyen-âge historique, elles avaient une saveur toute médiévale et cet auteur-compositeur interprète, qui ne ressemblait à nul autre, semblait être un troubadour égaré dans notre monde. Venu de temps anciens aux commandes d’une mystérieux machine, il était peut-être même le dernier des troubadours italiens.
Angelo Branduardi,
le dernier troubadour italien
S’il a émergé au milieu des années 70 et leur goût prononcé pour le néo folk médiéval d’origine celtique ou même le folk « progressif », Angelo Branduardi a toujours fait figure d’être un artiste solitaire et indépendant. Loin des influences d’autres groupes de cette période, son style demeurait déjà unique. Alors, pour tenter de le ranger quelque part, on a pu parler de « folk-rock d’influence médiévale », mais en réalité, ce que fait surtout Angelo Branduardi, c’est surtout du Angelo Branduardi.
Côté cursus, il vient d’un parcours musical classique. Violoniste soliste surdoué, formé au conservatoire Niccolò Paganini de Gènes, il en sortira à l’âge de 16 ans avec un premier prix. Il étudiera aussi un temps la philosophie et se piquera encore de poésie auprès du poète et écrivain italien Franco Fortini qui sera l’un de ses professeurs.
Entré presque par hasard dans le monde de la chanson, le baladin et multi-instrumentiste compose ses propres musiques et chante dans un nombre impressionnant de langues (italien, anglais, français, espagnol, etc…). Du côté des paroles, s’il s’inspire quelquefois de chansons traditionnelles, de textes anciens ou de poésies plus récentes, c’est presque toujours son épouse Luisa Zappa qui sera sa parolière en italien quand ils n’écriront pas les textes à quatre mains. Dans les autres langues, il choisira soigneusement ses paroliers pour proposer de véritables adaptations poétiques.
Confession d’un malandrin version française
Du côté des compositions, si elle peut sembler d’origine médiévale à l’oreille profane, la musique d’Angelo Branduardi prend en réalité, le plus souvent sa source dans un répertoire plus classique, celui qu’il a appris au conservatoire de Gènes ; il n’y avait pas alors de formation aux musiques plus anciennes et médiévales. Ses œuvres sont donc plus résolument baroques, quelquefois renaissantes, et il va encore chercher dans le folklore méditerranéen ou même yiddish les sources de son inspiration. Sur scène, l’artiste se laisse emporter par son art et il s’y tient souvent, les yeux fermés, tout entier habité par sa musique et plongé au cœur d’une intériorité dont il demeure le seul à possèder les clés.
Maintes fois primé pour ses albums, plusieurs fois disque d’Or, il se fera un peu plus discret en France à compter du milieu des années 90, mais il restera actif artistiquement en d’autres lieux. Après de longues années de travail en Italie et en Allemagne et pour le plus grand plaisir d’un public français qui lui est resté fidèle, il reviendra avec des concerts mais aussi avec un Best Of de ses chansons françaises en 2015.
Sur la partie les plus médiévales de ses productions, dans les années 2000, il signera « L’infinitamente Piccolo », une œuvre poétique et musicale sous forme de spectacle (suivie en 2007 d’un DVD) dédiée tout entière à Saint-François d’Assise : La Lauda di Francesco (la laude, les louanges de Saint-François).
Pour consulter l’actualité et l’agenda d’Angelo Branduardi, voici le lien vers la version française de son site web officiel.
« Les Confessions d’un Malandrin »
une chanson « d’inspiration » médiévale
Bien qu’enregistrée seulement en 1981 en langue française, en plus d’être une pure merveille, la chanson que nous vous proposons aujourd’hui a ceci de particulier qu’elle est la toute première composée par Angelo Branduardi. Ecrite à l’âge de 18 ans, presque par jeu et « dans les tourments de l’adolescence », comme il le confiera lui-même lors d’un interview à la télévision italienne, l’artiste ne se destinait alors pas du tout à être chanteur. Au hasard d’une rencontre c’est pourtant bien cette chanson qui le propulsera dans une carrière qu’il avait été loin d’imaginer et qu’il avait projetée bien plus « classique ».
Du point de vue musical comme textuel, à la première écoute, les confessions de ce malandrin ont déjà l’air de nous transporter dans le moyen-âge des troubadours avec ce poète qui court de village en village. Fils de modestes paysans, il est devenu célèbre et on parle désormais de lui chez « les rois et les reines ». Pourtant, il reste attaché par l’âme et le cœur à sa terre natale, et il se livre, de manière touchante, dans cette poésie.
Le souffle d’un grand poète russe
pour la musique inspirée d’un troubadour italien
Loin de trouver ses origines dans la période médiévale, les paroles de cette chanson proviennent en réalité d’un poème russe daté de 1920 et signé de la main de Sergueï Aleksandrovitch Essenine (Serge Esenin) (1895 – 1925). Auteur de talent, encore largement reconnu en Russie, poète, « voyou », homme engagé aussi aux côtés de la révolution d’octobre, Essenine chanta l’âme russe et l’attachement à sa terre comme personne.
« Ce n’est pas tout un chacun qui peut chanter. Ce n’est pas à tout homme qu’est donné d’être pomme Tombant aux pieds d’autrui. Ci-après la toute ultime confession, Confession dont un voyou vous fait profession.
C’est exprès que je circule, non peigné, Ma tête comme une lampe à pétrole sur mes épaules. Dans les ténèbres il me plaît d’illuminer L’automne sans feuillage de vos âmes. »
Sergueï Esenin – Extrait de Confession d’un voyou, traduction d’Armand Robin
Cette poésie qui toucha Angelo Branduardi au cœur est inspirée directement de la vie du poète russe ; il était lui-même issu d’une famille de paysan. Consumé peut-être par sa propre sensibilité, Sergueï Essénine mit fin à ses jours à l’âge de trente ans, en laissant pour témoignage une poésie écrite de son propre sang. La version du suicide fut contestée par la famille, mais le jeune poète russe au destin tragique emporta la vérité dans sa tombe (pour quelques extraits de son oeuvre, consultez cet article d’Esprits Nomades ).
Ayant trouvé de grandes résonances avec le poète, le jeune Angelo Branduardi signa donc l’adaptation italienne de ces « confessions d’un voyou » dans les années 70 et c’est son parolier français de prédilection, Etienne Roda-Gil qui en fit, bien plus tard, en 1981, une adaptation française très inspirée. Elle vint rejoindre d’autres chansons du troubadour italien dans un album qui portait d’ailleurs le nom de la chanson.
Ajoutons que la version italienne, elle-même magnifique, est assez fidèle dans sa trame et ses vers au poème d’origine de Sergueï Esénine qui l’avait inspirée. On doit son « tour médiévalisant » à Angelo Branduardi qui l’avait déjà amorcé dans la version italienne par son choix de vocabulaire : le « voyou » entre autre, s’était déjà changé chez lui en « malandrin ». Etienne Roda-Gil le suivit dans la version française et renforça encore les images médiévales avec ces paysans qui craignaient « le seigneur du ciel et les tourbières » chez le poète russe et qui, avec lui, se mirent à craindre « les seigneurs et leur colère », avec encore ce poète dont on parlait chez « les rois et les reines » et qui, dans la version originale, chantait la Russie. Le passage à l’univers du Moyen Âge était fait et l’évocation totalement réussie.
Confessioni di un malandrino version italienne
Confessions d’un malandrin, les paroles
et l’adaptation française de Roda-Gil
Je passe les cheveux fous dans vos villages, la tête comme embrasée d’un phare qu’on allume Aux vents soumis je chante des orages aux champs labourés la nuit des plages. Les arbres voient la lame de mon visage où glisse la souillure des injures Je dis au vent l’histoire de ma chevelure qui m’habille et me rassure.
Je revois l’étang, de mon enfance où les roseaux et toutes les mousses dansent et tous les miens qui n’ont pas eu la chance d’avoir un fils sans espérance. Mais ils m’aiment comme ils aiment la terre ingrate à leurs souffrances à leur misère Si quelqu’un me salissait de reproches ils montreraient la pointe de leur pioche.
Paysans pauvres mes père et mère attachés à la boue de cette terre Craignant les seigneurs et leurs colères pauvres parents qui n’êtes même pas fiers d’avoir un fils poète qui se promène dont on parle chez les rois et chez les reines qui dans des escarpins vernis et sages blesse ses pieds larges et son courage.
Mais survivent en moi comme lumière les ruses d’un voyou de basse terre devant l’enseigne d’une boucherie campagnarde je pense aux chevaux morts mes camarades Et si je vois traîner un fiacre jaillit d’un passé que le temps frappe je me revois aux noces de campagne parmi les chairs brulées des paysannes.
J’aime encore ma terre, bien qu’affligée de troupes avares et sévères c’est le cri sale des porcs que je préfère à tous les discours qui m’indiffèrent. Je suis malade d’enfance et de sourires de frais crépuscules passés sans rien dire Je crois voir les arbres qui s’étirent se réchauffer puis s’endormir.
Au nid qui cache la couve toute neuve j’irai poser ma main devenue blanche mais l’effort sera toujours le même et aussi dure encore, la vieille Écorce. Et toi le grand chien de mes promenades enroué, aveugle et bien malade tu tournes la queue basse dans la ferme sans savoir qui entre ou qui t’enferme.
Il me reste des souvenirs qui saignent de larcins de pain dans la luzerne et toi et moi mangions comme deux frères chien et enfant se partageant la terre Je suis toujours le même, le sang, les désirs, les mêmes haines sur ce tapis de mots qui se déroule je pourrais jeter mon coeur à vos poules.
Bonne nuit faucille de la lune brillante dans les blés qui te font brune de ma fenêtre j’aboie des mots que j’aime quand dans le ciel je te vois pleine La nuit semble si claire qu’on aimerait bien mourir pour se distraire qu’importe si mon esprit bat la campagne et qu’on montre du doigt mon idéal.
Cheval presque mort et débonnaire à ton galop sans hâte et sans mystère j’apprends comme d’un maître solitaire à chanter toutes les joies de la terre De ma tête comme d’une grappe mure coule le vin chaud de ma chevelure.
De mon sang sur une immense voile pure, je veux écrire les rêves des nuits futures…
En vous souhaitant une belle journée et une très belle écoute.
Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : poésie médiévale, littérature médiévale, poésie morale, ballade, moyen français, valeurs morales, loyauté,honneur, Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : Fay ce que doiz et adviengne que puet Ouvrage : Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps , GA Crapelet (1832)
Bonjour à tous,
ap sur le XIVe siècle avec une nouvelle ballade d’Eustache Deschamps. Le poète médiéval la destina explicitement à son fils et comme dans nombre de ses poésies morales, il y est question de droiture, d’honneur, de loyauté, de non-convoitise, bref d’un code de conduite pour soi mais aussi, bien sûr, valeurs chrétiennes obligent, devant l’éternel. Comme il se plait souvent à le souligner, (il le fera à nouveau ici) ces valeurs et ce code transcendent les classes sociales et s’adressent à tous. Par elles, tout un chacun peut s’élever mais aussi se « sauver ».
Pour le reste, à la grâce de Dieu donc et advienne que pourra : Fay ce que doiz et adviengne que puet. Dans le refrain de cette ballade, on retrouve le grand sens de la formule et la plume incisive du maître de poésie du moyen-âge tardif.
Georges Adrien Crapelet
et la renaissance d’Eustache Deschamps
On peut trouver cette ballade dans plusieurs oeuvres complètes de l’auteur médiéval et notamment dans l’ouvrage de Georges Adrien Crapelet (1789-1842) cité souvent ici : Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps. Pour rendre justice à cet écrivain et imprimeur des XVIIIe, XIXe siècles, il faut souligner qu’après de longs siècles d’un oubli pratiquement total de la poésie d’Eustache Deschamps, c’est lui qui l’exhuma patiemment des manuscrits, en publiant, en 1832, l’ouvrage en question et sa large sélection de poésies et de textes.
A la suite de G.A. Crapelet, Le Marquis de Queux de Saint-Hilaire, Gaston Reynaud, et d’autres auteurs encore du XIXe se décidèrent à leur tour, à publier les oeuvres complètes de l’auteur médiéval. S’il n’est pas devenu aussi célèbre qu’un Villon, Eustache Deschamps a tout de même, grâce à tout cela et depuis lors, reconquis quelques lettres de noblesse bien méritées.
Sans minimiser aucunement le rôle joué par Crapelet dans la redécouverte de cette oeuvre conséquente, il faut se resituer dans le contexte historique et ajouter que les XVIIIe et le XIXe furent de grands siècles de redécouverte de l’art, de la poésie et de la littérature médiévale.
« Fay ce que doiz et adviengne que puet » dans le moyen-français d’Eustache Deschamps
Soit en amours, soit en chevalerie, Soit ès mestiers communs de labourer, Soit ès estas grans, moiens, quoy c’om die, Soit ès petis, soit en terre ou en mer, Soit près, soit loing tant come on puet aler, Se puet chascun net maintenir qui veult, Ne pour nul grief ne doit a mal tourner : Fay ce que doiz et aviengne que puet.
Car qui poure est, et vuiz* (dépourvu) de villenie, Devant tous puet bien sa teste lever ; Se loiaulx est l’en doit prisier sa vie Quand nul ne scet en lui mal reprouver ; Mais cilz qui veult trahir ou desrober Mauvaisement, ou qui autrui bien deult* (doloir, faire du tort), Pert tout bon nom, l’en se seult*(souloir : avoir coutume) diffamer. Fay ce que doiz et adviengne que puet.
N’aies orgueil ne d’autrui bien envie, Veueilles toudis aux vertus regarder, T’ame aura bien, le renom ta lignie ; L’un demourra, l’autre est pour toy sauver : Dieux pugnist mal, le bien remunerer Vourra aux bons; ainsi faire le suelt*(de souloir). Ne veuillez rien contre honeur convoiter. Fay ce que doiz et aviengne que puet.
L’ENVOY
Beaus filz, chascuns se doit loiaulx porter, Puisqu’il a sens, estre prodoms l’estuet* (estoveir: falloir,être nécessaire) Et surtout doit Dieu et honte doubter : Fay ce que doiz et aviengne que puet.
En vous souhaitant une excellente journée.
Frédéric EFFE
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Sujet : poésie médiévale, fable médiévale, langue d’Oil, vieux français, anglo-normand, auteur médiéval, Phèdre, ysopets, poète médiéval. Période : XIIe siècle,moyen-âge central. Titre : Dou Chamel è del Puche. Le chameau & la puce. Auteur : Marie de France (1160-1210) Ouvrage : Poésies de Marie de France Tome Second, par B de Roquefort, 1820
Bonjour à tous,
our changer un peu des fables d’Eustache Deschamps en voici une de la poétesse des XIIe, XIIIe siècles Marie De France. Bien que vivant en Angleterre, cette dernière écrivit dans une langue d’Oil teintée de formes dialectales anglo-normandes et elle est, de ce fait, considérée comme une des premières auteur(e)s françaises. D’autres femmes l’ont précédé sur le terrain de l’écriture, comme Héloise, mais elles s’y étaient exercées en latin.
Au titre de son legs littéraire, Marie de France a laissé trois grandes oeuvres :
Un recueil de lais adaptés de légendes ou de contes bretons et celtiques. Elle apportera ainsi sa contribution à la matière de Bretagne en mêlant courtoisie et créatures fantastiques, ou merveilleuses.
Une traduction du Purgatoire de Saint-Patrice, le Tractatus de Purgatorio Sancti Patricii du moine cistercien Henry de Saltrey; c’est un récit qui relate le voyage au purgatoire d’un chevalier Irlandais pour expier ses péchés.
Et enfin un recueil de fables adaptées d’Esope et de Phèdre qui est également le premier ysopet connu historiquement en langue française. C’est de ce dernier ouvrage de la poétesse que provient le texte du jour.
Dou Chamel è del puche
dans la langue d’Oil de Marie de France
ette fable est tirée de l’oeuvre de Phèdre (15-50 av JC): Pulex et Camelux.Ce dernier a repris en grande partie les fables d’Esope dans ses écrits, mais celle-ci compte, semble-t-il, au nombre de ses créations originales. Elle traite de la vanité de ceux qui, dans l’ombre des puissants, finissent par se penser plus importants aux yeux de ces derniers, qu’ils ne le sont en réalité. Quatre siècles après Marie de France, Jean de la Fontaine en tirera, quant à lui, dans un tout autre style et déroulement, le rat et l’éléphant.
Cette fois-ci et pour changer, nous faisons suivre après la version originale, une adaptation libre, plutôt qu’une traduction littérale.
Une Puce, ce dit, munta Sor un Chameul, sel chevalcha Deci à une autre cuntrée ; Dunc s’est la Puche purpencée Si a mercié le Camoil, Ki si soef dedens sun poil L’aveit ensenble od li portée Jamès sans li ne fuit alée. Par sun travoil le servereit Mult volentiers s’ele poveit. Li Cameus li ad respundu K’unques de li carkiez ne fu: Ne ne sout qu’ele fut sor lui Ne qu’ele li feist nul anui.
Ainsi vet de la puvre gent Se as Rikes unt aproichement, Forment les cuident currecier Damaige faire et mult charger.
Du chameau et de la puce Adaptation français moderne
Une puce, un jour, monta Sur un chameau et chevaucha Vers de nouvelles contrées ; Leur long voyage achevé
La puce se piqua bientôt De remercier le chameau Qui, bien gentiment, dans sa laine l’avait porté en terre lointaine, « Sans vous je n’aurais pu le faire. Comment puis-je vous satisfaire ? Je vous servirais volontiers Par tout travail, si je pouvais » Étonné de la trouver là, Le chameau répondit, narquois Qu’il n’avait pas senti son poids ou même noté sa présence, ni le signe de son existence.
Ainsi va-t’il des petites gens Quand ils s’approchent des puissants Leur prétention va cheminant. Bien vite, ils se croient importants Pensant pouvoir leur faire ombrage Ou leur causer quelques dommages.
En vous souhaitant une excellente journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.