Archives de catégorie : Musiques, Poésies et Chansons médiévales

Vous trouverez ici une large sélection de textes du Moyen âge : poésies, fabliaux, contes, chansons d’auteurs, de trouvères ou de troubadours. Toutes les œuvres médiévales sont fournis avec leurs traductions du vieux français ou d’autres langues anciennes (ou plus modernes) vers le français moderne : Galaïco-portugais, Occitan, Anglais, Espagnol, …

Du point du vue des thématiques, vous trouverez regroupés des Chansons d’Amour courtois, des Chants de Croisade, des Chants plus liturgiques comme les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, mais aussi d’autres formes versifiées du moyen-âge qui n’étaient pas forcément destinées à être chantées : Ballades médiévales, Poésies satiriques et morales,… Nous présentons aussi des éléments de biographie sur leurs auteurs quand ils nous sont connus ainsi que des informations sur les sources historiques et manuscrites d’époque.

En prenant un peu le temps d’explorer, vous pourrez croiser quelques beaux textes issus de rares manuscrits anciens que nos recherches nous permettent de débusquer. Il y a actuellement dans cette catégorie prés de 450 articles exclusifs sur des chansons, poésies et musiques médiévales.

François Villon, la mort, le temps, la vieillesse, fragments commentés du Grand Testament

poesie_medievale_epitaphe_villon_ballade_pendu_erik_satie_lecture_audioSujet : poésie médiévale, poésie réaliste, auteur médiéval, littérature médiévale.
Auteur : François Villon (1431-?1463)
Titre : Le grand testament (extrait)
Période : moyen-âge tardif, XVe siècle.
Ouvrages : diverses oeuvres de Villon,  PL Jacob  (1854) , JHR Prompsault (1832), Villon & Rabelais, Louis Thuasne (1911)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous vous proposons aujourd’hui un nouvel extrait commenté du Grand Testament de François Villon. A ce point de l’oeuvre, le brillant poète du XVe a loué les dames du temps jadis, mais encore ses Seigneurs  deco_poesie_medievale_enluminures_francois_villon_XVe_siècleet, suite à sa ballade qui scande « Autant en emporte ly vens« , il prolonge ses réflexions sur la mort et le temps qui passe.  Testament oblige, il nous régale ici de quelques strophes profondes sur ces mêmes thèmes qui offrent une belle ouverture à la ballade des regrets de la belle Heaulmière, qui suivra.

En virtuose accompli, Villon continue d’édifier  l’incomparable trésor qu’il légua à la poésie à travers les âges, en usant de son verbe unique et faisant resurgir devant nous les plus belles merveilles de la langue française du XVe siècle.

Avant d’avancer et du point de vue des méthodes, précisons que nous croisons ici des recherches de vocabulaire à l’aide de dictionnaires anciens (Godefroy et Hilaire  Van Daele notamment), avec plusieurs notes ou commentaires d’oeuvres diverses du grand maître de poésie médiévale (dont vous trouverez les références en tête d’article). Comme point de départ, je dois avouer que j’affectionne particulièrement la version très richement commentée de PL Jacob. Cet article lui doit beaucoup.

francois_villon_grand_testament_fragments_poesie_medievale_moyen-age_tardif


Fragments poétiques du grand testament
de Maistre François Villon

XLII

Puys que papes, roys, filz de roys,
Et conceuz en ventres de roynes,
Sont enseveliz, mortz et froidz,
En aultruy mains passent les resnes;
Moy, pauvre mercerot de Renes,
Mourray-je pas ? Ouy, se Dieu plaist :
Mais que j’aye faict mes estrenes (1)
Honneste mort ne me desplaist.

XLIII

Ce monde n’est perpétuel,
Quoy que pense riche pillart
Tous sommes soubz le coup mortel.
Ce confort prent pauvre vieillart,
Lequel d’estre plaisant raillart* (moqueur)
Eut le bruyt, lorsque jeune estoit;
Qu’on tiendroit à fol et paillart*(gueux, méprisable, coquin),
Se, vieil, à railler se mettoit.

XLIV

Or luy convient-il mendier,
Car à ce force le contraint.
Regrette huy sa mort, et hier
Tristesse son cueur si estrainct :
Souvent, se n’estoit Dieu, qu’il crainct ,
Il feroit un horrible faict.
Si advient qu’en ce Dieu enfrainct,
Et que luy-mesmes se deffaict.(2)

XLV

Car, s’en jeunesse il fut plaisant,
Ores plus rien ne dit qui plaise.
Tousjours vieil synge est desplaisant :
Moue ne faict qui ne desplaise
S’il se taist, afin qu’il complaise,
Il est tenu pour fol recreu* (fatigué, vaincu)
S’il parle, on luy dit qu’il se taise,
Et qu’en son prunier n’a pas creu.(3)

XLVI

Aussi, ces pauvres femmelettes,
Qui vieilles sont et n’ont de quoy
Quand voyent jeunes pucellettes
En admenez et en requoy, (4)
Lors demandent à Dieu pourquoy
Si tost nasquirent, n’a quel droit?
Nostre Seigneur s’en taist tout coy
Car, au tanser, il le perdroit. (5)

François Villon (1431-?1463)


Notes

(1) Il se compare ici à un pauvre marchand de Rennes. Il faut comprendre un miséreux, ou (dans le champ argotique) un « gueux ». Peut-être Dieu décidera-t-il de le faire mourir, mais il ne s’en plaint pas, pourvu qu’il ait pris un peu de bon temps. L’étrenne était l’aumône faite au pauvre mais aussi le premier achat fait à un marchand, soit la vente qui « sauvait » sa journée ou lui adoucissait pour le dire trivialement.

(2) Il commettrait un crime ou un délit pour ne plus avoir à mendier s’il ne craignait Dieu et si, en enfreignant les lois de ce dernier, il n’était conscient de se faire du tort à lui-même.

(3) « Et qu’en son prunier n’a pas creu » Dans ses oeuvres complètes de Villon P.L Jacob  propose  l’interprétation suivante : « Cette expression proverbiale nous paroît signifier qu’il ne parle pas de son crû, qu’il répète les paroles des autres ». Elle me semble plus évocatrice d’une métaphore autour de l’arbre, de sa croissance et peut-être même du deco_poesie_medievale_enluminures_francois_villon_XVe_sièclefruit. Ie : on explique au vieillard que ses paroles sont stériles et ne portent aucun fruit, autrement dit rien d’utile dont on puisse s’inspirer et qui puisse élever.

(4) En admenez et en requoy,  Ce ver semble avoir été sujet à des « traductions » ou « écritures » diverses en fonction des imprimeurs et des éditeurs de Villon.  D’un point de vue littéral.  on admet généralement que « Admenez » serait un erreur de copiste et doit être plutôt lu comme « Endemenez ». On trouve ce terme traduit dans le Dictionnaire de l’ancien français Godefroy (version courte) comme : « léger, écervelé qui ne peut pas tenir en place. » En Requoy (requoi ou recoi) signifie « en cachette, à part, en secret ». Concernant l’ensemble de cette expression « En admenez et en requoy », Prompsault (1832-35) lui donne comme sens : « prenant leur plaisir en cachette avec des jeunes garçons ». Il suit ainsi les pas de Marot qui a préféré noter ce ver : « Emprunter elles à Requoi », autrement dit « qui se donnent en cachette ».   Bref si nous ne passons pas à côté d’une expression d’époque ou d’une référence à tiroir  dont Villon a le secret, il s’agit sans doute là d’exprimer quelque chose qui a trait à des comportements ou des moeurs « légères » et cachottières, ou secrètes.

(5) Ces femmes devenues vieilles qui n’ont plus les attraits de la jeunesse et de la séduction, voyant les jeunes filles s’ébattre et s’adonner aux plaisirs de leur âge, les envient. Elles demandent alors à Dieu pourquoi elles naquirent avant elles et par quelle injustice (quel droit), mais lui se tient coi car il ne pourrait sortir victorieux d’un débat sur la question. On notera avec Louis Thuasne  (« Villon et Rabelais ») que cette interrogation renvoie à celle que posait déjà la vielle du roman de la rose :

« Dieu ! en quel soucy me mettoyent
Les beaulx dons que faillis m’estoyent!
Et ce que laissé leur estoit,
En quel torment me remettoit,
Lasse ! pourquoi si tost nasqui ?
A qui me dois-je plaindre ? A qui
Fors à vous, filz que j’ai tant chier »

 En vous souhaitant une très belle journée.
Fred

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« Chanson ferai », une chanson d’amour courtois de Thibaut de Champagne

thibaut_le_chansonnier_troubadour_trouvere_roi_de_navarre_comte_de_champagneSujet : chanson médiévale, poésie, amour courtois, roi troubadour, roi poète, lyrisme courtois, trouvères.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Thibaut IV de Champagne (1201-1253), Thibaut 1er de Navarre
Titre : « chanson ferai »
Interprètes : Diabolus in Musica
Album :  La Doce Acordance: chansons de trouvères (2005).

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous revenons au lyrisme courtois en langue d’oil et à la poésie des trouvères des XIIe et XIIIe siècles, avec une chanson du roi de Navarre et comte de Champagne Thibaut le chansonnier.

Au vue du nombre de chansons que le roi poète nous a laissé sur le thème de l’Amour courtois, il aimait à l’évidence  s’y exercer, comme nombre d’artistes de son temps : la dame est belle, il en est épris et il en souffre. Douleur, affres du doute, elle tient son pauvre coeur « en sa prison » et à sa merci.

Même s’il n’est ni le premier ni le dernier puissant à s’y adonner, avec lui, l’exercice poétique de l’amour courtois peut d’autant plus surprendre que c’est un grand seigneur et même un prétendant au trône et un roi. Il régna plus de cinquante ans, fit les croisades, fut un grand vassal de la couronne, et pourtant, dans sa poésie, nous le retrouvons tout de même très souvent « à nu » et en but à ses « dolentes » passions. Signe du temps, l’Amour élève quand il est courtois. Faut-il donc que Thibaut souffre tant et que la(les) dame(s) qu’il convoite ne cède(nt) pas pour qu’il en ressorte d’autant plus chevaleresque ? N’est-ce là qu’un exercice thibaut_thibault_champagne_navarre_poesie_chanson_medievale_amour_courtois_trouvere_moyen-age_central_XIIIede style auquel il se prête, comme tant d’autres poètes d’alors ? C’est encore possible bien que sa poésie courtoise ne soit pas dénuée de grands accents de sincérité.

Thibaut de Champagne, roi de Navarre, enluminure du XIIIe siècle, manuscrit Français 12615, Bnf, départements des manuscrits

Par le passé, certains historiens ou chroniqueurs lui ont prêté d’avoir choisi l’illustre  Blanche de Castille, épouse de Louis VIII et mère de Saint-Louis, comme témoin et objet de son ardeur poétique. Au vue de son statut et pour que l’amour courtois fonctionne, il lui fallait trouver une dame d’un rang supérieur à lui. De ce point de vue là au moins, choisir la reine de France se serait avéré fonctionnel et puis ne dit-il pas ici :  « la grant biautez (…) Qui seur toutes est la plus desirree » ?  Troublant ? ou pas…

Dans sa vie maritale et sentimentale réelle, on le trouvera, au moins dans les faits, lié et même marié à d’autres dames. De fait, l’affaire de cette passion qu’on prêta à Thibaut de Champagne pour la reine Blanche alla si loin que certains le calomnièrent même injustement, à la mort de Louis VIII, en l’accusant d’avoir empoisonné le roi par passion et par amour pour la reine. (voir l’ouvrage Chanson de Thibault IV, comte de champagne  et de Brie, roi de Navarre, et l’introduction de Prosper Tarbé, 1851).  Quoiqu’il en soit, tout cela ne s’appuyant sur rien de bien concret, on l’a depuis laissé au rang des manipulations politiques ou des conclusions hâtives et sans doute un peu trop « romantiques ». Et si les poésies de Thibaut avaient un véritable objet et si même sa souffrance était peut-être sincère, il est bien difficile d’établir avec certitude quelle(s) dame(s) la lui inspira(rèrent).

« Chanson ferai » par l’ensemble médiéval Diabolus in Musica

« La Doce Acordance »  Diabolus in Musica
et les trouvères des XIIe et XIIIe siècles

Nous vous avions déjà présenté cet ensemble médiéval à l’occasion d’un article précédent. Il nous gratifiait alors d’un album autour du compositeur du XVe siècle Guillaume Dufay. L’oeuvre que nous présentons d’eux aujourd’hui est en réalité antérieure et date du tout début de l’année 2005. Elle  emprunte au répertoire plus ancien du Moyen Âge et avec l’album  intitulé « La Doce Acordance« , la formation Diabolus in Musica se donnait pour objectif de revisiter des chansons et poésies des trouvères des XIIe et XIIIe siècles.chanson_poesie_musique_medievale_trouveres_diabolus_in_musica_album_doce_acordance_XIIe_XIIIe_siècle_moyen-age_central

Salué par le Monde le la Musique, ce bel album s’est vu attribuer, peu après sa sortie, 4 étoiles et 5 Diapasons d’or. Il présente dix-sept pièces, certaines de Thibaut de Champagne, d’autres du Châtelain de Coucy ou de Conon de Béthune, entre autres trouvères célèbres, et même certains textes de Chrétien de Troyes.  On le trouve encore à la vente en CD, mais il est aussi disponible en version digitalisée et MP3. Voici un lien utile pour l’acquérir sous une forme ou une autre, si le coeur vous en dit : La Doce Acordance; Chansons de trouvères.

Les paroles de la chanson
de Thibaut de Champagne

Concernant la chanson du jour, nous le disions plus haut, c’est une jolie pièce d’amour courtois. Comme dans bien des textes issus de cette poésie, le fond est toujours à peu près le même. Le désir du prétendant reste inassouvi, il ne trouve pas à se poser sur son objet et tout cela donne naissance à un mélange de louanges, d’exaltation et de souffrance. Il faut qu’il en soit ainsi, du reste, puisque s’il se posait sur son objet et se consumait dans l’acte, il n’y aurait pas lieu de brûler du parchemin et, en tout cas, pas de cette manière.

manuscrit_ancien_thibaut_de_champagne_enluminure_poesie_chanson_medievale_amour_courtois_moyen-age_XIIIeDelectatio Morosa, l’amant de l’amour courtois est attaché à ses propres « maux », venus, la plupart du temps, de l’attente, de la distance, quand ce n’est pas du silence, de l’indifférence ou pire, de la trop grande sagesse de la dame déjà souvent engagée par ailleurs et qui se refuse. L’aime-t-elle ou l’aimera-t-elle ? Il espère la délivrance de ses (doux) maux dans l’après, ce moment où il verra peut-être enfin sa patience récompensée. Il en jubilerait presque d’avance, jusque dans ce désespoir qui exacerbe son sentiment amoureux, autant qu’il redoute que ce moment n’arrive pas et que la porte demeure à jamais fermée.

Chançon ferai, que talenz* (envie, désir) m’en est pris,
De la meilleur qui soit en tout le mont.
De la meilleur? Je cuit que j’ai mespris.
S’ele fust teus, se Deus joie me dont,
De moi li fust aucune pitié prise,
Qui sui touz siens et sui a sa devise.
Pitiez de cuer, Deus! que ne s’est assise
En sa biauté ? Dame, qui merci proi*(à qui je demande merci), 
Je sent les maus d’amer por vos.
Sentez les vos por moi ?

Douce dame, sanz amor fui jadis,
Quant je choisi vostre gente façon ;
Et quant je vi vostre tres biau cler vis ,
Si me raprist mes cuers autre reson :
De vos amer me semont et justise,
A vos en est a vostre conmandise.
Li cors remaint, qui sent felon juïse*, (jugement)
Se n’en avez merci de vostre gré.
Li douz mal dont j’atent joie
M’ont si grevé
Morz sui, s’ele m’i delaie.

Mult a Amors grant force et grant pouoir,
Qui sanz reson fet choisir a son gré.
Sanz reson ? Deus ! je ne di pas savoir,
Car a mes euz* (yeux) en set mes cuers bon gré,
Qui choisirent si tres bele senblance,
Dont jamès jor ne ferai desevrance*, ( je ne me séparerai)
Ainz sousfrirai por li grief penitance,
Tant que pitiez et merciz l’en prendra.
Diré vos qui mon cuer enblé m’a ?
Li douz ris et li bel oeil qu’ele a.

Douce dame, s’il vos plesoit un soir,
M’avrïez vos plus de joie doné
C’onques Tristans, qui en fist son pouoir,
N’en pout avoir nul jor de son aé; (*âge, vie)
La moie joie est tornee a pesance.
Hé, cors sanz cuer! de vos fet grant venjance
Cele qui m’a navré sanz defiance,
Et ne por quant je ne la lerai ja.
L’en doit bien bele dame amer
Et s’amor garder, qui l’a.

Dame, por vos vueil aler foloiant,
Que je en aim mes maus et ma dolor,
Qu’après les maus la grant joie en atent
Que je avrai, se Deu plest, a brief jor*. (si à Dieu plait, un jour prochain)
Amors, merci! ne soiez oublïee!
S’or me failliez, c’iert traïson doublee,
Que mes granz maus por vos si fort m’agree.
Ne me metez longuement en oubli!
Se la bele n’a de moi merci,
Je ne vivrai mie longuement ensi.

La grant biautez qui m’esprent et agree,
Qui seur toutes est la plus desirree,
M’a si lacié mon cuer en sa prison.
Deus! je ne pens s’a li non.
A moi que ne pense ele donc ?

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
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Les leçons de « Fortune », une ballade de Michault Taillevent

poesie_medievale_michault_le_caron_taillevent_la_destrousse_XVe_siecleSujet : poésie, littérature médiévale, ballade, poète médiéval, bourgogne, poète bourguignon, bourgogne médiévale, poésie réaliste, poésie morale, fortune.
Période : moyen-âge tardif, XVe
Auteur : Michault (ou Michaut) Le Caron, dit Taillevent ( 1390/1395 – 1448/1458)
Titre : O folz des folz…

Bonjour à tous,

V_lettrine_moyen_age_passion copiaoici un nouvel extrait de la poésie de Michault Caron dit Taillevent. Loin du jeune auteur qui se faisait attaquer dans le bois de Saint-Maxence et contait dans La Détrousse, non sans un certain humour, sa malencontreuse aventure devant la cour du duc de Bourgogne, c’est un poète plus résolument moraliste que nous retrouvons ici. Tirée d’un traité de Sagesse appelé le régime de fortune et fait en référence à Horace, cette ballade est assurément plus une oeuvre de la maturité.

Les exigences et les caprices de Fortune

« Ce n’est que vent de la gloire du monde,
A ung hasart tout se change et se cesse. »
Michault Le Caron, dit Taillevent

Michault Taillevent nous rappellera ici cette notion de « Fortune » dont nous avons déjà parlé et qui se trouve être si importante au Moyen-âge. C’est ce sort, personnifié par sa roue qui tourne inexorablement. Symbole de l’impermanence et de l’arbitraire, elle vient sanctionner, de manière inéluctable l’impuissance des hommes à rien pouvoir saisir, ni tenir.

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La Roue de Fortune, miniature médiévale de Maître de Coëtivy (Colin d’Amiens 1400-1450) grand maître enlumineur du XVe siècle.

C’est un fait bien établi, dans la vision chrétienne médiévale comme actuelle d’ailleurs, notre passage en ce bas monde matériel n’est que transitoire et n’a de raison que préparer notre entrée dans l’immatériel, le royaume du divin. Ce devrait ou pourrait être, en soi, une raison suffisante pour ne point s’obséder d’y accumuler biens et richesses  puisque le chrétien ne pourra pas, quoiqu’il advienne, les emporter avec lui de l’autre côté de la rive et ils pourraient même l’alourdir au jour de sa mort et de son jugement, mais si cela ne suffisait pas à lui faire comprendre la vanité de l’entreprise, les exigences du sort et les caprices de Fortune viennent s’y ajouter. Dans les représentations médiévales, tous les hommes sans exception, du plus démuni au plus grand prince, y sont, en effet, soumis.

Présente dès l’antiquité, dans le monde médiéval chrétien, Fortune si elle prend, par instants, les traits d’une déesse ambivalente et capricieuse, puise sa raison d’être ou ses origines dans la bible et l’Ecclésiaste :

« Puis, j’ai considéré tous les ouvrages que mes mains avaient faits, et la peine que j’avais prise à les exécuter; et voici, tout est vanité et poursuite du vent, et il n’y a aucun avantage à tirer de ce qu’on fait sous le soleil. » 
Ecclésiaste, 2 – 11

C’est visiblement sous l’influence du philosophe Boèce (480-524) qu’elle sera, quelques siècles plus tard, représentée sous la forme d’une roue et connaîtra de belles heures dans l’iconographie et les miniatures du moyen-âge, à partir du XIe siècle.

  « Notre nature, la voici, le jeu interminable auquel nous jouons, le voici :
tourner la Roue inlassablement, prendre plaisir à faire descendre ce qui
est en haut et à faire monter ce qui est en bas
. »
Boèce  – Consolation de Philosophie

michault_taillevent_caron_fortune_ballade_poesie_medievale_bourguigne_moyen-age_XVe

« O folz des folz », ballade contre l’ambition
et les illusions de l’Avoir

Quoiqu’il en soit, se fier à la hauteur de son trône ou de sa position et s’en gargariser quand, d’aventure, Fortune vous a placé tout en haut, ne serait que pure déraison pour les auteurs du moyen-âge central. Le lendemain, elle peut tout aussi bien vous faire choir.

Se glorifier de ses possessions de ses richesses, les poursuivre, s’en croire même le juste détenteur ou, pire, l’artisan ?  Folie ! Pure Vanité !  Contre fortune, il faut garder raison. On peut conter sur l’auteur du moyen-âge tardif pour nous le rappeler. Nus comme au premier jour, nantis pour seuls habits de ceux que la nature nous a donnés et de ses dons, il nous enjoint à nous contenter de peu, en nous souvenant des leçons de fortune et en nous rappelant ses droits.

O folz des folz, et les folz mortelz hommes,
Qui vous fiez tant es biens de fortune
En celle terre et pays ou nous sommes,
Y avez vous de chose propre aucune ?
Vous n’y avez chose vostre nesune* (*aucune, pas même une)
Fors les beaulx dons de grace et de nature.
Se fortune donc, par cas d’aventure,
Vous toult* (*ôte)  les biens que vostres vous tenez,
Tort ne vous fait, ainçois vous fait droicture*, (*justice)
Car vous n’aviez riens quant vous fustes nez.

Ne laissez plus le dormir a grans sommes
En vostre lict, par nuit obscure et brune,
Pour acquester richesses a grans sommes,
Ne convoitez chose dessoubz la lune,
Ne de Paris jusques a Pampelune,
Fors ce qu’il fault, sans plus, a creature
Pour recouvrer sa simple nourriture ;
Souffise vous d’estre bien renommez,
Et d’emporter bon loz en sepulture :
Car vous n’aviez riens quant vous fustes nez.

Les joyeulx fruitz des arbres, et les pommes,
Au temps que fut toute chose commune,
Le beau miel, les glandes et les gommes
Souffisoient bien a chascun et chascune,
Et pour ce fut sans noise* (* bruit,querelle) et sans rancune.
Soyez contens des chaulx et des froidures,
Et me prenez Fortune doulce et seure.
Pour voz pertes, griefve dueil* n’en menez, (*deuil douloureux)
Fors a raison, a point, et a mesure,
Car vous n’aviez riens quant vous fustes nez.

Se fortune vous fait aucune* (*quelque) injure,
C’est de son droit, ja ne l’en reprenez,
Et perdissiez jusques a la vesture :
Car vous n’aviez riens quant vous fustes nez.

Michault Le Caron, dit Taillevent – Le régime de Fortune

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour Moyenagepassion.com
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El mestre, une chanson catalane ancienne par l’ensemble Hirundo Maris

musique_danse_medievale_enluminures_moyen-age_central_et_tardif_XIVeSujet : musique, chanson ancienne, folklore catalan, musique ancienne, langue catalane
Période :  moyen-âge central, XIIIe siècle ?
Auteur original: ?
Interprète : Arianna Savall, Petter Udland Johansen et Hirundo Maris
Titre:  El Mestre
Album : Chants du Sud et du Nord
Editeur : Universal Music (2012)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous explorons une chanson ancienne qui nous vient des terres de Catalogne. Elle est interprétée par le groupe Hirundo Maris, ce qui va nous fournir une excellente occasion de parler de cette formation et de sa talentueuse fondatrice, l’artiste, compositeur, chanteuse et musicienne Arianna Savall. 

Arianna Savall, soliste soprano, harpiste & artiste accomplie

Même si Jordi Savall est, pour notre plus grand bonheur, encore très actif sur la scène musicale, si l’on doutait encore que sa relève ne soit assurée, nous n’avons aucun souci à nous faire. Ferran et Arianna, les deux fruits de l’union du grand maître musique et joueur de vielle catalan avec la chanteuse lyrique soprano Montserrat Figueras sont en effet devenus, à leur tour, de brillants artistes, chanteurs et musiciens. Aujourd’hui, c’est de sa fille, la talentueuse Arianna Savall, que nous voulons vous parler.

arianna_savall_musiques_chansons_poesie_anciennes_medievalesNée en 1972, cette belle artiste a sans nul doute hérité de la passion familiale pour les arts et la musique ancienne et elle marche résolument sur leurs traces,  en y ouvrant ses propres voies artistiques.

Après avoir étudié le chant lyrique et la harpe classique dans la région de Barcelone et au Conservatoire de Terrassa, puis s’être dotée d’une spécialisation dans l’interprétation baroque de son instrument de prédilection, Arianna a, comme d’autres artistes déjà mentionnés ici, suivi les cours de la Schola Cantorum Basiliensis de Bâle, école suisse de renom dans le domaine des musiques anciennes,

Dès ses débuts de carrière, à la fin des années 90. ses premiers enregistrements et son premier album aux côtés de Montserrat Figueras, seront primés et salués par un Diapason d’or. Dans la décennie qui suivra, elle poursuivra son parcours en famille, en jouant avec le célèbre Hespérion XXI de Jordi Savall, mais elle démontrera aussi ses grandes qualités vocales à l’Opéra, pour finalement, en 2003, enregistrer un premier album. Composé par ses soins, elle y donnera à la fois de la voix et de la harpe et l’album, ayant pour titre Bella Terra, sera extrêmement bien accueilli du public.

arianna_savall_hirundo_maris_Petter_Udland_Johansen_musiques_chanson_traditionnelle_anciennesEn 2009, elle créera avec l’artiste, chanteur et violoniste norvégien Petter Udland Johansen qui se trouve être aussi son compagnon, la formation  Hirundo Maris, toute entière dédiée au répertoire des musiques anciennes, du moyen-âge à la période baroque. Depuis sa création, l’ensemble a déjà produit quatre albums et nous leur devons l’interprétation de la pièce du jour. Arianna s’y adonne avec une grande virtuosité et une voix splendide,  pleine de justesse et de sensibilité.

Aujourd’hui, Arianna Savall et sa formation Hirundo Maris se produisent en concert dans toute l’Europe et même jusqu’en Asie. Pour consulter leur actualité et leur discographie, vous pouvez valablement consulter le site web officiel  de l’artiste à l’adresse suivante : ariannasavall.com

Hirundo Maris
et les « Chants du Sud et du Nord »

Sorti en 2012, l’album « Chants du Sud et du Nord » de Hirundo Maris a été inspiré, au départ, par la chanson catalane « el mariner ». Cette dernière conte l’histoire d’une damoiselle des bords de la méditerranée, tombée amoureuse d’un guerrier et chevalier du nord. A l’image de la chanson, l’album est le fruit d’une union, mais c’est aussi celui de la rencontre entre deux univers musicaux et culturels; les deux artistes y explorent le répertoire ancien et traditionnel des musiques à la fois catalanes et norvégiennes mais aussi séfardi, pour nous proposer un voyage des rives anciennes de la méditerranée jusqu’à la mer du nord, à la recherche des similitudes, des différences, et de possibles et subtiles convergences entre musiques et chants des peuples viking, des hirundo_maris_arianna_savall_musiques_anciennes_medievales_traditionnelles_album_chants_du_nord_et_du_sudnavigateurs catalans et encore des voyageurs juifs séfarades.

La chanson El Mestre que nous vous proposons aujourd’hui est la première de l’album.  Près de 30 ans auparavant, Jordi Savall et Montserrat Figueras en avaient  proposé une version musicale dans leur album :  Cançons  de la Catalunya Mil•Lenària: Planys  & Llegendes (1990) dont la volonté affichée était d’affirmer quelque chose de l’essence même de la culture catalane et de son héritage ancestral.  A travers le temps et une génération plus tard, il est touchant de noter que ce même titre ouvre ces Chants du Sud et du Nord  d’Hirundo Maris. Cette fois, c’est devant le miroir de l’ailleurs lointain, celui d’une culture à l’autre bout de l’Europe, et d’un mer à l’autre que la même chanson est posée, dans la recherche de possibles reflets, de fils conducteurs ou de correspondances, tout en s’ancrant fermement dans ses propres racines.

hirundo_maris_ensemble_musiques_antiques_et_anciennes_arianna_savall

Il semble décidément que les musiques anciennes et la passion de leur art ne cesseront jamais chez les Savall d’être des prétextes sans cesse renouvelés  pour interroger en profondeur les richesses artistiques inhérentes aux cultures qu’ils approchent, à travers l’histoire, le temps, et l’espace, tout en posant clairement la question des identités et de l’échange. Au delà même de leur virtuosité, ce questionnement est sans doute un autre des héritages que se passe, entre génération, cette belle famille d’artistes. Au coeur de leur musique et de leurs oeuvres, ils nous invitent sans cesse à tendre l’oreille et à mieux écouter, pour nous ouvrir à la culture de l’autre.

EL Mestre chanson catalane médiévale,
paroles originales et adaptation française

L_lettrine_moyen_age_passion‘histoire de cette chanson ancienne catalane et de ses lignes mélodiques se perdrait quelque part autour du moyen-âge central et de l’art des troubadours de la Catalogne du XIIIe siècle. Je dis « se perdrait » parce que nous n’en avons, pour l’instant, pas nous-même, retrouver les sources précisement datées.

Pour ce qui est des traces musicales écrites en notre actuelle possession, elles sont toutes bien plus récentes. On trouve chez le compositeur barcelonais du XIXe /XXe siècle Miguel Llobet (1878-1938) des arrangements de cette pièce pour guitare. Du côté des paroles, le Dictionnaire de la musique et des musiciens de Mariano Pérez Gutiérrez, fait mention de l’auteur-compositeur catalan très prolifique des XIX et XXe siècles Josep Sancho Marraco (1879-1960), qui était aussi maître de musique à la cathédrale de Barcelone. Si l’on se fie à cet ouvrage, il serait même l’auteur  des paroles puisqu’on la range dans ses « oeuvres » (Diccionario de la música y los músicos, Vol3, 1985).  C’est assez étonnant au vue de la jose_sancho_marraco_maitre_de_musique_barcelonais_catalanteneur du texte. Sauf effet de style recherché volontairement, la chanson semble, en effet, renvoyer à une période largement plus lointaine. En consultant de plus près quelques documents de la Bibliothèque de Catalogne, on en a d’ailleurs la confirmation puisqu’on y apprend qu’on doit plutôt à Josep Sancho Marraco une « version harmonisée de cette chanson populaire » pour cinq voix mixtes et soliste soprano, et non la chanson elle-même (Biblioteca de Catalunya).

Pour le reste, comme indiqué plus haut, cette chanson fut enregistrée, dans une version instrumentale par ‎Jordi Savall & Montserrat Figueras (Cançons de la Catalunya mil·lenària). Elle le fut encore par d’autres artistes – à la guitare par Andres Segovia (1956) sur la base des partitions de Miguel Llobet, ou même  dans une version vocale moins lyrique que celle du jour, par le chanteur catalan Sergi Dantí,  en 2011.

L’histoire qu’elle nous conte est celle d’une jeune fille envoyée à l’école pour préparer son entrée dans les ordres, mais son professeur en tombe amoureux et lui implore d’y renoncer pour se marier avec lui. Nous vous en livrons ici les premiers couplets en catalan, accompagnés d’une adaptation en français.

El Mestre (le professeur)

El pare i la mare no em tenen sinó a mi.
Me’n fan anar a l’escola  a aprendre a llegir.

Mes ail ara tomba, tantom xiribiriclena, tom pena tom pi

Mes ail ara tomba, tan tom xiribiriclom

Lon père et la mère n’avaient que moi pour enfant,
Ils m’ont envoyé à l’école pour apprendre à lire

Refrain : il s’agit d’un mélange « d’onomatopées » musicales, dans laquelle elle semble aussi exprimer sa surprise et son désarroi émotionnel.

El mestre que m’ensenya s’ha enamorat de mi.
Me’n diu:  –-No et facis monja, que et casaràs amb mi –
refrain

Le professeur qui m’enseignait est tombé amoureux de moi
Il m’a dit : – Ne te fais pas nonne  et épouse moi plutôt –
refrain

Jo n’hi faig de resposta que no l sabré servir.
–-Tu faràs com les altres: quan me veuràs venir
refrain

Je lui ai répondu  que je ne saurai (pas) le servir
– Tu feras comme les autres quand tu me verras venir* (*en me voyant rentrer)
refrain

me’n pararàs la taula, m’hi posaràs pa i vi,
les estovalles blanques com el paper més fi

Mes ail ara tomba, tantom xiribiriclena, tom pena tom pi
Mes ail ara tomba tan tom xiribiriclom

Tu me dresseras la table, me porteras pain et vin
les nappes blanches comme le papier le plus fin (de la plus fine étoffe)
refrain

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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