Sujet : archéologie médiévale, Tintagel, roi Arthur, site touristique, légendes Arthuriennes, patrimoine, Angleterre médiévale, château, site archéologique d’exception, English Heritage Période : haut Moyen Âge (VIe, VIIe siècle) Lieu : Tintagel, Cornouailles, Grande Bretagne.
Bonjour à tous,
la faveur des fouilles archéologiques qui se poursuivent sur le site historique antique de Tintagel (pas le château du XIIIe mais celui nettement plus ancien et datant du Haut Moyen Âge et des VI et VIIe siècles), les archéologues viennent de faire une nouvelle découverte qui enflamment, une fois de plus, les consciences autour de l’existence réelle possible de la personne du Roi Arthur et de ses légendes.
La trouvaille est un large morceau d’ardoise de près de deux pieds de long, qui serait issu d’un rebord de fenêtre. Datée du VIIe siècle, l’objet comporte des inscriptions gravées, mélange de latin, de symboles grecs et chrétiens. Il s’agit un « doodle », entendez « brouillon », « griffonage », « griboullage », soit le résultat d’un exercice auquel aurait pu se livrer un scribe d’un niveau certain d’éducation. L’écriture est, en effet, inspirée des techniques en usage pour les manuscrits anciens d’époque et attesterait de la présence sur site d’une cour cultivée et ouverte sur le monde, faisant montre d’un certain niveau d’éducation.
(ci-contre Win Scutt, conservateur d’English Heritage, avec la découverte crédits telegraph.co.uk)
On se souvient qu’à l’occasion d’une campagne de fouilles effectuée au même endroit, une autre pierre avait été trouvée dans le courant de l’année 1998, datée elle aussi du haut Moyen Âge et portant la mention « Pater Coliavificit Artognov » que l’archéologue Charles Thomas avait traduit : « Artognou, father of a descendant of Coll, has had this built » (Artognov (Arthnou, Arthur) père et descendant de Coll a possédé cette construction). (voir notre article précédent sur le sujet).
La nouvelle découverte ne peut donc manquer d’agiter les amateurs de légendes arthuriennes en venant apporter de l’eau à leur moulin. De nombreux articles sont sortis, ces derniers jours, dans la presse britannique pour en faire état et nous nous sommes fendus ici de la traduction littérale de celui du Telegraph, en date du 15 juin 2018 :
Un antique « griffonage » découvert au château de Tintagel : preuve de la cour du Roi Arthur ?
« Depuis des siècles, les historiens ont recherché les preuves que le château de Tintagel était le lieu de naissance du roi Arthur.
Perché sur un éperon rocheux de la côte de Cornouaille, le site balayé par les vents semblait un endroit improbable pour une cour royale. Mais la découverte d’un morceau de fenêtre vieux de 1300 ans a accrédité l’idée que Tintagel a bien été, malgré tout, la demeure de rois.
Le morceau d’ardoise de deux pieds de long arbore un mélange de Latin et de Grec avec des symboles chrétiens, dans une écriture décorative similaire à celle trouvée dans les manuscrits de prière de la même période, et démontre une familiarité de son auteur avec ces textes.
English Heritage, l’organisme qui gère Tintangel, a déclaré que cette découverte « confère plus de poids à la théorie qui fait de Tintagel un site royal doté d’une culture chrétienne lettrée ».
On pense que ces inscriptions ont été faites par quelqu’un exerçant son écriture manuelle, gravant peut-être ces mots dans la pierre pendant qu’il contemplait la mer. Les caractères incluent les noms de « Tito » et « Budic » et les mots latins « Fili » (fils) et « viri duo » (deux hommes). La lettre grec Delta apparaît également.
Le site de fouilles du haut Moyen Âge à Tintagel, une mine d’or sur la Grande Bretagne post-romaine.
La trouvaille enchantera tous ceux qui prêtent foi à la légende arthurienne, qui a fait de Tintagel une attraction touristique populaire, même si pour ses détracteurs, cette découverte ne produit aucune preuve concrète de plus, de l’existence d’Arthur.
La légende du Roi Arthur fut popularisée par Geoffroy de Monmouth, dans son ouvrage du XIIe siècle : l’Histoire des rois de Bretagne. (ndt : Historia Regum Britanniae. voir article)
Il y a, en réalité, deux sites à Tintagel : l’originel, une installation médiévale ancienne (VIe, VIIe siècle) et les ruines d’un château du XIIIe siècle édifié ici par Richard, comte de Cornouaille, au motif que l’endroit était supposé être le site originel du pouvoir local en Cornouaille. Le morceau de pierre gravée a été découvert sur le site le plus ancien qui est actuellement l’objet de fouilles.
Win Scutt, conservateur de English Heritage a déclaré :
» il est incroyable de penser qu’il y a 1300 ans de cela, sur cette dramatique falaise cornique, quelqu’un s’entraînait à l’écriture, en utilisant des phrases latines et des symboles chrétiens. Nous ne pouvons établir avec certitude qui les a faites, ni pourquoi, mais ce que nous pouvons affirmer c’est qu’au VIIe siècle, Tintagel avait des scribes professionnels qui connaissaient les techniques d’écriture utilisées dans les manuscrits, et cela en soi, est très excitant. Nous savions que c’était un site de haut rang mais ce que nous ne savions pas, c’était jusqu’où allait son niveau d’éducation. »
Cette trouvaille établit que« les maîtres des lieux n’étaient pas des chefs de guerre ignorants, ayant pris possession, dans la Grande Bretagne post-romaine, de zones déjà établies auparavant, un peu comme cela s’est produit dans l’Afghanistan de l’après-guerre. » a t’il ajouté, mais qu’il s’agissait ici d’une véritable communauté ouverte à différentes cultures.
Sur la question de savoir si cette découverte amène la légende arthurienne plus près ou non de la réalité, Scutt a encore ajouté diplomatiquement : « Cela montre que nous avons ici les conditions correctes réunies pour une figure Arthurienne, si elle a existé. »
En 2016, l’English Heritage avait été accusé de “Disneyfication” de Tintagel après avoir commissionné un sculpteur pour graver le visage de Merlin, à l’entrée d’une grotte ou l’enchanteur avait été censé avoir emmené Arthur enfant (ndt. voir notre article précédent sur la question).
L’organisme a également installé un statue du roi en bronze brandissant une épée. L’association des historiens locaux de Cornouailles s’était alors déjà plainte que le site antique était en train d’être transformé en «parc à thème autour des conte de fées».
A tout cela, Scutt répond :
» Nous ne pouvons ignorer les légendes. Le château a été construit par Richard, comte de Cornouailles, entièrement sur la foi de la légende arthurienne. Il n’y a pas d’autres raisons pour le château de se trouver là. Ces fouilles nous permettront d’en apprendre plus sur le site d’origine, et nous espérons bien en retour qu’elles encouragerons les gens à le visiter »
Article du Telegraph par la journaliste Anita Singh, traduit de l’anglais par nos soins. Voir article original ici
Sans conclure hâtivement sur le fond des légendes arthuriennes, ajoutons encore qu’avec les autres trouvailles faites jusqu’à récemment sur le même site et qui attestent clairement d’une effervescence commerciale de l’endroit et d’échanges qui s’effectuaient alors vraisemblablement, avec des destinations aussi lointaines que la Turquie ou la méditerranée (voir photo ci-dessous), ces fouilles archéologiques n’en finissent pas de confirmer leur grand intérêt historique, autant que la présence à Tintagel d’un haut site seigneurial ou royal d’exception, installé là durant le haut Moyen Âge.
Sur le sujet de Tintagel et de ses fouilles arthuriennes, voir aussi nos autres articles :
Sujet : musique, chanson, poésie médiévale, scandinavie, Norvège médiévale, Charlemagne, Roland, Haakon V, littérature courtoise, ballade folklorique, chanson traditionnelle, folk médiéval. Période : moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur : Anonyme Titre : Rolandskvadet, la chanson de Roland Interprètes : Trio Mediaeval Album : Folk Songs (2007)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous voyageons vers le nord de l’Europe et les terres scandinaves à la découverte d’une version toute récente de la chanson de Roland qui nous provient de manière presque inattendue, tout au moins en apparence, de Norvège.
Par quel curieux mystère l’histoire et la fin tragique du plus fidèle et héroïque guerrier de Charlemagne peut-elle aujourd’hui se retrouver chantée par un trio originaire de Scandinavie dans un album qui met en exergue les chansons traditionnelles et folkloriques de Norvège ? C’est ce que nous allons nous proposer de vous expliquer dans cet article, en remontant le fil de l’Histoire jusqu’au moyen-âge central.
La Karlamagnùs Saga, la geste de Charlemagne en terres noiroises
la fin du XIIIe siècle et sous le règne de Haakon Vde Norvège (1270-1319) parut en vieux norrois (le norvégien ancien devenu aujourd’hui l’Islandais), la Karlamagnùs Saga. Le récit contait l’épopée du grand empereur Charlemagne et la chanson de Roland y avait, bien entendu, sa place. A la même époque et sans doute à l’initiative du souverain, de source sûre et documentée, une quarantaine d’autres récits, romans ou poésies français furent traduits au coté de cette saga. Il y a pu en avoir plus, mais si c’est le cas, ils se sont perdus en cours de route.
Selon la romaniste et médiéviste danoise Jonna Kjaer (1), les traductions sous Haakon V de cette littérature médiévale française participait d’une volonté du souverain « demettre la Norvège à la hauteur de la civilisation européenne contemporaine« . Pour être plus spécifique, il était notamment question pour lui d’introduire et de promouvoir à sa cour et « dans son entourage », les moeurs courtoises.
Les textes ont sans doute et en partie transités par l’Angleterre même si les échanges culturels entre la France et la Norvège, dans le courant des XIIe et XIIIe siècles, sont des faits établis, notamment à travers certaines abbayes (Saint Victor à Paris) mais encore par des clercs norvégiens venus se former à l’Université de Paris. Parmi les oeuvres concernées, outre la saga de Charlemagne, on retrouvait aussi des chansons de gestes, des pièces courtoises et encore trois romans arthuriens de Chrétien de Troyes.
Bien entendu, pour des raisons sans doute autant liées à la difficulté de transposer mot pour mot l’univers et le contexte historique français dans lesquels baignait la plupart de ces textes (et notamment les chansons de Geste), autant que pour des raisons idéologiques et politiques, les textes une fois traduits n’étaient pas tout à fait les mêmes que les originaux. On notera, par exemple, avec Jonna Kjaer (opus cité), que le peu de goût pour les croisades du souverain norrois l’ont sans doute conduit à en gommer quelque peu l’ardeur dans les versions traduites. (pour plus de détails, nous vous renvoyons à l’excellent article de la romaniste cité en sources)
Plus tard, au moyen-âge tardif et dans le courant du XVe siècle, un auteur danois vint encore recompiler la Karlamagnus saga pour en produire une version d’un usage plus populaire, en s’aidant aussi d’autres poésies médiévales françaises. Au XIXe siècle, des versions adaptées de cet ouvrage circulaient encore dans les campagnes islandaises ou danoises. Nous trouvons ces faits exposés très clairement dans l’introduction de La chanson de Roland, de l’historien et chartiste Léon Gauthier, datant de 1876(2).
Rolandskvadet, aux origines de la Chanson
et ballade Norvégienne sur Roland
out cela démontre donc, sans conteste, une réelle popularité de cette saga de Charlemagne en terres scandinaves et, avec elle, la partie qui concerne le chant de Roland de Roncevaux. Cette popularité a perduré au fil des siècles et, de fait, on comprend mieux pourquoi et comment on peut encore, de nos jours, retrouver une chanson norvégienne sur le sujet; l’intérêt que cette dernière démontre pour l’histoire franque et ses héros vient de très loin.
Si elle fut bien inspirée de la Karlamagnus Saga, cette ballade ayant originellement pour titre Roland og Magnus kongen (Roland et le Roi Magnus), a été recueillie au début du XIXe siècle par les folkloristes norvégiens. Il semble qu’elle ait été collectée directement auprès des chanteurs populaires issus de la longue tradition des bardes nordiques. Son auteur s’est perdu dans les méandres de la transmission et de la culture orales et nous ne savons pas non plus la dater précisément mais il ne fait aucun doute qu’indirectement au moins elle prend ses racines dans le lointain passé médiéval auquel nous faisions référence plus haut. Depuis, elle a connu de nombreuses variantes; les versions originelles qui comptaient entre 27 et 31 strophes (!) sont quelquefois tronquées, comme c’est le cas de l’adaptation que nous en propose aujourd’hui le Trio Mediaeval.
La Gloire de Roland et de Charlemagne dans l’Europe médiévale
« Roland est un des héros dont la gloire a été le plus oecuménique, et il n’est peut-être pas de popularité égale à sa popularité »
Léon Gauthier la Chanson de Roland
Pour élargir, il est indéniable que la popularité de Roland fut grande, en Scandinavie, comme en de nombreux autres endroits de l’Europe médiévale : Allemagne, Angleterre, Italie, Hollande, … Au moment où les romanciers et poètes du moyen-âge central avaient commencé à donner à la mythologie arthurienne ses premières lettres de noblesse, le roi celte et breton était pourtant loin de rallier tous les esprits à sa cause et à sa référence. Une bonne dose d’imaginaire entourait aussi les récits arthuriens et si on les considérait « plaisants » avec Jean Bodel : « Li conte de Bretaigne si sont vain et plaisant », on savait, par ailleurs, que leur nature était, en grande partie, fictionnelle. Et même si le roi Edouard 1er d’Angleterre dans le courant du XIIIe siècle, se piqua d’intérêt pour l’histoire du roi breton, il fallut compter tout de même sur de notables efforts de l’Abbaye de Glastonburypour tenter de donner à la légende des chevaliers de la table ronde un fond plus solide de véracité ou au moins de vraisemblance historique.
De son côté, pour romancée, magnifiée ou même encore instrumentalisée que pouvait être l’histoire de Charlemagne et de Roland, ces derniers demeuraient des personnages historiques bien réels et les faits de Charlemagne, grand empereur unificateur, restaient établis à l’échelle européenne. Dans les XIIe et XIIIe siècles et longtemps loin devant Arthur, l’empereur et son fidèle Roland comptaient indéniablement parmi les héros qui faisaient rêver les rois et chanter les bardes jusqu’aux confins des terres de l’Europe médiévale.
La chanson de Roland par le Trio Mediaeval
Le Trio Mediaeval
ondée à Oslo dans les années 1997 par l’artiste Linn Andrea Fuglseth, la formation vocale norvégienne Trio Mediaeval s’est donnée comme ambition de faire revivre les chants monodiques ou polyphoniques sacrés de l’Italie, l’Angleterre et la France médiévales, mais encore d’y adjoindre des ballades ou chansons plus traditionnelles (ou folk) en provenance des répertoires norvégiens, suédois ou islandais, et réarrangées par leurs soins.
Vingt ans après sa création, le trio féminin continue de se produire activement. Sa fondatrice et directrice est aujourd’hui entourée de Anna Maria Friman et Berit Opheim, cette dernière ayant remplacée Torunn Østrem Ossum qui faisait partie de la formation des origines et l’a quitté depuis. En scène ou sur leurs albums, on peut retrouver les trois chanteuses en trio simple ou accompagnées de divers artistes, ceci pouvant aller jusqu’à des formations et orchestrations plus conséquentes.
uatrième album du trio, Folk Songs entendait renouer avec les racines traditionnelles et anciennes de la musique norvégienne. Trio Mediaeval faisait appel ici à l’artiste Birger Mistereggen spécialiste des percussions dans la pure tradition norvégienne et signait un album résolument folk et 100% nordique.
Si l’album vous intéresse ou même simplement quelques unes de ses pièces, vous pourrez le trouver au lien suivant en format CD ou en format dématérialisé MP3 : Folk Songs du Trio Mediaeval
Les paroles de Rolandskvadet du Trio Medioeval & leur traduction française
NB : mon norrois étant aussi pauvre que la misère sur un jour sans pain, la version française des paroles est adaptée par mes soins à partir de leur traduction anglaise. Elle en a donc clairement des limites, mais elle a au moins le mérite de nous permettre d’approcher le texte original.
Seks mine sveinar heime vera Og gjøyme det gullet balde; Dei andre seks på heidningslando Gjøyme dei jarni kalde.
Six hommes restèrent à l’arrière Pour garder leur or; Les six autres au coeur de la lande Brandirent l’acier froid.
Ria dei ut or Franklandet Med dyre dros i sadel. Blæs i luren, Olifant, På Ronsarvollen.
Ils sont sortis des terres franques Avec des butins dans leurs selles. Souffle dans ta corne, Olifant, À Roncevaux.
Slogest dei ut på Ronsarvollen I dagane två og trio; Då fekk’kje soli skine bjart For røykjen av manneblodet.
Ils se battirent à Roncevaux Pour deux jours, sinon trois; Et le soleil était obscurci Par la puanteur du sang des hommes.
Ria dei ut or Franklandet… (refrain) Ils sont sortis des terres franques…
Roland sette luren for blodiga mundi Blæs han i med vreide. Då rivna jord og jardarstein I trio døger av leide.
Roland porta son cor à sa bouche ensanglantée Et souffla dedans de toute sa volonté La terre trembla et les montagnes résonèrent Durant trois jours et trois nuits.
Ria dei ut or Franklandet… (refrain) Ils sont sortis des terres franques…
‘est un fait, de nos jours, une certaine littérature, des mouvements musicaux ou même encore de nombreuses troupes médiévales de reconstituteurs sont fortement attirés par les légendes ou la mythologie nordiques ou par l’histoire de ces vikings qui, venant de leurs terres froides, s’installèrent dans le nord de la France entre la fin du haut moyen-âge et le début du moyen-âge central. Pour autant, on s’en souvient sans doute moins, mais il est amusant de constater qu’à une période médiévale un peu plus tardive, les légendes et l’histoire de Charlemagne en provenance des terres franques, autant que la poésie et les chansons de geste françaises qui les vantaient, influençaient grandement la littérature et les esprits du côté de la Norvège et de la Scandinavie.
Sous la pression même de leurs couronnes, on voyait alors dans ces oeuvres littéraires le moyen d’introduire des « éléments civilisationnels » en provenance de l’Europe, autrement dit (pour ne pas entrer dans le difficile débat qui consiste à définir ce qu’est exactement une civilisation) des « choses culturelles » auxquelles on prêtait suffisamment de reconnaissance et de crédit, pour vouloir les voir diffuser au sein de son propre territoire, Contre les conquêtes et les grandes expéditions du haut moyen-âge, la courtoisie et ses valeurs étaient, semble-t-il, devenues les signes d’une certaine modernité, une norme, en somme, qu’on cherchait même à importer, dusse-t-elle être au passage adaptée et quelque peu remaniée.
Pour parenthèse, on notera encore que cette popularité du thème de Roland est encore relativement présente en Norvège puisque cette chanson a connu plus de sept enregistrements par des groupes folk locaux différents, depuis le milieu du XXe siècle. Dans le même temps, en France, nos chansons sur Charlemagne se réduisent à peu près à une contine pour enfants sur l’invention de l’école, reprise par France Gall dans les années soixante et écrite par son père Robert, parolier et chanteur, un peu avant. Sauf tout le respect dû à la mémoire de l’auteur autant qu’à sa belle et talentueuse interprète, disparue récemment et puisqu’il ne s’agit pas de cela, on conviendra tout de même que du point de vue de notre Histoire, nous avons perdu quelques billes en cours de route… Il fallait bien, semble-t-il quelques norroises passionnées de musiques médiévales et anciennes pour venir nous rappeler les glorieux héros de notre moyen-âge.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : reconstitution, maquettes, reproduction, artiste, passion médiévale, portrait de passionné, architecture médiévale, maquettes médiévales. Période : moyen-âge gothique et roman Artiste : Pascale Laîné Réalisations : maquettes et miniatures médiévales, exposition. Oeuvre : Odes à Mélusine (2018)
Bonjour à tous,
l y a quelque temps, nous vous avions présenté ici le travail de l’artiste Pascale Lainé autour de ses fabuleuses maquettes médiévales. Si vous aviez vu l’article d’alors, vous n’avez pu oublier ses univers et ses scènes d’ambiance miniatures, au carrefour de l’architecture gothique et médiévale et du moyen-âge fantastique. Elle nous avait alors promis de revenir vers nous sitôt que le projet sur lequel elle se trouvait occupée verrait le jour et c’est désormais chose faite. Après des centaines et des centaines d’heures de travail, elle vient, en effet, de mettre la touche finale à sa nouvelle oeuvre : un ode à la fée médiévale Mélusine qui nous avons le plaisir de vous présenter ici en image.
Nous en profiterons pour faire un large crochet et pour vous parler de la fée Mélusine et de son émergence dans la littérature médiévale. Grande bâtisseuse, la fille de la fée Présine et du Roi Elinas fait sans doute partie des personnages les plus fantastiques de la mythologie du moyen-âge central à tardif, de la Bretagne au Poitou et à l’Aquitaine, en passant par la Provence. Sa réputation a traversé les siècles puisqu’elle demeure encore populaire dans de nombreuses régions.
XIVe siècle
naissance de la Melusine de Jean d’Arras
i plusieurs sources antiques font mention d’une déesse ou fée mi-femme mi-serpent, la mythologie médiévale autour de Mélusine fut définitivement fixée et rendue populaire par Jean d’Arras, auteur médiéval qui écrivit vers la fin du XIVe siècle (1392-1394) un récit en prose connu sous les noms de La noble histoire de Lusignan ou Le roman de Mélusine en prose. L’histoire mettait en scène la jeune femme, lui donna son nom définitif et encore ses véritables lettres de noblesse. A peu près à la même époque (1401-1405) un autre auteur Couldrette achèvera une oeuvre en vers sur le même sujet, présentant de fortes ressemblances avec celle de Jean d’Arras: Mélusine, Roman de Parthenay ou Roman de Lusignan. Il est possible que les deux écrivains se soient inspirés de la même source, des hypothèses ont été soulevées dans ce sens qui demeurent, à ce jour, invérifiables. Quoiqu’il en soit, les deux ouvrages connurent un franc succès et consacrèrent la popularité médiévale de ce conte fantastique.
Le résumé du Roman de Jean d’Arras
Pour revenir sur le récit de Jean d’Arras, l’auteur affirme s’être inspirée d’une chronique dont nulle trace ne subsiste. Nous explorerons quelques pistes à ce sujet dans un deuxième temps mais résumons tout d’abord son histoire pour mieux comprendre qui est Mélusine.
Ayant enfanté trois filles de son mariage avec le roi Elinas, la fée Présine fut contrainte de fuir et de se réfugier sur l’île d’Avalon pour les élever. Au moment de son union avec le roi d’Ecosse, elle lui avait fait promettre de ne jamais chercher à la voir durant ses accouchements mais manipulé par le fils d’un premier mariage, le souverain avait fini par transgresser l’interdit.
A l’adolescence, ayant appris les agissements de leur père et son implication dans leur bannissement, les trois soeurs décidèrent de se venger de lui et le firent enfermer dans une geôle magique. Leur mère Présine, encore éprise du roi, fustigea ses filles pour leur comportement, les condamnant chacune à une malédiction. Mélusine hérita sans doute de la pire. Tous les samedis, la partie inférieure de son corps serait, en effet, changée en serpent et elle serait ainsi condamnée à vivre pour l’éternité. Le seul moyen pour elle d’y échapper serait d’épouser un mortel. Elle deviendrait alors à son tour mortelle et pourrait être sauvée, à la condition que son promis ne la voit jamais sous sa forme fantastique.
Quelque temps plus tard, un jour qu’il chassait au coeur de son Poitou natal, le jeune noble Raimondin, fils du comte de Forez, tua par accident son oncle, le comte de Poitiers. Au coeur de la forêt et au bord d’une fontaine, il rencontra bientôt, ce même jour, trois jeunes filles dont l’une lui promit de l’aider à se laver de son crime s’il l’épousait, la seule condition étant qu’il ne cherche pas à la voir les samedis. C’était bien sûr Mélusine désireuse de se soustraire à sa terrible malédiction. Le jeune seigneur accepta et ces épousailles lui valurent bientôt une belle fortune, de nombreux enfants et tout le faste et la gloire dont il avait jamais pu rêver. Mélusine se chargea même de lui faire construire les plus beaux châteaux dont celui de Lusignan. Elle y démontra même une grande adresse (nous y reviendrons).
Las ! là-encore, sous la foi de rumeurs colportées par son propre frère, l’époux, fou de colère et de jalousie, finira par transgresser l’interdit : Mélusine le tromperait les jours fatidiques ou pire serait, en réalité, une fée et userait de ces jours ci pour s’amender et faire pénitence ! N’y tenant plus, il fera un trou dans le mur de la pièce où la belle se tenait enfermée le samedi pour l’espionner et en avoir le coeur net. Et là fatalement, il la surprendra au bain, dans son étrange forme et métamorphose. Rien ne se produira sur l’instant et les époux sachant le tabou transgressé n’en piperont mot, mais plus tard, échauffé par le mauvais comportement d’un de leurs fils qui avait mis le feu à un monastère, Raimondin lèvera le ton sur Mélusine, la rendant coupable des exactions de sa descendance en faisant clairement allusion à sa forme (maléfique) et sa malédiction : « Ah très fausse serpente… ». Elle se changera alors en serpent ailé et disparaîtra par la fenêtre à jamais.
L’histoire conte qu’elle viendra toutefois veiller sur sa progéniture comme elle apparaîtra ensuite à tous ceux de son lignage. De son côté, rendu au désespoir, l’époux se retirera dans l’érémitisme à Montserrat, quant àu fils poufandeur de moines, après être aller se confesser à Rome, il rebâtira le monastère de Maillezais qu’il avait indûment détruit.
Aux sources médiévales
de l’Histoire de Mélusine
n peu avant Jean d’Arras, on retrouve chez d’autres auteurs, la trace et même la trame qui allait servir de fond à son récit. A la fin du XIIe siècle, Gaut(h)ier Map, clerc de la cour d’Angleterre allait mentionner dans de Nugis Curialium (1181-1193), les épousailles d’un jeune seigneur avec une étrange créature rescapée d’un naufrage. Elle lui donnera une belle descendance, mais le comportement d’évitement de la jeune femme à l’égard des rituels chrétiens, alertera la mère de l’époux. Ayant percé un trou dans le mur de la chambre pour l’observer, la belle-mère surprendra sa bru, ayant pris, dans son bain, la forme d’un dragon. Décidé à conjurer la malédiction, l’époux, assisté d’un prêtre, viendra pour asperger l’étrange créature impie d’eau bénite mais celle-ci s’enfuira pour disparaître à jamais dans les airs.
Une histoire similaire relatée dans les Otia Imperialia ( 1209-1214) est réputée cette fois-ci s’être passée près de Valence dans la Drôme. Elle fait mention de la dame du château d’Esperver, elle aussi rétive à certains rites chrétiens et qui évitait toujours le début des messes, de peur sans doute que l’Ostie ne la brûle. Retenue finalement contre son gré par son époux et ses valets dans l’église au moment de la consécration, l’histoire conte qu’elle se transforma elle-aussi en une étrange créature ailée pour disparaître avec fracas par le plafond de l’édifice, sans que nul n’en entendit plus jamais parler.
Plus proche encore du récit de Jean d’Arras et moins de deux siècles auparavant, Gervais de Tilbury (1150-1228), clerc, chevalier et auteur des XIIe, XIIIe siècle avait déjà posé les grandes lignes de l’histoire de la fée, sans encore la nommer. A quelques variations près, on y retrouvait déjà tous les ingrédients du récit de Jean d’Arras à ceci près que l’histoire se passait en Provence, au château de Rousset, près de Aix : malédiction qui condamne la jeune fille à avoir le bas du corps changé en serpent une fois la semaine, épousailles d’un certain « Raimond », interdiction faite à l’époux de chercher à la voir les jours où la malédiction la frappe, fortune et réussite du mari une fois la jeune fille épousée, grande fertilité, descendance nombreuse et, pour finir, transgression inévitable de l’interdit par le mari avec renvoi de la jeune fille à sa malédiction éternelle. Cette fois-ci, avec Gervais de Tilbury c’est en serpent aquatique qu’elle se changeait et non plus en Serpent ailé ou en Dragon, disparaissant dans les eaux et non plus dans les airs.
Enfin, pour clore ce panorama historique et médiéval de l’Histoire de Mélusine, il faut encore mentionner le récit d’un moine bénédictin vendéen du nom de Pierre Bersuire, autour de 1300. Sans citer lui non plus le nom de la jeune fille, il reprenait à nouveau les éléments de l’histoire en la ramenant vers le Poitou. Il posait aussi, au passage, un cadre encore plus précis que l’on allait retrouver chez Jean d’Arras en mentionnant la construction du château de Lusignan. (1)
Mélusine, fée bâtisseuse
ous l’avons dit on retrouvera Mélusine dans bien des régions et elle se présente même souvent comme un personnage ambivalent. Nourricière et féconde, elle peut aussi se montrer en d’autres endroits, bien plus versatile. On la retrouvera notamment dans l’Yonne et dans la région de Maulnes où à l’aide de ses filtres et sortilèges elle mettra des bâtons dans les roues de quelques moines décidés à faire bâtir d’abord un monastère, puis une église non loin de ses terres. L’histoire est supposée avoir eu lieu avant la rencontre avec le seigneur Raimondin, et on comprend bien, à travers elle, comment cette fée et la fascination qu’elle exerce a pu donner lieu à de nombreuses histoires et variations locales.
Au delà de cette ambivalence, un des aspects fort de l’image de la fée reste avec et après Jean d’Arras, ses qualités de bâtisseuse.
« Si vous vueil desormais commencier la vraye histoire des merveilles du noble chastel de Lisignen en Poictou, et comment ne par quel maniere il fu fondez (…) L’ystoire dit que entretant que Remondin fu en Bretaigne, Melusine fist bastir la ville de Lusignen et fonder les murs sur la vive roche, et la fit estoffer de fortes tours: drues, machicolees et a terrace, et les murs maschicolez, et alees au couvert dedens la muraille pour deffendre a couvert par les archieres autant bien par dehors comme par dedens, et parfons trancheiz et bonnes brayes. Et fit bastir en le bourc et le chastel une forte tour, mur de la tour de XVI e XX piez d’espez. » Jean d’Arras, La Noble Histoire de Mélusine
Cette nature de bâtisseuse sous la plume de l’auteur du moyen-âge central est sans nul doute intimement liée à la fortune générale qu’apporte la fée à son époux. Elle s’inscrit, en tout cas, dans ce cadre. Plus que jamais au XIIIe et XIVe siècle, le château de pierre, édifice puissant, fastueux, spacieux est la marque incontestable et le symbole par excellence de la réussite et de la richesse de son hôte autant qu’il est le signe de son pouvoir militaire. L’histoire économique et politique de ce moyen-âge central, l’essor économique et l’importance du château viennent ici donner à Mélusine ses qualités nouvelles.
Il faut préciser que tous les bâtisseurs et ouvriers sollicités pour réaliser les oeuvres gigantesques de la fée y trouvent largement leur compte et sont réglés rubis sur l’ongle et sans retard. On comprend mieux après coup que certains d’entre eux aient pu voir en elle une muse :
« …Et fesoient les ouvriers dessuz diz tant d’ouvrage et si soubdainement que tous ceulx qui qui par la passoient en estoient esbahiz. Et les paioit Melusigne tous les samediz, si qu’elle ne leur devoit denier de reste. Et trouvoient pain,vin, char et toutes choses propices que il leur failloit, par grant habondance. Ne nulz homs ne savoit dont cilz ouvriers venoient, ne dont ilz estoient. Et en brief temps fu faitte la forteresse, non pas une mais deux fortes places, avant que on peust venir au dongon. » Jean d’Arras,La Noble Histoire de Mélusine
Habile bâtisseuse qui traite avec largesse ceux qui l’assistent dans cette tâche, encore une fois, on ne peut pourtant pas réduire Mélusine à ces qualités qui ne sont qu’un prolongement de ses dons et de ses talents : fertilité, fécondité, et même l’exercice d’une certaine bonté malgré sa nature fantastique et peu chrétienne la caractérise sans doute bien plus.
Si la plupart de ses auteurs médiévaux la considéreront, par ailleurs, comme une créature de laquelle il faut se défier, quand ce n’est pas un ange déchu, elle fait, la plupart du temps tout son possible pour s’amender et se soustraire à sa funeste malédiction. Les conditions qu’elle pose semblent même bien maigres au regard de tout ce qu’elle prodigue et pourtant la fatalité finit toujours par la rattraper. D’une manière ou d’une autre, il faut que l’interdit soit transgressé et que Mélusine retourne à son destin tragique par la main même de celui qu’elle avait « élevé » et qui avait aussi le pouvoir de la sauver.
Retour à l’oeuvre de Pascale Lainé
près ce long détour qu’il nous fallait bien faire, vocation du site oblige, voilà cette maquette médiévale de Pascale Lainé mieux replacée dans son contexte. Ingrédients magiques et potions, instruments de musique pour célébrer Mélusine, on y trouve encore des myriades d’autres détails évocateurs de la fée.
Comme nous le disions en introduction, les heures de travail sont innombrables pour arriver à cette oeuvre totalement aboutie aux détails époustouflants. A son habitude, l’artiste a travaillé l’ensemble des pièces du décorum d’après manuscrits ou au moyen de recherches précises sur les instruments, objets, vitraux, éléments d’architecture d’époque.
Est-ce un autel dressé par quelques bâtisseurs inspirés, en l’honneur de la fée ou Mélusine elle-même est-elle revenue en secret, pour élire domicile dans cette belle chapelle abandonnée et déjà reconquise par la végétation ? Voilà ce que nous en dit l’auteur elle-même :
« Dans cette maquette, j’ai voulu mettre à l’honneur la femme, la musique, la liberté de culte ou de non culte, les bestiaires imaginaires, et surtout : les courbes… Partout, les courbes se répondent en échos envoûtants. L’ambiance est méditative, sereine. Ni violence, ni intransigeance, Mélusine ne rêve que de bâtir , construire. » Pascale Lainé
Pourtant et c’est ainsi que la magie opère, l’art ne peut jamais donner en quelques mots, toutes ses clefs. Rendu face à l’oeuvre et immergé dans son ambiance, on jurerait sentir qu’une présence invisible habite l’endroit.
Précisons-le d’ailleurs sachant qu’elle nous en saura gré, l’art quel qu’il soit visuel, sculptural, pictural, scénique a toujours vocation à se donner « vivant ». La mise à plat photographique ne lui fait que rarement justice; les couleurs naturelles, l’atmosphère, la profondeur (dans les deux sens du terme), sont autant de choses qui ne se livrent qu’en face de l’oeuvre véritable. Aussi, pour merveilleux que l’effet puisse être à la vue des images qui émaillent cet article, nous espérons qu’il ne soit qu’une invitation à aller voir de près les oeuvres de Pascale Lainé, là où elles sont exposées.
Au château de Bordes jusqu’en mai prochain
Concernant cette belle maquette médiévale en forme d’hommage à Mélusine, elle s’est déjà envolée vers son destin et elle sera visible dans la tour Jeanne d’Arc du Château de Bordes, dans la Nièvre, jusqu’au mois de mai prochain. Elle y rejoindra les autres maquettes de Pascale qui s’y trouvent déjà exposées. Les oeuvres devraient ensuite voyager en direction du château de Sagonne dans le Cher, jusqu’en septembre.
Sujet : poésie médiévale, littérature médiévale, poésie morale, ballade, moyen français, valeurs morales, loyauté,honneur, Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : Fay ce que doiz et adviengne que puet Ouvrage : Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps , GA Crapelet (1832)
Bonjour à tous,
ap sur le XIVe siècle avec une nouvelle ballade d’Eustache Deschamps. Le poète médiéval la destina explicitement à son fils et comme dans nombre de ses poésies morales, il y est question de droiture, d’honneur, de loyauté, de non-convoitise, bref d’un code de conduite pour soi mais aussi, bien sûr, valeurs chrétiennes obligent, devant l’éternel. Comme il se plait souvent à le souligner, (il le fera à nouveau ici) ces valeurs et ce code transcendent les classes sociales et s’adressent à tous. Par elles, tout un chacun peut s’élever mais aussi se « sauver ».
Pour le reste, à la grâce de Dieu donc et advienne que pourra : Fay ce que doiz et adviengne que puet. Dans le refrain de cette ballade, on retrouve le grand sens de la formule et la plume incisive du maître de poésie du moyen-âge tardif.
Georges Adrien Crapelet
et la renaissance d’Eustache Deschamps
On peut trouver cette ballade dans plusieurs oeuvres complètes de l’auteur médiéval et notamment dans l’ouvrage de Georges Adrien Crapelet (1789-1842) cité souvent ici : Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps. Pour rendre justice à cet écrivain et imprimeur des XVIIIe, XIXe siècles, il faut souligner qu’après de longs siècles d’un oubli pratiquement total de la poésie d’Eustache Deschamps, c’est lui qui l’exhuma patiemment des manuscrits, en publiant, en 1832, l’ouvrage en question et sa large sélection de poésies et de textes.
A la suite de G.A. Crapelet, Le Marquis de Queux de Saint-Hilaire, Gaston Reynaud, et d’autres auteurs encore du XIXe se décidèrent à leur tour, à publier les oeuvres complètes de l’auteur médiéval. S’il n’est pas devenu aussi célèbre qu’un Villon, Eustache Deschamps a tout de même, grâce à tout cela et depuis lors, reconquis quelques lettres de noblesse bien méritées.
Sans minimiser aucunement le rôle joué par Crapelet dans la redécouverte de cette oeuvre conséquente, il faut se resituer dans le contexte historique et ajouter que les XVIIIe et le XIXe furent de grands siècles de redécouverte de l’art, de la poésie et de la littérature médiévale.
« Fay ce que doiz et adviengne que puet » dans le moyen-français d’Eustache Deschamps
Soit en amours, soit en chevalerie, Soit ès mestiers communs de labourer, Soit ès estas grans, moiens, quoy c’om die, Soit ès petis, soit en terre ou en mer, Soit près, soit loing tant come on puet aler, Se puet chascun net maintenir qui veult, Ne pour nul grief ne doit a mal tourner : Fay ce que doiz et aviengne que puet.
Car qui poure est, et vuiz* (dépourvu) de villenie, Devant tous puet bien sa teste lever ; Se loiaulx est l’en doit prisier sa vie Quand nul ne scet en lui mal reprouver ; Mais cilz qui veult trahir ou desrober Mauvaisement, ou qui autrui bien deult* (doloir, faire du tort), Pert tout bon nom, l’en se seult*(souloir : avoir coutume) diffamer. Fay ce que doiz et adviengne que puet.
N’aies orgueil ne d’autrui bien envie, Veueilles toudis aux vertus regarder, T’ame aura bien, le renom ta lignie ; L’un demourra, l’autre est pour toy sauver : Dieux pugnist mal, le bien remunerer Vourra aux bons; ainsi faire le suelt*(de souloir). Ne veuillez rien contre honeur convoiter. Fay ce que doiz et aviengne que puet.
L’ENVOY
Beaus filz, chascuns se doit loiaulx porter, Puisqu’il a sens, estre prodoms l’estuet* (estoveir: falloir,être nécessaire) Et surtout doit Dieu et honte doubter : Fay ce que doiz et aviengne que puet.
En vous souhaitant une excellente journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.