« S’eu fos en cort » la chanson médiévale d’un fine amant en peine par Peire Vidal

peire_vidal_troubadour_toulousain_occitan_chanson_medievale_sirvantes_servantois_moyen-age_central_XIIeSujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue d’oc, amour courtois, Provence médiévale, fine amor, fine amant
Période : Moyen Âge central, XIIe, XIIIe siècle
Auteur : Peire Vidal (? 1150- ?1210)
Titre : S’eu fos en cort
Interprète : Ensemble Peregrina
Album :   Cantix (2013)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn suivant les pas de Peire Vidal et de ses désillusions amoureuses, nous vous entraînons, cette fois,  du côté de la Provence médiévale. Nous sommes   quelque part entre la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle  et  le troubadour nous conte  comme il se trouve mis à mal par l’indifférence de sa dame.  Sous les formes (habituelles pour l’époque) de la courtoisie, cette chanson médiévale est l’histoire d’une impasse et, comme tout bon loyal amant continue de l’être,  quelquefois, au delà de toute raison, le poète s’accroche  à ses sentiments  autant qu’à son désespoir de ne pas les voir aboutir.

Pour servir cette  belle chanson en occitan médiéval, dont nous vous proposerons une traduction, nous avons choisi l’interprétation d’une formation de talent : l’Ensemble Peregrina, ce qui nous donnera l’occasion de vous la    présenter.

S’eu fos en cort, de Peire Vidal par l’Ensemble Peregrina

L’Ensemble Peregrina

L’ensemble  Peregrina a été  fondé à Bâle, en 1997, par la musicologue et  chanteuse   Agnieszka Budzińska-Bennett (au centre, sur la photo ci- dessous). Il a des relations étroites avec la Schola Basiliensis Cantorum puisque c’est là que ses membres se sont rencontrés. On se souvient que cette école suisse spécialisée dans l’apprentissage des musiques anciennes et médiévales a vu passer des professeurs de renom (voir autobiographie intellectuelle de Jordi Savall) mais qu’elle a aussi favorisé la formation de  nombreux ensembles de talent.

ensemble-medieval-Peregrina-album-musique-moyen-ageDès sa formation, Peregrina a opté pour un répertoire très clairement médiéval avec une prédilection pour les musiques sacrées ou profanes du Moyen Âge central à tardif (XIIe au XIVe siècle). Depuis sa création, il y a presque 20 ans, l’ensemble a fait du chemin. Il s’est produit en concert sur de nombreuses scènes en Europe (Suisse, Pologne, Espagne, Allemagne, France, Angleterre, Estonie, …) mais aussi aux Etats-Unis. Il a également produit un nombre important d’albums sur les thèmes les plus divers :  musiques médiévales de l’Europe du nord (Finlande, Suède et Danemark),  musiques   du Tyrol,  compositions autour de Saint-Nicolas , chants dévots à la vierge du XIIe siècle, etc… A différentes occasions, Peregrina  a reçu de nombreux prix et sa reconnaissance sur la scène des musiques médiévales est, aujourd’hui, largement établie.

Voir le site web de l’Ensemble Peregrina (anglais)Voir sa Page FB

L’album Cantrix
Musique Médiévale pour Saint Jean-Baptiste

Enregistré en 2012 et mis à la distribution l’année suivante, l’album Cantrix  a pour vocation de faire tribut aux musiques médiévales autour de Saint Jean-Baptiste,  notamment tel qu’on le chantait dans les couvents royaux des  hospitalières de  Sigena et des Cisterciennes de   Las Huelgas.

On y retrouve des musiques principalement liturgiques extraites, dont  une grande partie, issues du Codex  de    Las Huelgas.   L’ombre de la Reine Sancha qui fonda un monastère en Aragon plane aussi  sur cet album.  Ceci explique la présence de  pièces issues du répertoire des troubadours, une de Rostainh Berenguier de Marselha et celle du jour de Peire Vidal. On la retrouve  sous deux formes dans l’album :   en version vocale et   musicale.  Comme on le verra, dans sa chanson, le troubadour provençal et occitan  fait allusion à la grandeur d’une reine d’Aragon et son roi et leur adresse même cette création. Au vue des éloges qu’il y prodigue à leur encontre,  il semble bien qu’il s’étaitmusique-medievale-album-ensemble-peregrina-cantix-moyen-age  fait des deux monarques  des  protecteurs très appréciés et bienveillants.

Pour revenir à l’album Cantrix, sa sortie coïncidait aussi avec l’anniversaire les 900 ans de l’Ordre de Malte et sa reconnaissance par le pape.  Il a d’ailleurs été co-produit par  l’Association Suisse pour le règne souverain de l’Ordre de Malte (la Swiss Association of the Sovereign Order of Malta). On y retrouve 24 pièces  dont une majorité de chants polyphoniques et motets, mais aussi des pièces plus instrumentales.

L’album est encore disponible à la vente en ligne. Voici un lien utile pour plus d’informations :   Cantrix. Musique Médiévale pour Saint Jean-Baptiste. Ensemble Peregrina.

Membres de  l’Ensemble Peregrina sur cet album

Agnieszka Budzińska-Bennett  (dir, voix, harpe), Kelly Landerkin, Lorenza Donadini, Hanna Järveläinen, Eve Kopli, Agnieszka Tutton (voix),  Baptiste Romain (vièle),  Matthias Spoerry (voix)


S’eu fos en cort de Peire Vidal
de l’Occitan au Français moderne

Pour nous guider dans la traduction de cette chanson, nous avons suivi   les travaux de  Joseph Anglade : Les  poésies de Peire Vidal (1913). Nous les avons complétés avec des recherches personnelles sur divers lexiques et dictionnaires occitans. Se faisant, il n’est jamais question d’arrêter une version définitive, ni d’en avoir la prétention, mais plus d’ouvrir d’autres pistes et même, par endroits, de susciter certaines interrogations sur les sens et les  interprétations.

S’eu fos en cort on hom tengues dreitura,
De ma domna, sitôt s’es bon’ e bela,
Me clamera, qu’a tan gran tort mi mena
Que no m’aten plevi ni covinensa.
E donc per que.m promet so que no.m dona,
No tem peccat ni sap ques es vergonha.

Si j’étais dans une cour où on obtienne justice,
De ma dame, quoiqu’elle soit bonne et belle,
Je me plaindrais, car elle me traite avec tant d’injustice,
En ne respectant ni promesse, ni convention (gage, accord).
Et puisqu’elle me promet ce qu’elle ne me donne pas;
Elle ne craint pas le péché et ne sait ce qu’est la honte.

E valgra.m mais quem fos al prim esquiva,
Qu’ela’m tengues en aitan greu rancura ;
Mas ilh o fai si com cel que cembela,
Qu’ab bels semblans m’a mes en mortal pena,
Don ja ses leis no cre aver garensa,
Qu’anc mala fos tan bêla ni tan bona.

Il eut mieux valu qu’elle me fut, d’emblée, farouche,
Puisqu’elle me tient dans un chagrin (rancune ?) si grand et si sévère
Mais elle a fait comme celui qui tend un piège (au moyen d’un leurre)
Puisqu’avec ses belles apparences, elle m’a mis dans une peine mortelle,
Dont jamais sans elle, je ne crois pouvoir  me guérir
Tant, pour mon malheur, elle n’eut sa pareille en beauté et en bonté.

D’autres afars es cortez’ e chauzida,
Mas mal o fai, car a mon dan s’abriva,
Que peitz me fai, e ges no s’en melhura,
Que mals de dens, quan dol en la maissela;
Que.l cor me bat e.m fier, que no.s refrena,
S’amors ab leis et ab tota Proensa.

En d’autres affaires, elle est courtoise et distinguée (indulgente, avisée ?)
Mais elle agit mal, car elle s’acharne à me causer de la peine,
En me faisant le pire et cela ne s’améliore en rien,
Pas plus que le mal de dents quand il s’étend à la mâchoire ;
Au point que mon cœur bat et frappe, sans se refréner,
D’amour pour elle, dans toute la Provence.

E car no vei mon Rainier de Marselha,
Sitot me viu, mos viures no m’es vida ;
E.l malautes que soven recaliva
Garis mout greu, ans mor, si sos mals dura.
Doncs sui eu mortz, s’enaissi.m renovela
Aquest dezirs que.m tol soven l’alena.

Et puisque je ne vois mon Rainier de Marseille,
Quoique je vive, ce n’est pas une vie ;
Et comme le malade, qui ne cesse d’avoir de la fièvre
Est plus dur à guérir, et meurt, si son mal persiste.
Ainsi je suis bien mort, si ne cesse de se renouveler,
Ce désir qui me prive souvent de respiration.

A mon semblan mout l’aurai tart conquista,
Car nulha domna peitz no s’aconselha
Vas son amic, et on plus l’ai servida
De mon poder, eu la trob plus ombriva.
Doncs car tan l’am, mout sui plus folatura
Que fols pastres qu’a bel poi caramela.

A ce qu’il me semble, je l’aurais conquise trop tard,
Car nul femme ne prend de si dures résolutions,
Envers son ami (amant), et plus je l’ai servie
De toutes mes forces, plus je la trouve ombrageuse.
Ainsi puisque je l’aime tant, je suis encore plus fou
Que le pâtre qui joue du chalumeau sur une belle colline.

Mas vencutz es cui Amors apodera ;
Apoderatz fui quan ma domn’ aic vista,
Car nulh’autra ab leis no s’aparelha
De pretz entier ab proeza complida.
Per qu’eu sui seus e serai tan quan viva,
E si no.m val er tortz e desmezura.

Mais il est vaincu celui que l’amour possède
Je fus pris dès que j’ai vu ma dame,
Car nulle autre ne lui ressemble,
De ses mérites entiers à sa bonté parfaite.
Et pour cela je suis à elle et le resterais aussi longtemps que je vivrais
Et si elle ne me porte secours ce sera tort et démesure.

Chansos, vai t’en a la valen regina
En Arago, quar mais regina vera
No sai el mon, e si n’ai mainta quista,
E no trob plus ses tort e ses querelha.
Mas ilh es franc’ e leials e grazida
Per tota gent et a Deu agradiva.

Chanson, va-t-en jusqu’à la vaillante reine
En Aragon, car reine plus authentique
Je ne connais au monde, et pourtant j’en ai vu plus d’une
Et je n’en trouve d’autre, sans tort et sans tâche
Mais, elle, est franche, et loyale et gracieuse
aimée de tous et de Dieu.

E car lo reis sobr’autres reis s’enansa,
Ad aital rei coven aitals regina.

Bels Castiatz, vostre pretz senhoreja
Sobre totz pretz, qu’ab melhors faitz s’enansa.

Mon Gazanhat sal Deus e Na Vierna,
Car hom tan gen no dona ni guerreja.

Et puisque le roi au dessus des autres rois s’élève,
A un tel roi convient une telle reine.

Beau Castiat (1), votre mérite surpasse
tous les mérites, car il s’élève par de plus hauts faits (nobles actions).

Dieu sauve mon Gazanhat (profit, protecteur ?) et dame Vierna (2),
Car personne ne sait mieux qu’eux donner et guerroyer.


Notes

(1)   Castiatz : Raymon V de Toulouse, protecteur du troubadour. d’après M.E Hoepffner suivi par une grande majorité de médiévistes depuis.

(2)   Na Vierna : Dame très souvent mentionnée dans les poésies de Vidal, et qui d’après Hoepffner vivait certainement dans l’entourage du comté de Toulouse. Dans ses poésies, Peire Vidal la mentionne, en effet, systématiquement  en même temps que Castiatz.  Dans un article de 1943, la philologue et médiéviste Rita Lejeune  nous apprend que son nom véritable aurait été  Vierna de  GangesSelon elle toujours, cette Na Vierna aurait pu être plus proche du comte de Toulouse que seulement une vassale et lointaine parente. Elle pense même que serait cette dame à laquelle le troubadour aurait volé un baiser qui allait lui coûter son exil de Toulouse par le comte lui même. En suivant son raisonnement, ce serait peut-être encore la dame à laquelle est destinée cette pièce. Très sincèrement, il n’existe aucun moyen de vérifier cela aussi libre à vous de suivre ou non la médiéviste dans ses allégations et son raisonnement. (Voir Les personnages de   Castiat  et de  Na Vierna  dans Peire Vidal,  Annales du Midi, Tome 55, N°217-218, 1943). 

En vous souhaitant une belle  journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
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Festival Cidre et Dragon 2019 : une 10eme édition sous le signe du Hobbit

ecu-blason-armoire-merville-franceville-NormandieSujet : festival médiéval-fantastique, univers fantasy, Moyen Âge imaginaire, médiéval fantaisie. fantastique, steampunk, animations médiévales, cosplay,  mondes imaginaires
Lieu :   Merville-Franceville,   Calvados, Normandie
Evénement  : Festival Cidre et Dragon 2019
Date :  21 &  22 septembre 2019

Bonjour à tous,

I_lettrine_moyen_age_passion-copial arrive, il est là, tout nouveau, tout beau.  Le week-end prochain, en Normandie, le Festival médiéval-fantastique Cidre et Dragon viendra, à nouveau, transformer Merville-Franceville en une antique cité peuplée d’étranges créatures, de médiévistes et de liesse. Ce bel événement à l’initiative de l’Association du Rail Tolkien   fêtera, cette année, ses 10 ans, en suivant les ingrédients qui ont fait son succès jusque là, et en y ajoutant, magie elfique oblige, un pincée de nouveautés et de surprises.

Au programme de Cidre et Dragon 2019

Ambiance ludique, jeux  et factions

cidre-et-dragon-2019-festival-medieval-fantastique-normandieLes jeux médiévaux fantastiques, sous toutes leur formes, seront encore largement à l’honneur pour cette édition 2019 : jeux de rôle, de cartes ou de plateau, mais aussi réalité augmentée. Plus de trente associations partenaires et de nombreux animateurs seront au rendez-vous de ce grand espace ludique.

A l’habitude, durant le Festival, un grand scénario permettra aussi à ceux qui le désirent de choisir sa faction pour vivre une aventure encore plus intense : Gris, Brasiards, Brumeux, Vanguins, Spectraux, à quelle sauce mangerez-vous qui ? Non mais si, elle est bizarre cette question, je sais. Je m’en suis rendu compte en la lisant à voix haute. Si j’étais maître de jeu, je me serais sûrement pris une boule de feu ou un Low kick. Du reste, j’ai dit « manger » mais c’était une image, parce qu’il a pas question de ça non plus. Oh et pis hein, bon ! Quoiqu’il en soit, cette année, à Merravilla, on célébrera le Hobbit Day et il sera question de pouvoir rafler une couronne draconique.  A mon avis, Sauron il doit être mais trop vert, quoi ! C’est déjà un peu le cas au niveau du sourire, mais plus partout encore, je veux dire (oui je sais celle-là aussi) Donc, à vos équipements, et que le meilleur gagne !

Vous avez dit « Mondes imaginaires » ?

steampunk-trollDu point de vue de l’ambiance, il est certain que les puristes médiévistes pourraient y être déroutés, mais l’un des gros avantages de Cidre et Dragon est d’annoncer la couleur.   Du coup, si vous y croisez un type avec un chapeau haute-forme équipé d’une drôle de mécanique en cuivre et laiton et qui crache de la vapeur, vous ne vous étonnerez pas.  Le Steampunk est aussi partie intégrante du Festival.  Et si vous êtes (comme nous) de ceux qui aime cet art fantasque qui met en scène des inventions et costumes futuristes,  mais d’un futur resté légèrement coincé sur la révolution industrielle et sur l’Angleterre victorienne,  à l’invention de la machine à vapeur, vous en aurez pour votre compte ! Oui, je sais,  cette phrase est longue mais, en même temps, elle définit le Steampunk en 3 lignes. Et si j’ajoute que ce courant créatif et artistique ne se cantonne plus seulement à l’Angleterre victorienne mais qu’il se décline aussi dans d’autres univers, là vous en aurez presque toutes les clés :  l’univers de l’Ouest américain (le Wild Wild West avec Will Smith en est truffé mais celui avec  Robert Conrad en contenait déjà une dose) mais aussi certains univers médiéval-fantasy  !  En bref, le Steampunk, c’est beau, c’est décalé et ça pourrait avoir, par moment, des allures de chaos post ou pré-apocalyptique.

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Animations continues et marché

En plus des  nombreux jeux,   des  différentes ambiances et du défilé de multiples êtres sorties des imaginations les plus fertiles et débridées, vous devriez encore trouver, cette année, au Festival Cidre et Dragon,  des animations continues, de la musique, des scénettes  et du théâtre de rue, un marché d’artisans et, bien sûr, de quoi ripailler.  Côté plage, il devrait même y avoir un grand camp de pirate. Autant de bonnes raisons d’aller y faire un tour !

Le site web officiel du Festival La page Facebook

Voir tous nos articles sur les éditions précédentes de   Cidre et Dragon :   Edition  2016 Edition  2017Edition  2018 

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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« En Broceliande » quand les poètes d’Oxford du XXe siècle rimaient sur les Legendes arthuriennes

broceliande-legendes-arthuriennes-poesies-oxford-poetry-inspiration-medievaleSujet : poésie, légendes arthuriennes, oxford, forêt de Brocéliande, magie, luth, roman arthurien, poètes britanniques, romantisme
Période : Moyen Âge central pour les légendes, XXe siècle pour la poésie du jour.
Auteur : T. W. Earp
Titre :   « In Broceliande »
Sources : Oxford Poetry (1915)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionu début du XXe siècle et plus précisément à partir de 1910, une revue de littérature et de poésie anglaise nommée Oxford Poetry se mit à réunir des textes d’auteurs et poètes du lieu. Présentée sous la forme d’un petit fascicule, elle fut, dès son lancement, éditée de façon annuelle. Tous les thèmes pouvaient y être abordés et on y retrouvait, en général, de très belles pièces d’auteurs, contemporains de chacun de ses numéros. Depuis sa création, Oxford Poetry a traversé le temps, en changeant maintes fois d’éditeurs et elle est, à ce jour, toujours publiée. En plus de cent-dix ans, elle a vu passer de nombreux auteurs et poètes britanniques parmi les plus grands.

Aujourd’hui, c’est l’édition de 1915 qui nous intéresse en particulier. On y retrouve, pour la première fois, un poème de JRR Tolkien intitulé « Goblin feet » (pieds de gobelin) que nous aurons l’occasion de publier plus avant mais ce qui nous occupe, pour l’instant, est une pièce d’un autre auteur, dédiée aux légendes arthuriennes.

En Brocéliande de T.W. Earp

joueuse-de-luth-legendes-arthuriennes-poesie-monde-medieval-oxford-poetryDepuis le Moyen Âge central et après sa constitution en véritable corpus, sous la plume d’auteurs à la fois anglais et français, le roman arthurien n’a cessé d’inspirer les imaginations les plus fertiles, des deux côtés de la manche. A huit siècles de ses pionniers, cela est encore vrai et le restera, sans doute, pour longtemps.

(« Lady Playing a Lute », Bartolomeo Veneto (1530), Getty Museum, Los Angeles)

Daté de 1915, la pièce que nous vous proposons de découvrir a pour titre « In Broceliande » (En Brocéliande), et pour auteur T W Earp, poète et traducteur anglais des débuts du XXe siècle. Théâtre d’une partie importante des récits arthuriens, la célèbre forêt dont la localisation a divisé bien des experts en Bretagne comme en Angleterre, a été, elle aussi, une source inépuisable d’inspiration pour un grand nombre d’écrivains et de poètes (voir Brocéliande, huit siècles de légendes arthuriennes). La pièce du jour et sa mystérieuse joueuse de luth en attestent. Du côté d’Oxford et aux débuts du XXe, on rêve encore de lointain Moyen Âge et de belles légendes. Sans doute sous l’influence des romantiques du XIXe siècle, (voir article sur la ballade médiévale au XIXe siècle), ce monde médiéval, imaginaire et reconstruit, est chargé de magie, de récits épiques et de belle poésie.

Traduire, c’est trahir…

legendes-arthuriennes-instruments-ancien-poesie-monde-medievalMême en ayant de très sérieuses bases d’anglais, pour quelqu’un dont les racines linguistiques sont profondément latines, la poésie anglo-saxonne a des méandres qu’il n’est pas toujours aisé de démêler. Ses rythmes, la nature incisive de sa langue, comme ses allégories la rendent souvent rebelle à la traduction et, dans bien des cas, je ne suis même pas tout à fait certain qu’on puisse la transposer sans totalement l’adapter ou la réinterpréter. Alors c’est un peu un défi que nous nous lançons ici.  De fait, sans doute par peur de trop la dénaturer, la traduction que nous avons faite de cette pièce de T W Earp, de l’anglais vers le français moderne, est pratiquement littérale. Il ne  me reste donc plus qu’à espérer que la force et la beauté de ses images résistent au passage d’une langue à l’autre. Sans en avoir tout le recul, il me semble que c’est le cas.


En Brocéliande

In the midst of the forest of silence,
Where even the leaves are mute,
Where never a bird wanders,
She plays upon a lute.

Au milieu de la forêt du silence
Où même les feuilles sont muettes
Où jamais un oiseau ne vagabonde,
Elle joue sur un luth.

With fingers gently passing,
She touches golden strings,
Till the trees almost remember
The long-departed wings,

Avec des doigts pleins de délicatesse
Elle caresse les cordes d’or
Jusqu’au moment où les arbres se souviennent presque
Des ailes envolées depuis longtemps,

And the knights and the gay ladies,
And the music that went before,
And the days of joy and passion.
They will find these things no more.

Et des chevaliers et des dames joyeuses,
Et de la musique qu’on jouait alors,
Et des jours de joie et de passion.
Ils ne retrouveront plus jamais toutes ces choses.

One plaintive lute recalling
The loud citoles and shawms,
She alone has not left them,
Of the beautiful, noble forms.

Un luth plaintif se souvient
Des citoles et des chalemies bruyantes,
Elle seule ne s’est pas dessaisie 
De leurs belles et nobles formes.

If she would cease from playing,
The people with hearts of stone
Would lead her from the forest,
And set her on a throne.

Et si elle cessait de jouer,
Les gens au cœur  de pierre,
La conduiraient hors de la forêt
Pour l’asseoir sur un trône.

She would be bright with jewels,
She would sit crowned on high,
But if she left the forest,
Alas, the trees would die.

Elle serait étincelante sous les bijoux,
Elle porterait haut la couronne,
Mais si elle quittait la forêt,
Hélas, les arbres en mourraient.

In the midst of the forest of silence,
Where even the leaves are mute,
Where never a bird wanders,
She plays upon a lute.

Au plus profond de la forêt du silence,
Où même les feuilles sont muettes,
Où jamais un oiseau ne vagabonde,
Elle joue sur un luth.


En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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Culte marial : la Cantiga de Santa Maria 29 ou l’apparition miraculeuse d’une vierge sur la pierre

musique_espagne_medievale_cantigas_santa_maria_alphonse_de_castille_moyen-age_centralSujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, pèlerin, Gethsémani
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Alphonse X  (1221-1284)
Titre :  Cantiga 29 « Nas mentes sempre teer »
Ensemble : Micrologus
Album : Madre de Deu(1998)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionu cour de nos nombreuses pérégrinations autour du Moyen Âge, nous avons entrepris, il y a quelque temps, l’exploration et la traduction des Cantigas de Santa Maria. Rédigés en galaïco-portugais, ces chants dévots du XIIIe siècle furent compilés, et peut-être même écrits pour certains, de la main du roi Alphonse X de Castille. Un grand nombre d’entre eux ont trouvé leur inspiration dans les récits de miracles liés au culte marial qui circulaient alors en Espagne et même au delà. Certains provenaient d’ouvrages écrits par divers religieux, d’autres plus directement de récits de pèlerins.

La cantiga 29 ou  l’apparition de l’image
de la vierge  sur  une  pierre

Aujourd’hui, nous nous penchons sur la Cantiga de Santa Maria 29. Il s’agit donc d’un nouveau récit de miracle. Il conte l’apparition miraculeuse d’un image de la vierge à l’enfant sur une « pierre » et se réfère à un récit de pèlerins s’étant rendu à Gethsémani. Nous tenterons de jeter quelques lumières sur tout cela. Pour illustrer cette présentation, nous vous proposons également l’interprétation de ce chant marial par l’ensemble italien Micrologus dirigé par la talentueuse Patrizia Bovi

La Cantiga de Santa Maria 29 par l’Ensemble Micrologus

Les cantigas d’Alphonse X par Micrologus

Si l’on peut trouver la pièce du jour sur la chaîne Youtube de Micrologus, elle provient d’une production de l’ensemble médiéval, datée de 1998 et dédiée aux Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X. Intitulé Madre de Deus, l’album présente quinze cantigascantigas-santa-maria-29-miracle-culte-marial-micrologus. On le trouve disponible à la vente en ligne sous forme CD et même sous forme de fichiers MP3. Lien utile : Madre de Deus, Cantigas de Santa Maria.

Pour en apprendre plus sur cette formation médiévale italienne, vous pouvez également consulter l’article suivant : portrait de Micrologus.

La vierge de Gethsémani : aux origines de la cantiga de Santa Maria 29

Dans les Évangiles, Gethsémani est désigné comme le lieu de la dernière cène. Avec le temps, on l’a associé à plusieurs endroits. Situé à l’est de Jérusalem, il peut désigner le mont des Oliviers ou, de manière plus spécifique, son jardin ou  même encore la grotte de Gethsémani qui se situe non loin. En l’occurrence et dans la cantiga de Santa Maria 29, il est vraisemblablement fait référence à l’église du sépulcre de la Sainte Vierge. Suivant le récit ayant inspiré ce chant, c’est, en effet, à l’intérieur du tombeau supposé de Marie et sur une de ses colonnes, que se trouvaient les représentations dont l’auteur nous conte qu’elles n’étaient ni des peintures, ni des sculptures, mais des apparitions miraculeuses.

Le Liber Mariae de Juan Gil de Zamora

cantiga-de-santa-maria-29-culte-marial-monde-medieval-traduction-miracle-moyen-age-centralCi-contre, miniature du
Manuscrit médiéval MS T.I 1
de la Biblioteca del Monasterio
de El Escorial, Madrid

D’après les sources, la datation de ce miracle est contemporaine de l’Espagne d’Alphonse X. Il est toujours possible qu’elle soit antérieure, mais, factuellement,  on le retrouve dans le Liber Mariae du franciscain Juan Gil de Zamora (1241(?)-1318). Secrétaire du roi et tuteur de son fils Sancho, l’homme était lui-même un érudit. Il collabora aux différentes œuvres du monarque espagnol et, entre les nombreux ouvrages qu’il a légués, son Liber Mariae, compilation de divers récits de miracles mariaux, a, semble-t-il, compté pour la rédaction des Cantigas de Santa Maria.

Hypothèse de médiévistes sur la cantiga 29

Deux historiens américains, spécialisés dans la littérature médiévale espagnole et contemporains du XXe siècle, se sont penchés sur le miracle de la Cantiga 29 (Keller John Esten and Richard P. Kinkade, Myth and Reality in the Miracle of Cantiga 29, la Corónica, 1999)De leurs côtés, ils ont rattaché l’origine possible de ce récit à  la Basilique de la Nativité de Bethléem, elle-même sur la route des pèlerinages. On aurait trouvé, en effet, sur les colonnes de cette dernière, des images peintes, dont notamment une de la vierge à l’enfant. Ces peintures ont été datées de 1130 et la technique utilisée pour les exécuter aurait été particulièrement novatrice pour l’époque ; elle permettait, en effet, de peindre sur le marbre préalablement poli. Selon ces deux auteurs, plus d’un siècle après l’exécution de cette oeuvre représentant la vierge et face à la particularité de la technique usitée et son effet d’incrustation, certains pèlerins auraient pu voir là la trace d’un miracle.

A plus de 700 ans de là et quelle que soit la validité de cette hypothèse, voici les paroles de cette Cantiga de Santa maria 29, accompagnées d’une traduction en français moderne, effectuée par nos soins.


La Cantiga de Santa Maria 29 :  traduction
du galaïco-portugais au français moderne

Esta é como Santa Maria fez parecer nas pedras omages a ssa semellança. 

Celle-ci (cette cantiga) conte comment Sainte-Marie fit apparaître sur des pierres des images à sa ressemblance (des images d’elles).

Nas mentes sempre tẽer
devemo-las sas feituras
da Virgen, pois receber
as foron as pedras duras.

Dans nos esprits, toujours nous
Devons garder les prouesses* (actions, œuvres ?)
De la vierge car elles furent
Gravées sur des pierres dures.

Per quant’ eu dizer oý
a muitos que foron i,
na santa Gessemani
foron achadas figuras
da Madre de Déus, assi
que non foron de pinturas.

Nas mentes sempre tẽer …

Parce que j’ai entendu dire
Par de nombreuses personnes qui allèrent là bas
En la Sainte Gethsémani
Qu’on y a trouvé des images
De la mère de Dieu, telles
Qu’elles n’étaient pas des peintures.

Refrain…

Nen ar entalladas non
foron, se Déus me perdôn,
e avia y fayçôn
da Sennor das aposturas
con séu Fill’, e per razôn
feitas ben per sas mesuras.

Nas mentes sempre tẽer …

Elles n’avaient pas non plus été sculptées,
Et, que Dieu me pardonne,
On y voyait les traits
Et l’élégance de la dame
Avec son fils, et elles étaient  bien faites,
Avec raison et
 de justes mesures (dimensions, proportions).

Refrain…

Porên as resprandecer
fez tan muit’ e parecer,
per que devemos creer
que é Sennor das naturas,
que nas cousas á poder
de fazer craras d’ escuras.

Nas mentes sempre tẽer …

Par conséquent, il (Dieu) les fit resplendir
Et apparaître de manière si parfaite
Que nous devons croire
Qu’elle est la dame de la nature
Qui, sur les choses, a le pouvoir
De changer l’obscurité en clarté.

Refrain…

Déus x’ as quise figurar
en pédra por nos mostrar
que a ssa Madre onrrar
deven todas creaturas,
pois deceu carne fillar
en ela das sas alturas.

Nas mentes sempre tẽer …

Dieu voulut la figurer
Sur la pierre pour nous montrer
Que toutes les créatures
Doivent prier sa mère 

Car il est descendu pour s’incarner
En elle, depuis les hauteurs (le ciel).

Refrain…


Retrouvez ici l’index de toutes les Cantigas de Santa Maria traduites, commentées, et présentées par les plus grands ensembles de musique médiévale.

En vous souhaitant une belle  journée.

Frédéric EFFE.
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