« Ab l’alen tir vas me l’aire » : l’ode à la Provence, mâtinée d’amour courtois, d’un troubadour en exil

peire_vidal_troubadour_toulousain_occitan_chanson_medievale_sirvantes_servantois_moyen-age_central_XIIeSujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue occitane, langue d’oc, amour courtois, Provence médiévale.
Période : moyen-âge central, XIIe, XIIIe siècle
Auteur : Peire Vidal (? 1150- ?1210)
Titre : Ab l’alen tir vas me l’aire
Interprète : Camerata Mediterranea, Joel Cohen.
Album : Lo Gai Saber : Troubadour and Minstrels 1100-1300 (1990)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons de partir à la découverte (ou la redécouverte) d’une chanson médiévale du troubadour toulousain Peire Vidal. En plus de sa traduction, cette pièce nous fournira l’occasion de parler d’un ensemble de renom : le Boston Camerata.  Né outre atlantique dans les années 60-70, cette formation a trouvé également des prolongements sur les terres européennes, sous l’impulsion de son directeur Joel Cohen et à travers la Camerata Mediterranea.

« Ab l’alen tir vas me l’aire », Peire Vidal par la Camerata Mediterranea

Joel Cohen : de la Boston Camerata
à la Camerata Mediterranea

Ensemble dédié aux musiques anciennes, le Boston Camerata a vu le jour au milieu des années 50. Attaché dans un premier temps au Musée des Arts de la ville, il prit son indépendance 20 ans plus tard, joel-cohen_boston-camerata_passion_musiques-anciennes_troubadoursdans le courant de l’année 74. Sous la direction du luthiste passionné de « Early Music » Joel Cohen, assisté bientôt de la chanteuse soprano française Anne Azéma (son épouse), la formation a produit dès lors un nombre considérable d’albums et de programmes. Son répertoire de prédilection s’étend du moyen-âge à la période baroque, mais va même jusqu’à des musiques classiques, populaires ou folkloriques du XIXe siècle. Le Boston Camerata est, à ce jour, toujours actif et Anne Azéma en a repris l’entière direction depuis 2008. A côté de cela, cette dernière a également créé,  dans le courant des années 2000, l’Ensemble Aziman.

anne-azema_boston-camerata_passion_musiques-anciennes_troubadoursDans le courant de l’année 1990, Joel Cohen fut également à l’initiative de la création de la Camerata Mediterranea,  organisme à but non lucratif visant à promouvoir la recherche, les échanges et la communication entre artistes issus particulièrement du berceau méditerranéen et des trois religions monothéistes, autour du répertoire des musiques  traditionnelles et anciennes, C’est sous l’égide de cette organisme que s’inscrivait l’album Lo Gai Saber : Troubadour and Minstrels 1100-1300, enregistré en France et dont est issue la chanson de Peire Vidal que nous vous présentons ici.

Pour plus d’informations sur les productions et les activités du Boston Camerarata, vous pouvez consulter le leur site web au lien suivant

Lo Gai Saber : un album de choix
autour des troubadours du moyen-âge central

Fort de vingt-une pièces, ce bel album tout entier dévoué à l’art des troubadours du sud de France médiévale, s’étendra même jusqu’à l’Espagne et au galaïco-portugais puisque ce sont les « Ondas de Mar » de Martim Codax qui en feront l’ouverture, Elles seront suivies de près par deux compositions de Peire Vidal, mais encore des chansons des plus célèbres représentants de la langue d’oc du moyen-âge central : Gaucelm Faidit, Bertrand de Born, Raimbault de Vaqueiras, Guillaume IX de Poitiers, Marcabru, Bernard de Ventadorn et bien d’autres encore.

troubadour_trouvere_peire_vidal_musique_chanson_medievale_boston-camerata_moyen-age_XIIeDès sa sortie, l’album fut encensé par la presse spécialisée. Entourés de grands noms de la scène des musiques anciennes, Joel Cohen et Anne Azema y prêtent leur voix et leur talent. A leur côtés, on retrouve Cheryl Ann Fulton  à la harpe, Shira Kammen à la vielle et au rebec, mais aussi Jean-Luc Madier et François Harismendy à la voix. On peut encore trouver cette production à la vente au format CD ou même au format MP3 dématérialisé. A toutes fins utiles, voici un lien utile pour vous le procurer : Joel Cohen: Lo Gai Saber – Troubadours and Minstrels 1100-1300.

« Ab l’alen tir vas me l’aire » :  la Provence médiévale de Peire Vidal

P_lettrine_moyen_age_passion-copiaour revenir à la pièce du jour, Joel Cohen se livrait ici à l’exercice (au demeurant très médiéval) du contrefactum, puisqu’il plaquait sur les vers et la poésie de Peire Vidal, une mélodie datant du XIIIe siècle, par ailleurs attachée à une chanson du trouvère Conon de Bethune  : « Chanson legiere a entendre ».

« Ab l’alen tir vas me l’aire qu’eu sen venir de Proensa« , « avec l’haleine, je tire vers moi l’air que je sens venir de Provence »,  ce texte est sans doute l’un des plus célèbres du troubadour du moyen-âge central. Voyageur par goût, mais, on le suppute aussi, un peu contraint par la force des événements, l’auteur médiéval faisait ici tribut à sa Provence natale et aimée. Dans un élan de lyrique courtoise, il y évoquait aussi immanquablement la dame qu’il avait dû laisser derrière lui mais qui continuait d’occuper toutes ses pensées. S’agit-il de l’épouse de son protecteur, Raymond Geoffrey, Vicomte de Marseille, dit Barral de Marseille ? Une légende court sur un baiser volé et on avance quelquefois que les transports du poète  à  l’égard de la noble dame lui aurait peut-être valu de se faire bannir de la ville. Le mystère demeure et il peut encore s’agir de cette dame autour de Carcassonne auquel le poète fait allusion dans d’autres poésies.

Pour la traduction, nous nous basons sur celle de Joseph Anglade, dans son ouvrage consacré aux Poésies de Peire Vidal en 1913, tout en les revisitant un peu sur la base de recherches personnelles .


Les paroles de la chanson de Peire Vidal
avec leur traduction en français moderne

I
Ab l’alen tir vas me l’aire
Qu’eu sen venir de Proensa :
Tôt quant es de lai m’agensa,
Si que, quan n’aug ben retraire,
Eu m’o escout en rizen
E – n deman per un mot cen :
Tan m’es bel quan n’aug ben dire.

Avec mon haleine j’inspire l’air
que je sens venir de Provence;
tout ce qui vient de là me plaît ;
De sorte que quand j’en entends bien rapporter,
moi,  j’écoute en souriant
et 
 j’en demande pour un mot, cent.
Tant il m’est agréable d’en entendre dire du bien.

II
Qu’om no sap tan dous repaire
Com de Rozer tro qu’a Vensa,
Si com clau mars e Durensa,
Ni on tan fis jois s’esclaire.
Per qu’entre la franca gen
Ai laissât mon cor jauzen
Ab leis que fa*ls iratz rire.

Car on ne connaît pas de si doux pays
que celui qui va du Rhône à Vence
et qui est enclos entre mer et Durance ;
et il n’en est pas qui procure tant  de joie ;
c’est pourquoi chez ces nobles gens 
j’ai laissé mon cœur  joyeux,
auprès de celle qui rend la joie aux affligés.

III
Qu’om no pot lo jorn mal traire
Qu’aja de leis sovinensa,
Qu’en leis nais jois e comensa.
E qui qu’en sia lauzaire,
De ben qu’en diga no’i men ;
Quel melher es ses conten
E-l genser qu’el mon se mire.

Car on ne peut être malheureux le jour
Quand on a d’elle souvenance;
car en elle naît et commence la joie ;
quel que soit celui qui fait son éloge
et quelque bien qu’il en dise, il ne ment pas ;
car elle est la meilleure sans conteste
et la plus gracieuse et aimable qu’on puisse trouver en ce monde.

IV
E s’eu sai ren dir ni faire,
Ilh n’aja*l grat, que sciensa
M’a donat e conoissensa,
Per qu’eu sui gais e chantaire.
E tôt quan fauc davinen
Ai del seu bel cors plazen,
Neis quan de bon cor consire.

Et je ne sais rien dire, ni faire
dont le mérite ne lui revienne, car science
elle m’a donné et talent (connaissance? )
Grâce auxquels je suis gai et chantant.
Et tout ce que je fais de beau
m’est inspiré par 
son beau corps plaisant,
même quand cela vient du plus profond de mon coeur.
(1)

(1) Joseph Anglade traduit ce dernier vers comme  « même quand je rêve de bon cœur (?) » ce qui n’a pas tellement de sens. Nous penchons plus en faveur d’une traduction dans laquelle il fait de la dame de son cœur, la source d’inspiration de ses plus beaux vers, même quand ils viennent du plus profond de son être.


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes

Les bâtisseurs médiévaux : des maîtres Compagnons au service du patrimoine et de la restauration

metiers_anciens_batisseurs_chantier_medieval_restauration_patrimoine_construction_moyen-ageSujet : bâtisseurs médiévaux, métiers anciens, construction médiévale, passion, restauration, patrimoine, Compagnons du tour de France, monde médiéval, engin de chantier médiéval, compagnie médiévale
Période : Moyen Âge à nos jours
Site web : bâtisseurs-medievaux.fr

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionans un Moyen Âge central qui s’urbanise et qui voit s’édifier un nombre impressionnant de monuments dont certains gigantesques entre châteaux, maisons fortes ou donjons, fortifications urbaines, halles de marché, ponts et installations portuaires, églises, cathédrales et même encore abbayes et monastères, les métiers et, un peu plus avant, les corporations de bâtisseurs demeurent une point névralgique du développement. Elles sont constituées de nombreux corps de métiers qui peuvent être attachés à des villes, mais qui sont, bien souvent aussi, itinérants et qui viennent renforcer de leur main d’œuvre et de leur expertise les divers chantiers qui s’ouvrent ici ou là, au gré des opportunités, sur les terres de la France médiévale. Entre taille de pierre, forge et fabrication d’outils, de cordage, la confection d’enduits, les travaux de couverture, de charpente et encore tous les métiers autour des bois de construction, la chantier_medievale_corporation_batisseurs_metiers_construction_restauration_moyen-ageréalisation d’ouvrages médiévaux est un théâtre fourmillant de mille savoir-faire et techniques dont il faut, hélas, constater que certains se sont même perdus, faute de traces écrites.

Détail miniature, construction de la Cathédrale de Saint-Denis, Ms Français 2609, Grandes Chroniques de France (XVe) BnF, Dept des manuscrits

A travers les siècles pourtant, nul ne peut rester indifférent face à l’échelle et au nombre des réalisations ou face encore à la somme d’expériences mise en œuvre dans les édifices de pierre profanes comme religieux du monde médiéval. Si, pour paraphraser Geoges Duby,  le Moyen Âge est un peu notre « Far West », ses chantiers, par l’ampleur et la magnificence de leurs prouesses, ne sont pas sans évoquer par certains côtés, quelques réalisations pharaoniques de l’Egypte antique. Gigantisme, majesté, flèches et tours qui se tendent vers le ciel comme pour tutoyer Dieu de plus près, le Moyen Âge est peuplé de symboles divins, seigneuriaux ou régaliens mais c’est aussi le règne de la transcendance, un temps partagé et collectif dans lequel commencer une œuvre ne garantissait pas toujours de la voir terminer durant une vie d’homme.

Pascal Waringo, maître artisan compagnon,
passionné de construction médiévale

engins_chantier_construction_medievale_batisseurs_compagnons-tour-de-France_moyen-ageCompagnon du tour de France, Pascal Waringo est un passionné de bâti et de constructions anciennes, de l’époque médiévale à la renaissance. Primé à plusieurs reprises par ses pairs pour ses travaux et ouvrages de restauration, ce maître artisan de longue date, digne représentant de l’excellence du compagnonnage en matière de savoir-faire,  est à l’initiative de la création d’un certain nombre de structures entrepreneuriales ou associatives. Leur vocation ? Intervenir pour la sauvegarde et la restauration des bâtiments d’époque mais aussi promouvoir les techniques de constructions médiévales, en sensibilisant le public le plus large, autour de ces sujets.

Interventions :  sauvegarde, nettoyage
& restauration de bâtiments anciens et classés

Côté chantier et patrimoine,  c’est la SNRB, Société de construction et de restauration qui chapeaute les travaux de réfection et de sauvegarde. En plus de vingt ans, elle est déjà intervenue sur un grand nombre de monuments historiques classés et la renommée de son fondateur a même dépassé les frontières puisqu’il compte parmi les trois experts mondiaux à avoir été mandatés sur le chantier restauration_batiments_monuments_classes_moyen-agede la Forteresse médiévale de Ozark, aux Etats-Unis : lancée en 2009, cette expérience, directement inspirée du Château Guédelon de Michel Guyot,  consiste à bâtir ex-nihilo et aux moyens des techniques d’époque, un château fort du XIIIe siècle, en plein coeur de l’Arkansas.

Au sujet de Guédelon , profitons-en pour mentionner ici que Pascal a compté parmi les tout premiers experts à être attachés au projet. Au delà de son intervention sur l’étude préalable, il a même œuvré sur certains aspects du chantier naissant, techniques de prise de mesures anciennes, premières  cages à écureuil, c’est même lui qui a dessiné le plan de la belle cheminée de la salle d’accueil et de la boutique, à la proportion dorée.

Au titre des chantiers expérimentaux d’envergure, on retrouve encore ce véritable pionnier en matière de techniques de construction médiévale en expert éclairé sur l’ambitieux projet de Montcornelles dans l’Ain, (voir Montcornelles, une cité médiévale du XIVe sort de terre)

chantier_restauration_batisseurs_construction-medievale_passion_moyen-age

Pour revenir aux interventions de la SNRB dans le domaine de la sauvegarde du bâti et du patrimoine ancien, ouvrages de maçonnerie, taille de pierre et tous les métiers autour de la restauration ancienne n’ont plus guère de secrets pour le maître compagnon, même si chaque nouveau chantier est toujours pris comme un défi à relever. Ici, l’art côtoie toujours la technique et le plus grand respect du patrimoine guide chaque geste. A force d’expériences et de recherches, la SNRB a d’ailleurs mis au point des interventions uniques en leur genre dans le domaine de la restauration, dont notamment une technique de réparation de voûtes, en passe d’être brevetée.

Etudes, conseils et diffusion

Dans le prolongement de cette société d’intervention, un cabinet a été mis en place: le RCP, comité pour la recherche, le conseil et la pédagogie sur les techniques médiévales de construction.

engins_chantier_construction_medievale_batisseurs_moyen-ageAnimé là encore par Pascal Waringo entouré d’une équipe d’experts pluridisciplinaires, ce bureau d’études a vocation à assister les acteurs du patrimoine (publics ou privés) dans le montage de leurs projets de restauration. Au titre de ses missions, il prend également sa part active dans la diffusion des techniques de construction médiévale auprès d’un plus large public. Dans ce cadre, l’organisme accompagne les acteurs touristiques en charge de bâtiments historiques dans la mise au point d’animations ou de visites spécialisées autour de ses sujets de prédilection, mais il organise aussi divers expositions et conférences dans le domaine du bâti médiéval.

« Du Moyen Âge à nos jours »: une troupe
au service de la pédagogie et du divertissement

Pour couvrir des aspects encore plus ludiques et pédagogiques de toutes ces activités, une véritable compagnie médiévale a même été créée. Elle a pour nom Les bâtisseurs médiévaux. Depuis une vingtaine d’années, elle propose ses animations aux quatre coins de France mais elle s’exporte aussi au delà des frontières, sur les terres d’Europe. Cette troupe, pas comme les autres, se déplace même avec ses engins de chantiers médiévaux minutieusement engin_chantier_medieval_batisseurs_moyen-age_sreconstitués et remontés sur site pour l’occasion. Elle propose ainsi de recréer sous les yeux du public et sur tout site désireux de l’accueillir, l’effervescence et les savoir-faire que l’on pouvait trouver sur un véritable chantier médiéval. Les démonstrations s’étendent à un large nombre de métiers et d’activités : de la charpente à la corderie en passant par la géométrie et la prise de mesure, l’utilisation des engins, bien sûr et encore le montage des structures nécessaires à la construction.

Du point de vue des engins présentés et des activités, la troupe s’est même diversifiée puisqu’elle s’est attelée, en plus de la réalisation de cages à écureuil, nacelles et autres roues à échelons qu’on retrouvait sur les chantiers d’époque, à la reconstitution d’engins militaires de siège ou défensifs du Moyen Âge:  bricoles, trébuchets ou autres pierrières qu’elle propose à l’exposition ou à la location.

Pour plus d’informations sur l’ensemble de ces activités, voir :
Batisseurs-medievaux.fr –  FB officielConférences & expositions 

Articles   et ouvrages d’intérêt
autour de la construction médiévale :

Pour alimenter votre curiosité sur le sujet de la construction au Moyen Âge et des chantiers médiévaux, nous vous invitons également à consulter les articles suivants :

Une Conférence de l’historienne médiéviste Cécile Sabathier sur les chantiers médiévaux en milieu urbain

Un article sur l’Aventure de Château Guédelon.

Côté lecture, voici quelques romans d’aventure qui touchent de près le sujet du chantier médiéval et le font revivre dans le détail : 

Les pierres sauvages de Fernand Pouillon
La Cathédrale de la Mer de Ildefonso Falcones
Les Piliers de la terre de Ken Follet

Enfin, vous trouverez dans notre catégorie sur les châteaux forts et l’architecture médiévale, nombre d’éléments complémentaires sur toutes ces questions.

En vous souhaitant une excellente journée

Frédéric F
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

Quand la saison est passée : Jacques de Cysoing et l’Amour courtois à l’automne des trouvères

trouvere_chevalier_croise_poesie_chanson_musique_medievale_moyen-age_centralSujet : musique, poésie, chanson médiévale, amour courtois, fine amor,  trouvère, vieux-français, langue d’oïl, fin’amor, biographie, portrait, manuscrit ancien.
Période :   XIIIe siècle, moyen-âge central
Titre:
Quant la sesons est passée
Auteur :  
Jacques de Cysoing (autour de 1250)

Bonjour à tous,

V_lettrine_moyen_age_passion-copiaers le milieu du XIIIe siècle, à quelques lieues de la légendaire Bataille de Bouvines qui avait vu l’Ost de Philippe-Auguste défaire les vassaux et rivaux  de la couronne moins d’un demi-siècle auparavant, vivait et chantait un trouvère du nom de Jacques de Cysoing. Connu également sous les noms de Jacquemont (Jakemont) de Chison, Jaque, Jaikes, Jakemès de Kison, ou encore Messire de Chison, et même de Cison, ce poète, qui s’inscrit (presque sans surprise) dans la veine de la lyrique courtoise, compte dans la génération des derniers trouvères.

Eléments de biographie

Jacques de Cysoing serait issu d’un village, non loin de Lille et d’un lignage noble qui lui ont donné son patronyme. Il serait le troisième fils de Jean IV ou de Jean III de Cysoing (les sources généalogiques diffèrent sur cette question). Si l’on en croit ces mêmes sources généalogiques et s’il s’agit bien de lui, en plus de s’exercer à l’art des trouvères et de composer des chansons, Messire de Chison aurait été chevalier, ainsi que seigneur de Templemars et d’Angreau.

jacques_de_cysoing_trouvere_moyen-age_central_XIIIe-siecle

Entre les lignes

On peut déduire un certain nombre de choses entre les lignes des  poésies et chansons de ce trouvère. Il a été contemporain de la 7e croisade et notamment de la grande bataille qui eut lieu au Caire et à Mansourah. Il y fait une allusion dans un Sirvantois, rédigé à l’attention du comte de Flandres (sans-doute Guy de Dampierre, si l’on se fie aux dates). Nous sommes donc bien autour de 1250 ou un peu après.

Dans une autre poésie, Jacques de Cysoing nous apprend également qu’il a été marié et il se défend même de l’idée (dont on semble l’accabler) que cette union aurait un peu tiédi ses envolées courtoises et ses ardeurs de fine amant.

« Cil qui dient que mes chans est rimés
Par mauvaistié et par faintis corage,
Et que perdue est ma joliveté*
Par ma langor et par mon mariage »

joliveté  : joie, gaieté, coquetterie plaisir de l’amour). petit dictionnaire de l’ancien français Hilaire Van Daele

Au passage, on note bien ici le « grand écart » que semble imposer, au moins d’un point de vue moderne, la fine amor aux poètes du moyen-âge central quand, pouvant être eux-mêmes engagés dans le mariage, jacques-de-cysoing_trouvere_manuscrit_chansonnier-du-roy_francais-844_moyen-age-central_chanson-medievale_sils jouent ouvertement du luth (pour le dire trivialement) sous les fenêtres de dames qui ne sont pas les mêmes que celles qu’ils ont épousaillées. S’il faut se garder de transposer trop directement ce fait aux valeurs de notre temps (et voir d’ici, voler quelques assiettes), on mesure tout de même, à quel point, en dehors de ses aspects sociaux quelquefois doublement transgressifs (l’engagement fréquent de la dame convoitée s’ajoutant à celui, potentiel, du poète) la fine amor se présente aussi véritablement comme un exercice littéraire conventionnel aux formes fixes auquel on s’adonne. D’une certaine façon, la question de la relation complexe et de la frontière entre réalité historique et réalité littéraire se trouvent ici, une nouvelle fois posée.

Œuvre et legs

On attribue à Jacques de Cysoing autour d’une dizaine de chansons. Elles gravitent toute  autour du thème de l’amour courtois et du fine amant, mais on y trouve encore un sirvantois dans lequel le poète médiéval dénonce les misères de son temps. Toutes ses compositions nous sont parvenues avec leurs mélodies.

On peut les retrouver dans divers manuscrits anciens dont le Manuscrit français 844 dit chansonnier du roi (voir photo plus haut dans cet article) ou encore dans le Ms 5198 de la Bibliothèque de l’Arsenal;  très beau recueil de chansons notées du XIIIe,  daté du début du XIVe, on le connait encore sous le nom de Chansonnier de Navarre (photo ci-contre). Il contient quatre chansons du trouvère (Quant la sesons est passéeNouvele amour qui m’est el cuer entréeQuant l’aube espine florist et Contre la froidor) et vous pouvez le consulter en ligne sur Gallica.

Quant la sesons est passée
dans le vieux français de Jacques Cysoing

Quant la sesons est passee
D’esté, que yvers revient,
Pour la meilleur qui soit née
Chanson fere mi convient,
Qu’a li servir mi retient
Amors et loial pensee
Si qu’adés m’en resouvient* (sans cesse je pense à elle)
Sans voloir que j’en recroie(de recroire : renoncer, se lasser)
De li ou mes cuers se tient* (mon coeur est lié)
Me vient ma joie

Joie ne riens ne m’agree* (ne me satisfait)
Fors tant qu’amors mi soustient.
J’ai ma volonté doublee
A faire quanqu’il convient
Au cuer qui d’amors mantient
Loial amour bien gardee.
Mais li miens pas ne se crient* (n’a de craintes)
Qu’il ne la serve toz jorz.
Cil doit bien merci* (grâce) trouver 
Qui loiaument sert amors.

Amors et bone esperance
Me fet a cele penser
Ou je n’ai pas de fiance* (confiance, garantie)
Que merci puisse trouver.
En son douz viere* (visage) cler
Ne truis nule aseürance,
S’aim melz* (mieux) tout a endurer
Qu’a perdre ma paine.
D’amors vient li maus
Qui ensi mos maine.

Maine tout a sa voillance
Car moult bien mi set mener
En tel lieu avoir baance
Qui mon cuer fet souspirer
Amors m’a fet assener* (m’a mené, m’a destiné)
A la plis bele de France
Si l’en doi bien mercier,
Et di sanz favele* (sans mensonge)
Se j’ai amé, j’ai choisi
Du mont* (monde) la plus belle.

Bele et blonde et savoree* (exquise, agréable)
Cortoise et de biau maintien,
De tout bien enluminee*(dotées de toutes les qualités),
En li ne faut nule rien (rien ne lui manque, ne lui fait défaut)
Amors m’a fet mult de bien,
Quant en li mist ma pensee.
Bien me puet tenir pour sien
A fere sa volonté.
J’ai a ma dame doné
Cuer et cors et quanque j’é* (tout ce que j’ai)

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com.
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Une armée de sujets pour le monarque juste : sagesse persane et morale politique chez Saadi

saadi_mocharrafoddin_sagesse_persane_moyen-age_XIIIe_siecleSujet  : citations médiévales, sagesse persane, poésie morale, conte moral, miséricorde, justice, devoir politique
Période  : moyen-âge central, XIIIe siècle
Auteur :   Mocharrafoddin Saadi (1210-1291)
Ouvrage  : Gulistan, le jardin des roses,  traduit par Charles Defrémery (1838)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle incursion dans la Perse du XIIIe siècle avec une leçon de morale politique du poète Saadi. Une fois encore, il y est question de tenue dans l’exercice du pouvoir. Comme dans un nombre important de ses contes, l’auteur médiéval insiste encore ici sur le fait que la sagesse et le discernement doivent primer chez l’homme d’Etat sur tout autre diktat, un peu comme si la loi religieuse demeurait sans fond si elle ne reposait d’abord sur des qualités humaines et de bon sens « intrinsèques », En d’autres termes, pour faire un bon roi, il faut d’abord un homme bon, juste et censé. Il faut aussi qu’il soit entouré de  conseillés courageux et droits, prêts au besoin à essuyer les foudres du souverain pour s’acquitter du prix de la vérité.

Si la philosophie qui sous-tend les petits contes du voyageur, homme politique, diplomate et conteur du moyen-âge n’est pas la même que la morale chrétienne qui est alors à l’oeuvre dans l’Occident médiéval, son Jardin des Roses ne cesse pourtant d’évoquer, par certains aspects, ces Miroirs des princes que l’on retrouvait à la même époque en Europe. Ici comme ailleurs et par delà le temps, dans l’ombre du pouvoir, l’abus n’est jamais loin et il s’en faut toujours de peu que le détenteur du destin des hommes ne soit tenté de se changer en le pire des prédateurs. Qui pense-t-il servir vraiment ? La question de fond finit toujours par être posée en ces termes et sur ce point, de l’Iran médiéval aux terres occidentales, nombre d’auteurs s’accorde pour le lui rappeler : aucun souverain ne peut gouverner indéfiniment et impunément sans son peuple et encore moins contre.

Miséricorde dans l’exercice du pouvoir

Le roi demanda: « Quel est le moyen de rassembler l’armée et les sujets? »  Le vizir répondit : « il faut au roi de la justice afin qu’on se rallie autour de lui, et de la miséricorde afin qu’on s’assoie tranquille à l’ombre de sa puissance. Or, tu n’as ni l’une ni l’autre de ces deux qualités. »

saadi_citation_auteur_poete_medievale_sagesse_persane_moyen-age_XIIIe-siecle

Distique :  Celui qui a pour habitude la violence n’exerce pas la souveraineté; car les fonctions de berger ne seront pas remplies par le loup. Un souverain qui jette les fondements de l’oppression, arrache la base du mur de sa puissance. 

Le conseil de ce vizir sage et dévoué ne se trouva pas conforme au caractère du roi. il le fit charger de liens et l’envoya en prison. Il ne s’était pas écoulé beaucoup de temps, lorsque les cousins germains du sultan se levèrent contre lui, équipèrent une armée pour le combattre et réclamèrent le royaume de leur père. Les gens qui avaient été réduits aux dernières extrémités par la main de son oppression et s’étaient dispersés, se rallièrent auprès d’eux, et les fortifièrent, si bien que le royaume sortit de sa puissance, et fut affermi dans la leur.

saadi_citation_auteur_poete_medievale_morale_politique_sagesse_persane_moyen-age_XIIIe-siecle

Distique  ; Un roi se permet-il l’injustice envers ses sujets, son ami même, au jour de la détresse, devient un ennemi pressant. Fais la paix avec tes sujets et  demeure sans aucune inquiétude d’avoir la guerre avec un ennemi; car les sujets sont une armée pour le monarque juste.

Une belle journée à tous.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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