e récidive avec le poète et trouvère Rutebeuf, en vous proposant, cette fois-ci une lecture audio du fabliau « Li testament de l’asne » (« le testament de l’âne ») dont nous parlions, il y a quelques jours, ici, et que nous avions alors traduit ou adapté plutôt en vers et en français moderne (article ici).
Après avoir cherché la musicalité de Rutebeuf dans le ver en français moderne, je vous convie, cette fois, toute à la fois à une expérience auditive et un voyage dans le monde médiéval, puisque nous tentons, de faire revivre ce célèbre fabliau médiéval dans la langue de son auteur. C’est un français ancien, vous y trouverez peut-être des accents de terroir, tant les R ne se roulent plus que dans certaines de nos campagnes et chez certains de nos anciens. Bien sûr, il n’y a, ici, pas d’autres prétentions que celle de faire des expérimentations dans notre petit laboratoire verbal et alchimique,
en l’occurrence pour ce qui est de l’expérience d’aujourd’hui de mesurer si nous sommes capables de comprendre au moins un peu de ce fabliau et de ce verbe qui a fait l’histoire de notre langue, à plus de cinq cent ans de son écriture par Rutebeuf. N’hésitez pas à nous donner vos impressions. Il me semble tout de même que l’oreille aide un peu, même si elle ne permet pas de tout percer (dommage! pour une fois qu’une occasion lui était donnée de prendre sa revanche.)
uoiqu’il en soit, je le dis, quand même, Fabrice Luchini n’a qu’à bien se tenir! Mais je plaisante bien sûr, je n’en ai ni le talent ni la prétention, et je le disais en pensant à ses lectures et notamment à celles qu’il a fourni sur les textes de Jean de Lafontaine. Notez bien, par ailleurs, que pour ce qui est de tenir Fabrice Luchini, il demeure évident que personne n’y parvient véritablement, et c’est bien justement comme ça qu’on l’aime aussi, créatif, inspiré, débridé, drôle et libre! Mais ceci est un autre sujet, ne commençons pas à nous disperser (percer?)
Allons, place à Rutebeuf et à son testament de l’âne dans le texte!
Longue vie à tous.
Frédéric Effe
Pour moyenagepassion.com
« Maintenant nous allons travailler à rendre pure et parfaite la matière imparfaite »
Petit Traité d’Alchimie, intitulé « Miroir de l’Alchimie ».
Citation médiévale prêtée au « Doctor Mirabilis » Roger Bacon, savant, philosophe et alchimiste du XIIIe siècle, (1214-1292) mais qui à l’évidence ne lui appartient pas.
Quand les auteurs se changent en corpus
ous avons déjà évoqué, ici, dans un article, du phénomène qui s’est souvent produit consistant à attribuer à un auteur ancien tout un ensemble de textes qui ne lui appartenait, en définitive, pas du tout. (voir article sur les Goliards et l’Archipoète). Outre les possibles erreurs d’archivage qui peuvent expliquer cela, il faut y voir encore les erreurs des lecteurs de textes non signés, convaincus de bonne foi de leur paternité quand les ouvrages ou les productions ne sont pas eux-même signés faussement de la main des auteurs originaux. L’affaire n’est donc pas simple mais de fait, les auteurs célèbres du monde médiéval, savants, poètes comme alchimistes (Albert le Grand, Arnaud de Villeneuve, etc, …), ont eu souvent tendance à se voir changer, malgré eux, en « corpus ».
Concernant cette citation que nous vous livrons ici et le fait qu’elle aurait été écrite par Roger Bacon, les mêmes flottements ont existé même si l’hypothèse semble en être, aujourd’hui, définitivement écartée. L’ouvrage, pas d’avantage que la citation présente en tête de cet article, ne sont de lui. Cette dernière est, en revanche, réellement tirée de l’ouvrage que l’on appelle le Miroir de l’Alchimie (Speculum alchimiae) qui aurait été écrit, en réalité, au XVe siècle et ne peut donc être contemporain du vrai Roger Bacon décédé, quant à lui, près de 300 ans avant, sauf à croire qu’il ait, en secret, découvert la pierre philosophale et l’immortalité. Mais ce sont des légendes qui courent pour l’instant plus sur Nicolas Flamel que sur le célèbre « Doctor admirable » du XIIIe siècle.
Alchimie & mystique de la transformation
Quoiqu’il en soit, cette citation résume, en une ligne, l’objet autant ambitieux que fascinant de l’Alchimie. Pour en avoir une vision plus juste et plus complète de cette science médiévale, il faudrait encore ajouter que la perfection recherchée était, bien sûr, une perfection divine. Je dis que cet objet est fascinant parce que, même si l’Alchimie a souvent pris, sous des odeurs de souffre, les dehors de la recherche obscure et quelquefois obsessionnelle de l’or ou de l’immortalité, et même si elle a été, il est vrai, noyauté par une ribambelle d’imposteurs qui lui ont fait du tord, dans sa Maestria, son ambition réelle était bien plus profonde et spirituelle. A la faveur des incompréhensions qu’elle a suscité, il faut encore ajouter l’hermétisme de son langage autant que de ses processus de transmission comme autant de facteurs aggravants pour la faire méjuger. Science et discipline ancienne incomprise ne faisant, dans sa forme, pas l’effort de se mettre à portée du commun et même, tout au contraire, cultivant l’hermétisme, l’Alchimie était, d’abord et avant tout une mystique de la transformation, une quête du divin et du sacré jusque dans le coeur de la matière. A travers ses actes de transmutation et ses opérations tant symboliques que matérielles, c’était la quête d’un chercheur solitaire, en recherche pour devenir un agent du divin, pour se bonifier, se purifier et finalement transcender sa propre nature dans une quête initiatique dont on disait qu’une vie entière ne suffisait souvent pas à l’épuiser ou à l’atteindre. Y-a-t’il quête plus fascinante ou plus merveilleuse que celle d’un homme qui cherche à dépasser les imperfections de sa propre nature pour s’élever? Le débat est, bien sûr, ouvert pour qui pense que l’univers manque de sacré ou pour qui , au contraire, soutient que nous lui en prêtons encore trop.
Une chose demeure certaine, que le but soit ou non atteint et que l’on tende l’oreille aux mystérieuses légendes de ses grands ayant trouvé la pierre philosophale, devenu riche et peut-être immortel comme on le dit d’Hermès Trismégiste (encore un corpus!) à Nicolas Flamel, cette science médiévale aura favorisé de nombreuses découvertes qui sont venues, au fil des manipulations de la matière, comme les conséquences accessoires ou les accidents d’une recherche bien plus vaste et ambitieuse : découverte de quantité de solutions acides, citrique, sulfurique, chlorhydrique, acétique, …, et encore, gaz carbonique, potasse, phosphore, eau de vie, sans parler des applications cosmétiques et médicinales, etc, La liste est longue.
L’alchimie, ancêtre de la Chimie ?
« L’alchimie, aussi bien que l’astrologie et la magie, doit être considérée comme une science traditionnelle. Elle doit être définie en fonction de ses rapports avec les structures et les valeurs des sociétés et des civilisations de type traditionnel, orientales et occidentales, antiques et médiévales où elle est née et où elle s’est développée. Il faut donc la considérer en fonction de ses propres critères et se garder de la réduire à nos systèmes. » René Alleau, historien des sciences, (voir article ici sur universalis)
L’Alchimie était-elle « simplement » l’ancêtre de la chimie ? Peut-on simplement la réduire à cela ? C’est ue définition commode et souvent entendue. Je ne le crois pas. Factuellement, elle a, certes, donné naissance à la chimie mais les sciences modernes sont nées dans une rupture matérialiste et rationaliste d’avec leurs aïeules. L’Alchimie n’est pas simplement la Chimie, une fois Dieu « ôté » ou quelques croyances soustraites. Bien sûr, à l’évidence, cette science médiévale, pour peu qu’on veuille avec René Alleau, encore lui prêter ce caractère de science, date d’un temps où l’objet de la science n’était pas dissocié de la recherche du divin et où, dans les mystères de l’univers, c’est toujours, au bout du compte, le divin que l’on cherchait, que l’on voyait à l’oeuvre et que l’on finissait, invariablement, par trouver, dedans les découvertes comme face aux mystères. Mais quand je dis que la Chimie n’est pas simplement « l’Alchimie moins Dieu », en dehors de la complexité des opérations auxquelles elle se livrait et de l’intentionnalité qui les sous-tendait et qui en font bien plus qu’une Chimie balbutiante, il demeure aussi évident que la pratique de la science moderne n’a pas évacué, tout à fait, certains questionnements chez l’ensemble de ses chercheurs.
Il aura fallu sans doute quelques siècles pour que la jeune science matérialiste et rationaliste, né d’un « schisme » et ayant commencé à faire le deuil de ses vieilles luttes au corps à corps avec les institutions religieuses, s’ouvre à nouveau et admette que la question du divin n’est toujours pas tranchée de manière irrévocable par son exercice. Cette question continue d’appartenir, au fond, à chacun de ses chercheurs et depuis la deuxième moitié du XXe siècle, les sciences de la nature ne peuvent plus tout à fait se contenter de l’hégémonie du seul matérialisme. Albert Einstein, repensant la matière dans l’espace quantique et les mystères de la lumière et du temps, nous parlait de Divin, mais il n’est pas le seul de tout ceux qui cherchent à prêter à la marche de l’univers quelques mystères ou quelques lois à l’oeuvre, qui relève d’autre chose que de
la simple mécanique hasardeuse. De la même façon, une certaine biologie née récemment tente de repenser les lois de la vie en s’affranchissant de la physique matérialiste des origines.
(ci-contre gravure du XIXe, (colorisée par nos soins) qui représente le Faust de Goethe créant un Homunculus)
Au fond, on pourrait dire que Dieu reste dans la chimie, s’il est dans le chercheur, à quoi un croyant me répondrait sans nul doute: « Mon jeune ami, que le chercheur y prête foi ou non , Dieu est dans chaque chose et n’attend pas que l’homme croit en lui pour être », mais ceci est un autre débat. En tout cas, pour toutes ces raisons, on ne peut plus simplement réduire à la fois la Chimie et l’Alchimie à des définitions matérialistes et rationalistes: la chimie n’est pas l’Alchimie moins Dieu, pas d’avantage que la vieille science médiévale n’est simplement la Chimie enrobée d’une couche de foi.
Pour en revenir à cette citation du Miroir de l’Alchimie et concernant le grand Roger Bacon, il a également comme de nombreux savants et érudits du monde médiéval pratiqué l’Alchimie. On ne prête toujours qu’aux riches.
En vous souhaitant une belle journée!
Frédéric Effe
Pour moyenagepassion.com
« L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. » Publilius Syrus Ier s. av. J.-C
Sujet : fabliau, « poésie » médiévale, troubadour, trouvère, poésie médiévale Titre : le testament de l’âne Auteur : Rutebeuf Période : XIIIe siècle, moyen-âge central
Bonjour à tous,
‘espère que ce billet de blog vous trouve en joie. Nous revenons encore, ici, sur le trouvère et poète du XIIIe siècle Rutebeuf auquel nous avons déjà consacré quelques articles ici, mais, cette fois, pour aborder un de ses fabliaux : le testament de l’âne.
Le fabliau, est un genre qui a été extrêmement populaire pendant une grande partie du moyen-âge. Dans ces petites histoires légères, paraboles de la société médiévale, on faisait passer de la critique, des satires sociales et de l’humour et pour aborder ce genre, nul mieux que Rutebeuf ne pouvait nous servir d’introduction. Dans le texte original, Rutebeuf est presque toujours dur à comprendre à la première lecture, quelquefois même impossible. Le français qu’il utilise est un lointain ancêtre de notre langue, si loin que les formes ont pour la plupart changé. Pourtant l’homme, était, dit-on, jongleur et peut-être de cet art, a-t’il tiré son habileté à jongler avec les mots. La musicalité de ses textes, autant que les mystères qu’ils semblent refermer fascinent encore et sont autant d’invitations au voyage, en l’occurrence un voyage vers le passé et vers le monde qui nous préoccupe ici, le monde médiéval.
De l’humour de Rutebeuf et du temps passé
On a souvent dit de Rutebeuf que son humour, ses jeux de mots ou ses sous-entendus étaient à tiroir et difficiles à comprendre ou à retraduire dans toute leur subitilité et rien n’est moins vrai. Mais nous le savons bien que l’humour est toujours lié à l’air du temps, et ce même quand il touche des vérités profondes. Et même un trait d’humour peut nous faire encore rire ou sourire en traversant les âges, il perd presque toujours une partie de ses sous-entendus souvent impénétrables pour qui est totalement étranger à la culture ou à l’époque qui l’a vu naître. Pour prendre un exemple trivial, emprunté au cinéma, il n’est pas rare que si nous avons aimé et ri d’un film comique, en le revoyant dix ans après, on se rende compte que le monde a changé et si les références nous font encore rire, c’est souvent parce que nous savons les replacer alors dans cette même époque ou ce temps que nous avons connu. Et quand l’humour ne touche rien de profond et n’a d’autres ambitions que de nous faire rire de l’air du temps, il peut même devenir déplacé ou désuet, même parfois pour qui l’a connu. Que dire alors d’un humour qui nous vient de près de huit cent ans en arrière? Comment pourrait-on prétendre en avoir toutes les clés? Si nous ne pouvons les avoir, peut-être peut-on au moins deviner entre les lignes, l’époque dont cet humour nous parle. Sans doute est-ce, avec Rutebeuf, ce à quoi il nous faut en partie nous résigner: tenter d’attraper un peu de ce monde médiéval au vol quand nous le traduisons, un peu de l’esprit de l’auteur, conscient que comprendre toutes ses subtilités nous impose encore d’autres détours qui ne suffiront sans doute pas à nous aider à le percer.
L’outrecuidance de traduire
D’une manière générale et sans parler uniquement d’humour, on pourra encore argumenter avec Alain Guerreau, cet esprit aiguisé et acerbe, merveilleux empêcheur de tourner en rond des historiens médiévistes, qu’il est vain, sans mille précautions, d’essayer de traduire les mots, les poésies, les textes qui nous proviennent du monde médiéval, tant c’est un monde éloigné du notre, au point de nous être étranger. Nous ne pouvons, pourtant, nous y résigner mais puisse la conscience des limites de l’exercice nous servir, ici, un peu d’excuse à notre outrecuidance.
J’ajouterai encore que si on lit et l’on savoure les fables d’un Jean de
la Fontaine, en ce qu’il adresse des vérités de la condition humaine qui nous paraissent intemporelles, pourquoi ne pourrait-on faire de même avec un Rutebeuf en espérant qu’il nous transmette peut-être au sortir aussi quelques vérités immuables, ou à tout le moins, un peu de cette modernité qui lui ferait nous ressembler, dont nous puissions nous délecter ou que nous puissions transposer. Quoiqu’il en soit, il y a quelque chose venant de ce jongleur et trouvère du XIIIe siècle aux manies malgré tout bourgeoises, qui encore nous interpelle. Dans sa langue ou dans leur musique, dans sa truculence verbale. C’est ce quelque chose qui fait que nous ne voulons pas renoncer à en percer le sens sans préjuger aucunement de ce que nous y trouverons et le découvrant en quelque sorte au fil des textes. A défaut d’être celui qui, de sa fenêtre, connait déjà tout de sa rue, nous sommes, nous, ce passant en ballade qui flâne, curieux de tout, les yeux neufs. (photo ci-dessus, évêques, prêtres et chanoines en prière pour un sculpture gothique de la fin du XVe siècle)
Méthode utilisée pour versifier
« le testament de l’âne » en français moderne
Je ne doute qu’il existe déjà des versions du testament de l’âne en vers, mais pour être très honnête, je n’ai pas, il me faut bien l’avouer, écumé toutes les bibliothèques de France et de Navarre pour les débusquer. Je pense que même si j’en avais trouvé j’aurais, de toute façon, fait ce même travail de recherche du sens original, à la source du texte de Rutebeuf, pour comparer ou comprendre les interprétations d’un éventuel traducteur-versificateur. Qu’on ne m’accuse donc pas de plagiat mais plutôt d’ignorance si des versions existent, proches de la version que je présente ici et que j’ai travaillé sans m’appuyer sur des versifications existantes. (ci contre enluminure médiévale, non datée)
Concernant la méthode, j’ai cherché à la ronde des traductions de ce testament de l’âne. Il en existe plusieurs. des légions de versions en prose, qui ne m’intéressaient qu’à moitié, puisque je recherchais en plus du sens à retraduire la musicalité des vers. Dans certaines de ces versions, il y a même des approches qui pourraient paraître fantaisistes tant leurs digressions semblent s’éloigner du texte original, c’est ce moment où se mêle inextricablement l’interprétation du conteur ou du traducteur aux intentions de Rutebeuf. C’est le cas notamment des commentaires de Jean-Baptiste Legrand d’Aussy, dans son ouvrage « Fabliaux ou contes, fables et romans du XIIe et du XIIIe » (daté du XVIIIe siècle). L’auteur y fait dire à Rutebeuf et son testament de l’âne des choses qu’il n’a pas dite et qui en sont même fort loin. C’est un exercice parmi d’autres mais cela ne présente pas grand intérêt pour notre démarche. Nous cherchons en effet à comprendre le poète et non son traducteur ou celui qui en parle.
Nous préférons largement pour ce qui nous intéresse les oeuvres originales de Rutebeuf, transcrites à la virgule et l’ouvrage du XIXe siècle d’Achille Jubinal : Œuvres complètes de Rutebeuf, trouvère du XIIIe siècle, recueillies et mises au jour pour la première fois. (Nouvelle édition, revue et corrigée, Paris, Daffis, 1874-1875). Il y a enfin et je crois que, sans ce support, nous ne nous serions sans doute pas attelé à la tâche, la référence incontournable de l’académicien Michel Zink : Rutebeuf, Oeuvres complètes ( en photo ci-dessus), Dans son approche et son travail de traduction, il n’a pas, lui, cherché à retraduire la musique de Rutebeuf mais s’est attaché uniquement au sens ce qui est fort louable et extrêmement utile pour l’exercice auquel nous nous livrons. Sa compréhension n’est ainsi pas bridée par l’exercice du ver et de la rime et se livre entière, sans cette contrainte. Pour remettre ce testament de l’âne en français moderne et en vers, nous n’avons pourtant pas suivi toutes les idées de notre académicien et, dans quelques cas de figures, nous y avons préféré une approche du texte de Rutebeuf qui nous semblait plus littérale. Je l’avais dit « Outrecuidance quand tu nous tiens! » Nous nous sommes aussi appuyé sur un article de synthèse de Jacques E Merceron que je cite plus bas.
Sur l’interprétation de ce fabliau
Je ne vais pas, ici, me lancer dans une interprétation longue des différents niveaux de lecture de ce fabliau de Rutebeuf et je préfère le livrer nu et entier à votre sagacité. Certaines notes que j’ajoute à la fin de la traduction sont importantes toutefois. Pour être encore honnête, la traduction étant fraîche, je trouve que ce testament de l’âne offre une lecture satyrique à plusieurs niveaux assez complexe et je serais bien présomptueux d’affirmer que j’ai déjà démêlé cet écheveau. Peut-être en ferons-nous un article futur, c’est à voir. Souvenons-nous simplement, tout du long, que la critique de Rutebeuf se fait toujours depuis l’intérieur de sa propre foi. Dans ce fabliau, c’est un chrétien qui interpelle les mauvais chrétiens ou les mauvais prêtres, en plus de fustiger les conséquences de l’obsession du gain. Ainsi nous y voilà encore? L’argent met tout le monde d’accord? La satire peut-elle échapper à une certaine forme de cynisme? C’est une vraie question. Quoiqu’il en soit, pour l’instant, ce texte garde encore ainsi de son mystère et l’exercice de la versification en français moderne ne l’a, semble-t-il et heureusement, pas épuisé. Avant de vous livrer cette traduction, je vous conseille si vous voulez avoir une vision un peu plus claire de ce que peut cacher le phrasé de Rutebeuf et notamment une forme d’ironie qui ne se livre peut-être pas au premier abord, l’article de Jacques E. Merceron sur ce testament de l’âne et sur la notion de « bontei » utilisée par notre trouvère du XIIIe siècle dans ce fabliau.
Important : utilisation de cette version en vers du testament de l’âne de Rutebeuf
Si vous souhaitez utiliser cette traduction, sur le web ou ailleurs, voici les liens à inclure sur vos pages.
Lien vers cet article : https://www.moyenagepassion.com/index.php/2016/03/28/fabliau-du-moyen-age-le-testament-de-lane-de-rutebeuf-traduit-en-vers/
Réferénce au site à inclure: traduction du testament de l’âne de Rutebeuf de http;//www. moyenagepassion.com » A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes ».
Le testament de l’âne de Rutebeuf
en français moderne et en vers
Ainsi, nous voilà donc, le texte original de Rutebeuf dans une main, la traduction de Michel Zink de l’autre et la ferme intention de retrouver la musique de ce fabliau autant que son sens profond en le passant de son français ancien dans notre français moderne; en bref, coller au plus près de Rutebeuf et de sa poésie, tout en respectant l’exercice du ver et du pied. Je dois avouer que dans deux cas de figure précis, le sens ne pouvait pas être retranscrit sauf à y ajouter un pied, notre version a donc deux pieds de plus que la sienne. Si je voulais faire de l’humour je dirais que si vous voyez deux pieds dépassés, ce sont donc ceux de votre serviteur, mais je n’y céderais pas de craint que vous ne pensiez que je l’ai fait à dessein juste pour faire ce mot.
Le testament de l’âne
Qui veut du monde être à l’honneur Tout en suivant la vie de ceux Qui ne vivent que pour l’argent (1) En récolte bien des nuisances Tout entouré de médisants Ne songeant qu’à lui faire du tord Le voilà cerné d’envieux Fussent-ils aussi beaux que gracieux, Sur dix qui sont assis chez lui, Des médisants, il y en a six Et des envieux pas moins de neuf. Dans son dos, ils n’ont cure de lui, (2) Mais par devant, ils lui font fête Chacun inclinant bas la tête Comment ne seraient-ils envieux ceux qui n’en profitent avec lui ? Quand déjà ceux-là, à sa table, ne sont pour lui ni sûrs, ni fiables?
A l’évidence, ça ne peut être. Je vous le dis à cause d’un prêtre Qui avait une bonne église* (*paroisse) mais dont la seule aspiration était d’enrichir ses avoirs Il y passait tout son savoir Couvert de robes et de deniers Et du blé tout plein ses greniers Car le prêtre savait s’y prendre (3) et pour la vente se faire attendre de la pâques à la Saint-Rémi. Et il n’avait d’ami si cher qui puisse rien tirer de lui, sauf à grand force l’y soustraire. Chez lui, il y avait un âne Comme on n’en vit de mémoire d’homme, Qui vingt ans entiers le servit Jamais pareil serf, on ne vit Mais l’âne mourut de vieillesse Qui tant avait fait sa richesse Et au prêtre il était si cher Qu’il ne voulut qu’on l’écorchât Et l’enfouit dans le cimetière pour que sa dépouille y resta (4)
L’évêque avait d’autres manières ni cupide, ni grippe-sous Mais courtois et bien éduqué A tel point que même alité, à la vue d’un homme de bien, on n’eut pu le tenir au lit. La compagnie des bons chrétiens c’était sa médecine à lui. Sa grande salle toujours pleine, Rien à redire sur sa Maison, Et quoiqu’il ait pu désirer, Nul de ses gens ne s’en plaignait. S’il avait meubles, c’était des dettes, car qui trop dépense s’endette.
Un jour qu’en grande compagnie Se tenait notre homme de bien On parla de ces riches clercs et des prêtres avares et chiches Qui ne font bonté ni honneur A leur évêque, ni au seigneur. On fit son affaire à ce prêtre si riche et si plein de lui-même. Ainsi sa vie fut bien décrite, Aussi bien qu’un livre l’eut fait, Et on lui prêta plus d’avoirs Que trois comme lui eurent pu avoir Car l’on en dit toujours bien plus Que ce qu’à la fin on y trouve. « Il a encore fait quelque chose Qui faudrait son pesant d’argent pour qui voudrait le révéler » Dit-un qui veut se faire bien voir, « Et qui vaudrait grande récompense » – « Et qu’a-t’il fait? » s’enquiert le sage – Il a fait pire qu’un bédouin puisqu’il a, son âne Baudouin, enterré en la terre bénite. – Maudit soit-il! fait l’évêque, si cela était avéré Honni soit-il, lui et ses biens! Gautier, convoquez-le ici écoutons ce prêtre répondre Sur ce dont Robert l’accuse, Et je dis, que Dieu m’y assiste Si c’est vrai, j’en aurais l’amende!(5) « – Sire je veux bien que l’on me pende, Si ce que j’ai dit n’est pas vrai Je l’affirme, à votre bonté, jamais il ne rendit hommage, » (6)
On convoqua donc le prêtre, il est là, il lui faut répondre A son évêque de l’affaire Qui peut le faire destituer. « Traître à Dieu, Homme déloyal, Qu’avez-vous donc fait de votre âne? dit l’évêque, quel grand méfait* (*offense) A notre église* avez-vous fait? (*Sainte) Jamais je n’en vis de plus grand Qui avez mis en terre votre âne Là où l’on enterre les chrétiens! Par Sainte Marie l’égyptienne si la chose peut être établie par des témoins dignes de foi, je vous ferais mettre en prison. Jamais n’ais ouïe de si grand crime! » (7) « Très doux seigneur, dit le prêtre bien des choses peuvent se dire, mais je demande un jour entier pour réfléchir à cette affaire Ce serait un juste délai pour y repenser, s’il vous plait (non qu’il me plaise d’argumenter) (8)
« Je vous donne cette journée » mais ne me tiens pas acquitté de cette chose, si elle est vraie. » « Monseigneur, il ne faut y croire. » Sur ce l’évêque renvoie le prêtre sans trouver l’affaire amusante. Mais le prêtre ne s’émeut point qui sait qu’il a pour bonne amie sa bourse qui toujours se tient prête pour réparer ou au besoin. Le fou peut bien dormir ou non, voilà que déjà le temps vient. (9) Le temps vient, le prêtre revient. Vingt livres cachées dans une ceinture Bien comptées et en bon argent voilà ce qu’il porte avec lui sans craindre la faim ou la soif (10) Quand l’évêque le voit venir il ne peut contenir ses mots: « Votre délai est expiré Prêtre au bon sens dévoyé ! » (11) « Sire, j’ai réfléchi, il est vrai, Mais laissons dehors les querelles Ne devez-vous en étonner Qu’au conseil il faille concilier. Je veux vous parler en conscience et s’il m’en coûte pénitence Sur mes biens ou sur ma personne Alors que vous me l’infligiez.
L’évêque approche alors l’oreille pour recevoir les confidences Et le prêtre lève le chef* (*la tête) Alors peu soucieux de son or. (12) Sous sa cape, il tenait l’argent Qu’il n’osait pas montrer à tous Et chuchotant, conta son conte « Monseigneur, il y a peu à dire. Mon âne a vécu bien longtemps Il me fut d’une aide précieuse (13) Et m’a servi sans rechigner Fort loyalement, vingt ans entiers Et que Dieu veuille bien m’absoudre Chaque année, il gagnait vingt sous Si bien qu’il épargnât vingt livres Et pour échapper aux enfers Il vous les lègue en testament. L’évêque dit » Dieu le protège » « Que ses fautes soient pardonnées Et tous les péchés qu’il a fait ! »
Ainsi, vous avez pu l’entendre, Voilà l’évêque réjoui, du riche prêtre pour sa méprise Qui la bonté lui a appris (variante : Qui lui apprit à s’amender) (14)
Rutebeuf nous dit et enseigne Qui deniers tient dans ses affaires (15) n’ait crainte de faire de faux-pas Notre âne est demeuré chrétien Mais nos rimes s’arrêtent là Car il a bien payé son legs (16)
_____________________________________________________________________ Notes sur la traduction
(1) s’extasier devant le gain (2) « Par derrier nel prisent un oef ». Intraduisible litteralement (3) Savait bien vendre (4) Ici demeurerait ses restes, sa dépouille: « ici lairait cette matiere »
M Zink traduit : « En voilà assez sur ce sujet. » Je pense qu’il y a jeu de mots de Rutebeuf, ici, sur la matière du corps de l’âne et la matière, le sujet dont il parle. (5) « Si c’est vrai il m’en répondra » » « Si c’est vrai, il réparera ». « Se c’est voirs, j’en avrai l’amende. » M Zink : j’en aurais « réparation ». Pas nécessairement pécuniaire. (6) Un pied de plus ici : « Si ne vos fist onques bontei ». M Zink ; « D’ailleurs pour vous il ne fut jamais attentionné » (7) « C’onques n’oÿ teil mesprison » Variante : car jamais je ne vis tel crime. (8) « Non pas que je i bee en plait ». Michel Zink : « non que je sois procédurier » (9) Un pied de plus ici aussi « Que que foz dors, et i termes vient »
Cela ressemble à un début de proverbe adapté un peu, quelque chose que je comprends un peu comme cela : « le fou peut bien dormir ou non, le temps passe et passe toujours » (10) « N’a garde qu’il ait fain ne soi »Comme sa bourse est plein d’argent il ne craint pas d’avoir faim ou soif car il peut y pourvoir (11) « Qui aveiz votre senz beü. » M Zink traduit par « vous qui avez noyé votre bon sens dans la boisson ». Même si litteralement « qui avez votre bon sens bu » pourrait le suggérer, je ne pense pas que l’évèque traite le prêtre d’alcolique, mais plutôt que c’est une expression pour lui signifier qu’il a perdu tout bon sens. (12) Qui alors n’en menait pas large et ne s’attachait plus à l’argent. « Qui lors n’out pas monoie chiere. » (13) »Mout avoie en li boen escu ». Intéressant de voir ici la notion de protection de bouclier du verbe original de Rutebeuf, (14) « A bontei faire li aprist. » Même si elle est surement décevante en tant que chute parce qu’un peu compliquée, je pense vraiment que la traduction : « qui lui apprit à s’amender » est de loin la plus juste parce qu’elle contient le double sens de s’amender : « devenir meilleur » et s’amender: « payer tribu ou payer sa charge », en l’espèce et en espèces, à son évêque. Variantes : « Qui à faire le bien, lui apprit. » M Zink : « qui lui apprit à avoir des intentions, à être attentionné » (envers son évêque). J. Dufournet : « l’évêque se réjouit que le prêtre ait péché, car il lui apprit ainsi à faire le bien ». Cette phrase est probablement la plus difficile à traduire de tout le texte parce que la subtilité de Rutebeuf s’y exprime tout entière. On peut la traduire encore par « Qui lui apprit à être bon » ou même « Qui la bonté lui a appris » ou même la charité, sauf à ne pas oublier la charge ironique qu’elle contient de la part de l’auteur. Il n’est en effet ici, pas question du fait que le prêtre soit tout d’un coup devenu bon ou ait développé cette qualité intrinsèque. Puisque visiblement « tout s’achète », l’homme ne changera pas et son système lui réussit à l’évidence. Cette preuve de « bonté » doit se comprendre doublement et ironiquement, mais, en l’occurrence, c’est surtout dans le cadre ecclésiastique qu’elle s’exerce car, enfin, c’est envers son église et plus surement envers son évêque (« dispendieux, mondain et endetté », nous dit Jacques E Merceron ), que le prêtre « fait bonté » ou « montre ses attentions ». Sur le fond, et Rutebeuf en joue sûrement aussi ici, il y a une relation hiérarchique et presque organique du prêtre à l’évêque qui induit que si le prêtre se conduit bien il fait « honneur » à son évêque, « il rend hommage à la bonté de son évêque » « il lui fait amende » « il s’amende envers lui » et du même coup envers l’église tout entière. Pour le coup, il semble que ce soit dans la poche de l’évêque que l’argent aille échouer et c’est encore, ici, Rutebeuf, le bon chrétien qui satirise sur les hommes dévoyés que l’argent achète, et sur les hommes cupides qui pensent que tout peut s’acheter, fait auquel, je le déplore un peu, ce texte donne raison avec cynisme, mais s’il ne le faisait pas sans doute serait-il moins drôle. C’est ce monde dont Rutebeuf nous dit peut-être encore, que même les ânes deviennent chrétiens pourvu qu’ils en aient les moyens. (15) variantes : Que ceux à la bourse bien pleine (16) variantes : car son leg paya bel et bien
La version originale de Rutebeuf :
C’est li testament de l’Asne
Qui vuet au siecle a honeur viure Et la vie de seux ensuyre Qui beent a avoir chevance Mout trueve au siecle de nuisance, Qu’il at mesdizans d’avantage Qui de ligier li font damage, Et si est touz plains d’envieux, Ja n’iert tant biaux ne gracieux. Se dix en sunt chiez lui assis, Des mesdizans i avra six Et d’envieux i avra nuef. Par derrier nel prisent un oef Et par devant li font teil feste: Chacuns l’encline de la teste. Coument n’avront de lui envie Cil qui n’amandent de sa vie, Quant cil l’ont qui sont de sa table, Qui ne li sont ferm ne metable?
Ce ne puet estre, c’est la voire. Je le vos di por un prouvoire Qui avoit une bone esglise, Si ot toute s’entente mise A lui chevir et faire avoir: A ce ot tornei son savoir. Asseiz ot robes et deniers, Et de bleif toz plains ces greniers, Que li prestres savoit bien vendre Et pour la venduë atendre De Paques a la Saint Remi. Et si n’eüst si boen ami Qui en peüst riens nee traire, S’om ne li fait a force faire. Un asne avoit en sa maison, Mais teil asne ne vit mais hom, Qui vint ans entiers le servi. Mais ne sai s’onques tel serf vi. Li asnes morut de viellesce, Qui mout aida a la richesce. Tant tint li prestres son cors chier C’onques nou laissat acorchier Et l’enfoÿ ou semetiere: Ici lairai ceste matiere.
L’evesques ert d’autre maniere, Que covoiteux ne eschars n’iere, Mais cortois et bien afaitiez, Que, c’il fust jai bien deshaitiez Et veïst preudome venir, Nuns nel peüst el list tenir: Compeigne de boens crestiens Estoit ces droiz fisiciens. Touz jors estoit plainne sa sale. Sa maignie n’estoit pas male, Mais quanque li sires voloit, Nuns de ces sers ne s’en doloit. C’il ot mueble, ce fut de dete, Car qui trop despent, il s’endete. Un jour, grant compaignie avoit. Li preudons qui toz bien savoit. Si parla l’en de ces clers riches Et des prestres avers et chiches Qui ne font bontei ne honour A evesque ne a seignour. Cil prestres i fut emputeiz Qui tant fut riches et monteiz. Ausi bien fut sa vie dite Con c’il la veïssent escrite, Et li dona l’en plus d’avoir Que trois n’em peüssent avoir, Car hom dit trop plus de la choze Que hom n’i trueve a la parcloze. « Ancor at il teil choze faite Dont granz monoie seroit traite, S’estoit qui la meïst avant, Fait cil qui wet servir devant, Et c’en devroit grant guerredon. – Et qu’a il fait? dit li preudom. – Il at pis fait c’un Beduÿn, Qu’il at son asne Bauduÿn Mis en la terre beneoite. – Sa vie soit la maleoite, Fait l’esvesques, se ce est voirs! Honiz soit il et ces avoirs! Gautiers, faites le nos semondre, Si orrons le prestre respondre A ce que Robers li mest seure. Et je di, se Dex me secoure, Se c’est voirs, j’en avrai l’amende. – Je vos otroi que l’an me pande Se ce n’est voirs que j’ai contei. Si ne vos fist onques bontei. »
Il fut semons. Li prestres vient. Venuz est, respondre couvient A son evesque de cest quas, Dont li prestres doit estre quas. « Faus desleaux, Deu anemis, Ou aveiz vos vostre asne mis? Dist l’esvesques. Mout aveiz fait A sainte Esglise grant meffait, Onques mais nuns si grant n’oÿ, Qui aveiz votre asne enfoÿ La ou on met gent crestienne. Par Marie l’Egyptienne, C’il puet estre choze provee Ne par la bone gent trovee, Je vos ferai metre en prison, C’onques n’oÿ teil mesprison. » Dist li prestres: « Biax tres dolz sire, Toute parole se lait dire. Mais je demant jor de conseil, Qu’il est droit que je me conseil De ceste choze, c’il vos plait (Non pas que je i bee en plait).
– Je wel bien le conseil aiez, Mais ne me tieng pas apaiez De ceste choze, c’ele est voire. – Sire, ce ne fait pas a croire. » Lors se part li vesques dou prestre, Qui ne tient pas le fait a feste. Li prestres ne s’esmaie mie, Qu’il seit bien qu’il at bone amie: C’est sa borce, qui ne li faut Por amende ne por defaut. Que que foz dort, et termes vient. Li termes vient, et cil revient. Vint livres en une corroie, Touz sés et de bone monoie, Aporta li prestres o soi. N’a garde qu’il ait fain ne soi. Quant l’esvesque le voit venir, De parleir ne se pot tenir: « Prestres, consoil aveiz eü, Qui aveiz votre senz beü. – Sire, consoil oi ge cens faille, Mais a consoil n’afiert bataille. Ne vos en deveiz mervillier, Qu’a consoil doit on concillier. Dire vos vueul ma conscience, Et, c’il i afiert penitance, Ou soit d’avoir ou soit de cors, Adons si me corrigiez lors. »
L’evesques si de li s’aprouche Que parleir i pout bouche a bouche. Et li prestres lieve la chiere, Qui lors n’out pas monoie chiere. Desoz sa chape tint l’argent: Ne l’ozat montreir pour la gent. En concillant conta son conte: « Sire, ci n’afiert plus lonc conte. Mes asnes at lonc tans vescu, Mout avoie en li boen escu. Il m’at servi, et volentiers, Moult loiaument vint ans entiers. Se je soie de Dieu assoux, Chacun an gaaingnoit vint soux, Tant qu’il at espairgnié vint livres. Pour ce qu’il soit d’enfers delivres Les vos laisse en son testament. » Et dist l’esvesques: « Diex l’ament, Et si li pardoint ses meffais Et toz les pechiez qu’il at fais! »
Ensi con vos aveiz oÿ, Dou riche prestre s’esjoÿ L’evesques por ce qu’il mesprit: A bontei faire li aprist.
Rutebués nos dist et enseigne, Qui deniers porte a sa besoingne Ne doit douteir mauvais lyens. Li asnes remest crestiens, A tant la rime vos en lais, Qu’il paiat bien et bel son lais.
Explicit.
Références bibliographiques
Œuvres complètes de Rutebeuf, trouvère du XIIIe siècle, recueillies et mises au jour pour la première fois par Achille Jubinal. Nouvelle édition, revue et corrigée, Paris, Daffis, 1874-1875
Rutebeuf, Œuvres complètes, Michel Zink
Fabliaux ou contes, fables et romans du XIIe et du XIIIe, Jean-Baptiste Legrand d’Aussy