Sujet : Kaamelott, médiéval-fantastique, légendes arthuriennes, cinéma, trilogie, affiche ciné, nouvelle date, sortie officielle. Période : haut Moyen Âge à central Auteur/réalisateur : Alexandre Astier Date de sortie : 21 juillet 2021
Bonjour à tous,
Après de long mois d’attente, la nouvelle date officielle a de la sortie du film Kaamelott, premier volet, au cinéma semble enfin pouvoir être maintenue. Depuis le deuxième confinement, les valses incessantes d’interdictions dues à la Covid, avaient enjoint les distributeurs, comme le public, à se montrer prudents. Ils n’avaient donc plus communiqué de nouvelles dates depuis celle fixée à novembre dernier et il avait fallu attendre mars pour que la date du 21 juillet soit lâchée.
Au vue de l’évolution de la situation, on y croit tous désormais, fermement. La date se rapproche et les fans devraient donc pouvoir découvrir le long métrage dans les salles ou même dans les ciné plages, au cœur de l’été. Optimiste lui aussi, Alexandre Astier en a profité pour gratifier ses followers d’une salve de très belles affiches du film sur son compte twitter. Chacune met en exergue, à chaque fois, une citation et un portrait d’acteur différent.
Elles ont au nombre de 20. Nous en partageons ici quelques unes pour vous mettre en bouche. Vous pourrez trouver les autres directement sur le compte twitter de l’auteur. Je vous l’accorde, on n’est bien loin des pastiches mirifiques sur lesquels nous nous étions fait les dents depuis de nombreuses années, mais nul n’est parfait.
Glop, pas glop ?
Plus sérieusement, on notera, à nouveau, la manière de jouer avec les codes d’Alexandre Astier. Si l’on enlève les phrases d’en-tête de ces affiches, tous ces portraits, magnifiques au demeurant, et leur traité, frappent par leur nature dramatique. Celui de Bohort (Nicolas Gabion – que sur l’image en-tête d’article) est particulièrement édifiant à ce titre.
L’image est peut-être un peu hardie, mais, c’est un ressenti. Encore une fois en faisant abstraction des citations, on se croirait presque dans un roman social à la Hugo ou à la Zola, transposé au Moyen Âge : misère, airs usés, heures sombres. Pas de toute, comme chez tous les bons auteurs, l’exercice de la comédie reste chez Alexandre Astier une affaire extrêmement sérieuse qui ne peut s’installer que dans la tension et sûrement pas sans base et arrière-plan solides.
Cela dit, en référence à notre titre (que seuls quelques amateurs éclairés de Pifou sauront saisir) : il est difficile de préjuger si ce premier volet cinématographique sera plus proche du très dramatique Livre V de Kaamelott ou s’il renouera avec un vent de légèreté plus caractéristique des premiers opus de la série. On en doute un peu à la vue des éléments que l’auteur a, pour l’instant, dévoilés mais il faut s’attendre à tout avec lui, et surtout à être surpris. C’est notoire, Alexandre Astier aime s’adonner à l’art du contrepied, alors peut-être a-t-il décidé de jouer ce premier volet sur le fil ?
Le casting se complète
Au passage, ce large set d’affiches lève un peu plus le voile sur un casting qui n’a pas encore été dévoilé dans son entier. On avait déjà compris dans le teaser sortie début 2020 que Sting y apparaissait, au moins, en Guest. On y retrouvait aussi un certain nombre de rôles pivots des premières heures : Franck Pitiot (Perceval), JC Hembert (Karadoc), Joelle Sevilla (Dame Seli), Lionnel Astier (Leodagan), Caroline Ferrus (Dame Mevanwi), Loïc Varraut (Venec) mais aussi Alain Chabat, Antoine De Caunes, Christian Clavier,…
Au jeu du « cherchez l’acteur », on pourra désormais y ajouter Thomas Cousseau (l’inévitable Lancelot), Guillaume Briat (le roi Burgonde), François Rollin (le roi Loth), mais encore Géraldine Nakache, Clovis Cornillac, et même l’auteur/réalisateur lui-même. Bref beaucoup de beau monde.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
Sujet : poésie médiévale, auteur médiéval, moyen-français, rondeau, manuscrit ancien, poésie morale. Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle. Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : «Ne porroit pas Franchise estre vendue» Ouvrage : Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, Tome IV, Marquis de Queux de Saint-Hilaire, Gaston Raynaud (1893)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle incursion au Moyen Âge tardif avec une poésie courte d’Eustache Deschamps. Ce rondeau porte sur la franchise et s’inscrit dans la lignée des nombreuses poésies que nous légua cet auteur médiéval sur les valeurs et la morale. Il nous donnera l’occasion de réfléchir sur la notion de franchise telle qu’employée dans le moyen-français d’Eustache.
Eloge de la sincérité et du franc-parler ?
En ce qui concerne la franchise au sens étroit et moderne de sincérité, liberté de ton, Eustache Deschamps l’a souvent portée haut. Il s’est exprimé, à ce sujet, dans de nombreuses ballades et poésies.
« Chascuns doit faire son devoir Es estas(condition sociale) ou il est commis Et dire a son seigneur le voir(la vérité) Si que craimte, faveur n’amis, Dons n’amour ne lui soient mis Au devant pour dissimuler Raison, ne craingne le parler Des mauvais, soit humbles et doulz; Pour menaces ne doit trembler : On ne puet estre amé de tous. »
Il n’a pas fait que vanter les vertus de la sincérité, il a aussi souvent critiqué les travers inverses en prenant, très ouvertement à partie notamment, l’ambiance des cours royales dont il était familier et la fausseté des relations qui y régnait : menteries, flatteries, flagorneries, …
Cette « franchise » au sens de franc-parler, Eustache en a aussi fait les frais, en essuyant un certain nombre de déboires pour ne pas en avoir manqué. Pour n’en donner qu’un exemple, on citera cet épisode conté par Gaston Raynaud, dans le tome XI des Œuvres complètes (opus cité). On était en 1386, en Flandres. Le temps était gros. Retenue par quelques barons et conseillers frileux, la flotte française hésitait à s’embarquer pour l’Angleterre ; pressé d’en découdre avec l’angloys, Eustache fustigea, auprès du jeune roi Charles VI, certains de ses amis qui se trouvaient là, pour leur mollesse et leur lâcheté. Las, on ne prit pas la mer et le vent tourna bientôt en défaveur de notre auteur. Non seulement, on n’embarqua pas mais pire : « irrités de sa franchise et de ses satires, les jeunes hommes dont il s’est moqué pénètrent un jour dans sa tente, le battent et, menottes aux poings, le promènent dans le camp comme un larron ». (op cité Tome XI p 51 Vie de Deschamps). On ne peut manquer d’imaginer qu’il paya ce ton moralisateur et critique par certaines autres mises à distance, même s’il ne faut pas non plus les surestimer.
Tout cela étant dit, voyons, d’un peu plus près, le sens que peut recouvrir cette notion de « franchise » au temps médiévaux, mais surtout chez Eustache.
liberté, noblesse, affranchissement : les autres sens de « franchise »
Dans le Petit dictionnaire de l’ancien français de Hilaire Van Daele, on trouve « franchise » définie comme franchise, mais encore comme noblesse d’âme et générosité. Ces deux définitions sont également reprises dans le Godefroy court : noblesse de caractère, générosité (Lexique de l’Ancien français, Frédéric Godefroy, 1901).
Dans le Cotgrave, A dictionarie of the french and english tongues, compiled by Randle Cotgrave (1611), franchise rejoint d’abord l’idée de « freeness, libertie, freedom, exemption ». Viennent s’y adjoindre ensuite des notions comme « good breeding, free birth, tamenesss, kindliness, right kind » (bonne éducation, bon lignage, naissance libre, raison, gentillesse, noblesse de cœur, …) et enfin des notions proches de franchise au sens juridique (charte de franchise, affranchissement, lieu privilégié, …).
Pour finir, dans le très fouillé Dictionnaire historique de l’ancien langage françois ou Glossaire de la langue françoise de son origine jusqu’au siècle de Louis XIV, par la Curne de Sainte-Palaye, la franchise recouvre tout à la fois des notions de loyauté, crédit, liberté, privilège, exemption… A la définition de Franc : « noble, libre, sincère », donné par ce dernier dictionnaire viennent aussi se greffer tous les aspects juridiques de la franchise, pris dans le sens d’affranchissement (terre en franchise, asiles, droits dans les forêts, lettre de grâce…).
L’usage du mot franchise chez Eustache
Chez Eustache, On retrouvera un usage abondant de la notion de franchise. Il l’a mise mise à l’honneur dans plusieurs ballades : Noble chose est que de franchise avoir ou Rien ne vaut la franchise. Il en a même fait un lai : le lay de franchise. Pour mieux cerner l’usage qu’il fait de ce terme, voici quelques exemples pris dans son œuvre.
Dans la plupart des contextes, nous constaterons un sens différent de notre définition moderne de franc-parler ou de sincérité. Bien sûr, il ne s’agit pas non plus de la notion de « franchise » qui se réfère aux contrats commerciaux régissant l’exploitation ou la concession d’une marque et de ses produits. Si dans son approche de la notion, Eustache lui prête à l’évidence une noblesse « de fait », nous sommes plus proches de son sens dérivé de « franc », soit l’idée de liberté et d’indépendance.
« Les serfs jadis achaterent franchise Pour estre frans et pour vivre franchis. Car li homs serfs est en autrui servise Comme subgiez en servitute chis ; Mais quant frans est, il est moult enrrichis Et puet partout aler ou il lui plaist, Mais ce ne puet faire uns homs asservis, Pour ce est li homs eureus qui frans se paist. » E Deschamps – Balade contre le mariage, bonheur de l’indépendance
« Prince, en net lieu, en corps de souffisance Fait bon avoir sa chevance et franchise. Ces .III. dessus avoir en desplaisance. Tiers hoir ne jouist de chose mal acquise. » E Deschamps – Balade aveques quelz gens on doit eschiver mariage
« Laissez aler telz tribulacions, A telz estas n’acomptez .ii. festus; Cognoissez Dieu, fuiez decepcions ; Souffise vous que vous soiez vestus, Que vivre aiez; entendez aux vertus ; Aprenez art qui bien régner vous face ; Soiez joieus et aiez liée face; Sanz plus vouloir, tel estat vous souffise ; Lors vivrez frans, sanz paour et sanz chace : II n’est trésor qui puist valoir franchise. » E Deschamps – Balade Rien ne vaut la franchise.
Voie moyenne & liberté plutôt que servitude
Dans ces trois exemples, il est bien question de liberté et d’indépendance et il semble que ce soit encore ce sens qui l’emporte dans le rondeau du jour. Pour éclairer cet usage, on pourrait encore y ajouter la notion de Franc-vouloir : autrement dit franc arbitre, libre arbitre.
On notera que cette notion de franchise s’articule souvent chez Eustache avec la nécessité de conduire la voie moyenne. Autrement dit, l’indépendance n’a pas de prix et il faut mieux vivre libre et dans la modestie que servile ou servant, dans l’opulence. Voici un quatrième exemple pour illustrer cette idée :
Qui sert, il a moult de soing et de cure ; Se femme prant, d’acquerre art trestous vis; S’il est marchant trop a grief pointure. Et se il est gouverneur d’un pais, II est souvent de pluseurs envahis, Et s’il a foison de mise, Lors li sera mainte doleur amise Et lui faurra laissier de son avoir; Qui assez a franchement, lui souffise, Noble chose est que de franchise avoir. E Deschamps Noble chose est d’avoir la Franchise.
Comme vous l’aurez compris (et c’est un autre leçon de cet article), au delà des apparences et même quand leur langage nous semble immédiatement accessible, il ne faut pas sous-estimer le sens caché des textes médiévaux. La langage évolue à travers le temps et même quand les vocables sont les mêmes, il n’est pas toujours aisé d’en percer le sens véritable. C’est d’autant plus vrai face à un moyen-français qui nous semble parfois si proche mais qui nous est distant de plus de 600 ans.
Ne porroit pas Franchise estre vendue un rondeau d’Eustache Deschamps
NB : dans l’ouvrage du Marquis de Queux de Saint-Hilaire (op cité), le titre adopté pour ce rondeau est « Il faut garder la franchise. » On ne retrouve pas ce titre dans le Français 840. Les autres rondeaux n’en possèdent pas non plus. Il est donc plus sûrement le fait de l’auteur moderne que d’Eustache Deschamps.
Pour trestout l’or qui est et qui sera Ne porroit pas Franchise estre vendue ;
Cilz qui la pert ne la recouverra Pour trestout l’or qui est et qui sera.
Or la garde chascuns qui le porra, Car d ‘omme franc ne doit estre rendue : Pour trestout l’or qui est et qui sera Ne porroit pas Franchise estre vendue.
Sources médiévales et historiques
On pourra retrouver ce rondeau, aux côtés de nombreux autres, dans le tome IV des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps (op cité)
Du point de vue des sources manuscrites, il est présent dans le Manuscrit médiéval Français 840 conservé à la BnF. Cet ouvrage daté du XVe siècle et dont nous vous avons déjà dit un mot, contient essentiellement les poésies « d’Eustache Deschamps dit Morel ». Elles sont suivies d’une poésie latine datée de la fin du XIVe siècle. On peut consulter le Français 840 en ligne sur Gallica. Ci-dessus, vous trouverez également le feuillet de ce manuscrit sur lequel on retrouve notre rondeau du jour.
En vous remerciant de votre lecture. Une très belle journée.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
NB : l’image en tête d’article présente, en arrière plan, la page du rondeau d’Eustache Deschamps tirée du Ms Français 840. Le premier plan est un clin d’œil aux valeurs chevaleresques : il s’agit du chevalier Gauvain. Nous l’avons tiré d’une miniature/enluminure du Manuscrit Français 115 de la BnF. Cet ouvrage de la fin du XVe siècle présente une version illuminée du Lancelot en Prose de Robert Boron. Il fait partie d’un ensemble de plusieurs tomes consacrées au Saint-Graal et au roman arthurien.
Sujet : chanson médiévale, musique médiévale, roi troubadour, roi poète, trouvère, vieux-français, langue d’oïl, jeu-parti, amour courtois. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle. Auteur : Thibaut IV de Champagne (1201-1253), Titre : « Dame, merci ! Une rien vos demant« Interprète : Ensemble Venance Fortunat Album : Trouvères à la cour de Champagne (1996)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous entraînons au cœur du XIIIe siècle, à la cour de Champagne, cour médiévale très animée et célèbre pour la promotion qu’on y faisait des arts et notamment de la poésie et de la musique des trouvères.
Thibaut Ier, roi de Navarre et comte de Champagne est le digne héritier des premières générations de ces compositeurs poètes du nord de France qui s’étaient inspirés très directement des troubadours d’oc, à la cour de Champagne et ce, dès le milieu du XIIe siècle. Ce seigneur, roi et comte allait même se distinguer dans cet art, au point qu’on le nommera Thibaut le Chansonnier. Doté d’un grand talent de plume, il excellera dans tout ce répertoire poétique et musical médiéval et, notamment, dans le maniement des codes de la courtoisie.
Un jeu courtois pour deux voix amusées mais un brin désaccordées
La pièce du jour est de cette veine. On y questionnera, avec un brin de distance et d’humour, la jolie idée que l’Amour puisse ne pas survivre à des amants qui se seraient trop aimer. Elle est assez célèbre pour qui s’intéresse à cette période et de nombreux ensemble médiévaux l’ont déjà reprise (Alla Francesca, Ensemble Perceval, …). Plus légère que plaintive, il s’agit d’un jeu-parti entre le roi trouvère et une dame. Le poète y tiendra le rôle de l’amant dans un jeu amoureux et une relation qui, cette fois, semble un peu plus établie, quoique. Sur un ton plutôt badin, cette joute oratoire fournira l’occasion d’un jeu entre complicité et taquinerie entre les deux protagonistes. Cette histoire d’embonpoint ajoute encore un brin d’auto-dérision à ce jeu-parti, qui achève de lui donner une joli note d’humour.
Ecriture à deux mains et hypothèse de la reine Blanche
Dans ce jeu poétique à deux voix, certains auteurs ont voulu voir la reine Blanche de Castille comme interlocutrice de Thibaut de Champagne. C’est notamment le cas du copiste du manuscrit médiéval Vatican Reg lat 1522 (daté des débuts du XIVe siècle). Dans la partie de cet ouvrage intitulée « Chansons et dialogues de jeu parti d’amour » (connue aussi sous le nom de chansonnier français b), ce scribe a, en effet, donné comme titre à ce jeu- parti : « le roi de navarre et la roine blanche« . C’est, on suppose, une fantaisie de sa part. Peut-être le fit-il pour faire écho à une tradition orale ou pour pouvoir mettre un titre à toutes les poésies et jeu-partis qu’il reportait ici ? Quoi qu’il en soit, en dehors de cet ouvrage (largement postérieur à la rédaction de ce jeu-parti) aucun des copistes des autres manuscrits dans laquelle on trouve cette pièce n’ont repris ce titre, ni ne le mentionnent (y compris dans des manuscrits antérieurs au lat 1522).
Ajoutons que, de même que les médiévistes sont, en général, assez dubitatifs sur la réalité d’une aventure amoureuse entre le comte de Champagne et la reine de France, ils le sont autant sur l’hypothèse qui voudrait faire de cette dernière la co-auteure de cette pièce. On préfère donc y voir plutôt une autre complice, demeurée anonyme, ou d’autres fois encore, une dame imaginaire. À la lecture de cet échange, sa répartie toute en subtilité, nous semblerait plutôt plaider en faveur de l’existence d’une dame réelle et d’une écriture à deux mains.
Autres sources manuscrites médiévales
On peut également trouver cette chanson médiévale en forme de joute annotée musicalement dans le célèbre Ms Français 844, plus connu encore comme le chansonnier du roy ou manuscrit du roi. Nous vous avons déjà présenté, ici, de nombreuses pièces de ce précieux manuscrit médiéval conservé au Département des manuscrits de la BnF.
Pour la version en graphie moderne de ce jeu-parti, nous nous sommes appuyé sur l’ouvrage Chansons de Thibault IV, comte de Champagne et de Brie, Roi de Navarre, Prosper Tarbé, (1851, Imp P. Regnier, Reims). Vous pourrez aussi la retrouver dans « Thibaut de Champagne, textes et mélodies » , Honoré Champion (avril 2018), ouvrage très complet sur l’œuvre du seigneur et trouvère médiéval. Aujourd’hui, pour découvrir ce jeu-parti en musique, nous vous proposons son interprétation par l’ensemble Venance Fortunat.
L’ensemble Venance Fortunat sur les pas des trouvères à la cour de champagne
Nous avons déjà eu l’occasion de vous présenter l’ensemble Venance Fortunat (voir article précédent). Formée en 1975, à l’initiative de sa directrice Anne-Marie Deschamps, cette formation musicale a eu l’occasion de rendre de nombreux hommages au répertoire médiéval, au long d’une carrière de plus de vingt ans.
C’est en 1996 qu’est sorti l’album dont est extrait la chanson du jour. Avec pour titre Trouvères à la cour de Champagne, il proposait pas moins de 19 titres sur ce thème pour une durée d’un peu plus de 60 minutes. On y retrouve de nombreux auteurs tels que Chrétien de Troyes, Gace Brûlé, Conon de Béthune, Raoul de Soissons ou Gautier de Coinci. Thibaut de Champagne y est également à l’honneur avec trois titres. D’autres pièces anonymes viennent compléter ce tour d’horizon des trouvères des XIIe et XIIIe siècles, dont quelques jolis motets du chansonnier de Montpellier (manuscrit H 196).
Musiciens & chanteurs présents sur cet album : Catherine Ravenne (alto), Dominique Thibaudat (soprano), Gabriel Lacascade (bariton), Bruno Renhold (tenor), Philippe Desandré (basse), Guylaine Petit (harpe)
« Dame, merci! Une rien vos demant« Jeu parti de Thibaut de Champagne
NB : à l’habitude, cette traduction maison n’a pas la prétention de la perfection. Elle est le fruit de recherches personnelles croisées entre traductions comparées et études de vocabulaire. Nous ne prétendons pas faire toute la lumière sur ce texte. Mieux même, nous espérons qu’après sa transcription de la langue d’oïl de Thibaut vers le français moderne, il conserve, tout de même, une certaine part de mystère.
Dame, merci! Une rien vos demant, Dites m’en voir, sé Dieu vous beneïe: Quant vous morrez et je – mès c’iert avant, Car après vous ne vivroie je mie -, Que devenra Amors, cele esbahie ? Que tant avés sens, valour, et j’aim tant Que je croi bien qu’après nous iert faillie.
Dame, de grâce ! Je ne vous demande qu’une chose, Dites-moi la vérité, Dieu vous bénisse : Quand vous mourrez et moi aussi – mais je partirai avant, Car après vous je ne pourrai plus vivre – Que deviendra Amour, alors tout éperdu ? Car vous avez tant de raison et de vertu, et je vous aime tant Que je crois bien qu’après nous, l’amour disparaîtra.
Par Dieu ! Thiebaut, selon mon escïent Amors n’iert ja pour nule mort perie, Ne je ne sai sé vous m’alez gabant, Que trop maigres n’estes vos encor mie. Quant nos mourons, Diex nous dont bone vie !, Bien sai qu’Amors damage i aura grant, Mais tos jors iert valors d’Amor joïe.
Par Dieu, Thibaut, selon moi, Amour n’a jamais péri pour quelque mort qui soit, Je ne sais pas, non plus, si vous êtes en train de vous moquer de moi. Car je ne vous vois pas encore si maigre que cela (syn : malportant). Quand nous mourrons – que Dieu nous donne longue vie ! – Je suis sûre qu’Amour en aura grand peine, Mais sa valeur restera toujours aussi entière et parfaite.
Dame, certes ne devés pas cuidier, Mais bien savoir que trop vous ai amée. De la joie m’en aim g’ plus et tieng chier : Et por ce ai ma graisse recovree ; Qu’ainz Deus ne fist se tres bele riens née Com vous. Mais ce me fait trop esmaier, Quant nous morrons, qu’Amors sera finée.
Dame, certes, vous ne devez pas croire, Mais bien être certaine que je vous aime trop. Et cette joie (amour) même, fait que je m’aime et m’estime davantage, Et voilà pourquoi je me suis engraissé à nouveau ; Car Dieu ne fit jamais naître chose si belle Que vous ; mais cela me donne trop d’émoi à l’idée Que quand nous mourrons, l’Amour viendra aussi à sa fin.
Taisiés Thiebaut ! Nus ne doit conmencier Raison qui soit de tous droits desevrée, Vous le dites pour moi amoloier Encontre vous, que tant avez guillée. Je ne di pas, certes que je vous hée, Mais, sé d’Amors me convenoit jugier, Ele en seroit servie et honourée.
Taisez-vous Thibaut ! Nul ne doit se lancer Dans un propos qui soit dénué de toute légitimité, Vous dites tout cela pour m’attendrir À votre endroit, après m’avoir tant trompée (raillée). Je ne dis pas, certes, que je vous hais, Mais si je devais prononcer un jugement par Amour, Je ferais en sorte que ce dernier en soit servi et honoré.
Dame, Diex doint que vos jugiez a droit Et conoissiés les maus, qui me font plaindre ! Que je sai bien, quels que li jugement soit, Sé je en muir, Amors convendra faindre, Sé vous, dame, ne la faites remaindre Dedans son leus arrière où ele estoit ; Q’à vostre sens ne porroit nus ataindre.
Dame, Dieu fasse que votre jugement soit juste et que vous connaissiez les maux dont je me plains. Puisque je sais bien que quel que soit le jugement, Si j’en meurs, l’Amour en sera affecté, Àmoins que vous, dame, ne le fassiez revenir Dans le lieu où il se tenait auparavant, Car nul autre ne pourra, en cela, atteindre votre sagesse (habilité).
Thiebaut, s’Amors vous fet pour moi destraindre, Ne vous grief pas, que s’amer m’estouvoit, J’ai bien un cuer qui ne se savroit faindre.
Thibaut, si Amour vous fait tourmenter pour moi, N’en éprouvez pas trop de peine, car s’il me fallait aimer, J’ai bien un cœur qui ne saurait le dissimuler (mon cœur ne reculerait pas).
En vous souhaitant une fort belle journée. Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : sur l’image d’en-tête, l’enluminure d’arrière-plan provient du Manuscrit médiéval Français 12625 dit Chansonnier dit de Noailles de la BnF (à consulter ici) . À droite, le portrait recolorisé de Thibaut de Champagne provient d’une peinture sur toile de Francisco Mendoza (XIXe siècle). Elle est exposée dans le salon du trône du Palacio de la Diputación Foral de Navarra, à Pamplone (Espagne).
Sujet : guerre de cent ans, destin, femmes, monde médiéval, saga historique, roman, jeanne d’Arc, Charles VII. auteur médiéval Période : XVe siècle, Moyen Âge tardif Portrait : Christine de Pizan (1364-1430) Auteur : Xavier Leloup Ouvrage : Les Trois pouvoirs (2019-2021)
En plein Moyen Âge tardif et au cœur de la guerre de Cent Ans, le destin de grandes femmes a marqué, à jamais, celui de la France. Dans ce cycle, nous vous présenterons quatre d’entre elles. Nous poursuivons, aujourd’hui, avec la troisième : Christine de Pizan.
a guerre de Cent Ans ne fut pas qu’une période sombre. Le XVe siècle voyait aussi l’émergence de la première femme de lettres française : Christine de Pizan. Grâce au soutien des plus hauts personnages du royaume, à commencer par la reine Isabelle de Bavière, cette femme engagée a pu produire une œuvre extraordinairement éclectique ; et qui nous surprend encore par sa modernité.
Une chef de famille
Fille d’un médecin italien appelé auprès de Charles V, Christine de Pizan est une française d’adoption. Mais qui deviendra rapidement très parisienne. Bénéficiant de l’enseignement de son père et de la fréquentation du milieu de la chancellerie royale, elle baigne d’emblée dans un milieu intellectuel très actif et ne quittera quasiment jamais la capitale.
A 23 ans, la mort prématurée de son mari la plonge dans la tourmente : elle doit faire face à de lourdes dettes alors que ses trois filles, une nièce et sa mère dépendent entièrement d’elle. Christine entreprend alors de faire valoir ses droits par la voie judiciaire. Un combat de plusieurs années qui lui vaudra quelques victoires, mais ne réglera pas pour autant tous ses problèmes d’argent. Si bien qu’après les procès, Christine de Pizan prend une nouvelle décision courageuse : celle de gagner sa vie à la pointe de sa plume.
Il s’agira d’abord de poèmes amoureux et de compositions religieuses, puis d’œuvres morales, enfin de traités historiques et politiques. Ainsi se fera-t-elle repérer par le duc de Bourgogne Philippe le Hardi, oncle de Charles VI, qui lui demandera de rédiger une vie de son frère Charles V. Avant que le frère du roi et régent du royaume, Louis d’Orléans, ne la présente à la reine Isabelle de Bavière. Christine de Pizan lui dédiera bientôt une Epître, ce qui lui vaudra de devenir l’une de ses dames de compagnie et de recevoir une pension de « chambrière ».
Dès lors, sa carrière est lancée. Christine de Pizan enchaîne les œuvres pour le compte des Puissants, qui en retour la gratifieront de sommes d’argent, d’objets précieux, d’immeubles, de pensions ou d’offices. Les droits d’auteur n’existant pas encore, ce système de mécénat se révélera essentiel au soutien de sa famille.
Dès lors, que peut-on retenir de son œuvre ?
D’abord, son éclectisme. Ce qui frappe chez Christine de Pizan, c’est sa curiosité d’esprit. Du règne de Charles V au panégyrique de Jeanne d’Arc à l’art de chevalerie ou encore au récit de sa propre vie, elle semble vouloir s’exprimer sur tous les sujets. Et à chaque fois, avec talent. À tel point que c’est son Livre des faits d’armes et de chevalerie qui servira de modèle à la réorganisation de l’armée de Charles VII. On en retrouvera même un exemplaire, quelques 400 ans plus tard, dans la bibliothèque de l’aide-de-camp de l’empereur Napoléon Ier. Mais ce qui marquera surtout l’histoire, c’est La Cité des Dames. Dans ce qui est devenu un grand classique de la littérature féminine, Christine de Pizan s’engage dans la « querelle des femmes » qui bat alors son plein pour affirmer leur rôle dans la société et critiquer la misogynie. Or, il est frappant de constater à quel point certains passages de cette œuvre n’ont pas pris une ride.
Au nom des femmes
Pour Christine, les femmes ne sont pas ces êtres dangereux dont les hommes doivent se méfier. Ce sont au contraire des créatures pleines de vertus inspirées par la Raison, la Droiture et la Justice. Et l’écrivain d’insister sur le rôle moteur que doit jouer pour elles l’éducation. « Si c’était la coutume d’envoyer les petites filles à l’école et de leur enseigner méthodiquement les sciences, comme on le fait pour les garçons, elles apprendraient et comprendraient les difficultés de tous les arts et toutes les sciences tout aussi bien qu’eux », soutient-elle. L’auteur encourage ses semblables à toujours apprendre pour, comme elle l’a fait elle-même, s’élever dans la hiérarchie sociale et devenir l’égale des hommes. Elle insiste également pour que les femmes soient très tôt associées aux affaires de leurs maris sous peine, comme elle a pu en faire elle-même la douloureuse expérience, de se retrouver le moment venu fort démunies.
Mais son plaidoyer ne se limite pas à ces questions. Christine de Pizan revendique également le droit des femmes à gouverner et n’hésite pas à aborder la question du viol, et donc de la sexualité. Elle se déclare « navrée et outrée d’entendre que les femmes veulent être violées et qui ne leur déplait point d’être forcées, même si elles s’en défendent tout haut. » Christine prend au contraire l’exemple d’Hippo, une femme grecque faite prisonnière par des pirates, qui, « ne pouvant se soustraire au viol, préféra mourir que de subir un outrage si ignominieux », ou encore de, Polyxène, la fille cadette du roi Priam, qui choisit la mort plutôt que d’être réduite à l’esclavage.
Gardons-nous toutefois de tout anachronisme. Christine de Pizan n’est pas une féministe au sens moderne du terme, c’est-à-dire considérant que c’est la liberté sexuelle qui conduira les femmes à l’émancipation. Au contraire, explique l’auteur du Livre des Trois Vertus, « il n’est rien en ce bas monde qu’il faut fuir davantage, pour dire la stricte vérité, que la femme de mauvaise vie, dissolue et perverse. C’est une chose monstrueuse, une contrefaçon, car la nature même de la femme la porte à être simple, sage et honnête. » Le mode de vie que recommande Christine aux châtelaines, qui impose de veiller au ravitaillement du château tout en se rendant sur le terrain pour choisir ses fermiers ou superviser la tonte des brebis, est d’ailleurs extrêmement exigeant. Il nécessite de solides qualités d’organisatrice et un travail de tous les instants. Une fois l’avenir de ses filles assurée, notre pamphlétaire s’empressera d’ailleurs de se retirer au monastère de Poissy. Bref, pour les autres comme pour elle-même, Christine de Pizan prône travail et vertu. Une émancipation féminine, donc, mais empreinte de l’idéal chrétien.
À l’ombre des Puissants
Christine de Pizan n’aurait toutefois pu mener une telle carrière sans un sens aigu de la vie de cour. Car si notre « championne des dames » a réussi à vivre de sa plume, c’est aussi en s’efforçant sans cesse d’attirer l’attention des Puissants ; quitte, pour ce faire, à jouer habilement du contenu de ses compositions. Il lui suffisait pour cela d’en adapter le prologue ou d’en modifier quelques passages afin de pouvoir dédicacer une même œuvre à plusieurs personnages. Mais de l’habilité à la versatilité il n’y a qu’un pas que Christine de Pizan a pu parfois franchir.
Qu’on en juge plutôt. Durant de longues années, la « demoiselle » se met au service de la Maison de Bourgogne : le duc Philippe Hardi, et après lui son fils Jean Sans Peur, figureront parmi ses plus généreux mécènes. 20 écus en 1403, 100 francs en juin 1408, 50 francs en décembre 1412… la comptabilité du duc de Bourgogne prouve d’ailleurs que non seulement il appréciait ses écrits, mais qu’il n’était pas insensible à la fragilité de sa situation. Pour preuve, son receveur général de finances qui enregistre un paiement fait « à demoiselle Christine de Pizan, veuve de maître Etienne de Castel, pour et en récompense de deux livres qu’elles a présentés… et aussi par compassion et en aumône pour employer au mariage d’une sienne pauvre nièce qu’elle a mariée ». Reste que le moment venu, Christine de Pizan n’hésitera pas à tourner le dos au duc de Bourgogne. Dès lors que Jean Sans Peur perd le pouvoir à Paris, elle passe du côté des Armagnacs, ses ennemis intimes. Ce qui la conduira ainsi à critiquer celui qui aura pourtant été l’un de ses plus généreux mécènes.
Mais sans doute était-ce là le prix à payer pour survivre à une période si agitée. Sa vie durant, guerres, massacres et meurtres politiques se seront succédé… jusqu’à ce que Jeanne d’Arc sonne le début de la reconquête, ce que Christine de Pizan, au travers de son Ditié de Jehanne d’Arc, sa dernière composition, sera l’une des premières à reconnaître. Et puis, ne faisons pas les difficiles. Son formidable instinct de survie nous vaut de pouvoir profiter d’une œuvre abondante, dont plus de 160 manuscrits ont subsisté. Grâce à eux, grâce à elle, nous savons au moins deux choses : que les femmes n’ont pas attendu l’ère moderne pour s’exprimer dans la sphère publique et que les débats relatifs à leur condition n’étaient pas moins virulents à la fin du Moyen Âge qu’ils ne le sont aujourd’hui.
Charles VI, Françoise Autrand, Fayard. Jean Sans Peur, Le prince meurtrier, Bertrand Schnerb, Payot. Le livre des faits d’armes et de chevalerie de Christine de Pizan et ses adaptations anglaise et haut-alémanique, Compte rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, année 2011 La vie des femmes au Moyen Âge, Sophie Cassagnes-Brouquet, Editions Ouest-France Le Paris du Moyen Âge, sous la direction de Boris Bove et Claude Gauvard, Belin. 1328-1453 Le temps de la guerre de Cent Ans, Boris Bove, Belin
NB ; sur l’image d’en-tête, en premier plan, la photo est tirée du film « Christine, Cristina« , réalisé par Stefania Sandrelli et co-produit par la Rai Cinema, Cinemaundici et Diva. Dans ce biopic italien de 2009, c’est la très belle Amanda Sandrelli (en photo ici) qui incarnait le rôle de la poétesse médiévale. En arrière plan, la miniature est tirée du manuscrit médiéval Français 1177 conservé à la BnF. Elle représente Raison, Droiture et Justice apparaissant à l’auteur(e) médiévale alors qu’elle est assoupie à son pupitre. Cet ouvrage daté du XVe siècle contient Le Livre de la cité des dames de Christine de Pizan, ainsi que son Livre des trois vertus à l’enseignement des dames. Vous pouvez le consulter en ligne ici.