« Questa Fanciulla », Francesco landini frappé d’amour

Sujet :  musique médiévale, musiques anciennes, ballata, chants polyphoniques, Ars nova, chanson médiévale, amour courtois
Période :  Moyen Âge tardif, XIVe siècle
Auteur : Francesco Landini (1325-1397)
Titre :  Questa Fanciulla
Interprètes : le Conjunto Pro Musica Antiqua Rosario
Album : Danzas y Canciones de la Edad Media (1988).

Bonjour à tous,

ous repartons, aujourd’hui, sur les traces de l’Ars Nova du trecento italien, en compagnie du compositeur, poète et organiste Francesco Landini. A cette occasion, nous découvrirons une ballata polyphonique à trois voix intitulée « Questa Fanciulla« .

A l’habitude, après vous avoir fourni des éléments de fond mais aussi quelques sources et partitions d’époque, nous vous proposerons une traduction de cette pièce en français moderne. Pour nous accompagner dans sa découverte, nous avons également choisi de partager son interprétation par une formation originaire d’Argentine : le Conjunto Pro Musica Antiqua Rosario. Formé depuis près de 60 ans, ce grand ensemble met à l’honneur, avec brio, les musiques anciennes et ce sera pour nous l’occasion de vous le présenter plus en détail.

Francesco Landini pris au jeu de la courtoisie

Cette chanson médiévale polyphonique pleine de grâce a pour toile de fond la lyrique courtoise. On pourra donc y croiser les inévitables tourments dans lesquels le sentiment amoureux médiéval —  toute en attente et en espérance, et toujours aussi « douloureux que délicieux » —  plonge ces amants. Ici, c’est le maître de musique lui-même qui se dira pris dans ses filets et on le verra implorer la miséricorde de l’Amour autant que de la damoiselle dont il s’est épris.

Du point des vues des sources, on retrouvera cette Fanciulla qui brise le cœur de Francesco Landini dans un certain nombre de manuscrits. Nous avons déjà cité ici, à plusieurs reprises, l’incontournable et le plus connu de tous, le très beau MS Mediceo Palatino 87 ou Codice Squarcialupi de la Bibliothèque de Florence. Aujourd’hui, pour varier nous vous présentons cette composition dans le Manuscrit 568 du fond italien de la BnF (photo ci-dessus).

Le Ms 568 du fond italien de la BnF

Daté du courant du XIVe siècle, le codex 568 du fond italien du département des manuscrits de la BnF contient 199 pièces dont 2 ont été copiées deux fois ( à consulter en ligne ici sur Gallica ). On y trouve en grande quantité des madrigaux et ballate, quelques rondeaux, ballades et virelais, mais aussi un nombre plus restreint de pièces religieuses et sacrées (Gloria, Credo, Sanctus, Agnus dei, Benedicamus).

Vingt-deux compositeurs en tout sont à l’honneur de ce manuscrit médiéval avec une large place faite à Francesco Landini et à Paolo da Firenze (Paolo Tenorista). C’est d’ailleurs le seul manuscrit à contenir l’œuvre annotée de ce dernier compositeur, ce qui lui confère une place particulière dans la musique polyphonique du Trecento italien. Pour la petite histoire, si on admet généralement que Paolo da Firenze a, sans doute, supervisé la réalisation du Codice Squarcialupi, les pages et les portées réservées à ses partitions, dans ce dernier codex, y ont été laissées vides ; le Ms 568 comble ce vide.

Le vieil organiste et la damoiselle ?

On trouve également, dans ce codex d’époque, une très belle illustration (celle ayant servi à l’image d’en-tête et à l’image ci-dessus). Pour nous, elle pourrait presque évoquer Francesco Landini, l’organiste (devenu déjà vieux) au travail et la demoiselle de la chanson, même si ceci n’est qu’une assertion personnelle ; le compositeur florentin se trouve également présenté comme Francesco degli orghany dans le ms 568 ce qui pourrait nous sembler un argument supplémentaire. Notons que cette hypothèse ne semble pas avoir sauté aux yeux de Gilbert Reaney, célèbre musicologue et britannique du XXe siècle qui nous a servi de guide pour percer certains éléments de ce manuscrit. De son côté, il décrit cette illustration de manière à la fois plus allégorique et factuelle :

« Le tableau montre la personnification féminine de la musique jouant un orgue portatif, sous lequel se trouve une représentation d’un homme barbu martelant une enclume. A sa gauche et à sa droite se trouvent deux colonnes, l’une listant les intervalles qui composent une octave, l’autre donnant les syllabes de solmisation.«  Gilbert Reaney (1)

Alors, allégorie religieuse, voire presque biblique, ou représentation plus factuelle ? Nous vous en laissons juge.

Le Conjunto Pro Musica Antiqua Rosario

« Questa Fanciulla » par le Conjunto Pro Musica Antiqua Rosario

L’Argentine sur les traces
des musiques médiévales et anciennes

Formé en 1962 par le directeur artistique et musical argentin Cristián Hernández Larguía, le Conjunto Pro Musica Antiqua Rosario se présente, encore aujourd’hui, comme un véritable institut dédié à la transmission des patrimoines et héritages musicaux anciens. La période approchée par l’ensemble commence au Moyen Âge pour se poursuivre à la renaissance et l’ère baroque, mais comme cette grande formation classique ne s’interdit rien, on la trouvera encore sur des répertoires plus récents jusqu’à même des compositeurs du XXe siècle.

Concernant son fondateur, Cristián Hernández Larguía, ce directeur d’exception a s’est fait largement reconnaître sur la scène musicale internationale pour son grand talent. Sa longue carrière lui a également valu un nombre incalculable de distinctions honorifiques et de prix pour ses contributions dans le champ des musiques anciennes. Après sa disparition en 2016, la direction artistique de l’ensemble a été confiée Manuel Alberto Marina autre musicien émérite argentin.

En tant qu’institution, le Conjunto Pro Musica Antiqua Rosario n’organise pas que seulement des concerts autour des musiques médiévales et anciennes. Il fédère aussi, autour de lui, un grand nombre d’activités. On le retrouve ainsi à l’enseignement et à la transmission musicale à destination de publics des plus larges, y compris les plus jeunes. Pour plus d’informations sur leurs activités, voir leur site web ici.

L’album : Danzas y Canciones de la Edad Media

Avec pas moins de trente pièces en provenance du Moyen Âge, l’album dont est extrait la pièce du jour est aussi généreux qu’ambitieux. Sorti en 1988 sous le label Irco Video, il opère une très large sélection musicale dans un répertoire qui gravite autour de l’Europe médiévale des XIIIe, XIVe siècles.

Le voyage touche, à la fois, la France des trouvères et des troubadours (Raimbaut de Vaqueiras, Adam de la Halle, …), mais aussi l’Espagne profane et liturgique avec des Cantigas de Amigo de Martin Codax et même des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille. On y fait également une incursion du côté de la Catalogne avec des compositions du Llibre Vermell de Montserrat. Enfin, après un large détour par les danses de l’Italie et de l’Angleterre médiévale (saltarello, istampitta du manuscrit de Londres…), une place y est encore réservée aux musiques et aux chants polyphoniques de Francesco Landini dont celui du jour.

Un grand tour de l’Europe médiévale en un album

D’une certaine façon, l’album se présente comme une synthèse des quatre programmes présentés par la formation autour des musiques du Moyen Âge : la lyrique profane médiévale (trouvères, troubadours, minnesänger), les musiques de pèlerinage et mais aussi les chants profanes de la péninsule espagnole et portugaise du XIVe siècle, et enfin le trecento florentin représenté, ici, par Landini. Côté distribution, on trouve toujours cet album à la vente et à la distribution. Le label a même eu la bonne idée de le proposer au format CD ou dématérialisé MP3. Voici un lien vous permettant d’en savoir plus et même de le pré écouter : Danzas y Canciones de la Edad Media.


Questa Fanciulla de Francesco Landini
et sa traduction en français moderne

Questa fanciulla’amor
Fallami pia
Che mi ha ferito il cor
Nella tua via.

Tu m’ha, fanciulla, si’ d’amor percosso
Che solo in te pensando trovo posa
El cor di me da me tu m’ha rimosso
Con gli occhi belli e la faccia gioiosa
Pero’ ch’al servo tuo deh sie piatosa
Merce’ ti chiegho alla gran pena mia.

Questa fanciulla’amor…

Se non soccorri alle dogliose pene
Il cor mi verra’ meno che tu m’a tolto,
Che la mia vita non sente ma’ bene
Se non mirando ‘l tuo vezzoso volto.
Da poi fanciulla che d’amor m’a involto
Priego ch’alquanto a me beningnia sia.

Questa fanciulla’amor…

Amour ! Fais que cette jeune fille,
Se montre clémente envers moi*
Car elle a blessé mon cœur
Dans ton sillage.

Oui, tu m’as, jeune fille, frappé si fort d’amour
Que je ne trouve plus de repos qu’en pensant à toi.
Tu as ravi mon cœur
Avec tes beaux yeux et ton visage plein de joie,
Et pour cela je t’implore d’être miséricordieuse
Envers ton serviteur et de prendre en pitié sa grande souffrance.

Amour ! Fais que cette jeune fille…

Si tu ne soulages pas ma grande peine
Ce cœur qui m’appartient et que tu m’as pris finira par se briser
Car ma vie n’a plus de sens,
Sinon en contemplant ton charmant visage.
Dès lors, jeune fille, que tu m’as lié d’amour
Je te supplie (prie) d’être indulgente (bonne) envers moi.

Amour ! Fais que cette jeune fille, …

* fallami pia : rend la miséricordieuse envers moi


En vous souhaitant très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Notes :

(1) « The painting shows the female personification of music playing a portative organ, underneath which is a representation of a bearded man hammering on an anvil. To his left and right are two columns, one listing the intervals which compose an octave, the other giving solmisation syllables. »

The Manuscript Paris, Bibliothèque Nationale, Fond italien 568 (Pit), Gilbert Reaney, Musica Disciplina, Vol. 14, (1960)

NB : l’enluminure de l’image d’en-tête est tirée du Ms 568 fond Italien de la BnF (département des manuscrits).

Les réflexions d’un poète pécheur aux temps médievaux

Sujet :  poésies,  ballade médiévale, poésie morale, moyen français, Moyen Âge chrétien
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Anonyme
Ouvrage : « La Danse aux Aveugles et autres poésies du XVe siècle, extraites de la bibliothèque des Ducs de Bourgogne » (édition de 1748 chez André Joseph Panckoucke Libraire)

Bonjour à tous,

u milieu du XVIIIe siècle, Lambert Douxfils (1708-1753), bibliophile belge, décide de compiler dans un ouvrage d’un peu moins de 400 pages, un certain nombre de pièces littéraires du XVe siècle. Il les recopie depuis un manuscrit (ou peut-être plusieurs) de la Bibliothèque des ducs de Bourgogne sans en donner les références précises. En 1748, on trouvera l’ouvrage édité chez André Joseph Panckoucke, libraire à Lille.

Une compilation de textes du XVe siècle

Les premières pages de cette compilation sont tirées, en partie, de l’œuvre de Pierre Michault. On y trouve notamment sa « Dance aux aveugles« , ainsi que d’autres complaintes dont certaines, on le découvrira plus tard, sont, en réalité, attribuées par erreur à ce poète médiéval. Suite à cela, on trouvera encore d’autres pièces signées dont Le testament de Maistre Pierre de Nesson ou le Miroir aux dames de Phlippe Bouton.

La seconde partie de l’ouvrage réunit d’autres poésies assez courtes profanes ou religieuses et on y trouvera encore des ballades dont les auteurs sont demeurés anonymes. Nous avons déjà publié quelques-uns de ces textes ici (voir ballade sur les maximes de cour ou quatrain sur l’homme de raison contre l’homme de cour) et, aujourd’hui, nous vous en proposons un nouveau. Il s’agit d’une ballade de faction plutôt modeste. Si elle n’est pas entrée dans la postérité, elle possède tout de même de belles qualités. Elle est intitulée « Reflections du pécheur« .

Une ballade médiévale auto-critique

La ballade du jour met en scène les pensées auto-critiques d’un poète médiéval face à une distance : celle entre la réalité de ses actes et ce que devrait lui dicter la foi et la morale chrétienne. N’ayant rien à apprendre des écritures, des principes, ni même des conditions du salut de l’âme, il se déclarera, pourtant, impuissant à s’y conformer dans les faits. Et le refrain de cette ballade viendra scander son constat presque fataliste : « Et s’y n’amende point ma vie. » Autrement dit, je sais tout cela « et pourtant je m’amende pas ma vie : je ne corrige pas ma conduite, je ne l’améliore pas« .

La question du salut au Moyen Âge

Pour qui aurait peut-être pu penser qu’aucun recul n’était permis, ni ne pouvait-être exprimé entre religion et pratique au Moyen Âge, on trouvera, ici, matière à nuancer. De fait, ce questionnement est aussi médiéval que l’est la prégnance de la religion chrétienne. Si chacun s’interroge autour de la juste pratique et du salut en regard des écritures, on n’hésite pas non plus à railler et à se rire des écarts, en particulier quand ils proviennent de ceux censés donner l’exemple ; ainsi, les fabliaux du Moyen Âge central se régaleront de ces distorsions au sujet des moines, des prêtres ou du personnel ecclésiastique, et on en trouvera même des traces plus tardives chez des auteurs du Moyen Âge tardif ou pré-renaissants comme Clément Marot ou Melin de Saint-Gelais.

Du point de vue des sources anciennes de cette poésie, en dehors de l’édition de 1748, on trouve dans Le Moyen âge : bulletin mensuel d’histoire et de philologie (H. Champion Paris, 1926) l’hypothèse que cette ballade pourrait provenir originellement d’un certain « Manuscrit de Saint-Bertin« .

Préceptes religieux, idéal & actualisation

L’usage du « Je » dans cette ballade est-il le fait d’un poète parlant de lui à la première personne ou s’agit-il d’une façon pour l’auteur de désigner un pécheur « archétypal » ? La poésie prendrait alors une dimension plus pédagogique. De notre côté, nous penchons pour un « Je » au premier degré, en pensant même que cette franchise plutôt spontanée et touchante fait tout le charme de cette ballade.

Au delà de sa dimension historique, l’auto-critique dont se fend cet auteur médiéval pourrait paraître assez intemporelle, voire universelle, sur le plan de la conscience religieuse ; quel que soit le chemin dogmatique emprunté, tout croyant un tant soit peu pratiquant, fait, en effet, rarement l’économie d’un tel questionnement ou d’une telle « tension » entre préceptes et exigences dogmatiques, d’un côté, et actualisation effective de cet idéal, de l’autre. Bien sûr, les degrés d’implication peuvent varier mais pour autant qu’il aspire à une certaine forme de réalisation, l’intéressé finit souvent face à son propre miroir à mesurer cette distance.

Moyen Âge occidental oblige, l’idéal inatteignable est ici le « Dieu mort en croix » (le Christ). En d’autres temps, lieux ou circonstances, cela pourrait être un saint, un ermite, un mystique, un moine, un éveillé,… Finalement l’être « réalisé », le Saint en religion, comme le Sage en morale ou en philosophie, est toujours celui capable de mettre en conformité ce qu’il sait « juste » et l’actualisation de cette conscience dans la moindre de ses actions, ou encore, dans la même continuité, ses paroles (ou ses prêches) et ses actes.


Reflections du Pescheur,
ballade médiévale anonyme du XVe s

Je congnois que Dieu m’a fourmé
Apres sa tres digne semblance ,
Je congnois que Dieu m’a donné
Ame, sens, vie, & congnoissance ;
Je congnois qu’a juste balance
Selon mon fait jugié seray ;
Je congnois moults mais je ne say
Congnoistre dont vient la folie :
Car je congnois que je morray,
Et sy n’amende point ma vie.

Je congnois que m’avoit dampné
Adam par desobeissance ;
Je congnois que par sa bonté
Dieu en print sur luy la vengeance;
Je congnois qu’au fer de la lance
En voult de la mort faire essay,
Je congnois que ne l’y feray
De ce rendre la courtoisie ;
Qui m’a fait des graces que j’ay ;
Et sy n’amende point ma vie.

Je congnois en quel povreté
Ving sur terre & nasqui d’enfance;
Je congnois que Dieu m’a presté
Tant de biens en grant habondance;
Je congnois qu’avoir, ne chevance
Avecques moy n’emporteray,
Je congnois que tant plus aray,
Plus dolent morray la moittié ;
Je congnois tout cecy au vray ,
Et sy n’amende point ma vie.

Je congnois que j’ay ja passé
Grant part de mes jours sans doubtance ;
Je congnois que j’ay amassé
Pechiés & peu fait de penance
(pénitence);
Je congnois que par ignorance
Escuser je ne m’en pouray ;
Je congnois que trop tard venray ,
Quant l’ame sera departie
(séparée du corps),
A dire je m’amenderay ;
Et sy n’amende point ma vie.

Prince je suis en grant emay
De moy qui les aultres chastie;
Car je mesmes tout le pis fay.
Et sy n’amende point ma vie.


En vous souhaitant une Belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

NB : l’image d’en-tête (la même que celle ayant servi à l’illustration) est tirée du tableau Les Sept Péchés capitaux et les Quatre Dernières Étapes humaines, de Jérôme Bosch (autour de 1500), Musée del Prado, Madrid, Espagne.

interlude Kaamelott : Tous les secrets du jeu du pélican de Perceval

Sujet : légendes arthuriennes, humour, détournement, série télévisée,  Kaamelott,  Perceval, Franck Pitiot, jeu du Pélican, fan art, livres, bibliothèque imaginaire.
Série : Kaamelott, M6; CALT production.
Période : Moyen Âge fantastique
Auteur de la série : Alexandre Astier

Bonjour à tous,

ous étions très nombreux à l’attendre. Il est vrai que la série Kaamelott d’Alexandre Astier, avait laissé, à ce sujet, de larges zones d’ombres. Aussi, ce n’est pas sans une certaine joie que nous avons le plaisir de vous annoncer la sortie des règles simplifiées du célèbre Jeu du Pélican de Perceval (Franck Pitiot à l’écran). En un peu moins de 10 000 pages, ces trois tomes permettront à tous les amateurs du divertissement originaire du pays de Galles de briller dans les tavernes qui perpétuent la tradition.

Petit rappel sur les règles

« Si vous m’ratez encore une artichette après ça, c’est vraiment qu’vous l’faites exprès. » Perceval

On rappelle que pour jouer au Jeu du Pélican, il suffira de se munir de 120 à 130 d’artichauts. Le vainqueur de la donne devra trier les siens du plus lisse au plus râpeux, non sans avoir tenté, au passage, d’en refourguer 17% à l’occasion du tour de troc. Quant aux annonces, elles sont, dans le jeu d’origine, au nombre de 10, dont, bien sûr, la célèbre Artichette, la Tichette de 21 et la Raitournelle. Sauf dans quelques rares variantes, elle ne dépendent jamais des donnes bissextiles ou asymétriques. Mais n’en dévoilons pas trop, on découvrira toutes les subtilités des règles du Pélican, ainsi que leur simplicité déconcertante, dans ces 9593 pages, d’une grande facilité de lecture, sorties aux Éditions du Doliprane.

Pour information, la sortie du film Kaamelott au cinéma, maintes fois repoussée à cause des mesures anti-covid, vient d’être à nouveau annoncée par Alexandre Astier. Elle est désormais prévu pour le 21 Juillet 2021.

Pour retrouver toute l’actu de Kaamelott et nos articles à ce sujet, c’est par là. Pour les ouvrages (plus sérieux) déjà sortis sur la série, c’est ici.

Une Belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

NB : l’image en-tête d’article est un montage réalisé à partir de deux extraits de l’épisode : « Perceval fait Raitournelle » du livre IV de Kaamelott (2006) – M6 – Calt Production – Alexandre Astier.


Fernán González, Héroïsme et honneur dans l’exemple XXXVII du comte Lucanor

Sujet : auteur médiéval, conte moral, Espagne médiévale, littérature médiévale, valeurs chevaleresques, honneur, monde féodal, Europe médiévale.
Période  : Moyen Âge central ( XIVe siècle)
Auteur  :   Don Juan Manuel (1282-1348)
Ouvrage : Le comte Lucanor traduit par  Adolphe-Louis de Puibusque (1854)

Bonjour à tous,

ans l’Espagne médiévale du XIVe siècle, Don Juan Manuel de Castille et León, chevalier et seigneur, duc et prince d’Escalona et de Villena, rédige, dans un petit ouvrage, un peu plus de cinquante contes : ces histoires courtes, appelées exemplos dans la version originale du livre en castillan ancien (étymologie proche de la racine latine exemplum qui nous a donné exemple mais surtout, dans le même champ sémantique : exemplarité, exemplaire) portent sur diverses valeurs morales. Au delà, le traité se présente aussi, et d’une certaine manière, comme un guide pour l’action puisque les problèmes qui y sont posés sont souvent très concrets.

Valeurs morales, politiques, stratégiques, humaines, pour les mettre en scène, le noble espagnol s’invente un personnage : le comte Lucanor, noble dont on devine les préoccupations proches de celles de son créateur. L’homme a un serviteur et conseiller du nom de Patronio qu’il ne manque pas d’interroger face à des prises de décision variées. En retour, les enseignements du sage interlocuteur prennent, le plus souvent, la forme d’anecdotes. Elles sont empruntées à diverses sources : exemples issus de la littérature, fables, contes (européens ou importés de destinations plus lointaines), fictions mais encore récits d’inspirations plus historiques.

Comment doit se comporter l’homme, l’homme de bien, le noble seigneur, le chevalier véritable ? Comment doit-il agir ? A qui peut-il se confier ? Comment doit-il défendre ses États ? La finalité du propos est ce qui compte le plus et Le comte Lucanor de Don Juan Manuel finira par prendre une belle place dans la littérature médiévale castillane du premier tiers du XIVe siècle.

Honneur contre faiblesse,
valeurs guerrières et chevaleresques

Le conte d’aujourd’hui, dénommé exemple XXXVII dans la version originale du livre, traite à la fois d’honneur et de valeurs chevaleresques. On verra notamment que le seigneur prêt à en découdre bec et ongles pour sauver ses Etats, ses gens et son honneur peut entraîner, dans son sillage, les armées qu’on croyait les plus éreintées et démotivées.

C’est le personnage historique de Fernán González (Ferdinand González de Castille) qui sert de référence à notre récit du jour. Nous l’avions déjà croisé dans l’Exemple XVI du comte Lucanor. Sous la plume de Don Juan Manuel, ce comte de Castille du Xe siècle affirmait alors l’importance cruciale de défendre et maintenir sa renommée, sa réputation (fama) de son vivant. Dans le récit XXXVII, le courage du noble et son sens de l’honneur seront à nouveau pris en exemple pour illustrer les valeurs morales du seigneur et guerrier « véritable ».

Fernán González, comte de castille (910-970)

Statue du comte Fernán González, Madrid, Espagne. par Juan de Villanueva Barbales (1681-1765).

Fernán González est, à la fois, un personnage historique et un chevalier castillan devenu légendaire par les œuvres littéraires produites sur lui. A l’image de Roland en France, il est entré dans les récits fondateurs de la péninsule ibérique et en particulier, de la suprématie castillane. De par cette double existence de chair et de vélin, il a pu s’avérer un peu ardu pour l’histoire médiévale, de faire le tri entre hauts faits établis, d’un côté, et inventions littéraires de l’autre. Nous ne nous aventurerons pas dans cette quête. Fort heureusement, un chartiste s’y est attelé et c’est, sous sa gouverne, que nous dirons quelques mots de ce seigneur de l’Espagne médiévale, devenu légendaire.

Un héros castillan entre histoire et légende :
dans les pas de Matías Ferrera

Dans une thèse soutenue, en 2017, devant l’Ecole Nationale des Chartes, l’historien Matías Ferrera est parti à la découverte du noble comte castillan du Moyen Âge central. En le rapprochant du personnage ayant inspiré le Cid, mais tout en s’étonnant du peu de renom de Fernán González, le jeune chartiste a tenté de rendre justice à ce héros castillan tout en triant le factuel et l’historique du factice, dans une vaste approche historiographique. Comme indiqué, nous ne ferons ici que suivre très modestement ses pas, en notant au passage que l’excellence de ses travaux lui ont remporté le prix Auguste-Molinier (1).

Eléments historiques et biographiques

Fernán González nait autour de 910 dans une Espagne et une Castille encore divisées entre diverses provinces et couronnes. Fils d’un héros de la Reconquista (Gonzalo Fernández), le jeune Fernán se verra confié la charge des comtés de Burgos, d’Álava et de Castille par le roi de León, Ramiro II. Il est alors âgé d’un peu plus de 20 ans. Dans une Espagne encore sujette aux nombreuses poussées de conquêtes maures, la responsabilité est grande et pour le moins stratégique. Il parviendra pourtant à la tenir, tout au long de sa vie, et, malgré quelques vicissitudes dues à des revirements intempestifs de pouvoir à la couronne de Léon, Fernán González demeurera, au long de sa vie, un vassal plutôt fidèle de ce comté.

Reconquista, alliances croisées et descendance

Durant de longues années, il s’illustrera dans des opérations de Reconquista dont, autour de 938-939, une des plus grande offensive jamais menée contre les chrétiens du nord par le califat de Cordoue. Il en sortira vainqueur aux cotés d’autres nobles espagnols, notamment en participant à la bataille de Simancas qui mit un frein à cette campagne d’envergure de Abd al-Rahman III et à ses grandes ambitions. Les deux décennies suivantes verront s’alterner de courtes périodes de trêve et de nouvelles offensives des califats du sud sur l’Espagne chrétienne ; Fernán González continuera d’y prendre bonne part.

En plus de ses relations vassaliques avec la province de León, Fernán González s’allia aussi, par le truchement du mariage, avec les seigneurs de Pamplona. Ce rapprochement permit d’unifier ce dernier comté et les castillans face aux maures. A sa mort, sa descendance conserva le comté de Castille durant plusieurs générations. Par le jeu des alliances et des héritages, le noble espagnol du Xe siècle deviendra ainsi un des ancêtres de la lignée qui allait consacrer l’union du royaume de Castille et de León dans la première moitié du XIIIe siècle.

Les chroniques médiévales autour de Fernán González

Les premières chroniques médiévales espagnoles réserveront un sort assez mitigé au rôle historique de Fernán González et à ses faits, suivant leur parti-pris (en faveur des castillans ou d’autres provinces). A l’image de chroniques « historiques » de la même époque sur notre sol, ces récits comporteront souvent une bonne dose d’inventivité et la marque certaine de leurs commanditaires. Parmi eux, les plus élogieux feront déjà de notre personnage, le libérateur de l’emprise de la couronne de León sur la Castille.

Un tournant plus marqué en faveur du comte castillan se fera au milieu du XIIIe siècle avec l’écriture, à San Pedro de Arlanza et de la main d’un moine demeuré anonyme, du Poema de Fernán González (autour de 1250). En s’appuyant de manière partielle sur d’autres textes, cette œuvre entendra mettre clairement en exergue le rôle central et la prédominance de la Castille dans l’histoire de la péninsule, et notamment dans celle de la Reconquista. Son auteur y ancrera le lignage du noble mais aussi son enfance, dans un récit qui pourrait sembler digne du mythe arthurien : enlèvement, élevé dans la forêt par un charbonnier, révélation divine et mystique de son destin pour sauver la Castille de tous ses ennemis intérieurs ou étrangers, … Puis, il en fera, tout à la fois, le grand héros de la Reconquista et le libérateur de la Castille contre les Maures, mais aussi les Navarrais et les Léonais.

Fernán González dans l’exemple XXXVII

Suivant toujours les pas de Matías Ferrera, il faudra attendre encore un peu pour voir la réputation du comte de Castille consolidée dans des œuvres littéraires plus tardives que la geste du milieu du XIIIe siècle. Pour revenir à notre comte Lucanor, à un peu moins d’un siècle de la rédaction du Poema de 1250, Don Juan Manuel sera même un des premiers à remettre l’emphase sur la nature héroïque du comte de Castille du Xe siècle.

Dans cet exemple XXXVII, la bataille de Hacinas à laquelle il est fait allusion l’est, sans doute, en référence à la réécriture de la bataille historique de Simancas, dans le Poema de Fernán González. Quant aux ennemis Navarrois dont Don Juan Manual nous parle, ils semblent eux-aussi provenir de la même source. Bien que chrétien, le royaume de Navarre y apparaît comme un allié des Maures et de leurs intérêts contre la Castille. Après plusieurs grandes batailles, la geste du XIIIe siècle nous explique même que le comte Fernán González serait venu finalement à bout de l’ennemi, en asseyant, pour les temps à venir, la victoire incontestée de la Castille sur le royaume de Navarre. Le conte du jour ne désavouera pas cette version d’une tranquillité durable acquise par la force et le refus de céder un pouce de terrain.

Dans son conte et pour les besoins de l’exemplarité, Don Juan Manuel semble bien avoir fusionné ces deux grands récits du Poema pour les rapprocher dans le temps. Du même coup, on y gagne en dimension dramatique et on y perçoit bien les tensions intérieures de cette Espagne médiévale prise sous le feu de conflits frontaliers entre provinces voisines, guerre de Reconquista et opérations régulières de conquête par les maures.


De la réponse que le comte Fernán González
fit aux siens après la victoire de Hacinas

NB : Comme toujours nous ne faisons que retranscrire ici la traduction de Adolphe-Louis de Puibusque de 1854. Elle suit globalement le fil, en prenant tout de même quelques libertés que nous avons souligné notamment sur les morales qui concluent ses petits contes.

Le comte Lucanor revenait un jour d’une expédition, épuisé de lassitude, souffrant de tout son corps, dépourvu de toute chose ; et avant qu’il pût se reposer, il apprit qu’une nouvelle attaque se préparait. La plupart de ses gens l’exhortèrent à se remettre d’abord de ses fatigues, sauf à aviser ensuite comme bon lui semblerait. Le comte interrogea Patronio sur ce qu’il convenait de résoudre et Patronio lui répondit :

— Seigneur, afin que vous agissiez pour le mieux, apprenez la réponse qui fut faite en pareille occasion par le comte Fernán González à ses compagnons d’armes.
Le comte Fernán González vainquit Almanzor à la bataille de Hacinas ; mais il perdit beaucoup de monde dans cette affaire, et tout ceux qui échappèrent à la mort furent comme lui très maltraités ; or, avant qu’ils fussent rétablis, le comte apprit que le roi de Navarre faisait une invasion sur ses domaines, et aussitôt il donna l’ordre aux siens de marcher contre les Navarrais, à quoi ceux-ci répondirent que leurs chevaux étaient harassés et eux aussi ; et que s’ils ne faisaient pas leur devoir comme de coutume, c’est qu’ils étaient dans un état qui les obligeait à prendre du repos et des soins.
A ces mots, le comte Fernán González sentit son honneur plus que ses souffrances, et leur dit : « Amis, que nos blessures ne nous empêchent pas de combattre ; les nouvelles nous feront oublier les anciennes ». Et dès que ses compagnons d’armes virent que sans ménagement pour sa personne, il n’était occupé que de ses Etats et de son renom, ils le suivirent et l’aidèrent à remporter une victoire qui assura sa tranquillité pour toujours.

— Et vous Seigneur comte Lucanor, si vous avez à cœur de faire ce qu’exige la défense de vos terres, de vos vassaux et de votre honneur, ne tenez aucun compte ni des fatigues, ni des périls, et faites en sorte que le danger qui arrive vous fasse oublier le danger qui est passé. »

Le comte Lucanor goûta beaucoup ce conseil, il le suivit et s’en trouva bien. Don Juan Manuel, estimant aussi que l’exemple était bon à retenir, le fit écrire dans ce livre avec deux vers qui disent ceci :

« Regarde pour certain, et redis-toi sans cesse
Que l’honneur ne peut vivre où loge la mollesse. »


Note sur la morale de ce conte

Nous nous livrons souvent au petit jeu qui consiste à repartir de la morale originale pour la comparer à la traduction de Adolphe-Louis de Puibusque. Voici donc, dans l’ordre, les deux versions que nous donnent respectivement l’ouvrage du XIVe siècle en castillan ancien, suivie d’une version plus récente en espagnol moderne.

La morale en castillan ancien

« Aquesto tenet çierto, que es verdat provada:
que onra et grand vicio non an una morada.
« 

El Conde Lucanor Juan Manuel, Infante de Castilla

La morale en castillan moderne

« Tened esto por cierto, pues es verdad probada:
que la holganza y la honra no comparten morada.
« 

Introducción a El Conde Lucanor, Vicedo Juan,
Alicante, Biblioteca Virtual Miguel de Cervantes, 2004.

Holganza : paresse, oisiveté, inaction (voire fainéantise dans certains variations plus péjoratives) est devenue chez Puibusque « la mollesse ». Cela donne un certain « allant » à cette morale mais l’éloigne peut-être un peu de sa nature qu’on pourrait considérer comme plus « naturellement » médiévale. Disant cela, on pense à certaines représentations qui peuvent alors courir au sujet de l’oisiveté ou l’inaction.

La notion d’impossibilité de « compartir morada« , autrement dit « paresse et honneur ne peuvent pas vivre sous le même toit« , se retrouve bien chez l’auteur du XIXe siècle. Pour le reste, il a choisi de mettre l’emphase sur une morale que le lecteur devrait se ressasser pour la garder en tête : « Regarde pour certain, et redis-toi sans cesse » . Une traduction plus littérale donnerait : « Tiens pour vérité, c’est un fait établi ».

En vous souhaitant une excellente journée.
Frédéric EFFE.
pour moyenagepassion.com
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(1) « Fernán González, comte de Castille devenu héros (xᵉ-xvᵉ siècles)« , Matías Ferrera Ecole des Chartes, compte-rendu de thèse.

NB : l’image d’en-tête est un travail à partir de deux sources différentes. Le fond est tirée d’une gravure du XIXe siècle. Elle représente un épisode de la bataille de Simancas : l’embuscade d’Alhandega (939) menée contre les troupes de Abd-ar-Rahman III par Ramiro II de Léon. Le portrait de premier plan représente Fernán González. Il est tiré de l’ouvrage : Cronica General de España. Historia Ilustrada y Descriptiva de sus Provincias. Asturias and Leon, (Editée par Ronchi, Vitturi, Grilo, Madrid, 1866).

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