Sujet : poésie médiévale, rondeaux, auteurs médiévaux, poètes, amour courtois, loyal amant, poésie de cour. Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Blosseville Manuscrit ancien : MS français 9223 Ouvrage : Rondeaux et autres poésies du XVe siècle de Gaston Raynaud (1889)
Bonjour à tous,
u XVe siècle, les nobles défilent à la cour de Charles d’Orléans et on s’y adonne à la poésie, encouragé par les goûts et le talent du prince lettré. Revenu de longues années de capture en Angleterre, ce dernier y avait eu le temps de se consacrer longuement à la poésie et aux lettres. On se souvient, en effet, que la bataille désastreuse d’Azincourt lui avait coûté 25 ans de sa liberté.
Aux sources : le français Ms 9223, recueil de ballades, rondeaux et bergerettes
Du point de vue des sources, un grand nombre des ballades, rondeaux et pièces, échangés, alors, à cette cour, peut être retrouvé dans le manuscrit Français 9223. Conservé de nos jours, au département des manuscrits de la BnF, cet ouvrage médiéval contemporain du XVe siècle, contient, en effet, 195 pièces d’auteurs variés.
Vers la fin du XIXe siècle, le célèbre historien et philologue Gaston Raynaud se proposa de présenter ces poésies en graphie moderne, sous le titre Rondeaux et autres poésies du XVe siècle. Pour ceux que cela intéresse, on peut encore trouver cet ouvrage réédité sous forme papier aux éditions Hachette Livre Bnf.
Pour revenir à cette poésie de cour, on y trouve nombre de petites pièces variées, mais aussi la retranscription de concours ou exercices de styles partagés demeurés célèbres : « En la forêt de longue attente« ,… Une belle place y est faite aussi à la courtoisie dont ce rondeau de Blosseville que nous partageons ici.
Cet auteur, dont on sait finalement peu de chose (voir éléments de biographie ici), semble avoir été relativement présent dans ce cercle d’apprentis poètes et on lui attribue même la copie du MS français 9223. Sur le thème du sentiment amoureux, les compositions qui lui sont attribuées par ce manuscrit vont du classique jeu de séduction, à des textes plus distanciés, voir même humoristiques et grinçants à l’encontre du jeu courtois. Le rondeau du jour le trouvera plutôt désabusé. Comme cette pièce est dans un moyen-français relativement intelligible, nous vous laissons la découvrir dans sa langue originale.
Lassé d’amours de Blosseville
Lassé d’amours et des faiz de fortune, Tanné d’espoir et d’aimer trop fort une, Encloz d’ennuy, maintenant je demeure, Car Desplaisir prent en moy sa demeure, De par Maleur qui tresfort me fortune.
Dont je me treuve sans que joye nés une Soit en mon cueur secrete ne commune : Pour quoy je dis que je suis a ceste heure Lassé d’amours.
Merencolie, Douleur et Infortune, Dueil et Soussy, Desespoir et Rancune, En languissant me font plus noir que meure, Et n’ay desir fors que de bref je meure, Puisque je suis le plus dessoubz la lune Lassé d’amours.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
Sujet : spectacle médiéval, animations historiques, animations médiévales, reconstituteurs, château, compagnies médiévales Evénement : les Médiévales de Montfort sur Risle, Eure, Normandie Date : Dimanche 30 août 2020
Bonjour à tous,
i le déconfinement a permis, depuis le mois de mai, à certains établissements historiques ou culturels de rouvrir leurs portes, le programme des fêtes et manifestations médiévales 2020 est demeuré sévèrement altéré, affectant une grande quantité d’artisans, artistes, compagnies et troupes spécialisés dans les animations historiques et la période du Moyen Âge. Dès l’arrivée de la crise sanitaire et face aux mesures annoncées, nombreux sont, en effet, les organisateurs et collectivités locales qui ont pris rapidement les devants, préférant simplement reporter à 2021 toute forme de festivités et de rassemblements. Se souvenant du climat qui régnait alors et face à l’absence totale de visibilité, on comprend bien les raisons légitimes de ses désengagements. Rien que l’on puisse y faire, sauf prendre fait et cause, le secteur de l’animation historique avec celui de la culture et d’autres encore a jusque là été sinistré.
Pourtant, dans ce paysage sanitaire et culturel « post-apocalyptique », quelques événements ont tout de même été maintenus. Sous réserve de décision de dernière minute par la préfecture ou les autorités locales, ce sera le cas des Médiévales du château normand de Montfort sur Risle organisées, le dernier dimanche d’août, par l’Association Montfort Culture et Patrimoine.
Au programme des Médiévales de Montfort
A première vue, le programme de ces réjouissances s’annonce plutôt riche. Du côté du contexte sanitaire, les organisateurs se sont engagés à mettre en place les dispositions nécessaires afin de « garantir la protection et la sécurité du public sans altérer le confort de chacun(e)« . Pour avoir le détail de ces mesures, merci de les contacter sur leur page FB indiquée en bas de page.
Si tout demeure au beau fixe, la manifestation devrait donc se dérouler durant toute la journée du dimanche 30 août 2020, du matin à la fin d’après-midi. Sur place de nombreuses compagnies médiévales et animations attendront les visiteurs : spectacles équestres, tirs de trébuchet, démonstrations d’escrime ancienne et d’archerie, musique d’époque, marionnettes historiques, mais encore de nombreux campements de vie civile et militaire, comme au Moyen Âge. Un marché avec ses échoppes d’exposants est également prévu. Quant aux enfants et aux plus jeunes, ils devraient pouvoir aussi compter sur des activités spécialement conçues à leur intention : ateliers divers, promenades à dos d’ânes ou de poneys, etc…
La prise du Château de Montfort par l’angloys
Du point de vue des temps forts, on ajoutera encore une reconstitution de la prise du château de Montfort basée sur celle qui eut lieu, au début du XIIe siècle par le roi Henri 1er d’Angleterre, duc de Normandie. L’événement se veut au plus près de la réalité historique et les troupes présentes s’évertueront à faire revivre la résistance et la déroute de Hugues IV de Montfort face à son suzerain angloys, dans toutes ses grandes largeurs.
Compagnies médiévales attendues
Les Compagnons pour Hastings – Les Compaings d’Esculape – Le Clan Svaldifari – Les Chevaliers de Saint Michel – Association Montfort Culture et Patrimoine – Ensemble musical Pastourel – La Troupe de Mortemer
A l’approche de l’événement ou même dès maintenant, nous vous conseillons de consulter le Facebook officielle de l’Association pour avoir confirmation du programme et des animations.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Monde Médieval sous toutes ses formes.
NB : à toutes fins utiles, nous en profitons pour vous rappeler ici que nous n’organisons pas nous-mêmes les fêtes médiévales. Nous ne faisons que les relayer.
Sujet : chanson médiévale, poésie , culte marial, roi troubadour, roi poète, trouvères, vieux-français, langue d’oïl, vierge Marie. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle. Auteur : Thibaut IV de Champagne (1201-1253), Thibaut 1er de Navarre (Thibaud) Titre : « Du tres douz nom a la virge Marie» Interprète : René Zosso Album : Anthologie de la chanson française, des trouvères à la pléiade (2005)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous revenons à la poésie et l’art des trouvères avec un des plus célèbres d’entre eux : Thibaut IV de Champagne , roi de Navarre et comte de Champagne, connu encore sous le nom de Thibaut le Chansonnier. Nous le faisons avec d’autant plus de plaisir et d’à-propos que c’est une belle et puissante interprétation de René Zosso qui nous permettra de découvrir cette chanson médiévale du XIIIe siècle.
Une chanson du roi de Navarre
en hommage au nom de la vierge
On connait du legs de Thibaut de Champagne, les pièces courtoises ou encore les chants de croisade. Nous en avons déjà présenté quelques-unes issues de ces deux répertoires. Pour varier un peu, la
pièce du jour est dédiée à la dévotion à Sainte Marie, autrement dit
au culte marial, très populaire aux temps médiévaux notamment à partir du Moyen Âge central.
On le verra, dans cette chanson, le roi et seigneur poète énumère les qualités et les propriétés de la sainte vierge, à partir des cinq lettres composant son nom : M A R I A. On notera qu’avant lui, le moine et trouvère Gauthier de Coincy (1177-1236) s’était, lui aussi, adonné à un exercice similaire à partir du nom de la Sainte. Au Moyen Âge, la seule prononciation de ce dernier est réputée chargée de hautes propriétés spirituelles, voire « magiques » ou miraculeuses. Vous pourrez trouver des éléments d’intérêt sur ces questions dans un article de la spécialiste de littérature médiévale et de philosophie religieuse Annette Garnier : Variations sur le nom de Marie chez Gautier de Coinci, Nouvelle revue d’onomastique, 1997. Egalement, pour élargir sur le culte marial et ses miracles, nous vous invitons à consulter nos publications sur les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille. Passons maintenant aux sources de cette chanson et sa partition .
Sources manuscrites historiques :
le trouvère K ou chansonnier de Navarre
On retrouve cette pièce du comte Thibaut de Champagne dans un certain nombre de manuscrits anciens datant plutôt des XIVe et siècles suivants. On citera le Chansonnier du Roi dit français 844 ou encore les MS français 846, MS français 12615 et MS français 24406. Ajoutons-y également le Manuscrit MS Français 12148, autrement coté, MS 5198 de la Bibliothèque de l’Arsenal (voir photo ci-dessus). C’est un ouvrage d’importance dont nous avons, jusque là, peu parlé.
Un mot du Manuscrit MS 5198 de l’Arsenal
Daté du premier quart du XIVe siècle, ce manuscrit ancien contient pas moins de 392 folios pour 418 pièces : chansons avec musiques annotées et poésies françaises. Les auteurs sont variés dont une grande quantité de trouvères. L’oeuvre de Thibaut de Champagne y est largement représentée ; sous le nom de « roi de Navarre« , elle ouvre même le MS 5198 avec 53 pièces. Pour avoir une bonne vision du contenu de ce manuscrit médiéval, nous vous conseillons de vous procurer la Bibliographie des Chansonniers français des XIIIe et XIVe siècle de Gaston Raynaud (1884). Quant à l’original digitalisé, il est consultable sur Gallica.
« Du trez douz nom » de Thibaut de Champagne par René Zosso
Anthologie de la chanson française : des trouvères à la Pléiade
Nous avons déjà consacré un article à cet album d’Anthologie autour de la musique médiévale et renaissante. Daté du milieu des années 90, il fait partie d’une vaste collection de CDs, sortie chez EPM, qui proposait de découvrir la chanson française à travers les époques. L’opus réservé à la période « des trouvères à la Pléiade » , dont est extraite la pièce du jour, faisait une belle place à René Zosso.Ce dernier y interprétait, en effet, plus de six chansons dont en compagnie de Anne Osnowycz. (Nous vous renvoyons au lien ci-dessus pour découvrir une autre de ces pièces, ainsi que plus d’information sur cet album.)
Ajoutons que sur les 24 chansons présentées dans cette Anthologie, se trouvaient trois chansons tirées du répertoire de Thibaut le chansonnier, toutes interprétées par le musicien et joueur de vièle à roue suisse.
Du tres douz non a la Virge Marie
du vieux français d’oïl au français moderne
NB : une fois n’est pas coutume, pour cette traduction de l’oïl vers le français moderne, nous avons suivi, à la lettre, celle du critique littéraire et médiéviste français Alexandre Micha dans son ouvrage : Thibaud IV, Thibaud de Champagne, Recueil de Chansons (Paris, 1991, Klincksieck).
Du tres douz non a la Virge Marie Vous espondrai cinq letres plainement. La premiere est M, qui senefie Que les ames en sont fors de torment; Car par li vint ça jus entre sa gent Et nos geta de la noire prison Deus, qui pour nos en sousfri passion. Iceste M est et sa mere et s’amie.
Du très doux nom de la Vierge Marie Je vous expliquerai les cinq lettres clairement. La première est M, qui signifie Que les âmes par elle sont délivrées des tourments, Car par elle descendit parmi les hommes Et nous jeta hors de la noire prison Dieu qui pour nous souffrit sa passion. Ce M représente sa mère et son amie.
A vient après. Droiz est que je vous die Qu’en l’abecé est tout premierement; Et tout premiers, qui n’est plains de folie, Doit on dire le salu doucement A la Dame qui en son biau cors gent Porta le Roi qui merci atendon. Premiers fu A et premiers devint hom Que nostre loi fust fete n’establie.
A vient après et je dois vous dire Qu’il est la première lettre de l’alphabet. Avec cette première lettre, si l’on est sage, On doit dire dévotement la salutation A la Dame qui en son beau corps Porta le Roi de qui nous attendons le pardon. A fut la première lettre du premier homme, Depuis que notre religion fut instituée.
Puis vient R, ce n’est pas controuvaille, Qu’erre savons que mult fet a prisier, Et sel voions chascun jor tout sanz faille, Quant li prestes le tient en son moustier; C’est li cors Dieu, qui touz nos doit jugier, Que la Dame dedenz son cors porta. Or li prions, quant la mort nous vendra, Que sa pitiez plus que droiz nous i vaille.
Puis vient R, ce n’est pas pure fantaisie : Nous savons qu’erre est digne de respect, Et nous le voyons chaque jour avec évidence, Quand le prêtre le tient en son église : C’est le corps de Dieu qui nous jugera tous Et que la Dame porta en son beau corps. Demandons-lui, quand viendra notre mort Que sa pitié soit plus forte que sa justice.
I est touz droiz, genz et de bele taille. Tels fu li cors, ou il n’ot qu’enseignier, De la Dame qui pour nos se travaille, Biaus, droiz et genz sanz teche et sanz pechier. Pour son douz cuer et pour Enfer bruisier Vint Deus en li, quant ele l’enfanta. Biaus fu et genz, et biau s’en delivra; Bien fist senblant Deus que de nos li chaille.
I est tout droit, svelte et de belle taille. Tel fut le corps, riche de toutes les vertus, De la dame qui se met en peine pour nous, Beau, svelte, noble, sans tache et sans péché. Grâce à son doux coeur et pour briser l’Enfer Dieu était en elle, quand elle l’enfanta. Il était beau et gracieux et elle eut une heureuse délivrance. Dieu montra bien qu’il a soin de nous.
A est de plaint: bien savez sanz dotance, Quant on dit a, qu’on se plaint durement; Et nous devons plaindre sanz demorance A la Dame que ne va el querant Que pechierres viengne a amendement. Tant a douz cuer, gentil et esmeré, Qui l’apele de cuer sanz fausseté, Ja ne faudra a avoir repentance.
A exprime la plainte : vous savez bien Que quand on dit A, on se plaint amèrement. Nous devons constamment faire monter nos plaintes Vers la Dame qui n’a d’autre but Que de voir le pécheur s’amender Elle a le cœur si doux, si noble, si généreux Que si on fait appel à elle, Il s’ouvrira au repentir.
Or li prions merci pour sa bonté Au douz salu qui se conmence Ave Maria! Deus nous gart de mescheance!
Implorons sa merci, confiants en sa bonté, Avec le doux salut qui commence par Ave Maria. Que Dieu nous garde de tout malheur !
En vous souhaitant une fort belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
« Je « chante et vielle » depuis 45 ans ! ce qui veut dire que tous les répertoires que j’ai abordés – musique populaire et savante, ancienne et plus récente – se sont forcément inscrits dans le cadre des bourdons de ma vielle. Ils sont l’espace de toute ma vie musicale, la page blanche où tout, en s’exprimant, s’imprime. Je ne sais pas où ils vont, mais ils y vont avec une telle certitude que je n’ai qu’à les suivre… «
René Zosso (1935-2020), chanteur, conteur, joueur de vièle Entretien – Les Nouvelles Musicales en Limousin, 2006, (voir site du CRMTL)
Bonjour à tous,
‘est une bien triste nouvelle que nous partageons ici, puisqu’il y a quelques jours et à la fin juillet, le chanteur, vielliste, comédien, enseignant et conteur René Zosso s’est éteint à l’âge de 85 ans.
Natif de Suisse, cet amoureux de musique, de chansons et d’histoire(s) puisait des racines helvétiques du côté de son père et des origines plus lointaines et caucasiennes, du côté de sa mère arménienne. Pourtant, plus que dans l’ailleurs géographique, c’est l’ailleurs temporel qui aura donné le plus grand souffle à sa belle et longue carrière. Au son des entêtants bourdons de sa vièle à roue, elle fût pavée de chansons anciennes et traditionnelles et ceux qui ont le goût du moyen-âge, comme du patrimoine européen historique et musical, n’oublieront pas sa voix forte et bien ancrée. Pleine d’une puissance toute terrienne, elle aurait pu évoquer, par instants, celle d’un chêne noueux qui se serait mis à chanter, avec son timbre de rocailles et de broussailles : une voix et un allant à nul autre pareil qui mariaient le présent au passé en faisant revivre, devant nous, le chanteur éternel ; celui du cœur et de l’intuition, celui qui vous fascine et vous absorbe, un diamant brut qui, sans faux détour, savait extraire l’émotion des vers, de leurs angles et de leurs aspérités, .
Et puisqu’il est finalement parti pour un long voyage, nous continuerons, de notre côté, de le laisser vivre en nous et il nous accompagnera encore longtemps avec son legs riche de plus de 50 ans d’histoire musicale : de son large répertoire auprès du Clemencic Consort, aux Cantigas de Santa Maria chez Micrologus, à ses présences aux côtés de Jordi Savall chez Hespérion XXI, jusqu’à ses premiers tribus au folk et bien d’autres pièces d’anthologie encore. Et comme, dans les pas d’Aragon et en écho à Léo Ferré, René Zosso avait affirmé, à l’aube des années 70, qu’il chantait, lui aussi, « pour passer le temps », nous ne le remercierons jamais assez, avec un demi-siècle recul, du temps qu’il y aura consacré. Qu’il repose en paix.
En vous souhaitant une bonne journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.