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L’adieu à une « douce dame jolie » du maître de musique Francesco Landini

Sujet : musique médiévale, musiques anciennes, chants polyphoniques, Ars nova, chanson. amour courtois, loyal amant, trecento, compositeur florentin, virelai.
Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle
Auteur : Francesco Landini (1325-1397)
Titre : Adiu, adiu, dous dame jolie
Interprètes : Alla Francesca.
Album : Landini and Italian Ars Nova (1992)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous invitons à bord du vaisseau Moyenagepassion, pour un voyage en direction du trecento italien. Nous sommes, donc au début de la Renaissance italienne, dans un XIVe siècle qui correspond encore au Moyen-Âge tardif français et nous y découvrirons une nouvelle pièce de Francesco Landini.

La douleur du partir de l’amant courtois

La chanson du jour est un virelai. Elle appartient au registre de l’amour courtois, à l’image des autres compositions qui nous sont parvenues du maître de musique florentin. Cette pièce se distingue, toutefois, de celles que nous avons étudiées précédemment par sa langue ; elle est, en effet, en français ancien et non en italien, comme le reste de l’œuvre de Landini.

Sur le fond, le compositeur et poète nous contera la douleur de l’amant courtois, au moment de se séparer d’avec sa dame. Cette dernière est, ici, désignée par l’auteur comme sa « douce dame jolie » et on ne pourra s’empêcher de voir là, une claire évocation à la célèbre chanson de Guillaume de Machaut portant le même titre. Contemporain de Landini, le maitre de l’Ars Nova Français le précède d’une petite vingtaine d’années. On sait aussi que l’Ars nova français a notablement influencé la musique italienne de cette période, même si l’Ars nova qui s’est développé sur la péninsule italienne s’en démarque par son style et ses particularités.

Aux sources anciennes de cette chanson

La chanson "Adieu douce dame jolie" de Landini dans le codex Squarcialupi, de la Bibliothèque Laurentienne de Florence
Une « Douce dame Jolie » » à la façon de Francesco Landini

Du point de vue des sources anciennes, on pourra retrouver cette chanson de Francesco Landini, avec sa partition dans le célèbre codex Squarcialupi (le Med Palat 87). Daté du XV siècle, ce manuscrit richement enluminé est aujourd’hui conservé à la Bibliothèque Laurentienne de Florence. En cherchant un peu, on peut également le trouver en ligne, sous une forme digitalisée.

L’hommage à Landini et à l’Ars Nova,
de l’ensemble ‘Alla Francesca

Pour la version en musique de ce chant polyphonique, nous vous proposons l’interprétation qu’en avait fait la célèbre formation médiévale française Alla Francesca, il y a déjà quelque temps déjà.

En 1991, soit l’année suivant sa création, l’ensemble de musiques anciennes et médiévales Alla Francesca partait, donc, à la découverte de Francesco Landini et de l’Ars Nova italien. Ce thème leur a même fourni l’occasion de leur toute première production. En terme de discographie, Alla Francesca en est, désormais à son vingtième album pour plus de trente ans de carrière. C’est dire le chemin parcouru par cette excellente formation depuis ses premiers pas.

L'album de musiques médiévales et d'Ars Nova de Alla Francesca

Cet album, sorti en 1992 sous le titre « Landini and Italian Ars Nova » propose un total généreux de 17 pièces, pour 55 minutes d’écoute. La formation attachée au Centre de musique médiévale de Paris signait là un vibrant hommage à l’Ars Nova florentin. Et si l’œuvre de Francesco Landini y trouve une place de choix, elle y côtoie aussi des pièces de Jacopo da Bologna, Ghirardello et Lorenzo da Firenze, et encore quelques autres compositeurs italien de cette période, dont des anonymes.

Plus de trois décennies après sa sortie, ce bel album peut encore se trouver à la vente au format CD, chez votre disquaire habituel ou encore en ligne. Voici un lien utile à cet effet : Landini and Italian Ars Nova, Alla Francesca (1992).

Musiciens ayant participé à cet Album

Catherine Joussellin (voix, vièle, percussion), Brigitte Lesne (voix, harpe, percussion), Emmanuel Bonnardot (voix, vièle, rebec), Pierre Hamon (instruments à vents, cornemuses, flûtes, percussion)


Adiu, adiu, dous dame jolie,
dans la langue d’oïl de Landini

Adiu, adiu, douce dame jolie,
kar da vous si depart lo corps plorans
Mes a vous las l’esprit et larme mie.

Lontan da vous, aylas, vivra dolent.
Byen che loyal sera’n tout ma vie.

Poyrtant. ay! clere stelle. vos prie
Com lermes e sospirs tres dous mant
e
Che loyaute haies pour vestre amye.

Les paroles en français actuel

Adieu, adieu, douce dame jolie,
Car de vous je me sépare le corps en pleurs,
Mais je laisse près de vous mon esprit et mon âme.

Loin de vous, hélas, je vivrai dans la peine,
Bien que je vous demeurerai loyal toute ma vie.

Voilà pourquoi, hélas, claire étoile, je vous prie
Avec larmes et très doux soupirs et vous enjoins
De garder votre loyauté pour votre amant.


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

« De ma Dame vient », un motet médiéval d’Adam de la Halle

Sujet :    musique, chanson, médiévale, vieux français, trouvères d’Arras,  motet, chant polyphonique, ars nova, amour courtois, langue d’oïl, courtoisie.
Période :  Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur :   Adam de la Halle (1235-1285)
Titre : De ma Dame vient
Interprète  :  Early Music Consort Of London
Album  : Music of the Gothic Era (1975)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous embarquons pour le Moyen Âge central et la fin du XIIIe siècle pour y découvrir une composition du trouvère Adam de la Halle. Il s’agit d’un motet courtois qui met en scène deux amants différents, un homme et une femme.

A la découverte d’un motet courtois à 3 voix

Le premier protagoniste est un amoureux éconduit. Victime des médisants, il a, semble-t-il, perdu les faveurs de sa belle, mais il ne renonce pas pour autant à son amour pour elle. Quant à la jeune femme éprise, elle est dans l’attente de son amant, un peu à la façon d’une chanson de toile ou d’une cantiga de amigo. Pour tromper son attente, elle décide de renvoyer à ce dernier un objet qu’elle tenait de lui, espérant que le la sorte, il reviendra plus vite vers elle. Comme on le verra, elle aura du mal à se séparer de l’objet auquel elle s’est attachée en ce qu’il lui rappelle son doux ami et lui permet de combler son absence.

Le motet d'Adam de la Halle dans le manuscrit médiéval MS Français 25566 de la BnF
Le motet d’Adam de la Halle dans le MS Français 25566 de la BnF

Sources manuscrites médiévales

Du point de vue des sources, on citera ici le manuscrit médiéval Français 25566. Ce chansonnier contient un nombre varié de pièces et chansons de poètes et trouvères d’Arras. Adam de la Halle y côtoie Jean Bodel, Jehan Petit d’Arras, Richard de Fournival, Huon de Méri et d’autres auteurs de la même période. Cet ouvrage de la fin du XIIIe siècle est conservé au département des manuscrits de la BnF et il peut être, également, consulté en ligne sur Gallica.

On trouve une version de cette chanson d’Adam de la halle dans le manuscrit ancien H196, dit codex ou chansonnier de Montpellier, actuellement conservé à la Bibliothèque Inter-Universitaire de Montpellier.

Le trouvère Adam de la Halle par
le Early Music Consort Of London

Nous avons déjà eu l’occasion de partager sur le site, plusieurs pièces de musiques médiévales et anciennes interprétées par le Early Music Consort Of London. Fondé en 1967 par le talentueux et précoce David Munrow, la formation musicale produisit de nombreux albums jusqu’à son arrêt brutal, en 1976, suite au décès prématuré de son jeune directeur (vous pourrez retrouver un portrait de l’ensemble médiéval ici).

L’album Music of the Gothic Era

En 1975, le Early Music Consort of London revisitait de manière très large, la musique polyphonique des Moyen Âge central à tardif avec un double album généreux de près de 140 minutes de durée pour 59 pièces. Ces dernières vont de l’ars antiqua à l’ars nova, et l’ensemble londonien y gratifiait encore l’auditeur de six pièces de l’Ecole Notre dame, composées par les maîtres de musique Léonin et Perrotin.

Ce bel album a connu un deuxième souffle en 1997 avec une réédition complète au format CD. Aux dernières nouvelles, on peut toujours le trouver chez tout bon disquaire ou à la vente en ligne. Voici un lien utile pour plus d’informations.

Artistes ayant participé à cet album

  • Contre-ténors : James Bowman, Charles Brett, David James
  • Ténor : Rogers Covey-Crump, Paul Elliott, Martyn Hill, John Nixon, John Potter
  • Instrumentistes : Geoffrey Shaw (basse), Oliver Brookes (violon), Eleanor Sloan (rebec, violon), Nigel North (rebec), James Tyler (luth, mandole), Gillian Reid (cloches, psaltérion), Christopher Hogwood (harpe, orgue), David Corkhill (cloches, orgue, timbal ), Michael Laird (cornet), Iaan Wilson (cornet), Alan Lumsden (cornet à piston, trompette à coulisse), David Munrow (flûtes à bec, chalemie, cornemuse)

De ma Dame vient en langue d’oïl
avec traduction en français actuel

Le vieux français d’Adam de la Halle n’est pas toujours simple à décrypter. Pour cette fois, nous l’avons donc abondement noté. Cela complique un peu la lecture de l’original mais le code couleur (oïl en vert et en gras) devrait venir à la rescousse pour vous la faciliter. Veuillez noter qu’il s’agit d’une version de travail qui nécessitera quelques ajustements ultérieurs. Une adaptation suivra.


De ma Dame vient
Li dous maus que je trai
(de traire, ici endurer souffrir)
Dont je morrai
S’esperanche
(espérance) ne me retient.
Et la grans joie que j’ai.
Car j’aperchoi bien et sai
Con m’a grevé
(faire du tord) et mellé (de mesler, troubler, rendu confus)
Si (si bien) qu’elle m’a tout ensi qu’entrouvllié
(oublié)
Qui en soloie
(avait l’habitude) estre au deseure (au dessus).
Diex, quant venra l’eure
Qu’aie a li parlé,
Et de chou
(ce) qu’on m’a mis seure (dont on m’a accusé)
Mi escusé !
Très douche amie,
Ayés de moi pité ,
Pour Dieu merchi I
Onques n’ama qui
Pour si pau haïne déservi.
(jamais nul n’aima qui pour si peu mérita la haine)
Ne l’ai mie
(je ne l’ai nullement mérité),
Ains est par envie
Con en a mesdist,
Et en leur despit
(mépris)
Maintenant irai,
Et pour euls crever
(les faire périr, enrager), ferai
Meilleur sanlant
(figure) que je ne deveroie.
Fui te, gaite, fais me voie !
(arrière, garde, laisse-moi passer)
Par chi passe gent de joie ;
Tart m’est que g’i soie ;
(il est bien tant que j’y sois, il me tarde d’y être)
Encore m’i avez vous musi
(quoique vous m’ayez faire perdre du temps
(1)).
Si serai-je miex de li
(car je serais mieux avec elle)
C’onques ne fui, se seulete
(car jamais je ne fus si seul)
Ancui
(encore aujourd’hui) en un destour (détour)
Truis m’amiete,
(je trouvais ma petite amie)
La douchete,
(la douce)
La sadete,
(la gracieuse)
Blondete,
(belle pleine de grâce, de bonne mine)
Saverousete
(délicate) ,
Que Diez doint bonjour.
(que Dieu vous salue)

2.
Diex coment porroie
Trover voie
D’aler a celi
(celui)
Cui amiete je sui,
(dont je suis l’amie)
Chainturele
(petite ceinture), va i
En lieu de mi
(à ma place),
Car tu fus sieve
(sienne) aussi.
Si m’en conquerra miex.
(Ainsi il me conquerra mieux)
Mais comment serai sans ti ?
(comment me passerais-je de toi petite ceinture)
Dieus, chainturele mar vous vi
(le malheur est en vous)
Au deschaindre m’ochiés
(en te débouclant, je m’occis moi-même)
De mes griétes
(peines, difficultés) à vous me confortoie,
Quant je vous sentoie
Aimi !
(hélas, aie-mi, interjection de douleur)
A le saveur de mon ami.
Ne pour quant d’autres en ai
(mais j’ai d’autres ceintures)
A cleus
(fermoirs) d’argent et de soie
Pour m’en user;
Moi, lasse! comment porroie
Sans cheli durer
(endurer sans celui)
Qui me tient en joie ?
Canchonete
(chanson) chelui proie (de proier, prie)
Qui le m’envoia
(la ceinture)
Puisque jou (je) ne puis aler là
Qu’il enviengne à moi
Chi droit, à jour failli
(au jour tombé),
Pour faire tous ses bons
(pour accomplir tous ses désirs)
Et il m’orra
(de oïr, m’entendra) quant il ert poins (il sera proche)
Canter à » haute vois :
Par chi
(ici) va la mignotise (douceur, coquetterie, gentillesse aimable),
Par chi ou je vois
(par ici où je vais).

3. Omnes

(1) Dans une autre version, on trouve, « encore que vous ne m’ayez pas nui« 


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

La Cantiga de santa maria 70 : des 5 lettres du nom de Marie

Enluminure de Saint-Louis

Sujet :  musique  médiévale, galaïco-portugais, culte marial, chant de louanges, nom de la vierge, chanson médiévale
Période :   XIIIe s, Moyen Âge central
 Auteur  :  Alphonse X de Castille (1221-1284)
Titre : CSM 70,  « En o nome de MARIA, cinque letras, no-mais, i há»
Interprète :  Universalia in Re
Album :  Cantigas de Santa Maria, Grandes Visiões (2012)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous invitons à poursuivre notre exploration des musiques et chansons médiévales. Nous voguons, cette fois-ci, en direction des rives de l’Espagne du XIIIe siècle pour vous présenter un chant de louanges, la Cantiga de Santa Maria 70.

A partir du Moyen Âge central, le culte marial prend une forte importance dans le monde chrétien occidental et l’homme médiéval s’adresse, de plus en plus, directement à la vierge Marie ; femme et mère, douce et compréhensive, le croyant espère qu’elle pourra intercéder en sa faveur, auprès de son fils, le Christ, le « Dieu mort en croix », comme on le nomme souvent alors.

Manuscrit médiéval Codice Rico : Cantigas de Santa Maria
La Cantiga de Santa Maria 70 dans le superbe Codice Rico de la Bibliothèque Royale de l’Escurial à Madrid (Espagne)

Pèlerinages, miracles et dévotion

Si l’on prête de l’écoute, de la compassion et de la miséricorde à Marie, on lui reconnaît aussi d’immenses pouvoirs. Pour chercher le salut, le pardon et pour montrer sa dévotion, on fait même de nombreux pèlerinages vers les nombreuses églises ou cathédrales élevées en son honneur. Au Moyen Âge, les miracles qu’on lui prête sont aussi légion aux quatre coins d’Europe et même jusqu’en terre sainte (voir la cantiga 29 sur l’apparition de la vierge sur une pierre à Gethsémani). Ils courent le long des routes des pèlerinages et animent les chants de dévots. Au XIIIe siècle, le roi Alphonse X de Castille lancera une grande compilation d’une partie importante de ces récits dans ses Cantigas de Santa Maria. Ce vaste corpus de 417 chants et chansons sur le thème de la vierge demeure, encore aujourd’hui, une œuvre majeure témoignant du culte marial de la Castille médiévale et même d’au delà les frontières espagnoles.

A cette période, la dévotion à Marie soulève des montagnes en prenant la forme de pèlerinages, de témoignages de foi, de prières et de chants, mais la simple évocation de la sainte chrétienne peut même, quelquefois, suffire à produire des miracles. Dans le même esprit, les seules lettres de son prénom se drapent de vertus magiques et deviennent source de prodiges (voir cantiga 384, les clés du paradis pour l’écriture du nom de la vierge ). C’est le thème de la Cantiga Santa Maria du jour. Ce chant de louanges gravite en effet autour des cinq lettres de « Maria » et nous propose d’en décrypter le sens. Il y a quelque temps, nous avions déjà étudié, ici, une chanson très semblable du roi trouvère Thibaut IV , roi de Navarre et Comte de Champagne (voir du trez doux nom de la virge Marie). Celle de jour ne vient pas de sa cour mais de celle d’Alphonse le savant.

L’interprétation de la version de la Cantiga 70 par Universalia in Re

Universalia in Re et les musiques médiévales

Musique médiévale, l'Ensemble Universalia en Ré

Par les hasards de la programmation, l’interprétation que nous vous présentons, aujourd’hui, nous provient d’une formation musicale russe. Cela nous fournira l’occasion de dire qu’en ces temps de conflit, nous formons le vœu pour que la paix revienne et que des compromis soient rapidement trouvés entre ses deux nations historiquement très proches que sont la Russie et l’Ukraine. Nous espérons que les populations ukrainiennes, à l’est comme à l’ouest, se tiennent en sécurité mais également que toutes les parties tiers impliquées feront le nécessaire pour éviter l’escalade.

Cette parenthèse faite, revenons à l’ensemble de musique du jour. Il a pour nom Universalia in Re et est originaire de la ville de Nijni Novgorod. Dès sa création en 2001, ses fondateurs se sont concentrés sur la musique médiévale européenne des XIIIe et XIVe siècles. Par la suite, la formation a eu l’occasion de participer à de nombreux concerts et festivals de musique ancienne en Russie, en Ukraine, mais aussi en Pologne, en Estonie et en Suisse.

Cantigas de Santa Maria: Grandes Visiões

Album de musique médiévale sur les Cantigas de Santa Maria

Sortie en 2012, l’album Grandes Visiões propose, sur une durée proche de 50 minutes, 8 cantigas de Santa Maria prises dans le répertoire d’Alphonse X. Le chant de louanges de la cantiga 70 que nous vous présentons aujourd’hui, ouvre l’album. On peut trouver ce dernier en ligne sous forme digitalisée, voici un lien utile pour l’obtenir : Cantigas de Santa Maria: Grandes Visiões. C’est le second album que Universalia in Re a consacré au Cantigas d’Alphonse X. le premier datait de 2005. A date et sauf erreur, cette production est aussi la dernière de l’ensemble médiéval.

Membres ayant participé à cet album

Maria Batova (chant), Yulia Ryabchikova (chant, psaltérion, tambourin), Ekaterina Bonfeld (chant, flute), Maria Golubeva (vielle, rebec), Danil Ryabchikov (guitare sarrazine, narration).


La cantiga de Santa Maria 70
Paroles et traduction en français actuel

Esta é de loor de Santa María, das cinque lêteras que há no séu nome e o que quéren dizer.

En o nome de MARIA,
cinque letras, no-mais, i há.

« EME » mostra Madr’ e Mayor,
e mais Mansa, e mui Mellor
de quant’ al fez Nostro Sennor
nen que fazer poderia.
En o nome de MARIA…

« A » demostra Avogada,
Aposta e Aorada
e Amiga, e Amada
da mui Santa compannia.
En o nome de MARIA…

« ERRE » mostra Ram’ e Rayz ,
e Reyn’ e emperadriz,
Rosa do mundo e fiiz
quena visse ben seria.
En o nome de MARIA…

« I » nos mostra Jhesu Cristo,
Justo, Juiz, e por isto
foi por ela de nos visto,
segun disso Ysaya.
En o nome de MARIA…

« A » ar diz que Averemos,
e que tod’ Acabaremos
aquelo que nos queremos
de Deus, pois ela nos guia.
En o nome de MARIA…


Celle-ci (cette chanson) est un chant de louange à Sainte Marie, à propos des cinq lettres qu’il y a dans son nom et ce qu’elles signifient.

Dans le nom de Marie
il y a cinq lettres, pas plus.

« M » nous montre la Mère
plus grande
La plus dotée de Mansuétude, la Meilleure
De tout ce que créa notre Seigneur
Et de ce qu’il pourrait créer.
Dans le nom de Marie


« A » la montre Avocate,
Apprêtée et Adorée,
Amie et Aimée
De très-sainte compagnie.
Refrain

« R » la montre Rameaux (branches) et Racines
Et Reine et impératrice,
Rose du monde qui comblerait
Celui qui la verrait.
Refrain

« I » nous montre Jésus Christ
Juste, Juge et c’est grâce à elle
Qu’il nous fut révélé,
Selon ce que dit Ésaïe
.
Refrain

« A » nous dit que nous Arriverons
À
Avoir et obtenir tout
Ce que nous désirons
De Dieu, puisqu’elle nous guide.
Dans le nom de Marie
Il y a cinq lettres, pas plus.




En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : sur l’image d’en-tête, l’illustration et l’enluminure sont issues du Codice rico de la Bibliothèque royale du Monastère de l’Escurial, à Madrid. Ce manuscrit médiéval, également référencé  Ms. T-I-1, peut désormais être consulté en ligne sur le site de la grande institution espagnole.

Manseliña sur la piste de María la Balteira

Enluminure Alphonse X, espagne médiévale

Sujet :  musique, poésie médiévale, Cantiga de amigo, galaïco-portugais, troubadour, Espagne médiévale.
Période :  XIIIe siècle, Moyen Âge central
Auteur : João Vasques de Talaveira
Titre:  O que veer quiser 
Interprète  : Manseliña
Album :  Maria Pérez se maenfestou  (2021)

Bonjour à tous,

eux qui nous lisent le plus régulièrement se souviennent peut-être de la présentation que nous avions faite, il y a quelque temps, du jeune ensemble médiéval Manseliña. Depuis notre article, la formation galicienne passionnée de musiques anciennes a poursuivi ses recherches et son chemin artistique autour des cantigas de la péninsule ibérique et de l’Espagne médiévale. Elle nous propose même un nouvel album plutôt ambitieux comme nous allons le voir.

Maria Pérez, un personnage haut en couleur
à la cour des grands

Si le terrain d’exploration de Manseliña reste la poésie du Moyen Âge central, l’ensemble musical nous entraîne, cette fois-ci, du côté des chansons satiriques galaïco-portugaises : les « cantigas de escarnio” ou “cantigas de maldizer” sont, en effet, ces chansons humoristiques et pleines de moqueries (« médire » « médisances »). Avec leurs sous-entendus persifleurs et leurs railleries, elles évoquent un peu nos sirventès du pays d’Oc. Selon certaines hypothèses, elles pourraient même en avoir dérivé tout comme les serventois du nord de France l’ont fait.

Une cantiga de Maldizer tiré du nouvel album de Manseliña
Enluminure médiévale sur une danseuse et artiste du Moyen Âge

Cantigas de Escarnio et de maldizer au programme donc, mais ce n’est pas tout. Ce nouvel album se concentre également sur un personnage haut en couleur des cours de l’Espagne médiévale : María Pérez, encore connue sous le surnom de María la Balteira.

Ci contre, l’incroyable enluminure utilisée pour la pochette de cet album de Manseliña. Elle est tirée du Psautier doré de Munich (XIIIe siècle, Angleterre) actuellement conservé à la Bibliothèque d’État de Berlin, à Munich.

Du point de vue du statut, Maria était une « soldadeira ». Les définitions de ce terme sont assez variables et même confuses suivant les sources. Si l’on s’en tient à la Real Academia Galega, il correspond à des artistes féminines qui faisaient des numéros ou qui dansaient durant les prestations des troubadours et des jongleurs. En d’autres endroits, on trouve une définition associée à des femmes accompagnant des soldats pour les divertir en chantant et dansant et en percevant, elles aussi, une « solde ». Dans la lyrique galaïco-portugaise, les soldadeiras occupent un rôle assez complexe et elles font souvent l’objet de cantigas humoristiques et satiriques (1).

Eléments de biographie

Enluminure de troubadours et musicien autour d'Alphonse X de Castille
La cour d’Alphonse X et ses troubadours dans le Codice Rico de l’Escorial

Au XIIIe siècle, María la Balteira connut une popularité certaine à la cour de Fernando III, mais surtout, plus tard, à celle d’Alphonse X de Castille. Le nombre de troubadours lui ayant consacré des chansons ou ayant écrit des poésies, à son sujet, en témoignent. On compte même, parmi eux, le roi Alphonse le Sage en personne. D’après le peu que l’on en sait, cette femme de caractère serait issue d’une famille noble et native de Betanzos, dans la province de la Corogne, en Galice. Etonnement, il semble que le désir de liberté l’appela assez tôt au point qu’elle décida de se soustraire aux obligations du mariage et aux contraintes d’une vie toute tracée. Elle lui préféra donc une vie de musique de danse et de chant à la solde des princes et des rois et c’est dans leurs cours qu’elle exerça ses talents. Précisons encore que certaines cantigas de Escarnio autour des soldadeiras pouvaient verser dans des allusions assez grivoises. En fonction des médiévistes, ces dernières ont pu être, ou non, prises au pied de la lettre pour juger hâtivement la légèreté (voir la fonction professionnelle) de celles à qui elles étaient adressées. María la Balteira n’a pas échappé à cela et ce fut même l’occasion d’un débat d’experts. Les derniers d’entre eux semblent avoir tranché en faveur du deuxième degré (2).

En dehors des poésies qui la chantent, un document atteste de l’existence d’un María Perez dans sa Galice d’origine. En 1257, elle signa en effet, au monastère cistercien de Sobrado dos Monxes ce qui s’apparente à un document de cession d’un bien et d’échange de services contre quoi les moines s’engageait à prendre soin de son salut. Autrement dit, prier pour elle et l’enterrer auprès d’eux en terre chrétienne. On y trouvait également un engagement de prendre la croix pour aller combattre en terre sainte. Pour combattre ou suivre les troupes ? On ne le sait pas, pas d’avantage qu’on ne sait si elle put s’y rendre, ni, le cas échéant, ce qu’il y survint. Les médiévistes se perdent aussi en conjecture pour savoir s’il s’agit bien d’elle ou plutôt d’un homonyme.

Réalité ou métaphore ?

monastère cistercien de Sobrado dos Monxes

D’une manière générale, il est difficile de trier le vrai du faux au sujet de María la Balteira mais les cantigas lui associent tout un tas de pratiques qui sonnent aussi étonnantes que « garçonnes » : compétitions de tir à l’arbalète, jeux de dés à grand renfort de jurons. Tout ceci ne lui aurait d’ailleurs pas empêché de s’attirer les nombreuses faveurs de courtisans et troubadours à en juger toujours par le contenu de certaines poésies à son encontre. D’autres histoires encore plus surprenantes content même qu’elle aurait pu être agent secret du roi Alphonse X auprès d’autres souverains chrétiens mais aussi musulmans.

Que les exploits qu’on lui prête soient avérés ou non, les chansons à son sujet ne tournent jamais en dérision ses talents artistiques. Cela semble renforcer la reconnaissance de ses qualités auprès de ses paires et des cours qu’elle a fréquentées. Pour ses vieux jours, il semble que Maria Perez se retira dans sa province d’origine. Elle est probablement décédée après l’an 1257 et elle fut enterrée au monastère de Sobrado. Avec un tel itinéraire, on comprend aisément comment ce personnage féminin détonnant a pu susciter l’intérêt de Manseliña au point de lui consacrer un album.

Maria Pérez se maenfestou, l’album de Manseliña

« Maria Pérez se maenfestou, cantigas de escarnio a María Balteira » est donc le second album de l’ensemble médiéval. Le premier « Sedia la Fremosa » était consacré aux cantigas de amigo galaïco-portugaises. De l’aveu même de María Giménez, co-fondatrice de la formation, il aura fallu plusieurs années et de sérieuses recherches pour finaliser cette nouvelle production. Comme María la Balteira n’a pas composé directement (ce n’est pas un trobairitz), on y trouvera réuni les cantigas de escarnio et chansons satiriques que les troubadours de l’époque lui consacrèrent.

Album de musique médiévale sur Maria Perez de l'ensemble Manseliña

Avec près d’une heure d’écoute, l’album propose 16 cantigas dont 14 gravitent autour du personnage de María Pérez. Aucune notation musicale n’ayant subsisté pour accompagner ces pièces, la formation médiévale s’est exercée à l’art du contrafactum. Les mélodies utilisées pour mettre ces textes en musique proviennent donc d’origines diverses : les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X mais aussi des compositions de troubadours français ou des cantigas traditionnelles de Galice et du Portugal. Pour la chanson proposée aujourd’hui, c’est la CSM 170 (Cantiga de Santa Maria) qui a été utilisée.

Vous pouvez vous procurer cet album au format digital sur Spotify. Il est également disponible en ligne. Voir le lien suivant pour plus d’informations : Maria Pérez se maenfestou.

Artistes ayant participé à cet album

María Giménez (voix, vièle, percussions), Tin Novio (luth), Pablo Carpintero. (voix, instruments à vent et percussions).


O que veer quiser, ai cavaleiro,
de João Vasques de Talaveira

La chanson médiévale du jour a été attribuée à la plume de João Vasques de Talaveira. Troubadour du XIIIe siècle, il était probablement natif de la région de Tolède. Pour le reste, son legs et ses cantigas semblent établir qu’il était bien introduit dans le cercle des troubadours entourant Alphonse X de Castille. Il nous a laissé autour d’une vingtaine de pièces dont des Cantigas de escarnio y maldizer, des Cantigas de amor et des Cantigas de amigo, mais encore des tensons ou tençons (ces joutes verbales poétiques très appréciées des troubadours du Moyen Âge central).


O que veer quiser, ai cavaleiro,
Maria Pérez, leve algum dinheiro,
senom nom poderá i adubar prol.


Ah Messires ! Ceux qui veulent voir
Maria Perez, doivent avoir de l’argent
Sans quoi ils n’obtiendront rien.


Quen’a veer quiser ao serão,
Maria Pérez, lev’alg’em sa mão,
senom nom poderá i adubar prol.

Ceux qui pour le spectacle (la soirée) veulent voir
Maria Perez, ne doivent pas venir les mains vides
Sinon, ils n’obtiendront rien.


Tod’home que a ir queira veer suso,
Maria Pérez, lev’algo de juso,
senom nom poderá i adubar prol.

Quiconque veut aller, en-haut, pour voir
Maria Perez, doit porter quelque chose en-bas,
sinon, ils n’obtiendront rien.


En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

NB : sur l’image d’en-tête on peut voir la formation Manseliña et, à l’arrière plan, une belle enluminure du Códice Rico des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X. Ce manuscrit médiéval, daté de la fin du XIIIe siècle (1280-1284), est actuellement conservé à la Bibliothèque royale du monastère de l’Escorial à Madrid, Espagne. Il est consultable en ligne ici.

Notes

(1)Vós, que conhecedes a mim tam bem…” – as soldadeiras, Márcio Ricardo Coelho Muniz·
(2) O contrato de María Pérez Balteira con Sobrado, Joaquim Ventura, GRIAL, revista Gallega de Cultura (numero 215 sept 2017) et