Sujet : poésie médiévale, rondeaux, auteurs médiévaux, poètes, amour courtois, loyal amant, poésie de cour. Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Blosseville Manuscrit ancien : MS français 9223 Ouvrage : Rondeaux et autres poésies du XVe siècle de Gaston Raynaud (1889)
Bonjour à tous,
u XVe siècle, les nobles défilent à la cour de Charles d’Orléans et on s’y adonne à la poésie, encouragé par les goûts et le talent du prince lettré. Revenu de longues années de capture en Angleterre, ce dernier y avait eu le temps de se consacrer longuement à la poésie et aux lettres. On se souvient, en effet, que la bataille désastreuse d’Azincourt lui avait coûté 25 ans de sa liberté.
Aux sources : le français Ms 9223, recueil de ballades, rondeaux et bergerettes
Du point de vue des sources, un grand nombre des ballades, rondeaux et pièces, échangés, alors, à cette cour, peut être retrouvé dans le manuscrit Français 9223. Conservé de nos jours, au département des manuscrits de la BnF, cet ouvrage médiéval contemporain du XVe siècle, contient, en effet, 195 pièces d’auteurs variés.
Vers la fin du XIXe siècle, le célèbre historien et philologue Gaston Raynaud se proposa de présenter ces poésies en graphie moderne, sous le titre Rondeaux et autres poésies du XVe siècle. Pour ceux que cela intéresse, on peut encore trouver cet ouvrage réédité sous forme papier aux éditions Hachette Livre Bnf.
Pour revenir à cette poésie de cour, on y trouve nombre de petites pièces variées, mais aussi la retranscription de concours ou exercices de styles partagés demeurés célèbres : « En la forêt de longue attente« ,… Une belle place y est faite aussi à la courtoisie dont ce rondeau de Blosseville que nous partageons ici.
Cet auteur, dont on sait finalement peu de chose (voir éléments de biographie ici), semble avoir été relativement présent dans ce cercle d’apprentis poètes et on lui attribue même la copie du MS français 9223. Sur le thème du sentiment amoureux, les compositions qui lui sont attribuées par ce manuscrit vont du classique jeu de séduction, à des textes plus distanciés, voir même humoristiques et grinçants à l’encontre du jeu courtois. Le rondeau du jour le trouvera plutôt désabusé. Comme cette pièce est dans un moyen-français relativement intelligible, nous vous laissons la découvrir dans sa langue originale.
Lassé d’amours de Blosseville
Lassé d’amours et des faiz de fortune, Tanné d’espoir et d’aimer trop fort une, Encloz d’ennuy, maintenant je demeure, Car Desplaisir prent en moy sa demeure, De par Maleur qui tresfort me fortune.
Dont je me treuve sans que joye nés une Soit en mon cueur secrete ne commune : Pour quoy je dis que je suis a ceste heure Lassé d’amours.
Merencolie, Douleur et Infortune, Dueil et Soussy, Desespoir et Rancune, En languissant me font plus noir que meure, Et n’ay desir fors que de bref je meure, Puisque je suis le plus dessoubz la lune Lassé d’amours.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
Sujet : rondeau, chanson, musique, médiévale, poésie médiévale, manuscrit de Bayeux Période : Moyen Âge tardif (XVe) Auteur : anonyme, Alain Chartier ? Titre : Triste plaisir et douloureuse joye Interprète : Ensemble La Maurache Album : Ambroise Paré et la Musique (2012)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous partons au Moyen Âge tardif, à la découverte d’un rondeau tiré du Manuscrit de Bayeux. Au XVe siècle, cette chanson a connu d’autres versions que celle présentée ici et, jusqu’à nos jours, une variation de Gilles Binchois a même eu tendance à l’éclipser. Il faut donc rendre grâce à l’ensemble médiéval La Maurache pour s’être attaché à nous faire redécouvrir la pièce tirée du Ms de Bayeux.
Source médiévale : le Manuscrit de Bayeux
Nous avons déjà eu l’occasion de vous présenter quelques chansons du Manuscrit de Bayeux. Cet ouvrage du XVIe siècle, très coloré et plutôt bien conservé, est aussi connu sous la référence MsFrançais 9346 à la BnF où il est précieusement gardé. Il contient un peu plus de 100 compositions d’époque avec leur notation musicale (version d’époque consultable ici). Pour la version en graphie moderne du rondeau du jour, nous nous appuyons, quant à nous, sur les travaux de Thédore Gérold, daté de 1921 : Le manuscrit de bayeux, texte et musique d’un recueil de Chansons du XVe. Pour les musiciens, cetouvrage (qu’on trouve encore réédité) a l’avantage de fournir, en plus des textes du manuscrit médiéval, leurs partitions modernes.
La version de Gilles Binchois & Alain Chartier
Comme indiqué en introduction, il existe une version médiévale sensiblement différente de ce rondeau du Manuscrit de Bayeux. Composée par Gilles Binchois, sa mélodie diffère même de la pièce du jour. Si elle contient également le même refrain, « Triste plaisir et douloureuse joye, … », son texte varie aussi de nombreux points.
On peut retrouver cette version de Gilles de Binche dans le manuscrit médiéval MS Misc Canonici 213 de la librairie Bodléienne d’Oxford. Ce dernier est d’une datation antérieure à celui de Bayeux. Les vers sur lesquels s’est appuyé Gilles Binchois sont attribués à Alain Chartier (1385-1430). Cette chanson de Chartier, datée du XVe, connut même une popularité assez tardive puisqu’on la retrouve, jusque dans le courant du XVIe siècle, avec une mention dans le Pantagruel de Rabelais. Notons que dans la version du Manuscrit de Bayeux, l’auteur n’est pas mentionné et demeure anonyme.
Registre courtois pour une poésie absconse
Dans les deux cas, ce rondeau semble faire référence au registre courtois, même si le rapprochement peut paraître, de prime abord, un peu abstrait, du moins par rapport à d’autres poésies du genre : la dame n’y est pas citée, ni même complimentée, le texte s’étale sur des états émotifs sans en donner vraiment les causes, … Pourtant, si le poète ne fait pas l’effort d’être très clair, au point de basculer (assez tardivement pour son temps) dans un jeu poétique qui pourrait évoquer les trobar clus des XIIe/XIIIe siècles, les sentiments contradictoires qu’il exprime pourraient aisément être rattachés au registre de la fine amor : souffrance et joye, présence « d’envieux » ou de médisants qui veulent lui nuire. On sait que la courtoisie fait son nid dans les émotions contradictoires : plaisir et douleur, tension et relâchement, désir et frustration, distance et proximité. Cette référence tout de même un peu brouillée, à la courtoisie, est plus clair dans la version de Chartier.
Figures de style et oxymorons
Quoiqu’il en soit, les tensions émotionnelles donneront lieu ici à de très beaux oxymorons (ou oxymores) : « triste plaisir », « douloureuse joye », « Ris en plorant », « souvenir oublieux ». C’est aussi d’époque. Ces énoncés qui jouent sur les contradictions et les oppositions, sont un procédé assez prisé dans la poésie du XVe siècle. On les retrouve chez Charles d’Orléans (sous l’influence, sans doute, de Chartier) mais également chez François Villon qui en sera, lui aussi très friand (voir la ballade des contre-vérités, par exemple). D’autres poètes médiévaux suivront également et, même jusqu’à nous, un nombre important d’illustres auteurs modernes (Molière, La Fontaine, Corneille, Victor Hugo, Balzac, Baudelaire, Rimbaut, sans oublier le silence assourdissant de la Chute chez Albert Camus).
« Triste plaisir et douloureuse joye », Ensemble Médiéval La Maurache
L’Ensemble La Maurache : de l’art des trouvères du XIIe aux airs de cour du XVIIe siècle
l’Ensemble La Maurache a été fondé en 1978 par le compositeur, chanteur et musicien Julien Skowron. Ce multi-instrumentiste n’en était pas à son galop d’essai puisque on lui devait, depuis le début des années 60, la participation à un certain nombre d’autres formations de musiques médiévales et renaissantes. On se souvient notamment des Ménestriers qui avaient reçu, en leur temps, une belle reconnaissance de la presse et de la scène musicale.
Pendant plus d’une vingtaine d’années, La Maurache s’est concentrée sur un répertoire qui partait du Moyen Âge central et du XIIe siècle pour aller jusqu’à la musique du XVIIe siècle, sur des terrains à la fois religieux et profanes. Sous la houlette de son directeur qui a fêté, cette année, ses quatre-vingt printemps (et que nous saluons au passage), la formation a été très active jusqu’à l’année 2005. Depuis lors, elle ne semble plus s’être produire.
Album : Ambroise Paré et la Musique
Originellement, on trouvait l’interprétation de la pièce du jour par la Maurache dans un double album daté de 2005. L’opus était dédié très à propos aux musiques du temps de François Villon : « Le Paris de François Villon : Ballades au XVe siècle sous la direction de Julien Skowron. Nous aurons, sans doute, l’occasion d’y revenir dans un futur article.
Pour revenir à l’album du jour, qui propose à nouveau ce rondeau du Manuscrit de Bayeux, il a pour titre Ambroise Paré et la Musique. Daté de 2012, comme son titre l’indique, c’est une compilation de pièces contemporaines de la vie de Ambroise Paré (1510-1590). On y découvre donc plutôt des musiques et chansons du XVIe siècle, plus « post-pléiades » que médiéval tardives. Sur les 17 pièces proposées, trois sont interprétées par l’ensemble la Maurache. A sa suite, on retrouve un bon nombre d’interprètes et formations : l’Ensemble Madrigal, l’Ensemble Bourscheid, Jean-Paul Lécot, Bernard Soustrot, François-Henri Houbart, … L’album est toujours disponible à la distribution au format MP3 ou Cd : Ambroise Paré et la Musique (Ambroise Paré Music Favorites)
Triste plaisir et douloureuse joye,
La version du manuscrit de Bayeux
Triste plaisir et douloureuse joye
Apre(s) doulceur, reconfort anuyeux. Ris en plorant, souvenir oublieux M’accompaignent, combien que seul je soye.
Se j’ay soulas* (joie, plaisir), d’aultre part je lermoye ; J’ay bon support, maiz danger d’envyeux. Triste plaisir et douloureuse joye, Apre(s) doulceur, reconfort anuyeux.
Je suis hermé (entouré, cerné?) de mensonge et de soye. L’ung me trahit ; l’aultre m’est cauteleux* (fourbe, rusé). D’estranges tours l’on joue en plusieurs lieux. Pompeux* (glorieux) je suis, mais l’on deffend la soye.
La rondeau de Alain Chartier
(version de Gilles Binchois)
Triste plaisir et douloureuse joye, Aspre doulceur, desconfort ennuieux, Ris en plorant, souvenir oublieux M’acompaignent, combien que seul je soye.
Embuchié sont, affin qu’on ne les voye Dedans mon cueur, en l’ombre de mes yeux. Triste plaisir et amoureuse joye !
C’est mon trésor, ma part et ma monoyé ; De quoy Dangier est sur moy envieux Bien le sera s’il me voit avoir mieulx Quant il a deuil de ce qu’Amour m’envoye. Triste plaisir et douloureuse joye.
Sujet : codex de Montpellier, musique, chanson médiévale, amour courtois, vieux-français, chants polyphoniques, motets, fine amor Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central Titre:Qui d’amours se plaint, Lux magna Auteur : Anonyme Interprète : Anonymous 4
Album : Love’s Illusion Music from the Montpellier Codex 13th Century (1993-94)
Bonjour à tous,
elui qui « d’amour se plaint » et n’en a pas aimé jusqu’aux doux maux, comment pourrait-il prétendre avoir jamais aimé, ou plutôt, avoir jamais su le faire en amant loyal et véritable ?
Dans ses formes littéraires et poétiques les plus exacerbées, le Moyen Âge codifie un amour qu’il encense jusqu’à dans sa non réalisation, dans ses souffrances, dans son attente et dans un désir inassouvi, voué, peut-être, à ne jamais devoir se poser sur son objet. Toutes ces tensions n’ont pas de prix. Mieux même, si elles n’étaient pas partie intégrante de l’expérience, ou si l’amant devait ne pas s’en délecter et s’y complaire, alors son amour ne serait pas vraiment l’amour. Il n’en serait pas digne et son cœur ne serait pas assez grand.
La fine amor : des formes « psychologiques » aux formes sociales
Au delà de ces aspects psychologiques codifiés qui pourraient nous paraître tortueux à certains égards, le monde médiéval peut encore se plaire à ajouter une dimension sociale transgressive à son amour courtois.
On le chante encore volontiers, quand il devient sulfureux et qu’il s’affirme envers et contre tous : contre la raison, contre les médisants, contre les conventions sociales, contre le devoir des époux, contre le cloisonnement entre la petite et moyenne noblesse et la haute : le chevalier amoureux de la reine, le troubadour et petit seigneur en émoi pour une princesse lointaine et qu’il n’a jamais vu, le vassal ou le poète (bien né mais pas suffisamment) qui flirte avec la belle de son suzerain ou qui louche, avec convoitise, sur la fille ou la cousine de ce dernier. Le poète a-t-il alors, comme seule excuse ou comme seul refuge, son unique volonté d’éluder le passage à l’acte ? Non, pas toujours, même si le loyal amant pourrait parfois, comme il nous le dit, « mourir » pour un seul baiser.
A l’opposé de ces transgressions, le monde médiéval pourra encore faire entrer certains codes de cette fine amor dans le sentiment religieux. Devenu pur et chaste, on appliquera alors à la vierge et au culte marial cet amour de loin et inaccessible. Les codes sont les mêmes, leur vocation change. D’une certaine façons, ils sont alors plus normatifs ou « compatibles » au sens médiéval chrétien du terme.
Aujourd’hui, c’est sous sa forme profane, datée des XIIe et XIIIe siècles que nous vous invitons à retrouver cette lyrique courtoise. Nous serons, pour le faire, en compagnie du codex de Montpellier et d’un très beau quatuor féminin. Pour la transcription en graphie moderne de la pièce que nous avons choisie, nous nous appuierons, une nouvelle fois, sur l’ouvrage Recueil de Motets français des XIIe et XIIIe siècles de Gaston Raynaud (1881).
La courtoisie mise en musique
dans le codex H196 de Montpellier
Avec ses 395 feuillets garnis de compositions et de motets annotés musicalement, le Chansonnier de Montpellier H196 chante cette fine amor, à travers des pièces assez courtes et demeurées anonymes ( consulter ce manuscrit médiéval en ligne). La chanson médiévale du jour s’inscrit tout entière dans cette tradition courtoise. On verra que le poète y fait une véritable apologie des (doux) maux d’amour. Tout en les gardant tacites, il nous expliquera que celui qui aime loyalement et qui a du cœur, ne s’en plaindra jamais et n’en ressentira aucun mal. Mieux même, quand il aura trouvé et éprouvé ces maux, les bienfaits et la récompense n’en seront que plus grands, au bout du chemin.
« Qui d’amours se plaint » par la quatuor féminin Anonymous 4
Love’s Illusion ou le chansonnier de Montpellier par le quatuor féminin Anonymous 4
Nous vous avons déjà touché un mot dans un article précédent, du quatuor américain Anonymous 4, mais aussi de leur albumLove’s illusion. Sortie en 1994, cette production faisait une large place au codex de Montpellier avec 29 pièces toutes issues du célèbre manuscrit médiéval. Avec près de 65 minutes d’écoute, Love’s Illusion, Motets français des XIIIe et XIVe sièclesa été réédité en 2005 chez Harmonia mundi USA. Il est donc toujoursdisponible à la vente au format CD ou dématérialisé.
Membres de la formation Anonymous 4 : Ruth Cunningham, Marsha Genensky, Susan Hellauer, Johanna Rose
« Qui d’amours se plaint » , paroles en vieux français et clés de vocabulaire
NB : concernant la traduction littérale de cette pièce, du vieux-français vers une langue plus actuelle, nous l’avons jugé un peu inutile pour le moment. A quelques clés de vocabulaire près, que nous vous indiquons, cette chanson se comprend, finalement, assez bien .
Qui d’amours se plaint Omques de cuer n’ama Car nus qui bien aint (aime loyalement) D’amours ne se clama (se plaindre); Ja loiaus amans ne se feindra (hésiter, manquer de courage) Ne ne se pleindra Des doz maus d’amer ja, Nuit ne jor tant n’en avra, (nuit et jour, il n’en aura jamais assez) Car douçour si trés grant i trovera Qui bon cuer a, Que ja mal ne sentira. Por ce ne departira (se séparer, s’en défaire) Nus tant n’en dira De cele que tou mon cuer a : Touz jors est la, Ja voir ne s’em partira, Car quant les maus trovés a, Si doz les biens partrovera (partrover : trouver) : Trop douz si les a.
En vous souhaitant une excellente journée
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, vieux-français, langue d’oil, fine amor. Période : XIIe siècle, XIIIe, Moyen Âge central Titre :En tos tens que vente bise Auteur : Blondel de Nesle (1155 – 1202) Manuscrit : MS Français 844, Manuscrit du roi (BnF départements des manuscrits)
Bonjour à tous,
u coeur du XIIe siècle, à l’unisson des premiers trouvères, Blondel de Nesle chante la courtoisie en tout temps. Dans ce nouvel échantillon de sa poésie, il nous entraînera, en effet, loin du « renouvel » printanier, au cœur de la saison froide et sous le souffle du vent. Pour le reste : souffrance, affres du doute et douleur du rejet, un bon nombre d’ingrédients habituels de la lyrique courtoise seront au rendez-vous pour accorder l’humeur du trouvère avec ce climat hostile. On y trouvera aussi la dimension sociale ascendante qui traverse, plus souvent qu’à son tour, l’amour courtois ; le poète nous l’affirmera, la dame visée par sa flamme est de meilleure lignage et de plus haute condition que lui.
Aux sources historiques de cette chanson
Cette chanson médiévale est attribuée à Blondel de Nesle dans un certain nombre de manuscrits. Nous avons choisi de vous faire découvrir, ci-contre, la version du MS Français 844 de la Bnf, plus connu encore sous le nom de Manuscrit ou Chansonnier du Roi. Daté du XIIIe siècle, sous la plume de Lambert l’Aveugle, ce précieux témoin de la poésie et de la musique du Moyen Âge central contient près de 225 feuillets pour un large nombre d’auteurs et de chansons annotées. On y retrouve pèle-mêle troubadours et trouvères célèbres mais aussi auteurs anonymes, pour un total de près de 600 pièces.
Pour la transcription moderne de la pièce du jour, nous avons suivi la version de Prosper Tarbé dans son ouvrage Les œuvres de Blondel de Néele, collection les poètes de Champagne antérieurs au XVIe siècle ( 1862). Quant à son interprétation moderne, nous nous sommes laissés entraînés outre-manche à la découverte d’une formation exceptionnelle : les Gothic Voices. Une fois n’est pas coutume, il s’agit d’un extrait.
Un extrait de cette chanson de Blondel par l’ensemble Gothic Voices
Gothic Voices & Christopher Page
C’est en 1980, sous la houlette de Christopher Page, que s’est formé cet ensemble originaire du Royaume-Uni. Expert des musiques anciennes et du répertoire médiéval, cet instrumentiste, guitariste, universitaire et musicologue anglais n’est plus à présenter de l’autre côté de la Manche. En plus de ses nombreuses contributions musicales, sa longue carrière lui a permis de se signaler également par de nombreuses études sur l’histoire de la guitare en Angleterre (de la renaissance au XIXe siècle). On lui doit encore un nombre significatif de publications sur les instruments et la musique du Moyen Âge ; autant dire que nous sommes en présence d’un érudit, passionné de musique autant que d’ethnomusicologie.
Gothic Voices – discographie et carrière
Sous la direction de Christopher page, l’ensemble Gothic Voices a enregistré prés de 25 albums, sur une longue carrière de 40 ans. Les thèmes abordés sont d’une grande variété, avec un fort centre de gravité autour de l’Europe médiévale. La grande majorité de leurs productions couvre une période qui va des trouvères du XIIIe siècle, jusqu’au Moyen Âge tardif et au XVe siècle. On y trouvera des pièces issues du répertoire français, anglais, mais encore italien ou rhénan avec des incursions du côté de l’œuvre musicale de Hildegarde de Bingen.
Au delà de leur succès auprès du public, les contributions de Gothic Voices ont été largement saluées mais aussi récompensées par la critique. Ils ont notamment reçu des gramophones d’or pour trois de leurs albums. Côté agenda, l’ensemble est toujours actif sur la scène musicale anglaise. Vous pourrez retrouver plus d’information sur son actualité sur son site web (en anglais) au lien suivant.
Membres actuels : Catherine King (mezzo-soprano), Steven Harrold (tenor), Julian Podger (tenor), Stephen Charlesworth (bariton)
L’album : le Mariage du Ciel et de l’enfer, Motets & chansons du XIIIe siècle en France
En 1991, la formation britannique partait à la rencontre du XIIIe siècle français avec une belle sélection de chansons et de motets d’époque. « The marriage of Heaven and Hell « , sous un titre qu’on pourrait être tenté d’associer plus aux poésies de William Blake qu’au Moyen Âge central français, l’album présentait dix-sept pièces dont la grande majorité était d’origine anonyme. Entre ces dernières on trouvait la pièce du jour de Blondel, mais aussi une pièce de Colin Muset, une autre signée de la main de Gauthier d’Argies, et même encore une incursion du côté des troubadours avec la célèbre chanson « Quan vei la lauzeta mover » de Bernard de Ventadour.
Cet album, originellement sorti chez Hypérion Records a été réédité en 2007 chez Helios. On le trouve encore disponible à la vente au format CD ou MP3. Voici un lien utile pour plus d’informations à ce sujet : The of Heaven and Hell : Le Mariage du Ciel et de l’enfer
En tos tens que vente bise dans le vieux-français de Blondel de Nesle
NB :pour cette traduction (assez ardue) du vieux-français vers le français moderne, nous nous sommes appuyé sur des recherches habituelles dans les sources et les dictionnaires auxquelles il nous faut ajouter l’aide, plus que précieuse, de Yvan G Lepage et de son ouvrage : l’Oeuvre lyrique de Blondel de Nesle, sorti chez Honoré Champion en 1994.
En tos tens que vente bise, Pour cele, dont sui sorpris, Qui n’est pas de moi sorprise, Devient mes cuers noirs et bis. De fine amour l’ai requise, Qui cuer et cors m’a espris, Et s’ele n’en est esprise, Por mon grant mal la requis.
En cette saison où la bise souffle Pour celle que je désire (dont je suis épris) Et qui ne me désire pas Devient mon cœur noir et sombre. D’un loyal amour, je l’ai requise Elle qui m’a conquis tout entier (cœur et corps, corps et âme) Et si elle ne s’éprend pas de moi à son tour Je l’aurais priée pour mon plus grand malheur.
Mais la dolors me devise , Qu’à la millor me sui pris, Qu’ains fut en cest mond prise, Sé j’estoie à son devis! Tort a mes cuers, qui s’en prise (proisier, preisier) ; Car ne sui pas si eslis, S’ele eslit, qu’ele m’eslise : Trop seroie de haut pris.
Mais la douleur me souffle (deviser, diviser ou tirailler ?) Que je me serais épris de la meilleure Qui fut jamais aimée en ce monde Si j’étais soumis à sa volonté ! Tort à mon cœur, qui s’en vante Car je ne suis pas si distingué (éligible, parfait) Si elle choisit jamais, pour qu’elle me choisisse : Je serais pris de trop haut (ce serait m’élever plus que je le mérite)
Et nequedent destinée Done à la gent maint pensé. Tost i metra sa pensee, S’Amors li a destinée. Je vis ja telle dame amée D’hom de leur bas parenté, Qui miex iert emparentée, Et si l’avoit bien amé.
Et cependant la destinée Donne aux gens de quoi réfléchir Et elle aura tôt fait d’y mettre sa pensée Si l’Amour l’y a destiné. J’ai déjà vu telle dame aimer Homme de plus basse parenté (lignage) Alors qu’elle était mieux née que lui Et pourtant, elle l’avait aimé de belle façon (entièrement, courtoisement).
Por c’est droit , s’Amors m*agrée, Que mon cuer li ai doné ; Se s’amors ne m’a donée , Tant la servirai à gré. S’il plaist à la désirée, Un dols baisier a celée Aurai de li à celé , Que je tant ai désiré.
Pour cela il est juste, si l’Amour m’agrée, Que je lui ai donné mon cœur, Et si elle ne m’a donné son amour Je la servirai tant à sa guise Que, s’il plait à la désirée, Un doux baiser caché Elle me donnera en secret Que j’ai tant désiré.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com. A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.