Sujet : musique médiévale, poésie médiévale, amour courtois, fine amor, langue d’Oil, vieux-français, rondeau, Ars Nova, compositeur médiéval, MS 146 Période : Moyen Âge central, XIIIe, XIVe siècle
Auteur : Jehannot (ou Jehan) de Lescurel(ou L’escurel) Interprète : Ensemble Syntagma, direction d’Alexandre Danilevsky
Album : livre-disque & media book sur Jehan de Lescurel
Bonjour à tous,
ous revenons aujourd’hui, en musique et en chanson, au Moyen Âge du XIVe siècle avec Jehannot de Lescurel. Annonciateur de l’Ars nova, pour ses innovations autant que pour sa rigueur dans l’approche des formes, cet auteur et artiste médiéval, n’est déjà plus considéré comme un trouvère mais bien comme un compositeur.
Comme les autres pièces de l’auteur, la chanson du jour est tirée du MS Français 146. Manuscrit ancien daté du XIVe siècle, conservé à la Bnf, l’ouvrage contient, en plus du célèbre Roman de Fauvel, les dits du clerc Geoffroi de Paris, ainsi que les chansons et compositions de Jehannot de Lescurel. Voici d’ailleurs, ci-contre, le feuillet de ce manuscrit correspondant à la pièce du jour.
« Fine amor » d’Oc en Oil
Du point de vue thématique, le legs de Jehannot de Lescurel gravite principalement autour de la « fine amor ». La chanson du jour, qui est un rondeau, se situe donc en plein dans cette tradition lyrique courtoise héritée des troubadours du sud de la France et largement retranscrite en langue d’Oil, par les trouvères du nord, dans le courant du XIIIe siècle.
« De gracieuse dame amer », Jehannot de Lescurel – Ensemble Syntagma
Comme nous avons déjà consacré un article sur le travail de l’Ensemble Syntagma autour de Jehannot de Lescurel (notamment au sujet du livre disque et média book que la formation a dédié à ce compositeur), nous vous invitons à le consulter pour plus de détails. Vous y trouverez un portrait de la formation et de son directeur, ainsi que des éléments supplémentaires sur le compositeur médiéval.
« De gracieuse dame amer »,
de Jehannot de Lescurel (en français ancien)
De gracieuse dame amer Ne me quier( de querre, querir : désirer, vouloir) jamès departir (séparer). Touz bienz en viennent, sanz douter, De gracieuse dame amer, Et tous deduiz* (plaisir, divertissement).N’en veil cesser : Car c’est ma joie, sans mentir ; De gracieuse dame amer Ne me quier jamès departir.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : musique, chanson médiévale, poésie médiévale, humour, trouvère, ménestrel, auteur médiéval, vieux-français, lyrique courtoise, fine amor Période : moyen-âge central, XIIIe siècle. Auteur ; Colin Muset (1210-?) Titre : « Volez oïr la muse Muset ? » Interprètes : Ensemble für frühe musik Augsburg
Album : Amours & Désirs, Lieder der Trouvères Christophorus Records (1993)
Bonjour à tous,
‘est toujours un grand plaisir de revenir vers la poésie médiévale de Colin Muset parce que l’on sait que l’on va très certainement y trouver de la joie. Le trouvère manie le code courtois autant qu’il le malmène ou le détourne et ses textes regorgent souvent d’un humour rafraîchissant. Sa nature de bon vivant l’emporte en effet, la plupart du temps, sur le reste et il semble qu’il ne cède à la lyrique courtoise que pour nous entraîner sur d’autres terrains. Affaire de goût bien sûr et de moments sans doute, il faut bien avouer que la masse de textes qui gravite autour d’une fine amor aux frustrations et aux douleurs sans cesse remâchées peut devenir parfois un peu lassante. Avec la chanson médiévale du jour, nous somme loin de tout cela.
Ajoutons que pour autant qu’on puisse apprécier certaines interprétations lyriques (et elles sont légion) des pièces en provenance des troubadours et des trouvères du moyen-âge, ici, sous des accents qui pourraient sonner presque « folk », la voix franche et enjouée du chanteur/conteur semble finalement s’approcher au plus près de l’esprit du poète du XIIIe siècle. Pour un peu, on imaginerait les convives autour en train de rire et festoyer au son du trouvère et de son instrument. Tout y est retraduit : le rythme enlevé, l’orchestration minimaliste, mais aussi l’enthousiasme, la farce, la nature légère de la poésie de Colin Muset et cette version pleine d’énergie que nous partageons avec vous, aujourd’hui, demeure, de ce point de vue, une totale réussite et un véritable enchantement. Nous la devons à une formation allemande qui n’a plus fait parler d’elle depuis quelque temps déjà et que nous vous présenterons un peu plus bas : L’Ensemble für frühe musik Augsburg.
Colin Muset par l’Ensemble pour la musique ancienne d’Augsburg
L’Ensemble für frühe musik Augsburg
ondé en 1977 par le musicologue, chanteur et instrumentiste Hans Ganser, accompagné de deux autres artistes et musiciens Rainer Herpichböhm et Heinz Schwamm, l’Ensemble für frühe musik Augsburg(l’Ensemble pour la musique ancienne d’Augsbourg) se dédia entièrement au répertoire médiéval.
Des musiques profanes au religieuses, des chants d’Hildegarde de Bingen ou des pèlerins du moyen-âge central aux chansons des trouvères français ou des minnesängersallemands, la formation a été active durant près d’une trentaine d’années. Durant cette longue carrière, elle a sorti près d’une vingtaine d’albums, donné des centaines de concerts en Europe et outre-atlantique et connu une véritable popularité en Allemagne dans le champ des musiques médiévales et anciennes.
Leur dernier album remonte à 1997, date à partir de laquelle il semble que la formation musicale médiévale n’ait plus rien produit. De son côté et en 1999, Hans Ganser a fondé l’Ensemble vocal Celsitonantes dédié aux chants grégoriens, aux chants sacrés médiévaux et aux premières compositions polyphoniques du moyen-âge.
« Amours et désirs », une heureuse incursion dans le moyen-âge des trouvères
En 1993, l’Ensemble musical allemand décidait de s’attaquer, à son tour, aux chants des trouvères, du XIIe siècle aux débuts du XIIIe. L’album avait pour titre « Amours & Désirs. Lieder der Trouvères » (chansons de trouvères). Comme son titre l’indique, plus que d’amour courtois, il y était question de couvrir le thème de l’amour et du désir, mais aussi de refléter l’effervescence créatrice de cette période dont nous avons déjà parlé ici. C’est un moment où l’art des troubadours trouve un terrain favorable en Oil, sous la plume des poètes du nord que le transposent et l’adaptent. C’est encore le siècle de floraison des grandes universités.
Avec 15 pièces au total, l’album nous gratifie de chansons de Colin Muset, Moniot d’Arras, Blondel de Nesle, Thibaut de Champagne, Jean Erart et contient même une pastourelle de Jehan Bodel. Un grand nombre de pièces puise aussi dans le répertoire anonyme des XIIe, XIIIe siècles entre chants de croisades, pastourelles, chansons de toile et encore quelques estampies. Ilest encore disponible en ligne au lien suivant : Amour & Desirs [Import anglais]
« Volez oïr la muse Muset ? »
dans la langue d’oil de Colin Muset
Là où la lyrique courtoise s’épanche plus souvent qu’à son tour du côté de la frustration, de l’attente et des désirs insatisfaits, Colin Muset nous entraîne ici dans la « réalisation ». Sur le fond pourtant, l’amour de référence dont il est question reste bien « courtois » et le trouvère s’y décrit, en tout cas, de manière conventionnelle, comme un amant loyal : « Je l’aim tant, De cuer loiaument ».
Au sujet de la « muse » dont il est question ici et qu’il se propose de nous faire entendre, le sens est un peu sujet à caution. La « musette » désignait en effet un instrument à vent ou une cornemuse mais comme le poète nous parle de vièle et d’archet, il semble qu’il faille entendre « muse » dans le sens médiéval de muser : « faire de la musique » (Dictionnaire Godefroy), autrement dit et dans le contexte, une chanson (1).
Le poète joue aussi de son sobriquet en faisant allusion à une composition qui lui est propre. Cette « muse » désigne ainsi une pièce de son cru, connue de l’époque et Colin Muset nous conte même ici l’histoire de cette chanson qui, nous dit-il, quand il la chanta à une demoiselle chère à son coeur, en un « vergier flori », lui permit de la séduire. En entendant les vers du trouvère, la demoiselle (« dancelle », « donzelle ») dont il est question lui aurait donc cédé bien volontiers et avec force baisers, mais aussi (et cela semble pour lui et comme toujours d’égale importance) en le régalant de « bons morceaux » et de vin à profusion. La poésie s’épanche ainsi en de joyeuses ripailles copieusement arrosées à la célébration de ce moment.
Volez oïr la muse Muset ? En mai fu fête, un matinet, En un vergier flori, verdet, Au point du jour, Ou chantoient cil oiselet Par grant baudor,* (gaiété) Et j’alai fere un chapelet* (couronne de fleurs) En la verdor. Je le fis bel et cointe et net Et plain de flor. Une dancele* (demoiselle) Avenant et mult bêle, Gente pucele, Bouchete riant, Qui me rapele : « Vien ça, si vïele Ta muse en chantant Tant mignotement. »
J’alai a li el praelet* (prairie, petit pré) Atout la vïele et l’archet, Si li ai chanté le muset Par grant amour : « J’ai mis mon cuer en si bon cuer Espris d’amors… », Et quant je vi son chief blondet Et sa color Et son gent cors amoreusct Et si d’ator, Mon cuer sautele Pour la damoisele ; Mult renouvelé Ma joie souvent. Ele ot gounele De drap de Castele Qui restencele. Douz Deus, je l’aim tant De cuer loiaument !
Quant j’oi devant li vïelé Pour avoir s’amour et son gré, Elle m’a bien guerredoné* (récompensé) Soe merci, D’un besier a ma volenté, Deus ! que j’aim si ! Et autre chose m’a donné Com son ami, Que j ‘a voie tant desirré : Or m’est meri ! Plus sui en joie Que je ne soloie, Quant celé est moie Que je tant désir ; Je n’en prendroie N’avoir ne mounoie ; Pour riens que voie Ne m’en qier partir ; Ançois vueil morir.
Or a Colin Muset musé Et s’a a devise chanté Pour la bêle au vis* (visage) coloré, De cuer joli. Maint bon morsel li a doné Et départi Et de bon vin fort a son gré, Gel vous affi. Ensi a son siècle mené Jusques ici. Oncor* (encore) dognoie, En chantant maine joie, Mult se cointoie, Qu’Amors veut servir, Si a grant joie El vergier ou dognoie, Bien se conroie, Bon vin fet venir Trestout a loisir.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com. A la découverte du Moyen-Age sous toutes ses formes.
(1) Les chansons de Colin Muset, par Joseph Bédier, Ed. Honoré Champion(1938)
Sujet : musique, chanson médiévale, poésie médiévale, vieux français, trouvères d’Arras, rondeau, chansons polyphoniques, amour courtois, loyal amant, rondeau. Période : moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur : Adam de la Halle (1235-1285) Titre :Tant con je vivrai Interprètes : TENET Média : concert donné à l’église Saint-Malachie de New-York, en 2015 (extrait)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous revenons sur les trouvères du nord de la France, et notamment d’Arras, avec le célèbre Adam de la Halle et une de ses chansons d’amour courtois. C’est un rondeau polyphonique à trois voix, comme le poète et artiste médiéval en laissa un certain nombre (dix-sept). Son interprétation nous entraîne du côté des Etats-Unis avec une formation du nom de Tenet, originaire de New York,que nous aurons ainsi l’occasion de vous présenter.
Tan con je vivrai, par l’ensemble TENET
Tenet, de la france médiévale des XIIIe, XIVe, aux Etats-unis du XXIe
Fondé en 2009 par la chanteuse soprano Jolle Greenleaf, l’ensemble New-yorkais TENET couvre une longue période musicale qui, partant du moyen-âge, va jusqu’à la renaissance et la période baroque et s’étend même jusqu’à des œuvres classiques plus récentes. Puisant à la source du répertoire profane ou liturgique, on peut retrouver la formation sur des œuvres variées : Claudio Monteverdi, Michael Praetorius, Guillaume de Machaut, etc…, et nous sommes donc avec elle dans le champ des musiques anciennes (Early Music) au sens large.
En 2015-2016, TENET se proposait de faire une incursion dans la France du moyen-âge et des trouvères, pour explorer « l’avant-garde de la musique médiévale » avec des pièces en provenance des XIIe au XIIIe siècles. C’est dans ce cadre que la formation présentait la belle interprétation du rondeau Tant con je vivraidu trouvère Adam de la Halle. On peut la retrouver sur leur chaîne youtube sur laquelle ils partagent très généreusement nombre de leurs travaux.
A l’occasion de ce programme « Song of trouvères », l’ensemble recevait aussi Robert Mealy, directeur d’orchestre, musicien, violoniste baroque et joueur de vièle et encore professeur dans le domaine des musiques historiques à l’Université de Yale. Fondateur par ailleurs de l’orchestre de musique baroque d’Harvard en 2004, cet artiste très renommé outre-Atlantique a également été primé par un Awards dans le champ de l’enseignement des musiques anciennes.
Du point de vue de l’actualité de TENET, le programme réadapté et rebaptisé « the Sounds of time : medieval music from France » fait toujours partie de la large palette de concerts que ces artistes accomplis proposent au public américain de la région de New-York mais aussi au delà, en Amérique latine et, bien que plus rarement, en Europe.
Léger et court, comme il se doit pour un rondeau, la chanson du jour, bien qu’en vieux français, ne présente pas de difficultés particulières de compréhension. En bon loyal amant, le poète y prend un engagement amoureux envers sa dame et lui fait la promesse de se dédier tout entier à la servir.
Partition et notations musicales tirées des Oeuvres complètes du trouvère Adam de la Halle: poésies et musique, par Charles Edmond Henri de Coussemaker, 1872
Tant con je vivrai N’aimerai Autrui que vous. Ja n’en partirai, Tant con je vivrai. Ains vous servirai Loiaument mis m’i sui tous. Tant con je vivrai N’aimerai Autrui que vous.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen-Age sous toutes ses formes.
Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, vieux-français, langue d’oil, fine amor. Période : XIIe, XIIIe, moyen-âge central Titre: Onques maiz nus hom ne chanta Auteur : Blondel de Nesle Interprète : Ensemble Sequentia Album: Trouvères :Höfische Liebeslieder Aus Nordfrankreich (chants d’amour courtois des pays de langue d’Oil) (1987)
Bonjour à tous,
près avoir étudié de près les éléments biographiques en notre possession sur le trouvère Blondel de Nesle, voici donc une de ses chansons. Elle est interprétée par le groupe Sequentia dans un album tout entier dédié au Chansons d’amour courtois des trouvères du nord de France. Nous profiterons de cet article pour faire un large crochet pour vous présenter cette belle formation médiévale, son directeur artistique et le double album dont ce titre est issu.
Concernant la chanson de Blondel de Nesle présentée ici, le thème est clairement inspiré de la lyrique courtoise des troubadours d’oc. Comme nous le disions dans notre article précédent, avec Gace Brûlé et quelques autres trouvères de la même période (Conon de Bethune, le Châtelain de Couci), Blondel de Nesle fait partie de ce mouvement d’artistes du nord de la France qui transposèrent la poésie et le fine amor d’oc en langue d’oil. Comme un certain nombre d’entre eux fréquentèrent la cour de Marie de Champagne, nul doute qu’ils eurent de l’influence sur le petit fils de cette dernière, celui qui allait devenir Thibaut le Chansonnier ou Thibaut de Champagne et qui n’était encore qu’un enfant en ces débuts de XIIIe siècle.
La fine amor en langue d’oil de Blondel de Nesle par L’ensemble séquentia
L’Ensemble Sequentia
Voila encore un bel ensemble spécialisé dans le répertoire médiéval qui s’est formé au sein de la très renommée école suisse Schola Cantorum Basiliensis toute entière dédiée aux musiques anciennes.
Fondé en 1975 par Benjamin Bagby et Barbara Thornton alors étudiants à l’école sus-nommée, Sequentia évolua dans ce cadre, pour se produire pour la première fois professionnellement en 1977. Comme de nombreux ensembles dans le domaine des musiques anciennes, la formation était à géométrie variable. Au fil de son parcours et en fonction des oeuvres abordées, elle a su s’entourer ou s’enrichir de collaborations artistiques externes.
Depuis sa création, il y a plus de quarante ans, l’ensemble a gratifié le monde de la musique ancienne de près de 40 albums dont une dizaine en collaboration avec d’autres formations. Avec un nombre important de récompenses et de prix, il s’est définitivement affirmé comme un des acteurs avec lequel il faut compter quand on s’intéresse de près au répertoire musical du moyen-âge.
Après la disparition prématurée de Barbara Thornton en 1998, Benjamin Bagby s’est retrouvé seul à porter la direction artistique de Sequentia. La formation a ainsi poursuivi son exploration du monde médiéval musical jusqu’à aujourd’hui. Aux dernières nouvelles et dans le courant 2016-2017, elle se produisait toujours sous la forme d’un trio, autour d’un programme dédié aux moines du moyen-âge « chantant des chants profanes et même païens » (« monks singing pagans« , du IXe au XIIe siècle). Du côté des albums et sauf erreur de notre part, le dernier en date est de 2013 mais au vue de l’activité de l’ensemble, il faut s’attendre à en voir sortir de nouveau.
Pour en savoir plus sur Sequentia, le site web très complet est ici. Il est pour l’instant en langue anglaise (sa version française est prévue mais n’est pas encore en ligne). Au delà des informations que vous pourrez y trouver sur l’ensemble médiéval, il est aussi la vitrine des concerts et contributions de son très actif fondateur et directeur artistique Benjamin Bagby dont nous voulons dire un mot de plus ici.
Portrait de Benjamin Bagby, co-fondateur et directeur artistique de Sequentia.
Musicien, harpiste, chanteur baryton et directeur artistique, Benjamin Bagby est un artiste accompli et largement reconnu sur la scène des musiques médiévales et anciennes. Son travail et ses nombreuses contributions dans le domaine ont d’ailleurs été salués par un Rema Early Music Award en 2016.
Enseignement et transmission
Au nombre de ses activités, la transmission par l’enseignement compte au moins autant pour lui que les arts de la scène et le travail de restitution. Il a notamment enseigné longtemps dans le cadre du prestigieux programme sur la pratique des musiques médiévales, proposé par l’Université de Paris Sorbonne. Toujours très actif dans le domaine pédagogique, en 2017 et 2018, il est intervenu et intervient encore dans le cadre de divers ateliers, universités ou institutions en Allemagne, Espagne, Italie, Suisse et aux Etats-Unis, et auprès d’artistes désireux de se spécialiser dans le domaine des musiques et des chants en provenance du moyen-âge.
Ethnomusicologie et passion de la restitution
Sur la partie ethnomusicologie et restitution, on saluera ici l’originalité et la ferveur aussi que peut mettre Benjamin Bagby à explorer des territoires musicaux laissés totalement vierges jusque là. Tout cela bien sûr au moyen d’une étude scrupuleuse et originale des manuscrits. Entre autres exemples, il a été notamment un des rares à avoir proposé, en 2015-2016 et dans le cadre de Sequentia, un programme sur la musique carolingienne des débuts du moyen-âge central et du VIIIe au Xe siècle (« Frankish Phantoms », « Fantômes francs »). Il est également occupé, depuis quelques années, sur un projet autour des « chants ou chansons perdus » (« The Lost Songs Project ») et visant à restituer quelques traditions orales et musicales perdues ou oubliées de l’Europe médiévale : Islande, Irlande, Allemagne, etc…
Dans ce cadre et du point de vue de son actualité personnelle, on notera que depuis quelques temps déjà, il propose sur scène, accompagné de sa seule harpe, un spectacle autour de la légendaire poésie antique Beowulf. Un site web complet a même été dédié à ce spectacle (bagbybeowulf.com) que l’artiste a déjà eu l’occasion de jouer devant les publics les plus variés sur la scène internationale (Etats-Unis, France, Hollande, Russie, …). A suivre de près l’itinéraire de ce grand passionné de musique et de moyen-âge, on comprend mieux la déclaration qu’il fit en 2016, après avoir reçu son Rema Award dans le domaine des musiques anciennes ;
« I want to make voices of the past come to life again. To be recognized for this work is a great honor. »(« Je veux faire revivre les voix du passé. Etre reconnu pour ce travail est un immense honneur ») Benjamin Bagby – Rema Early Music Award 2016
Nul doute qu’il met toute son énergie et son talent à faire de cette volonté une réalité.
Une anthologie des trouvères : chants d’amour courtois des pays de langue d’oïl
L’album auquel nous empruntons la chanson de Blondel de Nesle est issu de la première période de l’Ensemble Sequentia. En réalité, il se présentait dans sa première édition de 1984 sous la forme de trois albums, mais lors de sa réédition en 1987, quelques coupes franches furent faites par rapport à l’édition originale et il fut finalement distribué sous la forme d’un double album.
Comme de nombreuses productions de l’ensemble, il fut distribué par Deustche Harmonia Mundi ce qui explique son titre original allemand : « Trouvères,Höfische Liebeslieder Aus Nordfrankreich », retraduit « Trouvères, chansons d’amour courtois des pays de Langues d’Oil », depuis sa réédition française par Sony Music. Si le titre allemand pouvait de prime abord dérouter, il n’y a dans ce double album que des pièces provenant du répertoire médiéval français de la fin du XIIe à la fin du XIIIe siècle (1175/1300) et toutes les chansons qu’on y trouve sont en langue d’oil, comme le titre « Trouvères » le suggérait clairement.
Il contient 43 titres et alterne pièces vocales – rondeau, ballades, motets, chansons de toile et de trouvères – avec des pièces instrumentales datant de la même période. On y retrouvera des pièces de Blondel de Nesle, mais aussi de Gace Brûlé, Conon de Bethune (une seule pour chacun d’entre eux) et en nombre plus conséquent des chansons de Jeannot de L’Escurel, Adam de la Halle, Petrus de Cruce, et encore de nombreuses pièces demeurées anonymes.
Depuis sa première parution, le succès de cette excellente production de l’Ensemble Sequentia a favorisé plusieurs ré-édition et on le trouve toujours disponible en ligne sous forme CDs et même sous forme dématérialisée. Comme toujours, la mise a disposition du format MP3 offre la liberté de pouvoir acquérir des pièces choisies, mais aussi l’avantage de pouvoir en écouter des extraits. A toutes fins utiles, voici le lien vers les deux formats : Trouvères : Chants D’Amour Courtois Des Pays De Lanque D’Oïl
« Onques maiz nus hom ne chanta »
chanson médiévale de Blondel de Nesle
Nous sommes dans le registre de la Fine amor. Le poète se tient dans l’attente d’un signe de la dame que son coeur a élu. Dans le cas précis, il semble que cette dernière ne soit pas déjà prise mais le sentiment n’est pas pour autant réciproque et le trouvère se tient, languissant et plein d’appréhension, espérant qu’elle lui concède son amour.
Il n’y a de meilleur « fine amant » que lui. Il est plus irrité qu’il ne le montre, mais si elle se refuse à lui ou le rejette (occire), jamais elle ne pourra trouver homme qui l’aime autant que lui, aussi qu’elle ait une plus grande pitié de lui qui se tient là, languissant. Elle n’a jamais aimé personne, il ne l’en aime que plus pour cela, mais il prie Dieu que, si c’est le cas, cet amour lui soit réservé.
Son doux visage rieur le plonge dans la confusion. Il n’ose la regarder tant il craint de ne pouvoir ensuite détacher ses yeux d’elle. Elle est si belle qu’on a d’autres choix que de la servir. Elle a encore tant de qualités qu’on ne pourrait les décrire sans en oublier et il ne peut lui que languir en espérant qu’elle lui prête attention et se souvienne de lui.
Onques maiz nus hom ne chanta En la maniere que je chant, Ne ja maiz nus ne chantera, Pluz ait d’ire, a mains de samblant. Et quant ma dame ocis m’avra, Sachiez de voir – a li m’en vant- Que ja maiz nul n’en trouvera, Qui tant l’aint en tout son vivant. Merci deüst avoir pluz grant De moi, qui ci vois languissant.
Biaus sire dex, s’ele aime ja, Dounez que ce soit moi avant, Quar je sai bien c’onques n’ama, Pour c’en est mes cuers pluz en grant. Mout a envis i aprendra, Je m’en vois bien apercevant, Quant ele encore sentu* (de sentir participe passé) n’a Nus des mauz d’amer donc j’ai tant. Ses clers vis* (doux, clair visage), qu’ele a si rïant, Fait le mien mat, triste et pensant.
Li lons delais d’a li parler Me fait souvent taindre* (rougir) et palir. Quant g’i sui, ne l’os esguarder, Tant en dout mes ex* (yeux) a partir ; Tant i aimment le sejorneir Qu’il ne s’en sevent revenir, Ne je ne les en puis tourner Pour chastoier de mieuz couvrir, Quar ce dont on a grant desir Fait bien mesure tressaillir
Tant ait en li a recordeir* (me rappeler, me souvenir) Biauteit por c’on la doit servir : Se tuit cil ki seivent pairleir Voloient ces taiches* (qualités) gehir* (décrire, rapporter), Ne poroient il resconteir Ke en li deüst riens faillir, Fors tant k’il ne l’en veult membreir* (se rappeller) De son home, ne sovenir ; Ainçois me covandrait languir Tant com li vandrait a plaixir.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.