Archives par mot-clé : Anne Boleyn

Henri VIII, l’amour courtois et Barbe Bleue, citations oubliées

humour_medieval_joke_blague_histoire_henri_VIII_barbe_bleue_tudor_anne_boleyn_renaissance

Petit dialogue historique oublié:

Henri VIII:  « – Je peux vous parler en tête à tête? »
Anne Boleyn :  « – Oui, mon roi, un instant, je change de toilette et je suis tout à vous. »
Henri VIII : « – Non mais vous embêtez pas avec ça, j’ai vraiment besoin juste que d’votre tête en fait. »

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui,  au menu, nous vous proposons un peu d’humour noir, en forme de clin d’oeil à l’article que nous avons publié récemment sur la chanson Greensleeves. Conformément à une croyance assez répandue, nous y examinions, en effet, la possibilité que le roi Henri VIII d’Angleterre de la dynastie Tudor ait pu en être l’auteur, et nous y touchions aussi un mot de la vie sentimentale mouvementée de ce roi. Nous sommes à la toute fin du moyen-âge ou au début de la renaissance, et sous son règne assez long qui dura 38 ans, le souverain connut, en effet, six reines, dont deux qu’il fit décapiter: catherine_howard_henri_VIII_tudor_barbe_bleu_humour_noirla première Anne Boleyn (celle de l’illustration en tête d’article) est même devenue une figure de martyre pour les protestants. La seconde, Catherine Howard, fut exécuter également par décapitation, moins de deux ans après qu’elle eut été faite reine. (portrait ci-contre)

Pour cette dernière, tout aurait, en réalité, commencé bêtement par une altercation de couple, bénigne en apparence. La jeune reine serait, en effet, rentrée un soir, fourbue d’une journée passée à chevaucher son destrier, son secrétaire personnel ou un courtisan. L’Histoire hésite. Devant sa mine déconfite, le roi lui aurait alors dit:  « Ca va chérie? T’en fais une tête! » et tout serait parti de là.

ecailles_humour_noir_barbe_bleue_henri_VIIIOui oh! Je sais! De grâce, ne niez pas, je sens bien poindre les airs goguenards sous les barbes et les moustaches. On va encore me dire que les choses se sont passées autrement et  que c’est l’intrigue et l’adultère de Catherine Howard qui l’ont conduite à sa perte, et surement pas un simple querelle de couple « bébête » et somme toute bien banale, au sortir d’une journée tendue. Et bien, vous avez gagné, vous l’aurez voulu! Nous allons, une fois de plus, vous démontrer l’implacable véracité de nos dires en appelant à la rescousse notre correspondant sur le terrain, le grand, l’immense démystificateur de vérités historiques, j’ai nommé Gonthier Bernoix de la Tanche,  pour qu’il établisse, par le menu, la fiabilité de nos sources! Et puisque l’on nous raille et puisque l’on nous moque, nous nous effacerons même, en ne faisant que le citer pour laisser la vérité triompher et cingler de toute sa cinglantise. (je ne sais plus si l’on dit cinglantise ou cinglerie? Mais comme je suis un peu énervé, bon bref!)

De notre correspondant de terrain : Gonthier Bernoix De la Tanche

gonthier_bernoix_tanche_humour_medieval_chroniques_saint_louis_de_joinville« Mon cher Frédéric,

Merci de votre confiance sans cesse renouvelée et merci aussi pour vous tenir du côté de la vérité, la seule, en nous laissant une fois de plus la parole. Vous avez beau être seulement notre cousin par alliance du côté de l’arrière tante de notre oncle Euzèbe, qui n’est pas, hélas pour elle, une Bernoix De la Tanche, votre sagacité pourrait presque faire de vous, parfois, l’un des nôtres.

Pour le cas qui nous concerne aujourd’hui, soyons clairs. Autant certaines fois nous ne sommes pas totalement sûrs de nos sources, autant là, c’est, comme disent les grouillots, du béton armé. Pas la moindre place au doute! Cette révélation sur l’échange entre le roi Henri VIII nous provient, en effet, d’une source totalement irréfutable puisqu’il s’agit de Marinette C., vendeuse de poissons attitrée sur le Marché du boulevard Raspail, dans le sixième arrondissement. Depuis que nous la connaissions, la chère dame, dont la probité n’est plus à établir – ce que la grande majorité de sa clientèle (dont nous sommes) pourra vous confirmer – la chère dame, disais-je, ne cessait, à tout propos, de s’en référer à sa longue lignée familiale et poissonnière, à grands renforts de citations qu’elle parsemait invariablement de « comme disait mon grand-père » par ci, « comme disait mon pauvre aïeul », par là.

humour histoire
Marinette C, témoin de l’Histoire, Poissonnière du Marché Raspail a tenu à garder l’anonymat

C’est ainsi que nous en sommes venus bientôt à fonder la certitude que quelques précieuses vérités ecailles_humour_noir_barbe_bleue_henri_VIIIhistoriques se trouvaient assurément nichées là, prêtes à surgir, pour peu que nous nous donnions la peine de gratter un peu sous les écailles. Il  suffisait de remonter patiemment, tel le fringant saumon, le cours de cette mémoire familiale jusqu’à ses sources les plus reculées. Depuis des mois, nous cuisinions donc Marinette, à petit feu, tout en feignant de n’être qu’à nos emplettes et c’est ce dernier vendredi, sur le coup des midis, que tout advint. Après avoir levé nos deux filets de dorade et la main déjà plongée dans le panier de crevettes que nous nous proposions de servir en accompagnement, elle accoucha, enfin, devant nos yeux émus de l’incroyable vérité que sa famille avait su conserver durant plus de cinq siècles. Encore une fois, notre intuition ne nous avait pas trompé; la grande Histoire nous souriait. De l’aveu même de Madame Marinette, un de ses aïeuls, un certain Arnould C., surnommé mystérieusement la truite, avait, en effet, été écailler au château du roi Henri VIII quand l’incident était survenu en ce terrible mois de février 1542. Et ce n’est pas sans émotion que nous reportons ici les dires de cette témoin privilégiée de l’Histoire, sans en changer une virgule. Elle s’était, jusque là, tenue silencieuse, dans l’attente de rencontrer un chercheur véritable, digne de recueillir la vérité et elle venait de le trouver:

humour_medieval_joke_humour_noir_blague_historique_henri_VIII_barbe_bleue_tudor_catherine_howard_renaissance

-« Comment vous dites, M’sieur Gonfier? Henri VIII? Bin vous pensez! Dans la famille, on a encore gardé l’arête de sole avec laquelle il a failli s’étouffer un jour, le pauvre bougre. Enfin j’dis l’pauvre bougre mais c’était pas lui le plus à plaindre. Ce jour là, mon pauvre aïeul  a bien failli y laisser sa tête avec celle de la sole parce qu’attention c’était pas un mou du genou le Henri! Mais bon, l’aïeul, c’était un vif aussi. On l’surnommait pas la truite pour rien. Du coup, il a filé fissa en cuisine et il a pu sauver ses fesses. Bon par contre, après ça, toute sa vie, à chaque fois qu’il devait lever une sole, il avait les guitares qui jouaient des claquettes. C’est c’même soir d’ailleurs, après le deuxième service, en passant dans les couloirs et j’peux vous dire qu’i rasait les murs, qu’il a entendu le roi qui f’sait comme ça à la p’tite, J’dis la p’tite même si c’était la reine parce qu’i z’avaient quand même trente piges de différence. C’est pas rien. Bon bref, il lui a fait : « Ca va, chérie, t’en fais un tête? ». Et comme l’autre était pas du genre à s’laisser marcher sur les nageoires, elle lui a balancé direct dans la face « Cupez-vous donc plutôt d’votre arrière-train, mon bon roi. C’est pas tellement le jour d’me  brouter » Et de là, p’tit à p’tit, le ton serait monté et bon bin on connait la suite: comme à la NBA. Faute. Lancer franc, premier essai! Couick! La tête dans l’panier. Bonsoir M’sieurs dames… Henri VIII: 3 – Catherine Howard: 0. Pas de date prévue pour le match retour. »

barbe_bleu_humour_histoire_henri_VIII_catherine_howard_humour_noir

– Par contre une chose, vous savez, m’sieur Gonfier, nous on s’plaint des fois qu’on n’a pas la vie facile, mais du temps d’mon aieul Arnould, les couteaux à écailler c’était autre chose que maintenant. Croyez-moi quand i fallait s’farcir des bourriches d’huîtres au réveillon, ça brillait pas trop en cuisine. C’est plutôt de ça qui faudrait parler dans vos bouquins ou ch’ais pas quoi, ça oui ça intéresserait surement plus les gens que vos machins, Enfin, j’dis ça… Mais i veut vraiment pas humour_noir_histoire_henri_VIII_barbe_bleue_renaissance_fin_moyen-age_humour_medieval_historiqueune belle tête de lotte là? J’ui fait à 1 euro, tiens! Dans une soupe, ça, mon p’tit m’sieur, vous m’en direz des nouvelles. »

Inutile de vous préciser, mon cher ami, que sous le coup de l’émotion, je ne l’écoutais déjà plus. Conscient d’avoir été témoin d’un fait historique remarquable, Arnoud C, dit la truite, avait fait en sorte que l’histoire se transmettre et il avait même conservé l’arête qui avait manqué de changer le destin de l’Angleterre et celui de Catherine Howard. Je ne demanderais pas à la voir, pas encore. C’était trop tôt. Un chercheur doit aussi savoir ne pas brusquer les choses. Je me sentais grisé, heureux. Une fois de plus, nous avions visé juste. Pourquoi fallait-il toujours que l’Histoire nous choisisse? Je saluais la dame poissonnière d’un simple merci, du bout des lèvres. Les mots ne voulaient pas sortir, il faudrait du temps. Je prenais la tête de lotte presque machinalement et, avant de la mettre dans mon panier, je croisais son regard accusateur. Cinq siècles d’histoire nous contemplaient, je repensais à l’anecdote. Il y a bien des choses que j’aurais pu manger ce soir là, mais surement pas de la tête de lotte. »

Gonthier Bernoix de la tanche
« L’Histoire est toujours là ou on ne l’attend pas »

En guise de conclusion
Henri VIII et l’amour courtois?

Désormais, tout est clair. Comme nous vous l’avions annoncé, c’est édifiant. Quand Gonthier parle, il ne nous reste plus à nous, pauvres ignorants, que le silence comme refuge. Qu’ajouter de plus après cette démonstration implacable de méthodologie scientifique? Si, peut-être tout de même, qu’Henri VIII ne fit pas qu’empiler les conquêtes et décapiter des femmes. Qui sait, un jour, aurons-nous à aborder d’autres faits humour_noir_barbe_bleue_conte_perrault_henri_VIII_non_sense_chronique_humour_historiquequ’il laissa à la postérité? Comme tout bon psychopathe, peut-être a-t’il aussi pendu des chats? Je plaisante encore, pardon.

Sur le fond, les spécialistes semblent toutefois s’accorder sur le fait que nous ne serions pas avec Henri VIII, en présence d’une forme d’amour courtois, sauf à se laisser aller à des digressions orthographiques hasardeuses: courtois, court, écourté. Les historiens n’étant pas tellement portés sur les jeux de mots, ils n’ont, en tout cas, semble-t’il par retenu ce genre d’exercice, en les laissant aux pychologues qui pourront toujours gloser. Qui sait, il se peut même que quelques lacaniens s’entêtent, ce serait de circonstance.

Pour le reste, comme nous le mentionnons déjà dans l’article précédent,  on a émis l’hypothèse que le conte Barbe Bleue de Charles Perrault qu’on a pensé longtemps inspiré par le personnage de Gilles de Retz (sur lequel nous publierons bientôt un article), l’avait été, bien plus, en réalité par Henri VIII.  Les crimes du personnage de Barbe bleue étant bien plus semblables à ceux d’Henri VIII, ou ceux d’un Landru qu’à un pédophile sataniste, ce dont on a accusé Gilles de Retz et qu’il a confessé, c’est une hypothèse qui se tient. Et si comme nous, vous vous posez la question, cette fameuse question, cette question terrible: « peut-on rire de tout? », à laquelle il me semble qu’on n’est bien forcé de répondre en forme de question aussi: « Sans doute pas, mais  en même temps, peut-on rire de rien? »

Tout cela étant dit, nous vous souhaitons une belle journée!

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
« La maman des poissons elle est bien gentille, mais moi je la préfère avec du citron »  Bobby la Pointe

Greensleeves: une ballade folk traditionnelle anglaise du début de la renaissance

musique_ancienne_renaissance_medievale_viole_de_gambe_greensleeves_jordi_savalSujet : musique ancienne, folk, chanson traditionnelle anglaise, version musicale
Période : XVIe, début  de la renaissance, toute fin du moyen-âge
Titre : Lady Greensleeves, Greensleeves to a Ground, Greensleeves
Groupe : Hespèrion XXI, Jordi Savall,
Album : Ostinato (2001)  AliaVox

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons un peu de la grâce absolue de Jordi Savall et de sa formation Hespèrion XXI, au service d’une  chanson anglaise mythique de la toute fin du moyen-âge et même du début de la renaissance, qui a pour titre  Lady Greensleeves, mais que l’on retrouve encore souvent sous le simple titre de Greensleeves.

La superbe adaptation musicale de Lady Greensleeves par Jordi Savall

musique_ancienne_moyen-age_renaissance_jordi_saval_hisperion_XXI_greensleeves_musique_traditionnelle_anglaise_folk

Pardonnez-nous si nous avons l’air d’insister avec Jordi Savall et sa formation Hespérion XXI, mais c’est qu’en dehors du grand travail de recherches historiques et d’interprétation effectué, en amont de chaque album, pour restituer des joyaux et des trésors de musique ancienne,  le toucher et le son lady_greensleeves_jordi_savall_musique_ancienne_moyen-age_renaissance_folk_anglais_anthologiede du maître de musique catalan sont tellement uniques qu’il ne nous laisse d’autres choix. Au vu du nombre d’interprétations que l’on trouve de cette extrêmement populaire Lady GreenSleeves, nous aurons sans doute l’occasion d’en partager d’autres versions, mais pour l’instant place à Hespérion XXI!

Pour parler un peu de l’album Ostinato (Obstiné en Italien) dans lequel on peut retrouver cette version unique de Greensleeves, son titre contient tout entier son objet. A travers plus de 150 ans d’histoire de la musique ancienne et européenne, Hesperion XXI y explore, en effet, des morceaux choisis qui font appel à ce que l’on appelle la basse « obstinée » ou basse « contrainte ». Connu encore sous le nom d’Ostinato, ce procédé de composition consiste à répéter une mesure de 4 à 8 temps tout au long d’une pièce avec des variations et improvisations autour. Au XVIe siècle, il deviendra caractéristique de certaines danses italiennes telle que la romanesca ou la passamezzo.

Les paroles et la légende de Greensleeves

musique_chanson_ancienne_renaissance_histoire_folk_anglais_greensleeves

Même si cette pièce  est au départ une chanson, elle a été reprise un nombre incalculable de fois, depuis  des siècles, sous sa forme uniquement instrumentale. C’est d’ailleurs cette dernière forme que nous avons choisi aujourd’hui pour vous la présenter, mais nous en profitons tout de même pour aborder également les paroles qu’on lui connait et aussi les traduire.

Du point de vue de l’histoire, la chanson conte les déboires d’un amant rejeté par sa belle, une demoiselle du nom de « lady Greensleeves ». L’amour a visiblement été consommé entre les deux amants mais l’homme en est encore « captif » et ne se résout pas à la séparation. Il implore sa maîtresse de revenir l’aimer encore une fois, lui rappelant même toutes les attentions qu’il a eu pour elle, mais aussi tous les beaux cadeaux qu’il lui fit, du temps de leurs élans conjoints. Ceci pourrait paraître quelque peu indélicat, dit comme cela, quoiqu’en le traduisant dans sa version originale et complète, je me sois franchement demandé à plusieurs reprises si la longue liste qu’il fait de ses achats pour elle, qui pourrait presque paraître pathétique tant elle est détaillée, est faite sous l’effet du désespoir ou si le détail et la répétition ne cherchent pas finalement à ménager un effet humoristique. Par certains endroits, l’homme me fait un peu penser au Arnolphe de l’école des femmes de Molière, bien que greensleeves_musique_ancienne_folk_renaissance_angleterre_paroles_histoire_legendes_Alessandro_ Alloririen dans le texte ne laisse supposer une telle différence d’âge entre lui et cette Lady Greensleeves. Une chose est sûre, même si sa complainte reste finalement très matérialiste et peu « relationnelle », à sa façon, le pauvre bougre n’a  ménagé ni sa peine, ni ses deniers pour se faire aimer de la belle. (ci-dessus peinture de Alessandro Allori, peintre italien de la renaissance, contemporain de la chanson, XVIe siècle)

Au vue des détails qu’il donne, il apparaît d’ailleurs comme un homme relativement riche et puissant puisque, entre autre bijoux et habits précieux, il avait même mis au service de la demoiselle des « hommes tous vêtus de vert » pour s’assurer qu’elle ne manque de rien; il parle aussi de ses terres. On n’est donc pas du tout face à un trouvère désargenté de type Rutebeuf ou Villon. Quoiqu’il en soit, malgré toutes ses belles attentions, il semble bien que la rupture ait été consommée; la demoiselle a fermé sa porte et l’amant transi n’a plus que sa plume, sa longue liste de reproches et sa chanson pour se consoler. Qui eut pu dire alors que cette dernière traverserait les siècles et connaîtrait la renommée incroyable qui fut la sienne durant plus de quatre cents ans et jusqu’à nos jours?

Sur le nom de la Demoiselle : GreenSleeves, que nous pourrions traduire littéralement par « Manches Vertes », même si cela sonne affreusement mal, ou par « Vertemanches » ce qui sonne légèrement mieux, on trouve quelques analyses à la ronde que je ne fais ici que mentionner sans avoir le moyen de les accréditer. L’une d’elle avance que la couleur verte était alors le symbole de la « légèreté » en amour, dans le sens d’amours « volages » ou même de l’amour naissant.

prostitué_et_paysan_prostitution_renaissance_fin_moyen-age_lucas_maler_CranachDans la même veine et au vue de la tournure de l’ensemble du texte, certains auteurs anglais avancent même que cette jeune maîtresse aurait pu être une fille légère, voir même une prostituée. Cela est générale-ment étayé par le fait qu’à la fin du XVIIe siècle, en anglais archaïque, l’expression « green gown » désignait une robe devenue verte après que sa propriétaire se soit roulée dans l’herbe et, du même coup, une perte de la virginité « de manière illicite », entendez « hors mariage ». Comme à aucun moment, l’homme ne parle de prendre la belle en épousailles ou d’un quelconque désir d’officialiser cette relation, l’hypothèse s’est étendue sur le fait que la demoiselle pouvait être une maîtresse intéressée, voire une prostituée. En tout état de cause, rien de tout cela ne peut être vérifié et d’ailleurs si c’était le cas, ce serait aussi étrange que cocasse, puisque la chanson a connu, dans ses nombreuses variantes, une adaptation en chant de noël à partir de la fin du XVIIe siècle ( ci-dessus « le paysan et la prostituée », toile de Lucas Maler, dit Lucas Cranach l’Ancien, peintre allemand de ce même XVIe siècle).

Le roi Henri VIII d’Angleterre,
auteur-compositeur de Greensleeves?

greensleeves_parole_histoire_chanson_folk_ancienne_anglaise_renaissance_anne_Boleyn_henri_VIIIUne « légende » raconte que Lady Greensleeves aurait été écrite autour de 1530 par Henri VIII d’Angleterre pour Anne Boleyn (portrait ci-contre) qui était alors sa maîtresse mais deviendrait bientôt, pour un temps, la reine consort d’Angleterre. Anne Boleyn aurait, à un moment donné, rejeté le roi, avant de changer d’avis et l’amant, autant que l’auteur de la chanson, serait donc, dans cette hypothèse, le roi lui-même. Si c’était bien le cas, la belle aurait été mal inspirée de changer d’avis et aurait mieux fait de tenir la position, puisqu’elle finira exécutée et décapitée pour adultère, inceste et haute trahison sur ordre personnel d’Henri VIII; autant de crimes dont l’Histoire semble l’avoir lavé depuis à quelques avis d’historiens prés. Elle est même devenue d’ailleurs une des figures martyres du protestantisme. Les historiens penchent entre un complot visant à éliminer la reine ou une claire volonté d’Henri VIII de le faire parce que cette dernière ne lui donnait pas d’héritiers mâles.

Pour la petite histoire, il faut tout de même se souvenir que Anne Boleyn ne fut pas la seule de ses épouses que ce roi, à la vie maritale et sentimentale, riche en péripéties et en « rebondissements » dramatiques, fit exécuter, au point qu’on lui prête même d’avoir été le véritable personnage ayant inspiré le conte de Perrault Barbe Bleue, bien plus que Gilles de Retz.

Pour revenir à Greensleeves, et dans une autre version de l’histoire on allègue, en relation avec l’hypothèse soulevée plus haut que cette Lady Greensleeves aurait plutôt été une prostituée et non la future reine d’Angleterre.  En réalité, aucun document ne permet d’étayer, historiquement, ni l’une ni l’autre de ces versions.

L’histoire de Greensleeves et les faits connus

On sait de source sûre que cette pièce, dont l’auteur et le compositeur sont demeurés anonymes à ce jour, est mentionnée, pour la première fois sous le règne dynastique de la maison Tudor, dans le registre de la compagnie des papetiers et éditeurs de presse de Londres ». En 1580, un dénommé Richard Jones l’a, en effet, faite enregistrer, en vue de sa publication. Dans les deux années qui suivront, on la retrouvera mentionnée sept fois dans ce même registre, sous des titres variés autour de « Lady Greensleeves » et sous le nom d’éditeurs ou d’imprimeurs divers.  Même si cela ne permet toujours pas de dater sa composition, il est indéniable qu’elle est déjà alors « officiellement » devenue extrêmement populaire comme elle l’est restée d’ailleurs depuis. En 1602, Shakespeare y fera même allusion dans une de ses comédies: « Les Joyeuses Commères de Windsor » (The Merry Wives of Windsor).

C’est en 1584 que les paroles de Greensleeves apparaissent pour la première fois dans un document écrit traçable, quant à sa musique, on la retrouve dans divers livres datant de la même période: le premier étant celui connu sous le nom de « William Ballet Lute Book«  date de 1590 et présente une partition pour luth de la chanson. Elle apparaîtra également en 1595 dans un manuscrit hollandais de Luth, le « Het Luitboek van Thysius », rédigé par un certain Adriaen Smout de Rotterdam et on la retrouvera, au fil du temps, dans de nombreux autres ouvrages.

musique_ancienne_anglaise_folk_moyen-age_tardif_debut_renaissance_greensleeve_port_amsterdam_jacques_brelSi l’on en connait pas l’auteur, le style et la composition laissent plutôt supposer que les origines de Greensleeves, ou au moins de son inspiration musicale, seraient sans doute plutôt à rechercher du côté du Passamezzo, danse de la renaissance Italienne dont nous parlions déjà plus haut, ou même de la Pavane espagnole, danse de cour lente de la même époque. Autre fait à relever concernant cette mélodie anglaise célèbre, et qui n’a pas trait à ses origines, mais plutôt à sa popularité, en tendant un peu d’oreille, vous aurez certainement noté que la célèbre chanson du grand Jacques Brel « Le port d’Amsterdam » s’en est aussi clairement inspirée.

Les paroles anglaises de Greensleeves

Il en existe de nombreuses variantes remaniées, rallongées, au besoin pour être converties, nous l’avons mentionné plus haut, en chant de noël mais Lady Greensleeves fut aussi adaptée au XVIIe siècle par ceux que l’on dénommait alors « les cavaliers » et qui étaient les troupes royales au service du roi Charles 1er, durant la guerre civile anglaise (1642–1651). On lui connait depuis des myriades de versions: jazz, folk, rock ou même variétés, de John Coltrane à Elvis Presley en passant par Léonard Cohen, Marianne Faithfull, Neil Young, Jethro Tull et même plus récemment Hélène Segara.

Les paroles anglaises que nous donnons ici proviennent de l’époque des Tudors. Nous les avons traduites et adaptées librement. Je précise que j’ai finalement consenti à traduire Greensleeves par Vertemanche en vous laissant libre d’utiliser le nom original, si vous le préférez. Mais, allons, assez parlé, en piste!


The Chorus / le Refrain

Greensleeues was all my ioy,
Greensleeues was my delight:
Greensleeues was my hart of gold,
And who but Ladie Greensleeues.

Vertemanche était toute ma joie
Vertemanche était tout mon plaisir
Vertemanche était mon coeur d’or
Et qui d’autre que demoiselle Vertemanche

The Verses / les paroles

Alas my loue, ye do me wrong,
to cast me off discurteously:
And I haue loued you so long
Delighting in your companie.

Hélas, mon amour, mon amour, vous me faites du mal
De me rejeter ainsi sans courtoisie
Car je vous ai aimé bien et longtemps
Prenant plaisir en votre compagnie

Chorus/Refrain

I haue been readie at your hand,
to grant what euer you would craue.
I haue both waged life and land,
your loue and good will for to haue.

Je me suis tenu près de votre main
Pour satisfaire tous vos désirs
J’ai gagé  mes terres et ma vie
Pour gagner votre amour et votre bienveillance

Chorus/Refrain

I bought three kerchers to thy head,
that were wrought fine and gallantly:
I kept thee both boord and bed,
Which cost my purse wel fauouredly,

Je t’ai acheté trois fichus
De fine étoffe et galante
Je t’ai gardé près de moi et dans mon lit
Ce qui a bien vidé ma bourse

Chorus/Refrain

I bought thee peticotes of the best,
the cloth so fine as might be:
I gaue thee iewels for thy chest,
and all this cost I spent on thee.

Je t’ai acheté trois jupons
Du meilleur et plus fin tissu
Et trois bijoux pour ton giron
Et tous ces frais c’était pour toi

Chorus/Refrain

Thy smock of silk, both faire and white,
with gold embrodered gorgeously:
Thy peticote of Sendall right:
and thus I bought thee gladly.

Ta chemise de soie, pure et blanche
Magnifiquement brodée d’or
Ton foulard de soie légère
Et tout ça acheté de bonne grâce

Chorus/Refrain

Thy girdle of gold so red,
with pearles bedecked sumptuously:
The like no other lasses had,
and yet thou wouldst not loue me,

Ta ceinture d’or si rouge
ornée de perles somptueuses
Du genre qu’aucune fille n’avait 
Et pourtant, tu n’as pas voulu m’aimer.

Chorus/Refrain

Thy purse and eke thy gay guilt kniues,
thy pincase gallant to the eie:
No better wore the Burgesse wiues,
and yet thou wouldst not loue me.

Ta bourse et tes jolis poignards
Ta boîte à épingles si belle au regard
De meilleur, n’avait  femme bourgeoise
Et avec tout ça, tu n’as pas voulu m’aimer.

Chorus/Refrain

Thy crimson stockings all of silk,
with golde all wrought aboue the knee,
Thy pumps as white as was the milk,
and yet thou wouldst not loue me.

Tes bas pourpres, tous de soie
Brodés d’or au dessus du genou
Tes escarpins  immaculés, aussi blancs qu’était le lait
Et pourtant, tu n’as pas voulu m’aimer.

Chorus/Refrain

Thy gown was of the grossie green,
thy sleeues of Satten hanging by:
Which made thee be our haruest Queen,
and yet thou wouldst not loue me.

Ta robe était du vert des prés
tes manches de Satin tombantes,
Qui faisait de toi notre reine des moissons
Et avec tout ça, tu n’as pas voulu m’aimer.

Chorus/Refrain

Thy garters fringed with the golde,
And siluer aglets hanging by,
Which made thee blithe for to beholde,
And yet thou wouldst not loue me.

Tes jarretières frangées d’or
aux aiguillettes d’argent pendantes,
Dont la vue t’avait tant ravi 

Et pourtant, tu n’as pas voulu m’aimer.

Chorus/Refrain

My gayest gelding I thee gaue,
To ride where euer liked thee,
No Ladie euer was so braue,
And yet thou wouldst not loue me.

Mon vaillant hongre je t’ai donné
Pour le mener où tu voudrais
Nulle fille n’eut jamais ton audace
Et avec tout ça, tu n’as pas voulu m’aimer.

Chorus/Refrain

My men were clothed all in green,
And they did euer wait on thee:
Al this was gallant to be seen,
and yet thou wouldst not loue me.

Mes hommes tous vêtus de vert
Toujours prévenants avec toi
Quel beau tableau cela faisait
Et pourtant, tu n’as pas voulu m’aimer.

Chorus/Refrain

They set thee vp, they took thee downe,
they serued thee with humilitie,
Thy foote might not once touch the ground,
and yet thou wouldst not loue me.

Ils t’aidaient à le monter et t’en faisaient descendre
Ils te servaient avec tant d’humilité,
Pas une seule fois, je crois, tu n’eus à toucher le sol de ton pied
Et avec tout ça, tu n’as pas voulu m’aimer.

Chorus/Refrain

For euerie morning when thou rose,
I sent thee dainties orderly:
To cheare thy stomack from all woes,
and yet thou wouldst not loue me.

Et chaque matin quand tu t’éveillais
Je te faisais porter de délicieux mets
Pour prévenir ton estomac de tous maux
Et pourtant, tu n’as pas voulu m’aimer.

Chorus/Refrain

Thou couldst desire no earthly thing.
But stil thou hadst it readily:
Thy musicke still to play and sing,
And yet thou wouldst not loue me.

Tu ne pouvais désirer aucune chose terrestre
Sans l’obtenir sur l’instant 
Tes musiciens toujours prêts à jouer et à chanter
Et pourtant, tu n’as pas voulu m’aimer.

Chorus/Refrain

And who did pay for all this geare,
that thou didst spend when pleased thee?
Euen I that am reiected here,
and thou disdainst to loue me.

Et qui paya pour tout ce faste
Que tu dépensas à ta guise
Jusqu’à moi qui suis, là, rejeté
et toi qui dédaignas aimer

Chorus/Refrain

Wel, I wil pray to God on hie,
that thou my constancie maist see:
And that yet once before I die,
thou wilt vouchsafe to loue me.

Bien, je vais prier Dieu sur le champ
Pour que tu vois tous mes efforts
Et qu’une fois avant ma mort
Tu daignes consentir à m’aimer

Chorus/Refrain

Greensleeues now farewel adue,
God I pray to prosper thee:
For I am stil thy louer true,
come once againe and loue me.

Vertemanche, maintenant, farewell, adieu
Je prie Dieu pour que tu prospères
Car je suis toujours ton amant sincère
Reviens m’aimer une fois encore.


Chorus/Refrain

Une très belle journée à tous
Fréderic EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.