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La Grièche d’hiver, une poésie d’anthologie de Rutebeuf sur ses misères au jeu

pauvre_rutebeuf_poesie_medievale_occitan_joan_pau_verdierSujet  : poésie médiévale, poésie réaliste,  trouvère, vieux français, langue d’oil, adaptation, traduction, jeux   de dés,  grièche
Période  : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur :   Rutebeuf (1230-1285?)
Titre  : Ci encoumence li diz de la Griesche D’Yver

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous repartons, aujourd’hui, pour le XIIIe siècle avec une nouvelle complainte du « Pauvre Rutebeuf« . Pauvreté, misère et, cette fois, jeux d’argent, on reconnaîtra sans peine, dans  les lignes du trouvère,  la source directe d’inspiration de certains vers de la chanson de Léo Ferré, à son sujet. A la fin des années 50, l’indomptable anarchiste avait, en effet, remis le poète médiéval et ses infortunes au goût du jour.  La chanson fut maintes fois reprise, et même jusqu’à l’étranger ; elle redonna une popularité toute fraîche, et un peu inattendue, à l’auteur du Moyen Âge central (voir article).

Sur la Grièche d’Hiver

Ci encoumence li diz de la Griesche D’Yver (ou, plus  La Grièche d’Hiver) est un texte d’anthologie de Rutebeuf, sans doute un de ses plus connus. Dans une certaine mesure, on peut se demander si cette poésie ne pourrait même être une clef pour expliquer les misères dont  le trouvère ne cesse de nous parler. Affligé, sans le sou, il se montre en déroute dans nombre de ses textes, même si, entre ses lignes, on détecte, tout de même, la marque d’une classe sociale qui n’est pas celle des plus déshérités  : il y parle d’un cheval, de servante, etc… Si tout cela ne respire pas non plus la grande noblesse, il en ressort les signes    d’une certaine bourgeoisie ou petite noblesse.

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Les déboires d’un joueur invétéré ?

Alors pourquoi tant de misère ? Rutebeuf avait-il une autre activité en dehors de ses poésies ? On ne le sait pas, mais on peut supposer que son niveau de lettres et d’instruction aurait pu lui permettre d’en tenir une et d’occuper des fonctions de clerc, par exemple. deco_rutebeuf_auteur_poesie_medievale_moyen-age_XIIIe_siecle  A-t-il été pris par le jeu d’argent jusqu’à l’obsession, et les dés, dont il nous dit, ici, qu’ils le tentent et le poursuivent, auraient-ils causé sa ruine ? Le cas échéant, cela pourrait expliquer aussi cette  défiance de son entourage à son encontre (amis, préteurs, …)  qui transparaît, là aussi, dans un grand nombre de ses textes : « on lui tourne le dos,  on se rit de lui, personne ne veut plus lui prêté :

J’ai vescu de l’autrui chatei
Que hon m’a creü et prestei:
Or me faut chacuns de creance,
C’om me seit povre et endetei.

La  Pauvreté Rutebeuf

Dans cette poésie, en manière de doléance à Saint-Louis, il n’hésitait pas à affirmer que sa pauvreté et son insolvabilité étaient notoires. Mais si l’on pose que le jeu d’argent peut lever un coin du voile, il faudrait, du coup, admettre que c’est le cas d’un tas d’autres choses que l’auteur médiéval énumère, par ailleurs, pour justifier sa condition : cet ami puissant et sa cour qui lui  ont fermé leur porte (la Paix Rutebeuf), sa santé (la complainte de l’œil), la charge de sa famille, le monde et le siècle, son mauvais mariage, etc… Au fond, tout l’accable et il finit presque, invariablement, par tout nous présenter comme la cause de sa grande pauvreté. Alors, quel crédit accordé à tout cela ?  Devant le peu d’informations le concernant, hors de son oeuvre même, on en est réduit à spéculer.

 Rutebeuf au pied  de la lettre

C’est un fait pourtant. On finit, souvent, par être tenté de prendre Rutebeuf au pied de la lettre, au sujet de toutes ses  disgrâces. Léo Ferré y a lui-même souscrit en colportant l’image romantique du poète miséreux, dans le Paris médiéval du XIIIe siècle. Mais  ce n’est pas tant par les faits avérés (il n’y en a pas) que par un effet d’accumulation que nous y sommes conduits :  c’est   deco_rutebeuf_auteur_poesie_medievale_moyen-age_XIIIe_sieclele nombre de misères que Rutebeuf nous conte qui nous amène à supposer qu’il est réellement victime d’une pluie permanente d’infortunes.

Bien sûr, il y a, sans doute, un fond de vérité dans tout cela. Dans La Pauvreté  Rutebeuf  ou dans certains autres de ses envois (destinés à recueillir quelques subsides),  ces vers ne trompent pas sur la nature dramatique de sa situation financière. Certaines descriptions sont aussi très factuelles et les détails ne manquent jamais, comme ici, dans la grièche où l’on sent qu’il connaît bien son sujet. Ses vers panachent donc, à l’évidence, vécu et  littérature (caricature ?). Comme tous les auteurs, il se sert du matériau réel de sa vie pour créer son univers. C’est à tel point, d’ailleurs, qu’on dit même quelquefois de lui qu’il a été un des inaugurateur initiateur de ce « je » psychologique, affligé, affecté et ancré dans le quotidien, placé au centre de son oeuvre.

Le vrai du faux ?

Assez paradoxalement, cette même accumulation pourrait aussi nous conduire à nous questionner de manière inverse. Si les infortunes du trouvère parviennent encore à nous toucher à plus de 700 ans de son existence, sous ses dehors affichés de rustre un peu éploré et de victime permanente de tout, rien ne semble, en effet, jamais simple chez lui  :  à certains moments, peut-il s’agir d’un  « procédé »   ? Une façon de théâtraliser sa poésie ? Un tour stylistique ? Une manière qui lui serait propre  de se rire du monde et de se rire de lui-même ?  Quand il se glisse dans la peau d’un bonimenteur dans le Dit de l’Herberie, on ne doute pas, par exemple, qu’il  ne fasse, là, une pitrerie. Quand il nous conte le Testament de l’âne ou le pet du vilain,  son parti-pris humoristique est, là  encore, évident.

deco_rutebeuf_auteur_poesie_medievale_moyen-age_XIIIe_siecleLe surnom que le trouvère s’est choisi brouille aussi les cartes et on peut même se demander à quel point  il donne le La de l’ensemble de  son œuvre. Voilà, en effet, un  « bœuf un peu rustre » qui, il nous l’affirme lui-même, pourra aussi « nous mentir » par instants, exagérer, caricaturer. Imaginez un instant, un comique qui, de nos jours, se ferait appeler, disons, « Gros lourdaud ».  Une fois, un tel cadre posé, comment interpréteriez-vous ses paroles ou ses textes ?  Rutebeuf est  un grand adepte du double-sens. Sa poésie n’est pas exempte  de ce que nous appellerions, aujourd’hui, une forme de deuxième de degré. Elle s’appuie, sans doute, sur un fond de vérité, mais où placer exactement le curseur entre réalité et exagération, entre sérieux et moquerie, entre jeu et je ? Rutebeuf est-il comique, par moments et totalement tragique à d’autres ? Est-il toujours un peu, à la fois, tragi-comique ? C’est une question difficile. Analyser toutes les subtilités de ses textes et la place faite à l’humour, dans le contexte du monde médiéval et de la langue d’oïl du XIIIe siècle, relève de la gageure.

Ayant dit cela, en recul sur son œuvre, sa Grièche d’hiver résonne, pour nous  d’une grande dimension  dramatique. Aujourd’hui, on aurait même  sans doute du mal à y voir autre chose que le récit tragique d’un homme piégé par sa passion du jeu et criblé de dettes.


La grièche d’hiver de Rutebeuf
de la langue  d’oïl au français moderne

Pour cette traduction, nous nous sommes largement appuyés sur le travail déjà effectué sur l’auteur médiéval par Michel Zink.  :  Œuvres complètes de Rutebeuf, 1990, Garnier.  La traduction n’est pas une discipline fermée. Qu’il soit donc clair que  nous n’avons pas, ici la prétention de plus de justesse que le grand académicien, loin s’en faut ! Il est plutôt question d’alimenter la réflexion sur le vieux français de Rutebeuf, en proposant d’autres alternatives. Dans un bon nombre de cas, nous avons d’ailleurs reporté les traductions du célèbre médiéviste entre parenthèse pour  favoriser ce travail de comparaison et de réflexion.

Ci encoumence li diz de la Griesche D’Yver

Contre le tenz qu’aubres deffuelle,
Qu’il ne remaint en branche fuelle
Qui n’aut a terre,
Por povretei qui moi aterre,
Qui de toute part me muet guerre,
Contre l’yver,
Dont mout me sont changié li ver,
Mon dit commence trop diver
De povre estoire.

Povre sens et povre memoire
M’a Diex donei, li rois de gloire,
Et povre rente,
Et froit au cul quant byze vente:
Li vens me vient, li vens m’esvente
Et trop souvent
Plusors foies sent le vent.
Bien le m’ot griesche en couvent
Quanque me livre:
Bien me paie, bien me delivre,
Contre le sout me rent la livre
De grand poverte.

Au temps que les arbres s’effeuillent
Qu’il ne reste sur branche, feuille
Qui n’aille à terre,
Par la pauvreté qui m’atterre
De tous côtés me fait la guerre,
Au temps d’Hiver
Qui affecte jusque mes vers
Je commence mon triste dit,
Par un lamentable récit.

Pauvre esprit et pauvre mémoire,
M’a donné Dieu, le roi de gloire
Et pauvre rente,
Et froid au cul quand bise vente :
Le vent me frappe, le vent m’évente
Et sans relâche
Et je le sens à chaque instant.
La grièche m’avait bien promis
tout ce que, depuis, elle me livre:
elle me paie bien et bien me livre,
Contre un sou elle me rend une livre
de grande  misère.

Povreteiz est sus moi reverte:
Toz jors m’en est la porte overte,
Toz jors i sui
Ne nule fois ne m’en eschui.
Par pluie muel, par chaut essui:
Ci at riche home !
Je ne dor que le premier soume.
De mon avoir ne sai la soume,
Qu’il n’i at point.
Diex me fait le tens si a point,
Noire mouche en estei me point,
En yver blanche.

Ausi sui con l’ozière franche
Ou com li oiziaux seur la branche:
En estei chante,
En yver pleure et me gaimente,
Et me despoille ausi com l’ante
Au premier giel.
En moi n’at ne venin ne fiel:
Il ne me remaint rien souz ciel,
Tout va sa voie.
Li enviauz que je savoie
M’ont avoié quanque j’avoie
Et fors voiié,
Et fors de voie desvoiié.
Foux enviaus ai envoiié,
Or m’en souvient.

La pauvreté m’est retombée dessus :
Sa porte m’est toujours ouverte,
Toujours j’en suis,
Aucune fois n’en suis sorti.
Par pluie me trempe, Au chaud, m’essuie:
Ah !  Le riche homme  que voici !
Je ne dors que mon premier somme.
De mes biens, ne connais la somme
Puisque   je n’ai rien.
Dieu me fait les saisons  à point :
Mouche noire en été me pique,
Et en Hiver, c’est la blanche.

Ainsi, suis comme l’osier franche (sauvage)
Ou comme l’oiseau sur la branche:
L’été, je chante
En hiver, pleure et me lamente,
Et me dépouille comme une ente (un greffon, une jeune pousse)
Au premier gel.
Il n’y a en moi ni venin ni fiel:
Il ne me reste rien sous le ciel,
Tout suit son cours.
Les mises dont j’étais coutumier
Ont englouti tous mes avoirs
Et  fourvoyé
Hors du chemin, m’ont dévoyé.
J’ai parié des mises insensées,
Je m’en souviens.

Or voi ge bien tot va, tot vient,
Tout venir, tout aleir convient,
Fors que bienfait.
Li dei que li decier on fait
M’ont de ma robe tot desfait,
Li dei m’ocient,
Li dei m’agaitent et espient,
Li dei m’assaillent et desfient,
Ce poize moi.
Je n’en puis mais se je m’esmai:
Ne voi venir avril ne mai,
Veiz ci la glace.

Or sui entreiz en male trace.
Li traïteur de pute estrace
M’ont mis sens robe.
Li siecles est si plains de lobe !
Qui auques a si fait le gobe;
Et ge que fais,
Qui de povretei sent le fais?
Griesche ne me lait en pais,
Mout me desroie,
Mout m’assaut et mout me guerroie;
Jamais de cest mal ne garroie
Par teil marchié.
Trop ai en mauvais leu marchié.
Li dei m’ont pris et empeschié:
Je les claim quite!

Mais à présent, je le vois bien : tout va, tout vient,
Il faut bien que tout aille et vienne,
Hormis les bienfaits.
Les dés que l’artisan a faits
M’ont dépouillé de mes habits,
Les dés me tuent,
Les dés me guettent, les dés m’épient,
Les dés m’attaquent et me défient,
Cela me pèse (j’en souffre).
Je n’y puis rien mais m’en émeus (c’est l’angoisse, je n’y peux rien) :
Ne vois venir avril ni mai,
Voici  déjà que vient le gel.

Or, me voilà sur la mauvaise pente.
Les traîtres  (trompeurs) de basse extraction (cette sale race )
M’ont laissé sans aucun habit.
Ce monde est si plein de  tromperies !
Dès qu’on possède  un peu, on fait le vaniteux ;
Et moi, qu’est-ce que je fais,
Qui sens le fardeau de la pauvreté ?
La grièche ne me laisse en paix,
Elle ne cesse de m’égarer,
de m’attaquer, me guerroyer ;
Jamais je ne guérirai de ce mal
Au vue  ma situation
    (à ce compte-là).

Je me suis placé dans un trop mauvais pas.
Les dés se sont saisis de moi :
J’y  renonce désormais ! (dico : crier « quitte » – faire grâce)

Foux est qu’a lor consoil abite :
De sa dete pas ne s’aquite,
Ansois s’encombre;
De jor en jor acroit le nombre.
En estei ne quiert il pas l’ombre
Ne froide chambre,
Que nu li sunt souvent li membre,
Dou duel son voisin ne li membre
Mais lou sien pleure.
Griesche li at corru seure,
Desnuei l’at en petit d’eure,
Et nuns ne l’ainme.

Cil qui devant cousin le claime
Li dist en riant: « Ci faut traime
Par lecherie.
Foi que tu doiz sainte Marie,
Car vai or en la draperie
Dou drap acroire,
Se li drapiers ne t’en wet croire,
Si t’en revai droit à la foire
Et vai au Change.
Se tu jures saint Michiel l’ange
Qu’il n’at sor toi ne lin ne lange
Ou ait argent,
Hon te verrat moult biau sergent,
Bien t’aparsoveront la gent:
Creuz seras.
Quant d’ilecques te partiras,
Argent ou faille enporteras. »

Or ai ma paie.
Ensi chascuns vers moi s’espaie,
Si n’en puis mais.

Explicit.

Fou est qui s’en remet à leurs conseils (qui s’obstine à les écouter):
De sa dette, jamais ne s’acquitte,
Pire,  il en alourdit la charge;
De jour en jour, en croît le nombre.
En été, il ne cherche point l’ombre
Ni chambre fraîche,
Car ses membres sont souvent nus.
La peine de son voisin, il ne s’en souvient plus,
Mais il pleure sur la sienne.
 La grièche    lui est tombée dessus,
L’a dépouillé en un instant,
Et nul ne l’aime.

Celui qui,  avant, l’appelait  « cousin »
Dit en riant: « Tu es usé jusqu’à la corde (1)
Par la luxure  (débauche).
Par la foi que tu dois à Sainte-Marie,
Rends-toi donc chez le drapier
Acheter du drap à crédit.
Si le drapier ne veut te faire confiance,
Va-t-en alors droit à la foire
Et  rends-toi au bureau de change ( voir les banquiers).
Si tu jures par l’ange Saint Michel
Que dans aucun repli de tes vêtements
Il n’y a d’argent caché,
On te trouvera bonne mine,
Et les gens te verront d’un bon œil     (tu ne passeras pas inaperçu) :
On te fera confiance.
Et quand tu en partiras,
Tu auras ramassé de l’argent ou un morceau d’étoffe (une veste). »

Me voilà bien payé !
C’est ainsi que chacun s’acquitte envers moi,
Je n’y puis rien .


(1) « Ci faut traime par lecherie »: une autre belle traduction de Michel Zink en  « tu es usé jusqu’à la corde ». Littéralement, « ici, tout va de travers », « la trame du tissu va  de travers par la faute de la   luxure ».

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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L’esprit des lois selon Henri Baude, poète satirique du XVe

henri-baude-auteur-medieval-poesie-satirique-moyen-age-tardif-vieux-francaisSujet : poésie morale, poète satirique,   poésie médiévale, politique, lois, dits moraux, poésie courte, français moyen
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Henri Baude (1430-1490)
Ouvrage  :    Les vers de Maître Henri Baude, poète du XVe siècle,  M. Jules Quicherat (1856),

Bonjour à tous,
E_lettrine_moyen_age_passionn continuant notre exploration de la littérature médiévale, voici quelques vers bien tournés   de Henri   Baude, poète du Moyen Âge tardif.  Ils sont extraits de ses  Dictz moraulx pour mettre en tapisserie. Ces petites historiettes, qui ne constituent qu’une partie de son oeuvre, mettaient en scène des personnages variés. Elles étaient destinées à être brodées  ou même encore des peintes sur  du verre ou d’autres objets décoratifs.


Le  bon homme et la toile d’araignée

Ung bon homme regardant dans ung bois ouquel a
entre deux arbres une grant toille d’éraigne. Ung
homme de court luy dit :

— Bon homme, diz-moy, si tu daignes,
Que regarde-tu en ce bois?

LE BON HOMME.

Je pence aux toilles des éreignes
Qui sont semblables à noz droiz :
Grosses mousches en tous endroiz
Passent; les petites sont prises.

LE FOL.

Les petitz sont subjectz aux loix.
Et les grans en font à leurs guises.

Dictz moraulx pour mettre en tapisserie    Henri Baude


Henri Baude, esquisse de biographie

Suivant ses biographes ( Jules Quicherat et Pierre Champion ), Henri Baude est né autour de 1430, à  Moulins.  Il est donc contemporain de François Villon même s’il  a vécu bien plus longtemps que ce dernier.

Les mésaventures d’un  petit  fonctionnaire, poète satirique à ses heures

L’histoire n’est pas très précise sur son éducation mais on retrouve Buade à l’âge adulte, commis à la cour. Au moment de la praguerie, il a tout d’abord suivi le dauphin Louis XI, alors prince, dans le conflit qui l’opposait à son père  Charles VII. Finalement, le fonctionnaire royal changera d’avis et reviendra  vers la couronne officielle. Cela  peut, peut-être, expliquer sa nomination en 1458, comme « élu » attaché à la cour du roi. La fonction consistait à  répartir l’impôt, mais aussi  à collecter et traiter les réclamations sur ce même thème. Henri Baude était en charge au bas Limousin mais comme il disposait d’un commis,  il passait le plus clair de son temps à Paris. Installé à la capitale, il pouvait, tout à loisir, suivre de près les affaires qui concernaient sa charge et ses plaignants et houspiller les juges quand ils traînaient trop à les traiter.

Comme il était aussi doté d’un véritable talent de plume et d’humour, Baude ne se priva pas de les exercer. Il faisait même alors partie d’une confrérie de juristes et clercs  qui occupaient une partie de leurs loisirs à se moquer entre eux ou à se rire de certains nobles et notables. Plus tard, son goût de la satire et du bon mot allait d’ailleurs lui valoir quelques  sérieux déboires.

Henri Baude au  Châtelet

henri-baude-poesie-satirique-dits-moraux-tapisserie-moyen-age-tardif-sEn  réalité, le poète connut deux fois la prison. Dans les deux cas, le temps avait passé et Louis XI, le prince que Baude avait suivi, puis lâché, était devenu roi. La première affaire n’est pas très claire sur le fond, même s’il subsiste un certain nombre de documents juridiques à son sujet. Baude semble avoir servi de bouc-émissaire à un noble qui le fit embastillé manu militari, après l’avoir sérieusement fait molester. Le poète fonctionnaire parvint toutefois à se faire libérer et à avoir gain de cause, en obtenant même, au passage, des dédommagements.

Dans la deuxième affaire, c’est une poésie satirique qui le fit mettre en prison, sur ordonnance royale.  Le texte  précis s’est perdu,  mais on peut en déduire la teneur entre les lignes du poète et des sources juridiques. Baude avait fait, semble-t-il, une courte « moralité » pour moquer les  manœuvres et les jeux de pouvoir à la cour et autour de Louis XI. Bien qu’allusive, de nombreux courtisans de l’entourage du souverain s’étaient sentis directement visés, ce qui valut à notre homme d’être à nouveau emprisonné. Voila ce que l’on trouve rapporter dans l’audience de 1486  :   « Aucuns, soubz umbre de jouer ou faire jouer certaines moralitez et farces, ont publiquement dit ou fait dire plusieurs parolles cedicieuses, sonnans commocion, principalement touchant a nous et a notre estât.  »   

Pour avoir le détail des deux affaires, on pourra se reporter aux écrits de Pierre Champion sur le sujet :    Histoire poétique du quinzième siècle, t 2, Honoré Champion (1923) et Maître Henri Baude devant le Parlement de Paris, Romania, n°141 (1907). A son habitude, le grand historien, passionné de Moyen Âge, y épluche les archives avec minutie et fait un travail d’orfèvre pour remonter l’identité des acteurs impliqués et leur interrelations.

Dans tout les cas, on peut se demander si Henri Baude ne paya pas,  indirectement, le prix de son soutien un peu trop épisodique au prince Louis XI, sous la praguerie. Si, après son couronnement, le monarque n’avait pas démis le fonctionnaire de sa charge, il ne semblait pas, non plus, lui montrer de soutien particulier, et encore moins d’empathie. Il ressort, en tout cas, de ce dernier séjour en prison, que Baude en sortit échaudé et rendu plus méfiant sur l’usage qu’il faisait de sa liberté  d’expression. Au Moyen Âge, la poésie satirique est rarement compatible avec les exigences de cour et les susceptibilités qu’on y croise. Le dit moral de l’auteur, publié ici, résonne un peu comme une sorte d’écho à ses diverses mésaventures.

Les œuvres de Baude

livre-henri-baude-poesie-morale-satirique-XVe-moyen-age-tardifElles sont assez fournies et de nature   principalement morale ou satirique.   On retrouve le plus grand nombre d’entre elles dans l’ouvrage que le médiéviste Jules Quicherat a consacré à Baude au milieu du XIXe siècle. Ce dernier confesse, toutefois, en avoir censuré quelques unes dont la nature lui paraissait trop verte et trop grossière pour présenter un réel intérêt.  A 160 ans de là, on aurait  aimé pouvoir en juger nous-mêmes.

Dans les œuvres de Baude, on a souvent mis en avant son Testament de la mule Barbeau . Dans cette   satire humoristique, l’auteur se met dans la peau d’un pauvre animal, vieilli et éreinté, ayant servi de nombreux nobles et puissants au cours de sa vie. Aux côtés de ce testament, on trouve encore nombre de poésies d’intérêt dans lesquelles  l’auteur médiéval montre de belles aptitudes de plume.  Ce talent semble, du reste, avoir été reconnu du temps de Baude et son biographe lui prête d’avoir inspiré certains de ses contemporains. On a même pu, alors, le comparer à Villon.  Un peu plus tard,  Clément Marot aurait aussi été sujet à cette influence sans s’en réclamer. Le poète de Cahors aurait, en effet, « pillé » (le mot est de Quicherat) certaines des pièces de Baude sans le citer.

Les vers de Baude et sa biographie, selon Quicherat, sont réédités chez Forgotten books. On peut toujours trouver ce livre à la vente en ligne. Voici un lien utile pour plus d’informations à son sujet : Les Vers de Maitre Henri Baude, Poète Du XVe Siècle: Recueillis Et Publiés Avec Les Actes Qui Concernent Sa Vie (Classic Reprint)

Le MS Français  24461  & ses belles illustrations

Du point de vue des sources, les écrits de Baude se trouvent réparties dans plusieurs manuscrits médiévaux mais on notera, avec intérêt, l’ouvrage dont est tiré cette poésie courte du jour et son illustration (voir en haut de l’article).

Daté du XVIe siècle, le manuscrit  Français 24461 (ancienne cote La Vallière 44) est, en effet, un manuscrit de 142 feuillets très joliment illustré   (Consulter    le Ms Français  24461 sur le site de la Bnf ).   En plus des diz moraux pour tapisserie et peinture sur verre de Baude, il contient d’autres auteurs et classiques.  On  y trouve, notamment,   Les triomphes de Pétrarque.

En vous souhaitant une excellente journée.

Fred
pour moyenagepassion.com
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Amour courtois : trois rondeaux de Blosseville à la cour de Charles d’Orléans

poesie-medievale-rondeaux-cour-charles-Orleans-moyen-age-tardif-XVe-siecleSujet    : poésie médiévale, rondeaux, auteurs médiévaux, poètes, amour courtois, humour, loyal amant, poésie satirique
Période   : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur  : Blosseville
Manuscrit ancien  : MS français 9223
Ouvrage  : Rondeaux et autres poésies du XVe siècle    de Gaston Raynaud (1889)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionu milieu du XVe siècle,  à la cour de Charles d’Orleans, on   versifiait sans bouder son plaisir.   Au    petit cercle qui entourait le prince, auquel la bataille d’Azincourt et ses conséquences avaient ravi la couronne, venait se joindre des nobles de passage. A la faveur d’un concours,  le temps  d’un dîner ou d’une soirée, tout ce petit monde s’adonnait à l’exercice du style et de la  rime.

Poésie de cours et jeux poétiques

Fallait-il qu’on aime la langue ? Le talent de plume du noble, amoureux des arts et des lettres, semblait étendre, sur tous, comme une aura d’inspiration. Les sujets pouvaient être sérieux. Pourtant la poésie savait y prendre, aussi, un tour de légèreté qui trouverait, peut être même, quelques échos, jusque sous François 1er, avec des Clément Marot ou des Melin Saint Gelais, avant que les poètes un peu guindés de la pléiade ne s’en mêlent pour tenter d’en faire une affaire sérieuse.

Bien sûr, longtemps avant tout cela et dès le XIIe siècle, il y a avait eu les jeux partis des troubadours et des trouvères, les sirvantois, les farces et les choses ne sont pas si tranchées. Sous la plume de certains auteurs, la poésie du Moyen Âge central avait aussi ses aspects ludiques et elle permettait déjà de rire et de se divertir dans les cours. Pourtant, la première moitié  du XVIe siècle fera souffler sur elle, comme un vent de dilettante et d’amusement qui lui est  propre. Les mœurs changeront alors et peut-être, avec elles, une certaine relation au langage. En nous avançant un peu, il nous semble déjà trouver dans certaines des poésies de cette cour d’Orléans au XVe, un peu de cet esprit nouveau, même si les textes n’ont pas non plus la grivoiserie ou l’impertinence de ceux qu’on trouvera au XVIe.

Blosseville et l’amour courtois :
entre contre-pieds et désillusions

rondeaux-poesie-moyen-age-blosseville-manuscrit-ancien-monde-medieval_sVers la fin du XIXe, l’archiviste paléographe Gaston Raynaud eut la bonne idée de retranscrire le manuscrit   MS Français 9223, dans une graphie accessible pour  ses contemporains. Daté du XVe siècle, cet ouvrage contient un grand nombre de  poésies de la cour de Charles d’Orléans et on peut y débusquer, en plus de certains textes de ce dernier, quelques auteurs de qualité que la postérité n’a pas retenus.   C’est le cas de   Blosseville,  homme de lettres non dénué de style et d’humour, dont nous vous avions déjà présenté une ballade  ironique sur  les loyaux amants véritables.

Trois rondeaux choisis de Blosseville

Le Français 9223 nous gratifie d’un nombre important de poésies signés de la main de cet auteur.  Les thèmes du loyal amant et du sentiment amoureux y reviennent fréquemment et ce poète médiéval nous gratifie, souvent, d’une posture désabusée, voire grinçante, à leur encontre. Les contre-pieds qu’il fait à la Fine amor  sont même pour tout dire rafraîchissants et nous changent, en tout cas, des habituelles ritournelles sur le sujet. Pourtant,  quelques-uns de ses rondeaux montrent aussi l’homme sous un jour tout à fait classique : dans le rôle de l’amant contrit, rejeté  par sa dame, avec l’habituelle panoplie courtoise de circonstance, etc…

Blosseville connaissait-il quelques déboires amoureux ?  Certaines de ses poésies semblent le suggérer mais,  peut-être au fond, tout cela n’est-il qu’un exercice littéraire et, peut-être  qu’après tout, notre auteur ne fait-il que feindre tout du long. Le troisième rondeau que nous avons choisi plaiderait plutôt en ce sens. Fine amant rendu amer par l’échec ? Observateur ironique et aguerri ? Ou simplement poète appliqué à se couler au mieux dans l’exercice de la courtoisie ?  On en jugera. Il  semble  en tout cas que les règles de la courtoisie  inventées et promulguées par le Moyen Âge aient la dent dure. Entre adhésion ou rejet, leur norme reste, quoiqu’il arrive, le point de référence autour duquel l’on gravite.


A tord le nommez paradis

A tord le nommez paradis,
L’enfer(s) d’amours, s’aucune joye
Vous n’y trouvés qui vous rejoye,
Ou par beaulx faiz ou par beaulx dis.

Quant est a moy, nommer le veux
Le purgatoire des loyaux,
Qui ont leans* (là dedans, en cette matière) voué mains veux,
Par quoy ilz souffrent plusieurs maux.

Je le congnoys tant de jadis,
Que se nullement je savoye,
Voulentiers plus j’en mesdiroye :
Pardonnez moy, si je le dis :
A tort le nommez   paradis.

Bien grand dommaige

Se me semble bien grant dommaige
Que  n’avez en vous leaulté
Autant comment a de beauté
Vostre corps et vostre visaige.

Se  coeur avez tant fort volage,
Qu’en lui n’a que desleauté,
Se me semble    [bien grant dommaige.]

Vous ne maintenez tel oultraige
Enverz  moy pas de nouveauté,
Et, qui pis est, sans cruaulté
N’est jamais vostre fier couraige
Se me semble    [bien grant dommaige.]

Pour contrefaire l’Amoureux

Pour contrefaire l’amoureux,
Je foix ainsi le douloureux
Que ceulx qui sont en grant chaleur!
Sy n’ay je ne mal ne douleur,
De quoy je me tiens bien heureux.

Lays ! j’entretiens les maleureux,
Que seuffrent les maulx rigoreux,
Et changent souvent de coulleur,
Pour contrefaire [l’amoureux.]

Ce de quoy sont tant desireux,
Plusieurs foys, je le sçay par eux,
Car il me comptent leur malheur,
Cuidant* (en croyant, en pensant) que je soye des leur.
Dont je me sens plus rigoureux
Pour contrefaire [l’amoureux.]


En vous souhaitant très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

Le Testament de Villon mis en musique et chanté par Evgen Kirjuhel

Francois_villon_poesie_litterature_medievale_ballade_menu_propos_analyseSujet : poésie médiévale, ballade,  auteur médiéval, moyen-français,  poésie morale, folk, musique
Auteur   :   François Villon  (1431-?1463)
Titre :   extrait du testament
Période : moyen-âge tardif, XVe siècle.
Interprète  :    Evgen Kirjuhel
Album: 12 poèmes  en langue française

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous nous éloignons un peu des compositions   musicales  purement médiévales pour revenir aux inspirations plus modernes qu’ont pu susciter les auteurs et poètes du Moyen-âge chez nos compositeurs et chanteurs contemporains. C’est avec   François Villon que nous y revenons. On sait  qu’il a  inspiré Georges Brassens,  Léo  Ferré,  Monique Morelli et d’autres encore   et,   pour cet article,   c’est  un   extrait du Testament mis en musique et chanté par   Evgen Kirjuhel  que nous vous présentons.

Un extrait du testament de François Villon chanté par   Evgen Kirjuhel

Evgen Kirjuhel itinéraire et portrait
d’un artiste  insatiable

Né en 1929, Evgen Kirjuhel (nom de scène et d’écriture de Jean Frédéric Brossard) est un auteur-compositeur-chanteur à la longue carrière. Inclassable, il  a, jusque là, œuvré dans un registre qui va de la chanson bretonne et française poétique ou sociale, à des expérimentations textuelles et musicales  aux origines culturelles très diverses   : de la Grèce ancienne à la musique contemporaine, au jazz, au flamenco, en passant par bien d’autres univers  musicaux ou poétiques.

Chanson sociale et militante

D’origine parisienne, l’artiste s’est cherché dans les arts du théâtre  et de la musique   jusqu’aux années 68.  Leur impact a éveillé chez lui une vocation plus engagée et il s’est alors engagé plus clairement vers la chanson militante et sociale. Durant ces années là, il s’est rangé notamment aux côtés des révoltes ouvrières et paysannes. Installé en Bretagne, il a fait, un peu plus tard, evgen-kirjuhel-12-poemes-album-parcours-francois-villonl’apprentissage de la langue et commencé à écrire, ses premières chansons bretonnes. Il allait, bientôt, en devenir une des icônes. La mouvance folk bat alors son plein dans la région. L’artiste la côtoie tout en restant un peu à  part. Son intérêt reste à la colère sociale et, dans les années qui suivent,  il  conservera ce ton à la fois militant et poétique. Il créera même son propre label indépendant pour véhiculer  ses  textes et ses  compositions.

Le temps des voyages

La fin des années 70 sera source pour Evgen Kirjuhel  de  nouveaux horizons. La Bretagne a-t-elle un peu perdu de sa verve et laissé en chemin certains des engagements militants des premières heures des soixante-dix  ? En tout cas, l’artiste  s’en est  éloigné avec, dans ses valises, grand soif d’aventure et de découvertes : Allemagne, Afrique, Grèce, il est de tous les voyages et de toutes les expériences. S’il n’est pas question pour lui de faire le deuil de ses sensibilités premières, sans doute cherche-t-il aussi  autre chose à présent ;    d’autres nourritures. La poésie des grands auteurs l’inspire, celle des celtes, des  français  mais encore  celle des grecs anciens. Ses recherches s’étendent aussi  sur l’expérimentation instrumentale et musicale à partir des berceaux culturels qu’il explore et au delà,  à l’inde, au Tibet, la Turquie, le Japon, et même la musique plus contemporaine. Il inventera même un instrument à la mesure de sa créativité, une harpe baptisée « nucléaire » aux cordes métalliques  et au  son unique.

Cherchant son propre chemin poétique et musicale dans la synthèse et la modernité, Evgen se refuse à être cantonné au registre des musiques folkloriques ou traditionnelles. Il ne l’a, du reste, jamais été, puisque, face aux compositions anciennes, il n’a cessé de vouloir les transcender, recomposer,  adapter, actualiser. En 1996, à l’aube des  années 2000, il fondera   Revoe Productions  une maison d’édition  à sa mesure, pour distribuer ses productions :    quelques simples syllabes pour une triple lecture et une  étymologie qui contient  à la fois tous ses rêves, toute sa révolte et  tout son goût pour l’évolution ; trois clefs essentiels pour comprendre son itinéraire atypique.

12 poèmes en langue française, l’album

villon-folk-le-testament-album-12-poemes-Evgen-KiruhelEn 86, Evgen  Kirjuhel   décida de faire tribut aux poètes de langue française, de Villon à Rimbaud. Il  mis ainsi  en chansons 12 poèmes et donna ce même titre à son album. Il en composa toutes les mélodies et les chanta lui même. Comme vous pourrez l’entendre ici, il  fit le choix de moderniser la langue de Villon et de l’adapter légèrement pour la mettre à portée de tous.

L’album fut salué, dès sa sortie, par Telerama. Il a été réédité en 2004 par Revoe Productions et on peut le trouver en ligne au format CD   ou même  en MP3,  avec la possibilité de l’acquérir  par pièces. Voici un lien utile pour en savoir plus ou pour le pré-écouter : 12 Poèmes de Evgen Kirjuhel.


Sélection faite par Evgen Kirjuhel
dans  les strophes du Testament de Villon

I
En l’an trentiesme de mon aage,
Que toutes mes hontes j’eu beues,
Ne du tout fol, ne du tout sage.
Nonobstant maintes peines eues, (…)

XXII
Je plaings le temps de ma jeunesse,
Ouquel j’ay plus qu’autre gallé,
Jusque à l’entrée de vieillesse,
Qui son partement m’a celé. (…)

XXVI
Bien sçay se j’eusse estudié
Ou temps de ma jeunesse folle,
Et à bonnes meurs dedié,
J’eusse maison et couche molle!
Mais quoy? je fuyoye l’escolle,
Comme faict le mauvays enfant…
En escrivant ceste parolle,
A peu que le cueur ne me fend.

XXIX
Où sont les gratieux gallans
Que je suyvoye au temps jadis,
Si bien chantans, si bien parlans,
Si plaisans en faictz et en dictz?
Les aucuns sont mortz et roydiz;
D’eulx n’est−il plus rien maintenant.
Respit ils ayent en paradis,
Et Dieu saulve le remenant!

XXX
Et les aucuns sont devenuz,
Dieu mercy! grans seigneurs et maistres,
Les autres mendient tous nudz,
Et pain ne voyent qu’aux fenestres;
Les autres sont entrez en cloistres;
De Celestins et de Chartreux,
Bottez, housez, com pescheurs d’oystres:
Voilà l’estat divers d’entre eulx.

XXXV
Pauvre je suys de ma jeunesse,
De pauvre et de petite extrace.
Mon pere n’eut oncq grand richesse.
Ne son ayeul, nommé Erace.
Pauvreté tous nous suyt et trace.
Sur les tumbeaulx de mes ancestres,
Les ames desquelz Dieu embrasse,
On n’y voyt couronnes ne sceptres.

XXXIX
Je congnoys que pauvres et riches,
Sages et folz, prebstres et laiz,
Noble et vilain, larges et chiches,
Petitz et grans, et beaulx et laidz,
Dames à rebrassez colletz,
De quelconque condicion,
Portant attours et bourreletz,
Mort saisit sans exception.

XL
Et mourut Paris et Hélène.
Quiconques meurt, meurt à douleur.
Celluy qui perd vent et alaine,
Son fiel se crève sur son cueur,
Puys sue Dieu sçait quelle sueur!
Et n’est qui de ses maulx l’allège:
Car enfans n’a, frère ne soeur,
Qui lors voulsist estre son pleige.

XLI
La mort le faict frémir, pallir,
Le nez courber, les veines tendre,
Le col enfler, la chair mollir,
Joinctes et nerfs croistre et estendre.
Corps féminin, qui tant est tendre,
Polly, souef, si precieulx,
Te faudra−il ces maulx attendre?
Ouy, ou tout vif aller ès cieulx.


Une  belle  journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge  sous toutes ses formes