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Constance de Castille l’histoire et la destinée d’une princesse captive, prise dans les tourments de son siècle

armoirie_castille_europe_medievale_espagne_moyen-ageSujet : auteur médiéval, biographie, portrait, Espagne Médiévale, Europe médiévale, Alphonse XI, conflits nobiliaires, princesse captive, donjon
Période : Moyen-âge central (XIIIe & XIVe siècle)
Personnage :  Constance de Castille (1316-1345)
Ouvrage : « Le conte de Lucanor » par Adolphe-Louis de Puibusque (1854)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionnfermée dans le donjon de quelque forteresse ou forcée à la retraite, au fond d’un austère couvent, l’image de la princesse captive au moyen-âge trouve, sans nul doute, son fondement dans une certaine réalité historique. Sans même y ajouter l’archétype littéraire du chevalier courtois venu la délivrer, on peut ainsi compter un certain nombre de nobles dames ou damoiselles de bonne lignée, promises aux plus prestigieuses épousailles et qui, une fois les noces célébrées, connurent de tragiques destinées, en se retrouvant éloignées du pouvoir et même répudiées ou retenues prisonnières ou cloîtrées,

Les raisons derrière les remises en cause de ces alliances sont diverses, quelquefois mystérieuses et le résultat de quelque mésentente ou même de quelque susceptibilité royale (on se souvient de l’étrange et douloureux destin de la princesse Ingerburge du Danemark sous Philippe-Auguste), quelquefois bousculées à la faveur de nouvelles stratégies géo-politiques des puissants, et d’autres fois encore, un peu des deux. Il faut peut être encore y deco_medieval_espagne_moyen-ageajouter que certains mariages arrangés, très jeunes, entre les grandes familles nobiliaires et sans l’accord des intéressés, ont quelquefois contribué à faire virer ces unions en eau de boudin, quand, passant au dessus des devoir de la fonction, quelques puissants décidèrent de ne pas s’y conformer ou même quand leur âge n’a pas permis de consommer l’union.

Si tous ces cas ne semblent pas, non plus, être légions, on en connaît tout de même quelques exemples documentés. Eloignées de la cour et de ses enjeux, mises à l’écart dans quelques palais ou châteaux plus ou moins dorées ou dans quelque établissement religieux, ces princesses ou reines, déchues avant que d’avoir régné (ou si peu) et souvent même, avant d’avoir conçu des héritiers, ont pu rester ainsi, de longues années, sous la main des rois et de leur bon vouloir, recouvrant ou non, plus tard, des rôles secondaires.

Depuis le début du XIIIe siècle, Rome entend bien promouvoir la nature sacrée du mariage et avoir son mot à dire sur les unions et les désunions entre chrétiens. Aussi, il faut le dire, ces revirements d’alliance et ces répudiations après mariage n’ont pas toujours été du goût de l’Eglise qui les a souvent réprouvées, sanctionnant les souverains avec plus ou moins de succès, et plus ou moins de véhémence aussi, en fonction des exigences de son propre échiquier.

Quoiqu’il en soit, pour que la légende de la princesse captive retrouve un peu de sa réalité historique, nous voulons aujourd’hui aborder la destinée de Constance de Castille, fille de Don Juan Manuel et de Constance d’Aragon, qui fut princesse et même reine consort de Castille dans l’Espagne du moyen-âge central. C’est aussi l’occasion de produire un document intéressant puisqu’il s’agit d’une lettre  qu’elle est supposée avoir écrite au roi Alphonse XI, à l’âge de sa maturité  et alors qu’elle était encore captive de ce dernier.

Otage de conflits nobiliaires dans
l’Espagne médiévale agitée d’Alphonse XI

Nous avons déjà abordé largement ici la biographie de l’auteur, grand seigneur et  chevalier espagnol Don Juan Manuel, aussi nous n’y reviendrons pas dans le détail. A cette occasion, nous avions aussi parlé de sa fille Constance qui fait l’objet de cet article et qui fut, pense-t-on, instrumentalisée par Alphonse XI pour tenter de faire plier le genou au grand et puissant vassal. L’histoire est peu claire, mais les faits le demeurent et il nous faut ici les rappeler brièvement.

Peu après s’être promis à la fille de notre chevalier, sans doute pour contrecarrer un mariage prévu et annoncé de cette dernière avec Juan de Haro dit Jean le Borgne, autre puissant vassal d’Espagne, nouvellement allié de Don Juan Manuel, le roi Alphonse XI, alors âgé de 16 ans (et, dit-on, sous la pression de quelques conseillers perfides), fit une autre promesse au même Jean le borgne. En contrepartie de l’union qui venait de passer sous le nez de ce dernier, le roi promit, en effet, au noble de lui accorder la main de sa propre soeur. Las !, on découvrit bientôt que l’affaire était un vil stratagème puisqu’elle servit au monarque à attirer Jean le Borgne dans un piège et à le faire occire froidement. Devant l’assassinat de son allié et voyant que le roi avait usé d’une fausse promesse de mariage pour le défaire mortellement, Don Juan Manuel en déduisit sans doute, de son côté, que l’engagement du roi envers sa propre fille pouvait être de même nature et cacher quelque tortueux complot. Il quitta donc l’armée royale, aux côtés de laquelle il s’était mis à guerroyer de nouveau suite à la célébration de l’alliance du roi avec sa fille, et il rentra en ses terres pour se mettre à l’abri.

On ne peut affirmer que le roi avait ourdi les deux plans, en même temps, pour se débarrasser des deux nobles gênants; il n’avait pas, alors, encore tenté de tuer Don Juan Manuel, comme il le fera par la suite. Si ses intentions n’étaient pas telles, il s’est montré, en tout cas, bien maladroit dans la gestion de sa relation avec le très puissant vassal, pour éveiller, de la sorte, sa méfiance. Suite aux événements, Alphonse XI usa de l’attitude méfiante du vassal et de son départ pour répudier la princesse, avec laquelle il n’avait encore pu consommer l’union pour des raisons de différence d’âge, et la fit enfermer ; au moment du mariage, en 1325, le roi venait tout juste d’être couronné et n’avait que 16 ans. Constanza en avait 9. L’union avait duré à peine deux ans et quelque temps après avoir fait cloîtrer sa jeune épouse, il prenait pour épouse Marie-Contance du Portugal.

La liberté recouvrée

Autant que le conflit dura entre le monarque et son vassal dura, la princesse fut tenue ainsi, soit de l’âge de 10-11 ans (1326-1327) à celui de 20-25 ans (1335-1340). Quand les deux hommes finirent à nouveau par s’entendre, le roi ne la libéra pourtant pas. Quand ils guerroyèrent à nouveau, côte à côte, pour lutter contre les sarrasins, il ne le fit toujours pas. Avait-il conçu pour elle un étrange sentiment dont il ne pouvait se défaire tout en ne pouvant le consommer ? Il est bien difficile, là encore, de l’affirmer.

deco_medieval_espagne_moyen-ageIl fallut, en tout cas, le besoin logistique qu’il avait du Portugal dans sa lutte contre l’invasion sarrasine pour qu’il consente à la libérer. L’histoire dit que le souverain du Portugal qui entendait bien voir Pierre 1er, l’héritier du royaume épouser Constance dut en effet s’y prendre à deux fois avant que le monarque espagnol accepte de s’exécuter. Sans les exigences stratégiques on peut d’ailleurs se demander s’il l’aurait fait.

Triste sort, après sa longue réclusion et ayant conquis le droit de commencer une nouvelle vie au Portugal, Constance connut encore quelques déboires. Après lui avoir donné quelques héritiers, Pierre 1er se tourna, en effet, bien vite vers une autre maîtresse, Inés de Castro, dame de compagnie de la même Constance. Il alla même jusqu’à l’épouser en secret, semble-t-il. Un peu plus tard, la favorite en question se fera assassinée ce qui n’empêchera pas le souverain portugais de déclarer publiquement vouloir la faire reconnaître  officiellement reine du Portugal, créant ainsi rien moins qu’un scandale public et jetant quelque peu, au passage, une nouvelle salve d’opprobre sur la pauvre Constance, achevant de sceller son étrange et malheureux destin. D’entre les trois enfants conçus de ce second mariage, elle aura, tout de même, pour consolation, d’avoir donné naissance au futur roi  Ferdinand 1er du Portugal.

Sur la Lettre de Constance
de Castille au roi Alphonse XI

La lettre qu’écrivit Contance à Alphonse XI se situe au moment ou le Portugal demande sa libération en vue du mariage. Empressons-nous d’ajouter, avant d’aller plus loin que les événements narrés ici, ainsi que le document, nous sont connus par une chronique datant du milieu du XVIIe siècle : Chronica de el Rey dom Alfonso o quarto do nome e settimo dos Reys de Portugal, assi com a deixou escrita, Ruy de Pina (1653).

Si le récit est admis comme authentique dans ses grandes lignes, deux siècles après cet ouvrage, dans le courant du XIXe siècle, l’historien Ferdinand Denis souleva quelques doutes sur l’authenticité de la lettre (Chroniques chevaleresques de  l’Espagne et du Portugal, 1839). Elle pouvait, selon lui,  être « sujette à caution » et il affirma même que si ce n’était le cas, elle avait été, de toute façon, remaniée ou retouchée ici ou là, par quelques historiens de ce même XVIIe siècle. Pour information toujours, il semble que les documents originaux ayant servi de base au chroniqueur Ruy de Pina et auxquels il avait véritablement accès, avaient, disparu entre temps.  L’histoire emportera donc avec elle ce secret, autant que les doutes de l’historien.

deco_medieval_espagne_moyen-ageCes réserves étant émises, d’après les Chroniques de Ruy de Pina, le roi Alphonse XI avait adressé, par voie épistolaire, un premier refus formel en direction de la cour portugaise en s’opposant au remariage de Constance et en y exposant comme motif principal, les anciens conflits qui l’avaient opposés avec Don Juan Manuel. Bien que l’eau avait coulé sous les ponts et que le conflit avec le Prince de Villena semblait être résolu depuis, le monarque déclarait, peu ou prou, qu’il lui était impossible, au vue de ce passé, de libérer la dame.  Dans le même temps, il faisait adresser (« secrètement ») à Constance une autre lettre, dans laquelle il lui affirmait que seuls ses conseillers avaient été la cause de leur désunion passée et qu’il comptait bien plus tard faire annuler son mariage actuel pour pouvoir réparer ses erreurs. Autrement dit, restituer son ancienne épouse dans son statut, dans ses fonctions et à ses côtés. En conséquence, il demandait aussi à la jeune fille de lui demeurer fidèle et de ne pas se donner à un autre. Tout cela donc 10 ans après l’avoir, « mis au placard ». Il faut quand même, pour utiliser une autre expression et pour plaisanter toujours, « en avoir sous le pied ».

Etait-il sincère ? Qui pourrait le dire ? Son jeu apparaît si trouble qu’on se prend à en douter. On sait, par ailleurs, qu’à la même période, il accordait largement ses faveurs à sa maîtresse Eleonora de Guzman contre la reine Marie-Contance du Portugal dont il s’était détourné (la lettre en fera état).  Après une attente de plus d’une décennie, la noble fille de Don Juan Manuel, étant quelque peu vaccinée des manipulations du roi, de sa nature tortueuse et de ses fantaisies, lui adressa donc une lettre en réponse dont voici la teneur, encore une fois réserves prises sur les doutes mentionnés plus haut (au passage, et pour faire un appel du pied à d’éventuels historiens spécialistes des ces questions, après les objections et doutes soulevés par Ferdinand Denis sur ce document et sur son sérieux, on aimerait vraiment pouvoir retrouver la trace d’un original afin de le comparer avec la version ci-dessous, et si possible rétablir un peu de vérité historique… ).

La lettre dépeint, en tout cas, Constance à son avantage et on peut y lire la relation complexe entre position obligée d’allégeance et obligations, mais aussi le courage et la force de la jeune femme qui « claque le bec » à son roi (ça fera trois).

T_lettrine_vert_moyen_age_passionrès-puissant et excellent prince, que Dieu a pourvu si honorablement de grandes vertus, et que la fortune a doté si largement de ses faveurs et de ses bienfaits, don Alphonse, roi de Castille et de Léon, la personne qui vous écrit est Constanza Manuel , celle que vos manques de foi ont si souvent rendue triste, tandis que vos offenses non méritées en ont mis d’autres en un périlleux désespoir. Quoique j’aie raison et désir de souhaiter vengeance, je n’oublie pas l’obéissance naturelle que je vous dois, et je me recommande à votre courtoisie. Très-haut et très-puissant seigneur, sachez une chose : Bien qu’il soit malheureux, le véritable amour garde en soi un tel attachement, que la nature avec tout son pouvoir ne le saurait effacer.

Vous ne l’ignorez pas, seigneur, je ne connaissais pas vos anciennes tendresses, quand, avec des paroles pleines de tromperie et mille raisons feintes, la vérité qui m’était due fut par vous mise à dédain. Vous m’avez trompée en mon très jeune âge, me laissant vous aimer de cette pure affection que m’enseignait l’honnêteté; et parce que les choses qui arrivent en la première jeunesse durent toujours au fond de la mémoire, pour se faire sentir dans les autres temps de la vie, je garde et garderai jusqu’à ma dernière heure le souvenir de vos fausses paroles ; et toutefois, je ne saurais le dire autrement, elles ont été dommageables à votre gloire, réprouvées par Dieu, condamnées par la sainteté de l’Église ces paroles-là ; car vous avez épousé une autre femme ; vous avez demandé et révoqué les dispenses, et le malheur en est retombé sur moi, qui vous portais cet amour fidèle que je croyais un devoir.

La haine est arrivée, l’amertume l’a suivie, et la vérité de tout ce que je dis ici s’est vue en vos œuvres. La source du mal était dans votre cœur, et pourtant vous me parlez d’amour. Non, la même âme ne saurait contenir ce qui est et ce que vous dites. Renoncez, la courtoisie le commande, à tenir un langage inutile à vos fins, qui fait tort à votre sincérité, et qui peut nuire à votre honneur royal, ce qu’en aucune circonstance vous ne devez souffrir. Votre lettre n’a eu pour effet que de me donner un soupçon que j’ai encore, c’est qu’il vous était désagréable de voir quelque chose d’heureux m’ arriver; car vous ne vouliez pas sans doute qu’on pût dire que, malgré votre abandon, j’avais trouvé, pour s’unir à ma destinée, un prince de race royale et digne de porter la couronne.

Il y en a qui m’assurent que ce n’est pas à moi que s’adressent vos rigueurs, mais à don Juan Manuel, et sur cela voilà ce que je réponds : c’est que mon père et seigneur est un ami plus loyal et un meilleur serviteur que tous ces gens qui sont riches de vos deniers et qui possèdent sans foi vos forteresses. Tels que je les connais et qu’ils sont, ils ne méritent pas de vivre avec les moindres de son lignage, et cependant, vous avez suivi leurs conseils, vous avez parlé et agi comme il leur a convenu. Ce n’est pas en une seule occasion que vous avez été contre nous; vous l’avez été en mainte circonstance, et surtout en m’écrivant des choses que vous n’aviez pas l’intention de remplir. Donc, ne me blâmez pas si je refuse de vous croire, ma raison me le défend ; je ne puis tenir pour vraies que les choses dont mes yeux sont témoins, car je sais les mauvais traitements qu’a reçus de vous la bonne princesse qui est votre femme; oui, je sais comment vous agissez avec la reine dona Maria.

Et qui est cause de ces indignités? n’est-ce pas Éléonora Nuñez de Guzman, qui, sept ans avant que vous fussiez né, faisait déjà parler de ses charmes? Vous l’avez prise aux fêtes de Léon, à une époque où, dit-on, sa mère se plaignait amèrement de sa conduite ; il n’était bruit que de Martin de Lara, le bâtard; encore n’était-ce pas, sans doute, le premier qui lui eût donné de l’amour. Personne n’avait oublié Fernand Gonzalez de Ayala. Quand je vins à connaître toutes ces choses, je ne ressentis aucune jalousie, mais je gardai une loyale confiance que vous n’avez jamais méritée; puis, je me sentis plus forte. peut-être parce qu’il s’agissait des peines d’une autre, quand je sus que de plus grands serments et des promesses plus solennelles avaient été faites à la reine et que vous les aviez rompues.

Je ne suis pas seule à souffrir nous allons deux de compagnie, nous sommes deux que vos paroles ont trompées. Dieu soit loué, néanmoins, puisqu’il n’a pas fait tomber sur moi le dur esclavage qui pèse sur l’innocence de la reine ! justice du Ciel, à laquelle rien n’échappe, sévira tôt ou tard; c’est elle qui nous donnera protection et vengeance. Qu’il ne soit donc plus mot de rien entre nous, et lors même, qu’au mépris de tout droit, vous prétendriez exercer quelque violence sur ma personne, sachez bien que mon âme restera toujours libre de votre sujétion. 

Doña Constanza Manual

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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« Je suis de paupere regno », une ballade médiévale d’Eustache Deschamps sur sa pauvreté

poesie_ballade_morale_moralite_medievale_Eustache_deschamps_moyen-age_avidite_gloutonnerieSujet : poésie médiévale, littérature médiévale,  auteur médiéval, ballade médiévale, poésie morale, poésie réaliste, ballade, moyen-français, humour.
Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle
Auteur : Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre :  « Je suis de Paupere Regno»
Ouvrage :   Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, Tome V. Marquis de Queux Saint-Hilaire, Gaston Raynaud (1893)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons un retour au moyen-âge tardif, avec une ballade d’Eustache Deschamps. Cette poésie est titré « Ballade sur sa pauvreté » dans les  Œuvres complètes d’Eustache Deschamps du Marquis de Queux-Saint-Hilaire. Elle est intéressante parce que l’auteur médiéval se place, ici au centre du texte pour conter ses propres déboires ou misères. Elle viendra, ainsi, alimenter un certain nombre de réflexions déjà conduites, sur la mise en scène du « Je » dans les poésies réalistes ou satiriques du moyen-âge, comme on en trouve, par exemple, chez Rutebeuf, Villon, Meschinot, Michault Taillevent, et quelques autres.

On a souvent cherché à déterminer quel était le premier poète ou s’il existait même un pionnier médiéval de ce « courant » qui a consisté, pour  un auteur à replacer sa propre subjectivité et ses propres misères au cœur du texte. S’il semble indéniable que Rutebeuf en soit un digne représentant, et sauf à questionner les dosages faits du procédé par un certain nombre d’auteurs au sein de leurs œuvres, il faut sans doute plus parler d’une « émergence progressive » et peut-être même, plus encore, d’une « tradition » d’une innovation attribuable à un auteur en particulier.

Quoiqu’il en soit, Eustache Deschamps a laissé un grand nombre de ballade de ce type ; on peut citer, entre autres exemples de thèmes abordés : son apparence, ses misères physiques, sa vieillesse, mais encore le peu de reconnaissance dont il souffre pécuniairement et /ou « socialement » contre tous les services rendus aux diverses têtes couronnées, etc…

Pauvreté et misères « de classe »
dans la poésie médiévale

« Diex m’a fet compaignon à Job,
Qu’il m’a tolu à un seul cop »
Rutebeuf – La complainte de l’oeil

Du point de vue du thème, c’est un constat et une « complainte » sur sa propre pauvreté que l’auteur médiéval nous distille ici. Concernant la réalité qu’elle recouvre, même s’il est a supposer que cette ballade fut écrite à la faveur d’une mauvaise conjoncture, il faut sans doute en relativiser le propos ou, au moins, remettre sociologiquement en perspective cette « pauvreté » à laquelle elle fait référence, en se souvenant que la poésie médiévale est, dans sa grande majorité, longtemps demeurée l’apanage de la noblesse au sens large, fut-elle aussi petite ou modeste, que grande, puissante et fortunée.

Eustache_Deschamps_poesie_realiste_ballade_medievale_pauvrete_moyen-ageAussi, sans nier la nature « douloureuse » des misères ou des difficultés d’un Rutebeuf ou d’un Eustache Deschamps (qui sont sûrement, par ailleurs, déjà différentes entre elles, du point de vue du statut, des causes et des degrés), ces déconvenues ou ces déboires ne sont pas non plus, tout à fait, les mêmes que ceux que connaissent alors les classes très pauvres ou très miséreuses du moyen-âge. Pour n’en donner que quelques arguments et sans expédier trop hâtivement le bien-fondé ou les apparences (en suivant les conseils de notre ballade du jour), on sait tout de même, à travers la lecture de leurs autres poésies, et pour ne parler que de ces deux poètes, qu’ils ont, par ailleurs, possédé des maisons, des valets ou même des servantes, des chevaux, etc… Des soldes régulières ? On sait qu’Eustache en perçut, à quelques rares périodes près. Pour Rutebeuf, il est difficile de l’affirmer puisqu’on ne sait pratiquement rien de ses autres occupations, ni si l’en avait (à le lire, il semble que non).

Bien sûr, un certain statut social entraînent les frais et les conditions qui leur sont afférents et il demeure toujours possible de se trouver en situation délicate même en étant socialement privilégié, autant que d’en ressentir une détresse véritable, mais, pour en avoir une vision claire, on comprend bien que la notion de « pauvreté » doive tout de même être, ici, un peu bordée. Cette nuance apportée, on notera, au passage, que cette dernière (la véritable pauvreté de classe au sens social véritable) est un spectre qu’agite, à d’autres reprises et dans d’autres ballades, Eustache Deschamps; il montre même, à ces occasions, une conscience particulièrement aiguë de sa terrible réalité.

Ou lieu trop bas qui est assis en plaine
Ne se doit nulz tenir pour mendier.
Car povreté est reprouche certaine.
Et si n’est homs qui vueille au povre aidier;
(Voir  Benoist de Dieu est qui tient le moien).

ou encore

Car a suir la guerre aux champs
Ont touz maulx, toutes povretez,
Faim, froit, soif, chault, logis meschans,
Et s’en sont pluseurs endebtez
Et mainte foiz déshéritez,
Mors, occis, en destruction
Ou hais, pour la fraction
Que pluseurs font qui se desrivent
En pillant par extorcion :
Je ne sçay comment telz gens vivent.

Pour être clair encore sur les intentions derrière cette mise en scène littéraire « du je et de ses déboires », et sur leur contexte, il faut aussi ajouter que ce type de récits ou narrations prend bien souvent, chez nombre de ces auteurs médiévaux qui fréquentent les cours ou leur entourage, la forme d’appels du pied en direction de leur protecteur ou de la plus haute noblesse, pour en obtenir quelque « chevance » ou Eustache_Deschamps_poesie_complainte_realiste_ballade_medievale_pauvrete_moyen-agequelques honneurs ou grâces. Les deux derniers vers de cette ballade d’Eustache Deschamps semblent bien devoir l’inscrire, sans équivoque, dans cette tendance :

« Pensez y bien, grant et meneur :
Je suis de paupere regno ».

Pour le reste, cette poésie lui fournit l’occasion d’expliquer qu’au delà des apparences, il ne possède, en réalité, pas grand chose. On notera d’ailleurs ici que le ton change, en comparaison de quelques autres de ses textes dans lesquels il rendra responsable de ses misères et de sa condition, les jeux de cour, ou même encore, au moins entre les lignes, une certaine ingratitude des puissants. Ici, il privilégie un autre angle et se donne plutôt le beau rôle, en nous expliquant que c’est parce qu’il sert, qu’il est foncièrement charitable et qu’il dépense sans compter, dans ce sens, pour femme et jeunes enfants,  qu’il est le « roi des pauvres ». La noblesse du chevalier et ses valeurs ne sont donc pas très loin.

« J’ay servi, dont je suis meschans,
Sanz cueillir ne feuille, ne fleur,
Vielle femme et jeunes enfans

« Je suis de paupere regno »

Quant au refrain, mâtiné de latin, de cette ballade « Je suis de paupere regno », l’usage qu’en fait Eustache Deschamps, soulève un certain nombre de questions. On peut le traduire par « je suis du royaume des pauvres » ou même plutôt « je suis de pauvre royaume », et même encore « Je suis le roi des pauvres » (cette dernière traduction étant empruntée à  l’ouvrage  Les « Dictez vertueulx » d’Eustache Deschamps, Forme poétique et discours engagé à la fin du Moyen Âge, Miren Lacassagne et Thierry Lassabatère, Sorbonne 2005)  

Est-ce une simple forme d’élégance stylistique ? Une référence faite au poète Stace, qui, au premier siècle de notre ère, écrivait, en parlant de Thèbes : « Bellum es de paupere regno » ?  Est-ce encore une façon, pour l’auteur, de renvoyer à la nature académique de son éducation en l’opposant, ici, à sa pauvre condition ? (ie bien qu’éduqué et connaissant mon latin, je suis pourtant le premier des pauvres). Sans aller jusqu’à l’humour désopilant, est-ce enfin, une note légère en relation avec cette référence classique,  un espace de respiration permettant d’atermoyer un peu la nature du propos et d’y introduire un soupçon de distance (que le ton général de la ballade ne ménage pas) ou, au contraire, une manière de lui donner, une note sentencieuse et une profondeur classique ? Nous ne nous aventurerons pas à trancher mais quelques grandes pistes sont, en tout cas, posées.

Je suis de paupere regno
« Ballade sur sa pauvreté »

Chascuns me dit que je suis grans
Et que je fais bien le seigneur
Et que j’ay grant nombre de frans;
Helas ! dont me vient ceste honneur ?
Pour ce qu’om me voit en tristeur
Et que je suis comme nemo,
L’en se moque de ma doleur :
Je suis de paupere regno.

S’en deviens pensis et pesans,
Car ceuls qui bien gardent le leur
Ont prez, terres, vignes et champs
Et se vivent de leur labour,
Et je me voy au lit de plour
Par trop despendre et gaingner po.
Mais j’ay mis le plus beau defueur* (dehors):
Je suis de paupere regno.

J’ay servi, dont je suis meschans* (malheureux),
Sanz cueillir ne feuille, ne fleur,
Vielle femme et jeunes enfans
Qui m’ont faicte mainte langour
Sanz remerir* (récompenser), de quoy je plour,
Quant je n’ay ne recept ne tro* (cachette);
Pensez y bien, grant et meneur :
Je suis de paupere regno.

En vous souhaitant une excellente journée !

Fred
Pour moyenagepassion.com
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La Ballade des contre-vérités de Villon, une pièce satirique en réponse aux aphorismes d’Alain Chartier

Francois_villon_poesie_litterature_medievale_ballade_menu_propos_analyseSujet : poésie médiévale, ballade,  auteur médiéval, poète, moyen-français, poésie satirique, satire, analyse sociale, littéraire.
Auteurs : François Villon (1431-?1463)
Alain Chartier  (1385-1430)
Titre : « La ballade des contre-vérités »
Période : moyen-âge tardif, XVe siècle.
Ouvrages : oeuvres diverses de Villon,

Bonjour à tous

C_lettrine_moyen_age_passionomme il répondra au Franc-Gontier de Philippe de Vitry en opposant à une sagesse (supposée) et un minimalisme (revendiqué) de la vie campagnarde, un contredit  urbain, jouisseur et jaloux de son propre confort et de ses fastes, Villon écrira aussi sa ballade des contre-vérités que nous présentons aujourd’hui, en référence à un autre auteur médiéval. Cette fois, il s’agit du célèbre Alain Chartier  (1385-1430) et d’une réponse à une poésie de ce dernier faisant l’éloge des valeurs nobles et bourgeoises de son temps ; valeurs convenues et, il faut bien le dire, même presque plates (au sens de platitudes), surtout après que Villon soit passé par là, pour les prendre à rebrousse-poil.

Cette ballade de Villon est une poésie que l’on place plutôt dans la jeunesse de l’auteur et autour de 1456. Il a alors 25 ans. Voici donc, pour bien commencer, le texte original lui ayant inspiré cette Ballade des contre-vérités :

La ballade d’Alain Chartier

Il n’est danger que de vilain,
N’orgueil que de povre enrichy,
Ne si seur chemin que le plain,
Ne secours que de vray amy,
Ne desespoir que jalousie,
N’angoisse que cueur convoiteux,
Ne puissance où il n’ait envie,
Ne chère que d’homme joyeulx ;

Ne servir qu’au roy souverain,
Ne lait nom que d’homme ahonty,
Ne manger fors quant on a faim,
N’emprise que d’homme hardy,
Ne povreté que maladie,
Ne hanter que les bons et preux,
Ne maison que la bien garnie,
Ne chère que d’homme joyeulx ;

Ne richesse que d’estre sain,
N’en amours tel bien que mercy,
Ne de la mort rien plus certain,
Ne meilleur chastoy que de luy ;
Ne tel tresor que preudhommye,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ne paistre qu’en grant seigneurie,
Ne chère que d’homme joyeulx ;

Au passage, et c’est d’ailleurs amusant de le noter, les ressemblances de style sont si grandes entre les deux poésies, que, dans le courant du XIXe siècle, la pièce originale de Chartier fut même ré-attribuée à François Villon par certains auteurs et dans certaines éditions (P Jannet, 1867, P Lacroix 1877). Après quelques révisions utiles, sa paternité revint finalement à son véritable auteur et l’on établit qu’elle ne fit qu’inspirer à Villon ses impertinents contre-pieds.

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Exercice de style, poésie satirique ou « poétique de la criminalité »

Avec sa virtuosité coutumière, Villon jouera, ici, du procédé de la contradiction et des oxymorons qui lui sont chers, pour faire la nique aux aphorismes et aux axiomes de Chartier et qu’on peut supposer assez largement partagés et approuvés par les hautes classes sociales et bourgeoises de son temps.

Dilution du satirique dans le stylistique ?

Sans lui enlever une certaine dose d’humour et/ou de provocation, comme on voudra, Villon se livre-t-il  seulement dans cette ballade des contre-vérités, à un exercice de style comme choisissent de l’avancer certains auteurs ? Autrement dit, pour suivre Paul Barrette, spécialiste américain de littérature française médiévale,  cette poésie n’est-elle qu’un « tour de force » dont le but « est moins de développer une idée que de ranger dans un moule des séries d’aphorismes »(Les ballades en jargon de François Villon ou la poétique de la criminalité, Paul Barrette, Romania 1977, sur persée)

C’est peut-être prêter à Villon, un peu moins d’intention qu’il n’en a. Sans vider à ce point cette ballade de sa moelle satirique, faut-il, à l’opposé, suivre le raisonnement d’un Gert Pinkernell, dans ses efforts assez systématiques pour rattacher concrètement les moindres écrits de Villon à des épisodes supposés de la vraie vie de ce dernier, dont ils ne seraient que l’expression retransposée ? ( voir notamment la Ballade des menus propos de maître François Villon et l’analyse littéraire de Gert Pinkernell).

Positionnement, signes d’appartenance
& apologie sociale de la marginalité ?

Au sujet de cette Ballade des contre-vérités, Gert Pinkernell ira même jusqu’à lui donner une dimension « sociale » et même plutôt « socialisante » au sens étroit ; autrement dit, au Villon plus tardif et repenti du testament, le romaniste interprétera cette ballade de jeunesse, comme la marque d’un homme qui « reflète sa forte conviction d’appartenir à un groupe et d’y être quelqu’un ». Comme dans le lais (et toujours d’après Gert Pinkernell), cette poésie aurait donc fourni l’occasion à l’auteur médiéval d’affirmer une marginalité assumée face à un véritable public (marginal et criminel) déjà constitué, et de fait, il aurait ainsi exprimer face à ce groupe social, un positionnement, voir même une forte marque d’appartenance.

« …Or cette verve et cette morgue de Villon émanent visiblement de sa certitude d’être au diapason de son public, public apparemment très bien connu de lui et dont il semble faire partie lui-même. Tant pis si c’est un public très spécifique, à savoir un groupe de jeunes marginaux cultivés et criminels à la fois »
Mourant de soif au bord de la fontaine : le pauvre Villon comme type de l’exclus, Gert Pinkernel, dans Figures de l’exclu: actes du colloque international de littérature comparée, Université de Saint-Etienne, 1997

De l’analyse littéraire à la projection sociale

Nous l’avions évoqué à l’occasion de notre article sur la ballade de bonne doctrine, pour certains de ses textes et notamment les plus humoristiques ou les plus grivois, on imagine, c’est vrai, assez bien Villon en train de fanfaronner et de les déclamer dans quelques tavernes ou lieux de perdition obscures, face à un public goguenard, déjà acquis à ses propos, La thèse de Pinkernell sur cette ballade participe donc un peu de cette idée, mais, même si l’on peut se plaire à l’imaginer, on passe, en l’affirmant et en le posant comme hypothèse de travail, de considérer cette ballade, d’une « simple » expression ontologique, littéraire et poétique à une forme « d’apologie » de la vie en marge auprès d’un groupe socialement circonscrit auquel l’auteur se serait livré. Sans être un saut quantique, ce n’est pas rien.

deco_poesie_medievale_enluminures_francois_villon_XVe_siècleToute proportion gardée, cette ballade pourrait alors presque prendre des allures de manifeste, ou en tout cas, devenir, ou prétendre être, l’expression d’un ensemble de valeurs partagées par un groupe social marginal et criminel, dont Villon se ferait l’écho, voir le porte-parole. L’analyse passe donc du littéraire au social et même finalement du satirique à « l’identitaire ». Des contre-vérités comme « Il n’est soing que quant on a fain » (ie et à l’emporte-pièce : on réfléchit mieux le ventre vide) « Ne ris qu’après ung coup de poing », se présentent alors comme la traduction de ce système de valeurs appliquées par le groupe en question.

Le propos de Villon est-il vraiment si sérieux que cela sur le fond et son intentionnalité si claire ? Peut-être pas, sauf à penser que la moquerie fait aussi partie intégrante de l’ensemble des valeurs dont il se ferait ici le porte-parole, et que, en quelque sorte, quand l’auteur médiéval s’amuse et n’exprime rien de particulièrement factuel et fonctionnel sur ces dernières, l’humour en devient l’expression (‘Ne santé que d’homme bouffy« , « Orrible son que mélodie« , « Il n’est jouer qu’en maladie« ), sauf à penser encore que le public de Villon est effectivement circonscrit au moment où il écrit tout cela à un cercle de clercs ou d’étudiants avertis et cultivés, suffisamment en tout cas pour comprendre ses références littéraires en creux à Alain Chartier, qui semblent bien, tout de même, aussi, dans cette ballade, au coeur de son propos.

Pour conclure

Alors, une certaine virtuosité stylistique épuise-t-elle l’ambition sémantique de cette ballade, ou même la profondeur d’un certain positionnement satirique de fond ? Certainement pas, il est difficile d’assimiler Villon à certains rhétoriqueurs qui l’ont précédé dans le temps. Faut-il, pour autant, voir là, une sorte de manifeste social par lequel l’auteur aurait eu l’intention d’affirmer son appartenance et son positionnement auprès d’un auditorat marginal, complaisant ? C’est une possibilité mais un pas non négligeable reste tout de même à franchir pour l’affirmer.

Si cette ballade se situe, indéniablement, dans un contrepied des valeurs « bourgeoises », mais aussi plus largement « sociales » ambiantes et leur « renversement » symbolique (sur le ton de la deco_poesie_medievale_enluminures_francois_villon_XVe_siècleprovocation et de l’impertinence), comme ces valeurs sont celles portées par ses « pairs » et presque contemporains en poésie (et pas les moindres, en la personne d’Alain Chartier), il est en revanche indéniable que Villon s’inscrit ici dans une ambition satirique qui se situe (d’abord?) sur le plan de la littérature qui les portent. Il se positionne donc vis à vis d’une certaine littérature, de cela nous sommes au moins sûrs.

Dans la veine des hypothèses émises par Pierre Champion dans François Villon, sa vie et son temps, Villon est-il encore, en train, de retraduire, ici et à sa manière, un certain contexte historique ? Ce siècle perdu et « bestourné » d’un Eustache Deschamps et d’autres moralistes qui fustigent l’argent, la convoitise et les abus de pouvoir pour avoir tout perverti ? Dans la lignée de ces auteurs, il serait alors plutôt en train d’adresser, à  travers cette ballade, une satire sociale au deuxième degré à ses valeurs en perdition. C’est encore une troisième piste.


« La ballade des contre-vérités »
de François Villon

Il n’est soing que quant on a fain,
Ne service que d’ennemy.
Ne maschier qu’ung botel de foing.
Ne fort guet que d’omme endormy.
Ne clémence que felonnie,
N’asseurence que de peureux.
Ne foy que d’omme qui regnie.
Ne bien conseillé qu’amoureux.

Il n’est engendrement qu’en baing,
Ne bon bruit que d’omme banny,
Ne ris qu’après ung coup de poing,
Ne los que debtes mettre en ny,
Ne vraye amour qu’en flaterie,
N’encontre que de maleureux,
Ne vray rapport que menterie.
Ne bien conseillé qu’amoureux.

Ne tel repos que vivre en soing,
N’onneur porter que dire : « Fi ! »,
Ne soy vanter que de faulx coing.
Ne santé que d’omme bouffy,
Ne hault vouloir que couardie,
Ne conseil que de furieux,
Ne doulceur qu’en femme estourdie,
Ne bien conseillé qu’amoureux.

Voulez vous que verté vous die ?
Il n’est jouer qu’en maladie,
Lettre vraye que tragédie,
Lasche homme que chevalereux,
Orrible son que mélodie,
Ne bien conseillé qu’amoureux.


Une  excellente journée à tous !

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes.

Don Juan Manuel, portrait d’un seigneur & auteur médiéval dans l’Espagne déchirée du XIVe siècle

armoirie_castille_europe_medievale_espagne_moyen-ageSujet : auteur médiéval, biographie, portrait, Espagne Médiévale, Europe médiévale, Alphonse XI, conflits nobiliaires, régences,
Période : Moyen-âge central (XIIIe & XIVe siècle)
Auteur :  Don Juan Manuel (1282-1348)
Ouvrage : « Le comte Lucanor » par Adolphe-Louis de Puibusque (1854)

Bonjour à tous,

L_lettrine_moyen_age_passion‘aventure d’aujourd’hui nous entraîne en direction de l’Espagne médiévale du XIVe, à la découverte d’un noble espagnol qui marqua son temps, tant par ses hauts faits que par ses écrits. Son nom est Don Juan Manuel et il fut duc et prince de Villena, et également seigneur de Escalona.

De futures publications nous fourniront bientôt l’occasion de parler plus avant de son legs écrit et notamment de son ouvrage le plus connu : « El Conde de Lucanor » ou le comte de Lucanor, mais pour l’instant et dans cet article, nous nous attacherons à donner sur sa personne des éléments autobiographiques.

Sur les pas de Adolphe-Louis de Puibusque
premier traducteur français du comte Lucanor

Quand de grands hommes s’opposent, faut-il nécessairement que l’un d’eux soit le héros et l’autre le félon ? Sous la pression de leurs commanditaires, les chroniques médiévales ont souvent cédé à la tentation de présenter les choses de manière manichéenne et Don Juan Manuel s’est trouvé quelquefois jugé de manière lapidaire contre le roi Alphonse XI, (neveu d’Alphonse X dont nous parlons souvent ici). La chose était don_juan_manuel_le_comte_lucanor_adolphe_louis_puibusque_oeuvres_livre_contes_moraux_litterature_espagne_medievale_moyen-age_XIVed’autant plus vrai que l’Histoire avait fait de ce souverain, « un justicier » (puisque c’est un des ses surnoms) et encore un héros de la lutte contre l’invasion sarrasine, ce qu’il fut aussi.

Pour faire justice à l’auteur, autant qu’à l’Historiographie, dans le courant du XIXe siècle, l’écrivain et traducteur français féru d’histoire Adolphe Louis de Puibusque (1801-1863) faisait paraître une traduction des oeuvres de Don Juan Manuel et, dans une large introduction, il tentait de restituer un peu de vérité historique sur l’auteur. Ce sont ses pas que nous suivrons ici. Cette saga nous entraîne dans une Espagne déchirée par des conflits nobiliaires à rebondissement qui, par leur nature, ne sont pas sans rappeler les pages les plus haletantes de certains roman d’aventure médiévale moderne. Elle vont même jusqu’à se teinter, par endroits, de fantastique et on pense parfois en les lisant, à certaines intrigues des rois maudits ou même encore, plus près de nous, au Trône de Fer de GRR Martin.

L’enfance d’un noble
& la confiance de deux rois

Né à Tolède, en 1282, de Manuel de Castille et de Béatrice de Savoie, Don Juan Manuel est le petit fils de Ferdinand III, roi de Castille, de Tolède, de léon et de Galice et il est aussi le neveu de Alphonse X de Castille dont nous avons souvent parlé ici. Cette lignée royale s’est soulignée par sa grande érudition culturelle autant qu’un souci de promotion du castillan, et l’éducation du noble auteur dont nous parlons aujourd’hui n’échappa pas à la règle. Aux côtés des arts militaires, Don Juan Manuel acquit de solides bases dans les matières de l’esprit (histoire, droit, théologie) ainsi qu’en langues (le latin et l’italien faisant partie de son bagage, en plus du castillan).

Devenu orphelin de père à deux ans, il fut élevé sous la tutelle de son cousin Sanche IV, roi de Castille et de Léon, encore connu comme Sanche le brave, lui-même fils d’Alphonse X de Castille et qui, à la mort de son frère aîné, avait réclamé le trône devant ses neveux, en occasionnant quelques tensions avec le roi. Quoiqu’il en soit l’histoire conte que les deux hommes Sanche et Don Juan Manuel Espagne_medievale_roi_sanche_IV_de_Castille_fils_de_Alphonse_X_moyen-age_central_XIIIefurent très liés et que le château de Pañafiel qui devint la demeure de ce dernier est le résultat d’une faveur royale et de cette amitié.

(ci-contre portrait du roi Sanche IV de Castille par José María Rodríguez de Losada (XIXe)

A sa mort, Sanche laissera le trône à son propre fils Ferdinand IV. Le règne de ce dernier fut court puisque le souverain mourra à 26 ans,  d’une maladie foudroyante dont la légende dit qu’elle lui fut mandée par un homme qu’il avait fait injustement condamné. Avant de mourir ce dernier, l’invectiva en effet en lui prédisant qu’il mourrait sous trente jours et effectivement trente jours plus tard, le roi décédait inexplicablement. Légende médiévale ? C’est fort plausible. Une histoire similaire se répéta, dit-on, un an plus tard en France entre Philippe le Bel et le grand maître du temps (qui semble-t-il est le fruit de l’imagination d’un historien italien du XVe).

Quoiqu’il en soit, à sa mort, Ferdinand IV laissait derrière lui une ligue formé autour d’un de ces frères (Don Pedro) que sa propre défiance avait peut-être contribué à créer. Le souvenir d’un père ayant ravi le trône à son propre neveu l’avait-il rendu méfiant?  L’histoire ne le dit pas. Pour revenir à notre auteur du jour, durant son règne, Ferdinand IV lui accorda sa confiance en le faisant nommer Sénéchal, Un peu avant sa mort, le roi lui confiera même, le royaume de Murcie, ainsi que la mission d’étouffer les futures ambitions de son frère Don Pedro, pour laisser libre champ à l’héritier légitime, son propre fils. Don Juan Manuel n’a alors pas encore trente ans mais il a déjà derrière lui une longue carrière militaire et quelques faits notables. L’histoire dit en effet que, dès l’âge de 12 ans, il guerroyait déjà avec vaillance pour repousser les invasions maures à Grenade et Murcia.

1295, la Reine Maria de Molina présente son fils Ferdinand IV à la cour de Valladolid, par Antonio Gisbert Pérez (1863)
1295, la Reine Maria de Molina présente son fils Ferdinand IV à la cour de Valladolid, par Antonio Gisbert Pérez (1863)

Les déchirements autour de la régence

Le roi Ferdinand IV mort, il laisse derrière lui trois enfants dont un héritier, un jeune fils, âgé de 1 an, Alphonse XI et une veuve, la reine Constance du Portugal. A leurs côtés, on trouve Juan de Castilla, oncle du futur roi et fils d’Alphonse X ( Jean de Castille, autre Don Juan à ne pas confondre avec celui qui fait l’objet de cet article, ou même encore avec les rois Juan I et Juan II de Castille). Fidèle à la promesse faite au défunt roi, Don Juan Manuel prendra ce parti. Face à eux, la reine mère et régente María de Molina se liguera bientôt  avec son fils Don Pedro (Pierre de Castille) pour leur disputer le pouvoir.

Don Juan de Castille & Don Pedro

Un an plus tard, la jeune reine Constance mourra, laissant libre le champ à la reine mère et atermoyant ainsi quelque peu les tensions. Don Pedro et Juan de Castilla seront alors proclamés tous deux, tuteurs du futur roi. En l’absence d’intérêts convergents manifestes, de coordination et de directions claires, l’étrange arrangement de ce triumvirat dont la reine forme la troisième tête, ne tardera pas à donner lieu à des tensions entre les différentes parties. Si elles n’atteindront pas, dans un premier temps, celles qui sévirent un peu plus tard en France avec le conflit des armagnacs et des bourguignons, les suites sanglantes qu’allait lui donner deco_medieval_espagne_moyen-agel’Histoire, quelque temps après, sous le règne futur d’Alphonse XI portèrent, sans doute, quelques uns de ses fruits gâtés.

Don Juan Manuel, quant à lui, en essuya assez vite quelques plâtres puisque Don Pedro tenta de lui reprendre quelques terres et domaines qui lui avait été précédemment concédés. L’homme ne se laissa pas faire et pour y surseoir, se délia même de son serment de vassal et entreprit de piller les terres du prétendant, ce qui finit par régler le conflit. On reconnut ainsi bien vite à Don Juan Manuel le bien fondé de ses propriétés et l’on comprit au passage, si l’on ne le savait déjà, qu’il n’était pas homme à prendre à la légère.

Du côté de la gouvernance de l’Espagne, l’année 1319 mit bientôt d’accord les deux tuteurs Juan de Castille et Don Pedro d’une manière assez radicale. Réunis en effet sous la même bannière, à l’occasion d’une bataille contre le sultan de Grenade, (la bataille d’Elvira), les deux seigneurs espagnols périrent tous deux sur le champ de bataille et semble-t-il, sans que le fer, ni l’estoc de l’ennemi sarrasin n’y soit pour rien; on conta que le premier noble tomba de sa monture alors qu’il n’était engagé dans aucun combat et qu’il en périt, mais le comble, on dit encore qu’apprenant la nouvelle, quelques instants après, le deuxième noble fut pris à son tour d’un malaise inexplicable et qu’il trépassa, à son tour, sans qu’on put rien y faire et alors qu’on l’évacuait du champ de bataille : foudre de Dieu ?, Confusion, légendes inventées après coup ou plutôt chute accidentel de cheval, apoplexie, déshydratation, ou effet d’une chaleur de plomb ? Les historiens n’ont, à ce qu’il semble, toujours pas tranché sur cette étrange farce du destin.

Don Felipe de Castilla et Juan de Haro,
le temps de la guerre

A la mort des deux tuteurs, Don Juan Manuel offrit ses services à la reine pour prendre, à son tour, la régence. Il a le droit de son côté et peut-être aussi que le devoir l’y pousse. Comme rien n’est jamais simple, la souveraine qui a peut-être le mauvais souvenir des tensions ayant opposé l’homme à son fils mais qui semble aussi bien décidée à promouvoir à tout prix ses propres enfants aux poste-clés, accepte la demande du noble tout en enjoignant un autre de ses fils, Felipe de Castilla (Philippe), de faire tout son possible pour entraver la chose. Ce dernier tendra un piège à Don Juan Manuel pour tenter de l’enlever, puis, devant son échec, mandera encore un exercice pour l’affronter mais c’est sans compter sur l’expérience militaire de Don Juan Manuel autant que sa puissance. A l’époque, l’homme à en effet à son service une armée de plus de 800 cavaliers et plusieurs milliers de fantassins. Devant le fait, l’opération capotera lamentablement sans qu’on est même eut à batailler.

espagne_histoire_europe_medievale_blason_armoirie_jean_le_haro_jean_le_borgne_moyen-age_XIVeLa nature a horreur du vide et le pouvoir plus encore. La manoeuvre grossière ayant échoué, la reine se trouvera en position délicate et, à la faveur de ces circonstances, un autre noble se rapprochera d’elle, tout en entendant bien jouer sa carte dans les  affaires de régence et de pouvoir. Il a pour nom Juan de Haro, dit encore Juan el tuerto (Jean le Borgne),  et il n’est autre que le fils du défunt Juan de Castille, mort au combat sans combattre; par le sang, il est donc aussi cousin du futur roi. (ci-dessus les armoiries de la maison des Haro)

Peut-être sous l’influence de l’infant Felipe et du nouveau noble entré en lice, la reine finira par ôter le titre de grand sénéchal à Don Juan Manuel. Isolée par cette nouvelle maladresse et sous la pression des influences, elle finira par perdre la régence tandis que le conflit entre Felipe et le prince de Villena se résoudra bientôt par un pacte de non agression et un serment prêté devant l’église.

Las !, la promesse de la paix retrouvée ne sera qu’un mirage de courte durée et, à la mort de la reine, les luttes pour la régence et le pouvoir se poursuivront, cette fois, entre Felipe et Juan De Haro, pour finir par éclater bientôt en un conflit militaire et ouvert, aux allures de guerre civile. Les échauffourées entre les deux seigneurs gagneront bientôt leurs vassaux, des factions émergeront, certains civils s’en mêleront et on entretiendra même des hordes de brigands qui dévasteront tout sur leur passage : pillage, rapine, meurtre, exaction, c’est un véritable déchaînement de violences dans une Espagne meurtrie par ses luttes intestines. Des deux côtés, on met les cités de la partie adverse à sac et on va même jusqu’à en assassiner les notables. Bien qu’étant aussi l’un des tuteurs du roi, il semble que, durant le sanglant épisode, ces déchirements et ses exactions aient plus concerné les deux nobles susnommés que Don Juan Manuel. Quant au conflit entre Don Felipe, l’oncle du roi,  et Don Jean de Haro, son cousin, Il fallut que l’enfant roi devint majeur pour y mettre un terme.

L’enfant fait roi
Le rêgne d’Alphonse XI

Dans l’Europe du moyen-âge central, les monarques se suivent et ne se ressemblent pas toujours et quand le pouvoir est centralisé de manière si forte autour d’une seule personne, ils finissent par marquer invariablement leur pays de leur empreinte,  pendant leur années de règne. A la dureté du contexte et des crises, peut-être fallut-il que l’Espagne donne naissance, à ce moment précis de l’Histoire, à un roi à la main forte. De fait, on le surnomma le justicier et, à en juger par certains faits dont il fut comptable, Alphonse XI n’usurpa pas sa réputation d’impitoyabilité.

Espagne_medievale_roi_alphonse_XI_de_Castille_le_justicier_moyen-age_central_XIVe(ci-contre portrait de Alphonse XI de Castille, par Francisco Cerdá de Villarestan (XIXe),  Musée du Prado, Madrid)

Dès son accession au pouvoir, en 1325, les trois tuteurs furent de fait, écartés de la régence  mais aussi de l’oreille du roi. Les exemples qu’ils venaient de laisser de leur capacité à mener le pays avaient sans doute jouer contre eux mais il en fallait plus pour que les déchirements cessent. Ainsi, le reste est encore fait d’intrigues et de luttes de pouvoir.

De son côté, il semble que Felipe ait réussi à tirer son épingle du jeu en conservant quelques influences à la cour, mais sa mort en 1327 y mettra fin; trois hommes auxquels on prête une influence certaine auprés du roi, virent bientôt s’imposer dans les jeux de pouvoir:  Álvar Núñez Osorio, Juan Martínez de LeivaGarcilaso I de la Vega.  Les luttes qui en suivront sont, en partie, souterraines puisqu’elles opposent ses nouveaux conseillers de cour ambitieux aux deux anciens tuteurs Juan de Haro et Don Juan Manuel, considérés alors comme des rivaux potentiels. Faut-il pour autant supposer que le roi s’est laissé totalement manipulé ? Difficile de l’affirmer, au vue du contexte et des crises passées, peut-être avait-il hérité, lui aussi, d’une méfiance naturelle envers de trop puissants vassaux ?

Fausses promesses et froids assassinats

Sachant leur position devenue délicate, Don Juan Manuel et son neveu Juan le Haro formèrent bientôt une alliance qui, comme souvent au Moyen-âge, quand on les voulait fortes et pérennes passait par un mariage. Ainsi le noble promis au borgne sa fille Constanza (âgée alors de 9 ans) et on s’apprêta à célébrer les noces. Sous la pression de ses conseillers ou simplement parce que la présence de ce nouveau contre-pouvoir l’inquiétait, le roi Alphonse XI contra l’alliance en s’interposant de la manière la plus imparable qui soit. Il demanda en effet d’épouser lui-même la jeune princesse. Don Juan Manuel y souscrira de bonne grâce et sur la foi de cette promesse, il servira même les intérêts du nouveau roi en partant en campagne pour lui.

deco_medieval_espagne_moyen-ageEn réalité, soit que le roi n’en ait jamais eu l’intention, soi que les suites de l’Histoire ne le permirent pas, ce mariage ne fut jamais mené à son terme. Sur son intention véritable pourtant et en s’avançant un peu, quelques subterfuges dont il usa juste après la promesse faite à Don Juan Manuel, laissent à supposer que ce n’était pour lui qu’un moyen politique de contrer l’alliance, même si on avait célébré les fiançailles avec faste. C’est en tout cas certainement ce qu’en pensa Don Juan Manuel. Dans le même temps, bien décidé à éliminer tout contre pouvoir potentiel, Alphonse XI fera, en effet, froidement assassiner Juan le borgne (son cousin) après lui avoir promis la main de sa soeur. Nous sommes en 1326, le souverain n’a alors que 16 ans et quelque soit l’influence que l’on peut prêter à de fallacieux conseillers, la scène est si brutale et la manoeuvre si perfide qu’elle pourrait être digne d’un épisode ou d’un chapitre du trône de fer.

Rendu méfiant par les rumeurs sur les intentions de la couronne et sachant que certains des conseillers veulent sa peau, malgré la proposition qui lui est faite d’épouser la soeur du roi, Juan le Haro refusera de se rendre à une convocation du souverain. On lui donnera donc rendez-vous sur un terrain plus neutre et Alvar Nuñez en personne, viendra assurer l’homme des bonnes intentions de la couronne à son égard. Juan le Haro finalement mis en confiance, on pourra l’entraîner dans un piège impitoyable auquel Alphonse XI garde son nom entaché. Après avoir convié l’homme à table, on le fera, en effet, égorger pendant le repas avec deux de ces vassaux avant de jeter un drap noir sur la scène et de le déclarer traître non sans s’approprier, au passage, ses fiefs et ses domaines. Etroitement associé au crime, Alva Nuñez s’y taillera une belle part et héritera même d’un château.

Don Juan Manuel contre le roi

armoirie_espagne_medievale_don_juan_manuel_auteur_noble_chevalier_moyen-ageAprès avoir appris les faits, Don Juan Manuel rendu méfiant quittera l’armée royale pour se retirer en Murcie. Le roi déchaînera alors sa fureur contre les anciens alliés du noble et répudiera la fille de ce dernier, la faisant même enfermer, pour se promettre de son côté à la princesse Marie-Contance du Portugal. Devant les faits, Don Juan Manuel se déliera de ses obligations envers le roi et formera même une ligue contre lui. (ci-dessus armoiries de Don Juan Manuel)

Le conflit sévira alors., la ligue de Don Juan Manuel d’un côté et de l’autre les conseillers du roi rapidement élevés dans leur statut et leur pouvoir à de plus haut rangs nobiliaires. Le souverain a fait le vide autour de lui, il ne lui reste d’autres choix. Face à la disgrâce du conflit et de ces déchirements entre chrétien, Le pape Jean XXII  finira même par s’en mêler.

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(portrait supposé de Don Juan Manuel, Cathédrale de Murcia)

De son côté, Alva Nuñez que l’on rend comptable  d’une bonne partie de ces conflits finira, bientôt, assassiné sur ordre du roi et sur un mode opératoire semblable à celui qu’il avait lui-même utilisé pour venir à bout de Juan de Haro. Sa méfiance endormie par un de ses anciens alliés, venu lui faire une visite de courtoisie,  Nuñez sera poignardé dans le coeur par ce même homme mandaté en réalité par la couronne.  Et comme on ne change pas une recette quand elle est bonne, ce dernier recevra, en échange de ses loyaux service et à son tour, le château de sa victime.

Après cela le roi tentera encore de tendre un piège à Don Juan Manuel pour l’assassiner mais ce dernier ne tombera pas dedans. Qui peut encore faire confiance à un homme qui a fait assassiner deux hommes dans leur dos, fusse-t-il roi, et qui en plus a fait enfermer votre propre fille et refuse de la libérer ?

L’union face à l’envahisseur sarrasin

Il faudra encore de longues années pour que le conflit s’apaise et que les deux parties s’unissent. il faudra que le roi montre sa mansuétude et qu’ayant longtemps et de la manière la plus cruelle, assiégé la forteresse de son cousin Don Juan Nuñez, autre allié de Don Juan Manuel, il accorde finalement à l’homme sa merci et le nomme même à ses côtés pour faire un pas dans la bonne direction et restaurer un peu de la confiance qu’il avait depuis si longtemps et par ses actes, perdus. Après quelques tractations menées par des intermédiaires auprès de Don Juan Manuel, la réconciliation suivra… à temps.

De leur côté, les musulmans d’outremer se sont unifiés et ont levé, dit-on,  une armée de soixante mille cavaliers et quatre cent mille fantassins avec laquelle ils promettent d’envahir cette fois toute l’Europe. Un peu plus tard, face à la dureté des affrontements avec l’envahisseur et devant la nécessité de nouveaux moyens, Alphonse XI finira même par céder à la demande du Portugal de relâcher la fille de Don Juan Manuel.  Le souverain portugais d’alors entend en effet lui faire épouser son héritier Pierre Iᵉʳ et le souverain espagnol y consentira, contraint par la nécessité dit-on, après avoir d’abord refusé. Dix avaient passé depuis ses fiançailles avec elle, dix ans retenue prisonnière, comme les princesses des contes. On ne sait pas vraiment si c’est par jalousie que Alphonse XI ne voulut toujours pas, dans un premier temps, la faire libérer. La princesse a laissé en tout cas un témoignage éloquent de ses états d’âme et de ses vues sur le roi dans une lettre qui nous est parvenue de cette période.

Pour, le reste de l’histoire, à près de soixante ans, Don Juan Manuel se battit loyalement et valeureusement aux côtés du roi et fut l’artisan de nombreuses victoires contre les maures. Ses faits et son héroïsme entrèrent pour longtemps dans la légende de l’Espagne, autant que le fit Alphonse XI pour ses grandes campagnes d’alors contre les sarrasins.

deco_medieval_espagne_moyen-ageDans une vie troublée par tant de luttes intestines, notre auteur du jour trouva tout de même le temps de léguer à la postérité quelques écrits qui firent date. Comme nous le disions en introduction, nous aurons bientôt l’occasion d’en publier quelques extraits ici mais nous voulions dans un premier temps, faire une  large place à sa vie politique et militaire, d’abord parce qu’elle nous ait assez bien connu, ensuite parce qu’elle nous fournit l’excuse de faire un détour par l’histoire de l’Espagne médiévale.

Encore une fois, avec quelques nuances, il ne s’agit que d’une brève synthèse des pages de son biographe, cité en introduction. En plus de leur qualité de plume, ces dernières portent en elles toute la force de conviction que pouvait parfois porter l’histoire du XIXe dans ses grandes envolées narratives et lyriques. Elle n’avait pas toujours raison, mais tout de même, qu’elle était belle à lire quand elle savait se charger de véritables qualités littéraires, aussi nous ne pouvons que vous enjoindre si le sujet vous intéresse et pour plus de détails, d’aller puiser directement à leur source.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.