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Autour de Jacob Van Maerlant, nouvelle exposition de précieux manuscrits médiévaux au KBR Museum

événements autour du Moyen Âge au KBR Museum.

Sujet : Belgique médiévale, manuscrit ancien, manuscrits médiévaux, exposition, ducs de Bourgogne, musée, enlumineurs médiévaux, Bible enluminée, enluminure
Période : Moyen Âge central à Renaissance
Auteur : Jacob van Maerlant (1230-1300)
Lieu : KBR Museum,  Mont des Arts 28, Bruxelles.
Date : A partir du 23 mai 2023.

Bonjour à tous,

rés régulièrement, le KBR Museum de Bruxelles nous gratifie de nouveaux événements autour du Moyen Âge. A ces occasions, la grande institution bruxelloise — connue, auparavant, comme la Bibliothèque Royale de Belgique — en profite pour exposer de nouveaux trésors issus de la riche collection de la Librairie des ducs de Bourgogne dont elle a la charge.

Bien plus qu’une simple exposition

Si ces expositions tournantes permettent au public de découvrir de précieux manuscrits du Moyen âge, elles ont aussi l’avantage d’éviter que ces codex d’une grande rareté ne restent trop longtemps exposés aux lumières, même soigneusement tamisées des salles du musée. Après quelques mois d’exposition au public, ces ouvrages d’exception et leurs belles enluminures regagnent, donc, leur coffre aux trésors afin d’y retrouver un lieu de conservation plus approprié pour une durée indéterminée, et c’est aussi ce qui fait la valeur de ces exhibitions.

Pour le plaisir du public, ajoutons que ces événements ne se limitent pas à l’exposition de manuscrits, d’enluminures et d’estampes rares, ce qui pourrait déjà contenter de nombreux amateurs d’œuvres anciennes. Chaque nouvelle saison au KBR Museum inaugure également son lot d’activités interactives, entre visites sur mesure, conférences et échanges, ou encore ateliers à la découverte de nouvelles techniques d’enluminure médiévales, etc… Bonne nouvelle, les mois à venir ne dérogeront pas à la règle !

Ajoutons que ce musée moderne et dynamique, tout à fait dans son temps, offre encore à ses visiteurs, un parcours animé et immersif à la découverte de la vie au XVe siècle, du temps des ducs de Bourgogne.

Grand trésor de cette nouvelle saison :
la Rijmbijbel de Jacob Van Maerlant

Enluminure de la bible en vers de Jacob  Van Maerlant (XIIIe siècle), ms 15001, KBR Museum

Pour cette nouvelle saison qui s’ouvre le 23 mai, l’occasion sera donnée aux férus d’histoire et aux passionnés de Moyen Âge de faire la découverte d’un manuscrit de très grande valeur et copieusement enluminé : la Rijmbijbel, bible en vers que l’on doit au poète et écrivain flamand Jacob Van Maerlant. Avant de dire un mot de cette véritable star de l’exposition, nous vous invitons à découvrir cet auteur médiéval et son œuvre majeure pour la Belgique et les Pays-Bas du Moyen Âge central.

L’œuvre et le legs de Jacques Van Maerlant

Satut de Jacob Van Maerlant a Damme

A propos de Jacob Van Maerlant, en français Jacques Van Maerlant, quelques zones de floue subsistent dans a biographie mais dans les grandes lignes, cet homme de lettres, natif de la province de Bruges, aurait officié comme sacristain à Maerlant, avant de s’installer à Damme, ville de la banlieue de Bruges où il fut greffier et clerc.

Durant sa longue vie, il produisit une œuvre impressionnante et variée qui l’a fait considérer comme un des pères de la littérature médiévale en langue néerlandaise. Il a notamment donné au moyen néerlandais, ses véritables lettres de noblesse, en le faisant entrer de plein pied dans les bibliothèques du Moyen Âge central, aux côtés du latin.

Jusqu’à aujourd’hui, la plupart des biographes de Jacques Van Maerlant ne tarissent pas d’éloges à son sujet et certains n’ont pas hésité à le qualifier de « glorieux père de la poésie flamande« , de « père de la littérature belge« , avançant encore « qu’il a ouvert une nouvelle ère de l’intelligence en Belgique » (1).

Un nombre vertigineux d’ouvrages adaptés
en moyen néerlandais

Une certitude demeure. Au cœur du XIIIe siècle, cet auteur médiéval a pris l’éducation de ses contemporains très au sérieux, en nourrissant le projet de rompre avec le latin pour mettre, à leur disposition, un large corpus d’ouvrages en langue vernaculaire. Ainsi, s’il s’attaqua dans un premier temps à la traduction du Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure (1160-1170) et du Roman d’Alexandre, et s’il adapta aussi, de manière plus libre, certains romans arthuriens en langue d’oïl de Robert de Boron (2), il se dirigea, par la suite, vers des ouvrages plus scientifiques et encyclopédiques. On pourrait même presque dire « académiques ».

A ce titre, il traduisit le Secretum Secretorum du pseudo Aristote du latin vers le moyen néerlandais, sous le titre Heimeliсheit der Heimeliсheden, ainsi que des précis d’histoire naturelle (Der naturen bloeme à partir du De natura rerum de Thomas de Cantimpré), des chroniques historiques (le Spiegel historiael tiré du Speculum historiale du dominicain Vincent de Beauvais) et et d’autres textes variés. Entre toutes ses contributions, on lui doit encore des ouvrages plus liturgiques et religieux, incluant une hagiographie de Saint François d’Assise, ainsi que sa bible en vers, la Rijmbijbel que le KBR Museum exposera cette saison.

L’auteur & poète au delà du traducteur

« Quand Van Maerlant n’eût été que le simple traducteur de cette masse prodigieuse de compilations qui renfermait, pour ainsi dire, toute la science du Moyen Âge, il eût fait l’admiration de son siècle. (…) Mais il se distingua aussi comme poète original et lyrique. »

Revue trimestrielle, Trente-quatrième volume – Tome 2, Bruxelles (1862)

Impressionnants par leur seul volume, les travaux d’adaptation de Jacques Van Maerlant furent loin de se résumer à de simples traductions littérales ; dans de nombreux cas, l’écrivain flamand a su prendre de vraies libertés d’auteur, ajoutant, retranchant et apportant ses propres précisions et connaissances.

Portrait de Jacob Van Maerlant, dans le Spiegel Historiael (XIVe siècle), enluminure retouchée par Moyenagepassion.
Portrait de Jacob Van Maerlant (XIVe)

Au delà, cet homme de lettres prolifique ne s’est pas contenté d’adapter en néerlandais ce que d’aucuns considèrent comme la somme des savoirs encyclopédiques de son temps. Il a également rédigé de nombreux poèmes dont quelques satires (le Wapene Martyn, un dialogue sur la corruption de la noblesse, ou encore le Dek Kerken Clerghe, une complainte sur le clergé corrompu). Autant d’écrits qui l’ont fait reconnaître par les érudits et littérateurs médiévaux, comme une des plumes les plus fines de son temps, et même comme le plus grand poète en langue néerlandaise du XIIIe siècle.

Pour finir, entre tous les efforts de Jacques Van Maerlant pour mettre à portée de ses contemporains une large librairie en langue néerlandaise, sa «Rijmbijbel», est, à ce jour, considérée comme le premier manuscrit illustré rédigé en moyen néerlandais, c’est dire à quel point sa valeur intrinsèque est grande. Avant d’y revenir, il nous semble utile de faire, ici, une parenthèse sur la langue néerlandaise et sa formation du haut Moyen Âge au Moyen Âge tardif. Cela nous permettra de fixer quelques connaissances supplémentaires sur l’Europe médiévale.


A l’origine de la langue néerlandaise

La langue néerlandaise trouve ses origines dans le bas-francique. Cet ensemble de dialectes d’origine germanique était celui que parlaient, au haut Moyen Âge et au milieu du Ve siècle, les francs saliens fraîchement débarqués aux Pays-bas. Ce sont ces mêmes francs saliens qui donnèrent lieu à la dynastie mérovingienne. Sur cette nouvelle ère géographique, qui comprenait la Hollande et une partie de la Belgique actuelle, ces dialectes franciliens se sont assez vite différenciés de leurs racines originelles.

De fait, la langue néerlandaise s’est constituée peu à peu, par la combinaison et la réunion de ces différentes formes dialectales. On considère qu’elle est parvenue à sa forme à peu près fixée, vers la fin du Moyen Âge central, au XIVe/XVe siècle. Sur ces dix siècles d’évolution, la période correspondant au moyen néerlandais s’étale du milieu du XIIe siècle à la fin du Moyen Âge (XVe). Lui succédera le néerlandais moderne.

Aujourd’hui, le néerlandais est parlé sous diverses variantes, par plus de 30 millions de locuteurs sur la planète, ce qui en fait la 3eme langue d’origine germanique du monde, après l’allemand et l’anglais. La Hollande et la Belgique restent son fief principal avec les 2/3 des locuteurs, mais c’est aussi la langue officielle du Suriname et des Antilles néerlandaises. On la trouve encore en usage dans certains coins plus marginaux : au nord de France, dans certaines provinces allemandes, ou encore aux Philippines, sur le continent Australien et en Nouvelle Zélande. C’est encore elle qui a donné naissance à la langue des Afrikaners, toujours pratiquée en Namibie et en Afrique du Sud.


La précieuse bible en vers de Jacob Van Maerlant

Après ce long détour qui vous aura, nous l’espérons, appris des choses, revenons à l’exemplaire de la Rijmbijbel de Jacob Van Maerlant exposé, à partir du 23 mai, au KBR Museum. Au vu du nombre de manuscrits de cette bible en vers ayant traversé le temps pour nous parvenir, cet ouvrage a assurément connu un certain succès dans son berceau d’origine. On compte, en effet, à date, soixante-quatre codex survivants, ce qui est assez considérable pour un ouvrage du XIIIe siècle (voir l’excellente conférence de Richard Trachsler sur la codicologie).

Dans le lot, un superbe exemplaire se trouvait, donc, conservé dans la bibliothèque des Ducs de Bourgogne et quel exemplaire ! Sous la référence ms 15001, plusieurs facteurs font la particularité et la grande valeur de ce manuscrit médiéval. Tout d’abord sa datation. Copié dans la dernière partie du XIIIe siècle, à date, ce codex est une des plus anciens manuscrits illuminés en langue néerlandaise.

Entre toutes les autres bibles en vers de Jacob Van Maerlant répertoriées, le ms 15001 est également l’un des plus enluminé, avec un total envoisinant les 160 miniatures, auxquels viennent s’ajouter des enluminures textuelles et d’autres ornements. Bref, un travail d’orfèvre pour une copie destinée assurément, en son temps, à un public très sélect.

Un patient travail de restauration

Enluminure de la bible en vers de Jacob  Van Maerlant (XIIIe siècle), ms 15001, KBR Museum

Pour les conservateurs du KBR Museum, ce trésor du Moyen Âge et du patrimoine mondial avait grand besoin, de longue date, d’un traitement spécial. Fort heureusement l’opération put être financée et lancée en 2014. Au programme, digitalisation, restauration et une foule d’opérations minutieuses pour s’assurer de la longévité et de la conservation future du manuscrit. Ce sont tous ces soins patients, effectués par des mains expertes, qui ont permis au Musée Bruxellois d’exposer, aujourd’hui, ce rare codex médiéval, aux yeux du public.

De Van Maerlant aux bibles enluminées

A l’occasion de cette exposition, la bible versifiée de Jacob Van Maerlant sera accompagnée d’une nouvelle sélection de manuscrits mais aussi d’estampes et d’enluminures en provenance de la librairie des ducs de Bourgogne. L’œuvre de l’auteur médiéval flamand y sera largement à l’honneur mais pas seulement puisque le thème des enluminures et de l’imagerie dans les bibles du Moyen âge et de la Renaissance sera également exploré.

Pour le reste, le programme se partagera, entre conférences, visites spéciales, ateliers et même lectures poétiques. Vous en trouverez, ci dessous, un petit digest des dates clef. Pour plus de détails sur les tarifs et les disponibilité, n’hésitez pas à vous reporter au site web officiel du KBR Museum.

Atelier : peindre une miniature de la Rijmbijbel

Date : 28 mai 2023 – 10h00 17h00
Intervenante : Dorothée Van Hona

Dans cet atelier, il s’agira d’apprendre à créer et reproduire une miniature de manuscrit médiéval de Jacques Van Maerlant. Au programme, variations autour des techniques, des pigments, des pinceaux et des supports utilisés par les enlumineurs médiévaux. Réservation recommandée, le maximum de participants étant fixé à 10 personnes.

Conférence : La restauration de la Rijmbijbel

Date : 03 juin 2023 – 11h00 12h30
Intervenante : Tatiana Gersten,
conservatrice-restauratrice au KBR

Cette conférence vous proposera de suivre les étapes de la délicate restauration du précieux manuscrit médiéval du XIIIe siècle, en compagnie d’une experte au première loge du sujet.

Lecture poétique & scénique autour du manuscrit

Date : 10 juin 2023 – 13h30 16h30
Intervenant : le collectif de poésie SpeakEasy Spoken Word BXL

Lecture poétique et scène ouverte autour de la bible en vers de Jacob Van Maerlant par un collectif d’artistes.

Atelier libre autour des enluminures

Date : 11 juin 2023 – 14h00 16h30
Intervenant : Dorothée Van Hona
Cette atelier vous permettra de vous familiariser de manière générale, avec les techniques d’enluminure en usage au Moyen Âge.


Pour conclure et comme vous l’aurez compris, à partir du 23 mai, l’histoire médiévale vous donne rendez-vous en grand au KBR Museum. Le temps de votre séjour (si vous ne vous trouvez pas déjà sur place), vous pourrez bien sûr, bénéficier de tous les agréments que ne manquera pas de vous proposer la capitale belge, si chère à Dick Annegarn.

En vous souhaitant une excellente journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.


Notes

(1) Notice sur Jacques Van Maerliant, Philip Blommaert, Bruges (Vandecasteele-Werbrouck 1849),
(2) Jacques Van Maerlant, par Willem Lodewijk de Vreese, Bruxelles (Imprimerie Bruylant-Christophe et Cie, 1894)

D’un coq découvrant une gemme, une fable de Marie de France

Enluminure de Marie de France

Sujet  : poésie médiévale, fable médiévale, vieux français, anglo-normand, auteur médiéval, ysopets, poésie morale, oïl.
Période : XIIe siècle, Moyen Âge central.
Titre : D’un coc qui truva une Gemme…
Auteur  : Marie de France (1160-1210)
Ouvrage  :  Poésies de Marie de France, T2, B de Roquefort (1820)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous irons chercher notre inspiration médiévale du côté de la poésie de Marie de France. Cette première écrivaine en langue vernaculaire française et, plus précisément, en anglo-normand, nous a laissé une œuvre fournie, connue pour ses lais mais aussi ses fables inspirées des auteurs antiques.

De l’indifférence d’un coq face au diamant

Une fois de plus, c’est donc une fable qui nous donnera l’occasion de nous rapprocher de l’auteur(e) médiéval. Il y sera question d’un coq, d’une gemme et, en définitive, pour le dire de manière triviale, d’une morale assez voisine du dicton populaire qui parle de « confiture donnée aux cochons ».

Dans le récit, il ne s’agit pas, toutefois, de complète ignorance de la part du coq. Ayant débusqué une pierre précieuse dans un tas de fumier, il ne s’intéresse simplement pas à la valeur du trésor exhumé. Il sait qu’il s’agit d’une gemme. Il est même conscient qu’entre des mains plus expertes, la pierre précieuse se trouverait sublimée. Sertie d’or, elle brillerait alors de mille feux mais cela ne change rien pour lui. Il ne la trouve absolument d’aucune utilité et lui préférerait largement un peu de pitance.

Peu vif, l’animal passera donc à côté de la valeur réelle de sa trouvaille, ne daignant même pas la remuer, et la poétesse médiévale étendra la morale de sa fable à toute chose de valeur (bien, honneur) que, selon elle, nombre de ses contemporains dédaignent, pour leur préférer des choses plus triviales ou bien pires.

La fable du coq et de la perle de Marie de France, illustrée d'une enluminure.

D’un coc qui truva une Gemme sor un Fomeroi
dans la langue d’oïl de Marie de France

Du coc racunte ki munta
Sour un fémier, è si grata
Selunc nature purchaceit,
Sa viande cum il soleit:
Une chière jame truva,
Clère la vit, si l’esgarda;
Je cuidai, feit-il, purchacier,
Ma viande sor cest fémier,
Or ai ici jame travée,
Par moi ne serez remuée.
S’uns rices hum ci vus travast,
Bien sei ke d’or vus énurast;
Si en creust vustre clartei,
Pur l’or ki a mult grant biautei
Qant ma vulentei n’ai de tei
Jà nul hénor n’auraz par mei.

Autresi est de meinte gent,
Se tut ne vient à lur talent,
Cume dou Coc è de la Jame;
Véu l’avuns d’Ome è de Fame:
Bien, ne hénor, noient ne prisent,
Le pis prendent, le mielx despisent.

Une adaptation en français actuel

NB : cette fois-ci, nous avons choisi d’une adaptation plutôt qu’une traduction mot à mot. C’est un premier jet perfectible mais il a au moins le mérite d’être maison.

Juché sur un tas de fumier
Un coq s’affairait à gratter
Y cherchant, avec insistance,
Suivant son instinct, sa pitance.
Une belle gemme il exhuma,
De grand valeur et l’observa :
« Je pensais, fit-il, débusquer
De quoi manger dans ce fumier,
Et c’est toi, pierre, qui m’est échu,
Pas question que je te remue…
Qu’un riche homme t’ait découvert
Et d’or il t’aurait recouvert.
Ton éclat ressortirait mieux
Mis en valeur par l’or précieux.
Mais je ne veux rien de tout cela

Point d’honneur, tu n’auras de moi. »

Il en va ainsi de beaucoup
Si tout ne tombe à leur goût,
Comme du coq et son diamant,
Hommes et femmes sont ressemblant,
ni bien, ni honneur, ils ne prisent,
Le pire prennent, le meilleur méprisent.

Aux origines de cette fable médiévale


En remontant le fil de cette fable, on la retrouve chez les fabulistes antiques bien avant Marie de France, Esope d’abord puis Phèdre dans son sillage. Dans les deux cas, elle y avait déjà, un sens assez voisin que celui que lui donne Marie de France, même s’il faut reconnaître que le propos originel de cette fable est si général que le symbole de la perle peut recouvrir bien des choses suivant le sens qu’on veut bien lui donner : valeurs morales, science, savoir, éducation, etc…

Le Coq et le diamant d’Esope

Le coq sur un fumier grattoit , lorsqu’à ses yeux parut un diamant : « Hélas, dit-il ! Qu’en faire ? Moi qui ne suis point lapidaire (artisan joaillier) Un grain d’orge me convient mieux. »

Les Fables d’Esope mises en françois avec le sens moral
en quatre vers et des figures à chaque fable (1775).

On peut trouver un commentaire en vers de cette fable dans l’ouvrage en question :

Ce trésor qu’un coq mal habile
Rebute & vois ici d’un œil indifférent
C’est Homère ou Virgile
Entre les mains d’un ignorant.

Le contenu de la fable d’Esope est assez laconique et succinct mais comme on le voit, l’auteur du XVIIIe siècle penchait de son côté pour une valeur culturelle, philosophique et éducative du symbole quand Marie de France l’avait plus résolument tiré du côté des valeurs morales.

Le poulet à la perle de Phèdre

Au premier siècle de notre ère et près de six siècles après Esope, Phèdre a repris cette fable à son compte, en restant dans un esprit sensiblement identique à celui d’Esope.

Pullus ad margaritam : In sterquilino pullus gallinaceus dum quaerit escam, margaritam repperit. “Iaces indigno quanta res”, inquit, “loco! Hoc si quis pretii cupidus vidisset tui, olim redisses ad splendorem pristinum. Ego quod te inveni, potior cui multo est cibus, nec tibi prodesse nec mihi quicquam potest.” Hoc illis narro, qui me non intellegunt.

Un jeune Coq, en cherchant sa nourriture sur un tas de fumier, trouva une Perle.  » Précieux objet, dit-il, tu es là dans un lieu indigne de toi ! Si un avide connaisseur t’apercevait, il t’aurait bientôt rendu ton premier éclat. Pour moi qui t’ai trouvé, le moindre aliment me serait meilleur ; je ne puis t’être utile et tu ne peux rien pour moi. « 
J’adresse cette fable à tous ceux qui ne peuvent me comprendre.

Fables de Phèdre, traduction nouvelle
par Ernest Panckoucke (1839).

Le coq confesse encore ici son incapacité à exploiter le trésor et on y ressent presque une pointe de fatalisme. Pour le gallinacé, la pierre précieuse (devenue au passage une perle) n’est définitivement pas à sa place dans ce tas de fumier. Sa valeur ne sera pas honorée et le volatile restera frustré de ne pas trouver de nourriture. En guise de conclusion, Phèdre adresse plus spécifiquement sa morale à tous ses détracteurs ou ceux qui ne savent apprécier ses écrits. On est donc, une fois encore, dans la valeur littéraire et philosophique ou la connaissance, mais sur une morale un peu plus ciblée.

Le Coq et la perle de Lafontaine

En faisant un bond dans le temps par dessus le Moyen Âge, cinq siècles après Marie de France, on retrouvera encore ce coq et sa perle chez Jean de Lafontaine. Le fabuliste moderne procédera même à une mise en miroir pour être bien certain que ses lecteurs en comprennent le sens qui reste, là encore, littéraire, éducatif et culturel :

Un jour un Coq détourna
Une perle qu’il donna
Au beau premier Lapidaire :
« Je la crois fine, dit-il ;
Mais le moindre grain de mil
Serait bien mieux mon affaire. »


Un ignorant hérita
D’un manuscrit qu’il porta
Chez son voisin le Libraire.
« Je crois, dit-il, qu’il est bon ;
Mais le moindre ducaton
Serait bien mieux mon affaire. »


Pour finir, notons qu’en un temps contemporain de Lafontaine, se trouvait dans les jardins de Versailles, une fontaine du coq et du diamant, en hommage à cette fable antique d’Esope.

Daté de 1673, ce monument arborait un petit bassin au centre duquel figurait un coq tenant une pierre précieuse dans une de ses pattes et recrachant l’eau de la fontaine par son bec tourné vers le ciel. Cette fontaine était l’œuvre de Étienne Le Hongre (1628-1690). A ce jour, il ne nous en reste plus rien qu’une gravure présente dans un ouvrage daté la fin du XVIIe siècle (Labyrinthe de Versailles, Charles Perrault, 1677)


En vous souhaitant une très belle  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : le coq utilisé en premier plan de nos illustrations provient du manuscrit médiéval côté BM ms 399, actuellement conservé à la Bibliothèque Municipale d’Amiens. Cet ouvrage ancien, daté de la dernière partie du XVe siècle, contient le Livre des propriétés des choses de Barthélémy l’Anglais. Je vous propose de découvrir ce superbe livre ancien sur le catalogue de manuscrits illuminés Initiale. Quant au reste de notre enluminure du coq de Marie de France, il s’agit d’un montage original à partir d’extraits d’autres enluminures et illustrations.

Une poésie médiévale sur des puissants en perdition et leurs actes contre-nature

Sujet : poésie satirique, poète breton, ballade, satire, poésie politique, auteur médiéval, Bretagne médiévale, oïl, moyen français.
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Jean Meschinot (1420 – 1491)
Titre : Pource que l’œuvre en est desnaturelle
Manuscrit médiéval : MS français 24314 BnF
Ouvrages :  poésies et œuvres de Jean MESCHINOT , édition 1493 et édition 1522.

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous repartons en direction de la Bretagne médiévale, non point celle du roman arthurien et de sa « matière de Bretaigne » mais celle, politique et satirique du poète et soldat Jehan Meschinot.

Nous sommes au cœur du XVe siècle, dans une France troublée, sous la main de Louis XI. Entre grogne du peuple et révolte des barons, un certain nombre d’auteurs et poètes d’alors gronde contre les abus de la couronne. Ce fut notamment le cas du chroniqueur flamand Georges Chastelain, officiant à la maison de Bourgogne. A la suite de ce dernier, Jehan Meschinot, lui-même au service des ducs de Bretagne, rédigea 25 ballades satiriques contre le pouvoir central français et son roi. Il se servit notamment du texte « Le Prince » de Georges Chastelain, pour lui emprunter les envois de ses poésies.

On peut retrouver ces 25 ballades médiévales sans concession de Meschinot à la fin de certaines éditions des Lunettes des Princes, ouvrage le plus célèbre de Meschinot, sur les bons usages du pouvoir politique et les exactions de ce dernier. De nature fortement critique, elles pointent donc du doigt les abus que faisait peser le règne de Louis XI sur le peuple d’alors, autant qu’elles entendent souligner la corruption et les vices du souverain. On y retrouve aussi clairement le mépris et la haine qu’inspire alors ce dernier au poète breton.

La ballade politique de Meschinot avec une enluminure du Ms français 24314 de la BnF
Une ballade de Meschinot contre une nouvelle classe de puissants bien peu vertueux

Pouvoir abusif & valeurs en chute libre

La ballade du jour apparaît comme la 22ème de la série. Cette fois, c’est la dimension contre-nature ou dénaturée du pouvoir que Meschinot met en exergue. En opposant l’héritage des bons et vertueux princes du passé, il dénonce une « valeur » des puissants et des gens de pouvoir en chute libre.

Menteurs, corrompus, convoiteux, à l’inverse de ceux qui les ont précédés, ces nouveaux seigneurs que voit œuvrer Meschinot lui apparaissent comme sans foi ni loi, ne pensant qu’à piller et guerroyer entre eux. Fats et imbus d’eux-mêmes, ils s’autoproclament « parfaits ». Pourtant pour l’auteur médiéval, le verdict est sans appel : ils ne sont même pas les ombres ou les reflets des pères de passé, mais bien plutôt des antithèses grossières et contrefaites.

Entre les lignes de cette ballade, on trouvera encore l’idée d’une classe de lourdauds, héritiers du pouvoir et qui ne recherchent que ses avantages. Pour le poète breton, cette classe s’oppose, là aussi, clairement aux vertueux anciens qui eurent à conquérir les honneurs par leurs actes et ne les possédaient pas à la naissance. Pour finir, le poète exhortera tout de même ces pâles copies de pouvoir, criblées de vices et qui n’ont de seigneurs que le nom, à se retourner en arrière, en formant l’espoir qu’ils y trouvent quelque inspiration auprès de l’exemplarité des grands du passé, Au passage, il pourra ainsi se consacrer à des choses plus agréables à écrire que ces diatribes que la médiocrité des gens de pouvoir le force à coucher sur papier.

Aux sources anciennes de cette poésie

La Ballade satirique de Meschinot 'Pource que l'oeuvre en est desnaturelle" dans le  Manuscrit médiéval MS Français 24314
La ballade satirique du jour dans le Manuscrit Français MS 24314, de la BnF

Vous pourrez retrouver cette ballade dans le manuscrit Français 24314 de la BnF. Cet ouvrage médiéval qui contient l’œuvre de Jean Meschinot est en libre consultation sur Gallica.fr. Nous concernant, pour la retranscription de la ballade du jour, nous nous sommes appuyés sur deux éditions différentes des Lunettes des princes : celle de 1522 de Nicole Vostre et une autre datée de 1493, imprimée à Nantes.

Si le sujet vous intéresse et en fouillant un peu, vous pourrez également débusquer un certain nombre d’éditions modernes contenant les Lunettes des Princes de Meschinot , suivies de ses 25 ballades contre Louis XI. Certains ouvrages ont été édités, ces dernières années, 0qui les proposent. Attention toutefois, toutes les éditions du marché ne les contiennent pas. Aussi, si vous décidez d’acquérir Les lunettes des princes assurez-vous que ces poésies de l’auteur breton s’y trouvent ; il serait dommage de passer à côté.


Pour ceux que l’œuvre en est desnaturelle
Une ballade satirique de Meschinot

NB : bien qu’en apparence assez proche du français actuel, le moyen français de Meschinot peut réserver quelques difficultés. Nous vous fournissons donc quelques clefs de vocabulaire pour mieux le saisir.

Ou sont les bons qui aultrefois vesquirent
Et qui vertus en leur beaulx jours acquirent
O dieu, fay tant qu’aulcun d’iceulx ressourde
Pour voir comment les honneurs qu’ils conquirent,
Qu’eulx n’eurent pas, dès le jour que nasquirent,
Sont a présent venus en gent beslourde
(grossiers, lourdauds).
Bien leur seroit a porter pesant fais,
Quand ils verroient les deshonnestes fais
Commis par ceulx que seigneurs on appelle,
Qui ne tiennent vérité en langage
Ne fermeté en faict : c’est cas saulvage
Pour ce que l’œuvre en est desnaturelle
(dénaturée, contre-nature).

Les prudes
(probes, sages) gens en leur temps ne s’enquirent
Fors de bonté et sagesse qu’ils quirent
(quérir)
Dont les meschans d’aujourd’hui tiennent bourde
(considèrent sottise).
Eureusement en aise se cheviren
t (s’exécuter, s’en acquitter),
Et, a la fin, plains de grans ans se virent :
Qui ne l’entend, de simplesse
(simplicité), se hourde (se pare, se drappe)
Doncques prince qui vous nommez parfaicts
Et ne voulez ensemble vivre en paix
Par union et amour fraternelle
Mais l’autruy bien voulez et l’heritage
C’est tres grant mal s’enrichir de pillage,
Pource que l’oeuvre en est desnaturelle.

A tous seigneurs je supply que se mirent
(mirer)
Aux vertueux qui, a bonté, se mirent
(mettre)
Et non a ceulx qui font la lime sourde
(ignorent sournoisement).
Leurs grans deffaulx et malice remirent
Et facent tant que plus contre eulx ne m’irent
(me mette en colère)
Dont il faille que de mon lit ne sourde
(ne me lève, sorte)
Pour escrire de leurs vices jamais
Ce me seroit ung dolent entremais
(un divertissement douloureux).
Mieux me plairoit raconter chose belle
Que d’un seigneur ou homme de parage
(de noble naissance)
Qui n’a valeur emplus ou moins qu’ung page
Pource que l’oeuvre en est desnaturelle.

Prince qui porte et soustient les maulvais
Contre les bons, l’honneur de son palais
Et en perverse et honteuse querelle
Celui conduyt un criminel ouvrage
Qui amatist
(abattre, flétrir) main noble et hault courage
Pource que l’oeuvre en est desnaturelle.


Pardon encore de ce rapprochement mais, en la relisant dans le contexte social et politique actuel troublé, cette ballade ne nous semble guère avoir vieilli. Par delà son contexte historique et comme toute bonne poésie morale, elle résonne de la trahison des puissants sur leur peuple et des exactions politiques qui, des temps les plus reculés jusqu’aux plus récents, ont porté le visage de la tyrannie, de la corruption et de l’oppression.

En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : en tête d’article, vous trouverez les pages du manuscrit médiéval Ms Français 24314 de la BnF, correspondant à la ballade du jour, ainsi que la belle enluminure de l’auteur qui trône au début de cet ouvrage du XVe siècle.

Découvrez toute l’actualité 2022 du poète François Villon avec Robert D Peckham

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Sujet :  bibliographie, auteur médiéval, médiévalisme, actualité, éducation, littérature médiévale.
Période : du Moyen Âge (XVe) à nos jours.
AuteurFrançois Villon (1431-1463)
Contributeur/Editeur  :   Robert Dabney Peckham,   Société François Villon, Université du Tennessee. 38e bulletin

Bonjour à tous,

yez, oyez ! Amis de François Villon, de son œuvre et de son actualité, le dernier bulletin de la Société François Villon signé de la plume de Robert D Peckham vient de paraître. Pour ceux qui auraient raté les épisodes précédents, depuis près de 4 décennies, ce professeur émérite de littérature médiévale et bibliophile américain s’est efforcé de traquer et de répertorier toutes les parutions autour du poète du XVe siècle, à travers le monde.

Robert Peckham, créateur de la Société François Villon, un érudit passionné de musique médiévale et de poésie

Si cet universitaire passionné de Moyen Âge, tout autant que de poésie et de littérature en langue française, coule désormais des jours heureux , en savourant une retraite bien méritée, il n’en est pas pour autant moins actif. Désormais, il se consacre, en effet, presque entièrement à sa passion pour les musiques anciennes et la poésie, et a déjà donné de nombreux concerts, accompagné de son autoharpe, dans le Tennessee où il est installé.

L’actualité brûlante de l’œuvre
de François Villon et sa postérité

Actualité, comics, BD et parutions modernes autour de François Villon

Quant au bulletin de la Société François Villon, Robert D Peckham continue, gracieusement, de le maintenir et comme rien n’échappe à sa sagacité, vous y débusquerez les informations les plus variées au sujet de l’actualité villonnesque, en de nombreuses langues. Il peut s’agir d’ouvrages et de livres que des experts modernes ont fait paraître, mais aussi de séminaires, de conférences, ou encore de documents et d’articles en ligne. Enfin, vous y verrez également mentionnés des performances et spectacles et tout un tas de données touchant l’iconographie culturelle et les représentations plus actuelles autour de François Villon ( comics, BD, etc..). Il s’agit là de la 38ème édition.

Une Illustration de François Villon par Jean Giraud dit Moebius. BD Ballate (1995)
Une rencontre Villon & Moebius Ballate. Ed Nuages, Milan (1995).

En bref, ce bulletin (comme le site très complet qui le sous-tend) est une invitation à découvrir l’actualité de l’un de nos plus grand poète médiéval sous toutes ses formes, des plus érudites aux plus profanes. Comme nous nous intéressons, ici, au Moyen Âge historique et littéraire autant qu’à ses manifestations plus récentes et au médiévalisme, vous comprendrez mieux en quoi cette approche peut nous séduire. Pour le reste, voila longtemps que nous n’avons rien publié sur Villon, mais nous avions trouvé bonne place dans les bulletins précédents (notamment le numéro 33 et le 35).

Vous pourrez retrouver le dernier bulletin de la société François Villon (lien alternatif de téléchargement). Il faudra encore attendre pour espérer revoir en ligne le site très complet réalisé par Robert Peckham qu’hébergeait l’Université du Tennessee à Martin. L’institution a, en effet, décidé de le fermer pour de raisons liées à des choix techniques et de maintenance. L’immense travail de compilation effectué par le biographe de Villon a pu être préservé mais il attend encore de trouver un hébergement en ligne pour reprendre vie. Quoiqu’il en soit, si vous vous intéressez à l’œuvre de Villon, aux productions qu’elle a suscitée et à son influence jusqu’à nos jours, le travail de Robert Peckham est unique et ne peut être ignoré. C’est une véritable mine que nous espérons pouvoir explorer à nouveau en ligne, dans toute sa richesse et dans un proche futur.

Voir nos articles précédents au sujet de ce Bulletin : Le travail bibliographique de R Peckham sur François ViIlonUne Belle découverte sur François Villon à la British Library.

En vous souhaitant une excellente  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : l’illustration de l’image d’en-tête est un détail de la couverture du dernier opus de Bande Dessinée que le talentueux Luigi Critone a consacré au Villon de Jean Teulé : Je, François Villon, tome 3 : Je crie à toutes gens merci, Delcourt (2016).