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Clément Marot : du concentré d’humour noir dans une épitaphe.

humour_monde_medieval_poesie_satirique_citation_clement_marot_moyen-ageSujet : poésie médiévale satirique, épitaphe, humour médiéval, humour noir, mots d’esprit.
Période : fin du moyen-âge, début renaissance
Auteur : Clément Marot (1496-1544)
Titre : « De Frère Jehan L’evesque Cordelier Natif D’Orléans », épitaphe (1520)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous vous invitons à découvrir, aujourd’hui, un peu de l’esprit caustique et satirique de Clément Marot en partageant une de ses épitaphes pleine d’humour, qui se comprend très bien sans traduction.

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« Cy gist, repose et dors léans
Le feu Evesque d’Orléans,
J’entends l’Evesque en son surnom,
Et frère Jehan en propre nom,
Qui mourut, l’an cinq cens et vingt,
De la verolle qui luy vint.
Or affin que sainctes et anges
Ne prennent ses boutons estranges.
Prions Dieu qu’au frère Frappart
Il donne quelque chambre à part. »
Clément Marot (1496-1544),
poète, auteur de la toute fin du moyen-âge, début de la renaissance.

Une excellent journée à tous!

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

Actualisation du site : navigation, recherches thématiques et playlist des musiques médiévales

moyen_age_recherche_monde_medieval_auteur_thematique_lecture_audio_Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour information, nous avons, cette fin de semaine, actualisé et développé les menus qui se trouvent à la droite du site. A titre d’exemple,  le menu « lecture audio en vieux français »  a fait son apparition, ainsi qu’un menu sur les articles concernant l’histoire des châteaux-forts et des techniques de sièges médiévales. Un menu sur les auteurs dont nous avons jusque là le plus parlé est aussi disponible.  Les autres menus ont été également mis à jour et réordonnés. L’ensemble devrait constituer une alternative à la navigation catégorielle de gauche ou au champ recherche qui reste, bien sûr, toujours fonctionnel et pratique pour des recherches plus ciblées.

Au vue du nombre croissant d’articles et des actualisations quotidiennes, il va certainement nous falloir, sous peu, créer des niveaux supplémentaires de catégories, mais dans l’attente, ces changements devraient, nous l’espérons, faciliter grandement vos recherches par thématique ou par auteur médiéval sur le   site.

découverte monde médiéval

Du même coup, nous nous sommes aussi fendus d’une playlist youtube qui est tout en haut à droite du site et qui réunit – en principe et si nous n’en avons pas oublié – toutes les chansons, musiques, danses médiévales sur lesquels nous avons fait des articles détaillés jusque là : histoire, détail, auteur, interprètes, traduction-adaptation le cas échéant. Cela prend un petit côté radio « spécial moyen-âge » assez plaisant et nous y ajouterons les futurs morceaux que nous serons amené à détailler dans le futur.

playlist_medievale_danse_chansons_musiques_radio_moyen_age_marie_malicorne_le_luneuxUne seule chanson ne fait pas encore l’objet d’un article, la première, intitulée « Le luneux » mais je me devais vraiment de l’ajouter parce qu’elle possède une magie dont je n’ai pas réussi à me défaire depuis qu’un ami catalan me la fit découvrir, il y a un peu moins de dix ans. Il l’avait lui même écouté des années entières, sans en comprendre les paroles, fasciné par la pureté angélique de la voix de son interprète Marie Sauvet de Malicorne. Je lui ai traduit ce texte d’une poésie et d’une force incroyable, largement à la hauteur de cette interprétation  à fleur de peau et il lui a plu autant qu’il l’a surpris.

En espérant que toutes ces petites nouveautés vous aident à mieux naviguer sur l’ensemble des contenus et articles du site, et que tout cela vous agrée!

Une très belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
« A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes »

Le dit de l’œil, aux sources de la chanson « Pauvre Rutebeuf » de Léo Ferré

pauvre_rutebeuf_poesie_medievale_occitan_joan_pau_verdierSujet : poésie médiévale, poésie réaliste, trouvère, hommage Léo Ferré, Vieux français, langue d’oïl, adaptation, traduction français moderne, Rutebeuf
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur ; Rutebeuf (1230-1285?)
Titre : le dit de l’œil, la complainte de l’œil.

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui nous publions un autre des textes originaux du poète médiéval Rutebeuf qui inspira au grand Léo Ferré, ce « Pauvre Rutebeuf » qu’il a tellement fait sien et que tant d’autres interprètes  ont repris depuis.

L’alchimie poétique est un procédé impénétrable et secret qui s’opère entre le coeur et la plume du poète et, même une fois connus quelques uns des ingrédients utilisés, on n’est pas pour autant plus avancé. Aussi, ne voyez derrière tout cela, aucune volonté de déshabiller la mariée, entendez le génie poétique de Léo Ferré, juste peut-être une tentative pour mieux entrapercevoir ce qui passa du coeur de Rutebeuf au sien, en espérant peut-être un peu mieux les comprendre tout deux, dans ce jeu de miroirs poétiques. Le reste demeurera, quoiqu’il arrive un mystère dans l’ailleurs de mots, là où les poètes cuisinent leurs mathématiques secrètes et où quelquefois ils se rencontrent, au delà de l’espace et du  temps.

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Avant de vous livrer cette poésie médiévale originale du trouvère médiéval, qui souffla à l’oreille de Léo son Pauvre Rutebeuf, permettez-nous, toutefois, de faire plus un peu qu’une simple parenthèse pour envoyer un bouquet de violettes fraîches et quelques lys blancs à l’âme du grand poète que fut Léo Ferré. La poésie, autant que la langue française, lui doivent bien cela et ne nous ont d’ailleurs pas attendu pour lui rendre au hommage, mais nous voulons lui faire cette place, ici aussi.

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Portrait : Léo Ferré, artiste, poète et rebelle

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Né en Aout 1916 à Monaco. Mort à Castellina in Chianti, en Toscane, en juillet 1993. Un épitaphe c’est bien court pour résumer à la fois la vie d’un homme et d’un artiste véritable, mais c’est à ce dernier que nous nous attachons ici.

poesie_medievale_hommage_leo_ferre_rutebeuf_trouvere_moyen-age_centralAuteur, compositeur interprète, musicien, poète et Anarchiste, Léo Ferré était tout cela à la fois. Éternel rebelle à l’autorité, ce grand artiste qui ne s’inclinait devant rien, sauf peut-être la poésie des autres pour mieux la partager, nous a légué, durant sa carrière, de merveilleux textes écrits de sa plume, mais a aussi fait redécouvrir au public de grands noms de la poésie française, du moyen-âg au XXe siècle: François Villon, Rutebeuf, Verlaine, Baudelaire, Rimbaud, Aragon, Léo Ferré a mis en musique, devant son piano, des joyaux et des trésors poétiques. L’émotion et la sincérité toujours à fleur de peau, avec le clignement de cet oeil qui battait l’émotion comme un coeur, comme pour dire aussi à chacun, d’un air complice: « écoutes, c’est pour toi ». Tirées de leur sommeil de papier, les plus grandes poésies françaises, prenaient soudain de la proximité et dans ce panthéon d’éternité dans lequel elles s’étaient
tenues loin du public et si souvent coites, elles redevenaient alors, le temps d’un récital, fraîches comme au premier jour, dans leur intemporalité sublime. Et poesie_art_majeur_leo_ferre_rebelle_hommage_portrait_rutebeufc’était ça aussi Ferré, de l’amour et de la générosité pour les autres, une façon de tutoyer les âmes.

Pour le reste et sur ses convictions, rien n’a jamais changé Ferré: anarchiste comme rebelle aux cons, éloge de l’être « contre », rétif aux morales toutes faites, aux empêcheurs de liberté, à ceux qui ne sont rassurés que quand les choses tournent en rond et tous les autres avec. Et puis, il était aussi de cette génération de pensionnaires religieux qui, souvent, pour les mêmes raisons, de sévices jusqu’à plus loin, ne pouvaient plus voir le Bon Dieu, pas même en peinture tant les hommes qui s’en réclamaient, avaient réussi à les en dégoûter. C’est cette même génération qui, dans les années soixante soixante-dix, étaient devenus les enfants terribles des premiers HaraKiris et Charlie: les Cavanas, les  Chorons et les autres, qui firent alors j’aillir et exploser leurs paroles dans une apocalypse anticléricale à laquelle la période post soixante-huitarde offrit ces lettres de noblesse.

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En dehors de cela, Léo Ferré, fidèle au dictionnaire définissait son anarchisme comme une forme d’insoumission qui ne reconnait la légitimité d’aucune autorité d’où qu’elle vienne, avec river au ventre, une seule ivresse, celle de la  liberté: libérer la parole et les mots  semblait presque chez lui comme une urgence, et avec cela, rendre tout son sens à l’injure et redéfinir le grossier. Etre vulgaire,  c’est se coucher et c’est refuser d’être libre. Au delà de la politique, Ferré c’est quand un cul, retrouvant sa grâce, devient, tout soudain, un mot rond à faire fuir André Breton. La vie, l’Amour, comme religion. « Ni Dieu, ni maître », le temps qui fout le camp et cette mer entêtante qui se fracasse sur les rives du souvenir comme une douleur sublimée. Magie des mots qui ensorcellent. Le sourire sur les lèvres et la tristesse au bord du coeur, le désespoir comme une seconde peau: un coeur ouvert, ça reçoit tout et ça finit, souvent, par se blesser aux épines du monde. Léo colère. Léo à vif. Léo amer. Et pourtant, continuer, aimer la vie jusqu’à plus soif, l’aimer d’amour à leo_ferre_poetes_vos_papiers_pauvre_rutebeuf_poesie_hommage_portraitfaire crever à sa surface des bulles de beautés poétiques, comme de l’oxygène pour ne pas suffoquer.

Dans la France des années cinquante et soixante, il fallait avoir le courage d’avoir des ennemis, et c’est un courage comme toujours qui va jusque dans l’assiette. Il faut le comprendre. le prix que paye l’artiste entier (y en a-t’il d’autres?) n’est jamais abstrait et la liberté d’expression a toujours un prix bien réelle que son quotidien lui rappelle. Mais c’est peut-être, là encore, l’absence de choix qui est aux commandes, l’impossibilité de faire autrement et de composer avec sa nature autre chose que de la musique et des mots. Pour le reste, vivre debout! Et La provocation qui naissait parfois de tout cela, au point de voir certains de ses textes interdits n’était qu’une conséquence de cette nature insoumise, pas un ustensile marketing: la conséquence d’un être au monde.

« Poètes, vos papiers! », Léo passait, indifférent, sans s’arrêter ou bien se mettait à gueuler et, bien avant la vie de château, qui ne dura pas tant que ça et puis, qui se finit en drame, la misère lui a collé longtemps à la peau, de longues années et ce n’est, surement pas par hasard, qu’à travers les siècles, celle de Rutebeuf et ses longues complaintes lui a parlé.

« La mémoire et la mer »
Le chemin de l’envers poétique

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Dans ce Moyen Âge où les rimes et les vers n’étaient souvent que chantés, Eustache Deschamps, au XIVe siècle créa une rupture pour affranchir l’art poétique de l’art musical. La poésie avait son langage, une musique innée, nichée dans le cœur de ceux qui la comprenaient. Elle n’avait besoin de rien d’autre qu’elle-même pour tenir debout; c’était un art majeur, un art à part entière et en lui donnant ses lettres de noblesses, le poète médiéval l’affranchissait pour les siècles à venir. Six cents ans plus tard, elle avait mûri, grandi, leo_ferre_hommage_portrait_anarchiste_poesie_rutebeuf_art_majeurdes auteurs gigantesques étaient passés par là, et Léo Ferré s’en mêlait. En faisant le chemin à l’envers, le poète anarchiste de Saint Germain des prés ouvrait sa propre voie pour une réconciliation des deux: mettre la musique au service de la découverte poétique ou de son errance. Avait-il été le seul? Sans doute pas mais dans ses plus grandes envolées poétique, marque des véritables artistes, il créait un genre unique qui n’appartenait qu’à lui et qui n’avait plus grand chose à voir avec des « chansonnettes ».

Un des points culminants de cet art poétique est un texte merveilleux qu’il écrivit lui-même et qui pourrait, sans en rougir, figurer aux côtés des plus grands, dans l’anthologie de la poésie française. Il y consacra des années, plus de seize dit-on. Ceci n’est pas une chanson, ou si c’en est une, la plupart des autres ne le sont plus, parce que soudain, avec « La mémoire et la mer »  qu’il donna pour la première fois dans les années soixante-dix, le mot  « chanson » devenait trop étroit pour décrire ce moment, ce texte et cette émotion qu’il  offrait à son public. Encore une fois, Cela n’a rien de médiéval et il s’agit poésie, mais si on doit à Léo Ferré d’avoir fait redécouvrir Villon ou Rutebeuf, alors, autant que la poésie française lui est redevable, le Moyen Âge aussi lui doit bien cela.

La Mémoire et la Mer :
oeuvre poétique majeure

leo_ferre_hommage_poesie_art_majeurQuant au sens littéral de cette poésie biographique, surréaliste et évocatrice de la vie de Léo Ferré, on n’a, pour être ému, pas besoin d’en avoir les clés. Les images naissent, merveilleuses, et les mots font surgir, dans leur écume, des trésors d’émotions. La beauté de l’alchimie poétique. Ce procédé secret et magique dont nous parlions plus haut convertissait, ici, les souvenirs de l’auteur en un joyau de poésie surréaliste. Combien de vocations sont-elles nées de l’écouter? Combien d’Hubert Felix Thiefaine? Combien d’autres? Et au delà de cet ailleurs poétique qui ne concède rien de facile, ce qui se donne encore ici, c’est la magie d’un être unique qui porte en lui ce don de donner des textures au mots et qui nous offre de tout son âme, une définition de la poésie comme Art majeur. Alors une fois encore un grand merci monsieur Léo Ferré pour cette leçon de musique et d’alchimie poétique.

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Le dit de l’oeil
ou la complainte de l’oeil de Rutebeuf

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Cette poésie de Rutebeuf, nous y venons, dont Léo Ferré cita de longs passages, est,  à l’origine, une longue complainte du poète médiéval sur sa situation  et sur ses misères. Rutebeuf, pris à la gorge de toute part, à sa manière presque devenue habituelle, y livre ses malheurs, en vrac, et sans ménagement. Et tout y passe, sa santé, son mariage a demi-raté, un enfant en bas âge qu’il faut alimenter et dont il faut payer la nurse, sa grande pauvreté et cette solitude aussi qu’il traverse dans ce désert que ne laissent que les faux amis.

C’est un texte très ardu à comprendre par endroits, et très long. Il est de cette langue parisienne de Rutebeuf que les autres auteurs peinent tant par moments à parler ce dont quelquefois d’ailleurs ils s’excusent même (cf citation de Jehan de Meung) mais nous vous en proposons tout de même une adaptation entre les lignes. Elle se base sur quelques traductions existantes, notamment celle de Michel Zinc mais aussi sur différentes recherches périphériques en vieux français.

Ci encoumence la complainte Rutebuef de son oeul ou le dit de l’oeil

Ne covient pas je vos raconte
Coument je me sui mis a hunte,
Quar bien aveiz oï le conte
En queil meniere
Je pris ma fame darreniere,
Qui bele ne gente nen iere.
Lors nasqui painne
Qui dura plus d’une semainne,
Qu’el coumensa en lune plainne.

Ne convient pas que vous raconte
Comment je me suis mis la honte
Car je vous ai déjà conté
En quelle manière
J’épousa ma dernière femme
Qui n’est ni belle ni gracieuse
Tout cela causa de grandes peines
Qui durèrent plus d’une semaine
Et commencèrent en lune pleine

Or entendeiz,
Vos qui rime me demandeiz,
Coument je me sui amendeiz
De fame panrre.
Je n’ai qu’engagier ne que vendre,
Que j’ai tant eü a entendre
Et tant a faire,
Et tant d’anui et de contraire,
Car, qui le vos vauroit retraire,
Il durroit trop.

Aussi écoutez
Vous qui me demandez de rimer
Comment je me suis amendé*  (« guéri »)
De prendre femme  (« de me marier »)
Je n’ai plus rien à gager ni à vendre
J’ai du  faire face à tant de choses
Et tant à faire,
Et tant de chagrins et d’ennuis
Que si je devais tous vous les conter
Cela durerait trop longtemps

Diex m’a fait compaignon a Job:
Il m’a tolu a un sol cop
Quanque j’avoie.
De l’ueil destre, dont miex veoie,
Ne voi ge pas aleir la voie
Ne moi conduire.
Ci at doleur dolante et dure,
Qu’endroit meidi m’est nuit oscure
De celui eul.

Dieu m’a fait compagnon de Job
Il m’a ôté en une seule fois
Tout ce que j’avais
De l’oeil droit,  dont je vois  mieux 
Je ne vois pas où va la voie
Et ne peux me conduire (m’orienter)
C’est vraiment douloureux et dur
Qu’en plein midi, c’est nuit obscure
Pour cet oeil.

Or n’ai ge pas quanque je weil,
Ainz sui dolanz et si me dueil
Parfondement,
C’or sui en grant afondement
Ce par ceulz n’ai relevement
Qui jusque ci
M’ont secorru, la lor merci.
Moult ai le cuer triste et marri
De cest mehaing,
Car je n’i voi pas mon gaaing.
Or n’ai je pas quanque je aing:
C’est mes damaiges.

Alors rien ne va comme je voudrais
Mais je suis plutôt triste et affligé
Profondément.
Car je me trouve  au fond du gouffre
Et ne dois de me relever qu’ à ceux
Qui jusqu’ici
M’ont secouru. Merci à eux.
J’ai le coeur si triste et affligé
De cette infirmité
Car je n’y vois rien à gagner
Et rien ne va comme j’aimerais
Tel est mon grand malheur

Ne sai ce s’a fait mes outrages.
Or devanrrai sobres et sages
Aprés le fait
Et me garderai de forfait.
Mais ce que vaut quant c’est ja fait?
Tart sui meüz.
A tart me sui aparceüz
Quant je sui en mes laz cheüz
Ce premier an.
Me gart cil Diex en mon droit san
Qui por nous ot poinne et ahan,
Et me gart l’arme!

Je ne sais si je dois cela à mes excès,
Mais, dorénavant, je serais sobre et sage
Après tout cela,
Et me garderai de mal me conduire
Mais que valent les mots puisque le mal est fait
Je m’émeus trop tard
Trop tard je m’en suis aperçu
Alors que j’avais déjà chu  (dans l’infortune)
Cette première année
Que Dieu me garde  mon bon sens
Qui pour nous eut peine et douleur
Et protège mon âme

Or a d’enfant geü ma fame;
Mes chevaux ot brizié la jambe
A une lice;
Or wet de l’argent ma norrice,
Qui m’en destraint et m’en pelice
Por l’enfant paistre,
Ou il revanrra braire en l’aitre.
Cil sire Diex qui le fit naitre
Li doint chevance
Et li envoit sa soutenance,
Et me doint ancor alijance
Qu’aidier li puisse,
Et que miex son vivre li truisse,
Et que miex mon hosteil conduisse
Que je ne fais.

Et voilà que ma femme m’a fait un enfant; 
Mon cheval s’est brisé la patte
Contre une barrière
Et maintenant c’est ma nourrice qui veut de l’argent
Elle me torture et elle m’écorche (me tond)
Pour nourrir l’enfant
Sans quoi il reviendra hurler dans la maison
Si le seigneur Dieu qui le fit naître
Peut le prendre en charité
Et lui envoyer son soutien
Et s’il se sent encore un peu obligé envers moi
Qu’il puisse l’aider
Et qu’il lui trouve mieux sa pitance
Et qu’il conduise mieux ma maison
Que je ne le fais.

Ce je m’esmai, je n’en puis mais,
Car je n’ai douzainne ne fais,
En ma maison,
De buche por ceste saison.
Si esbahiz ne fu nunz hom
Com je sui voir,
C’onques ne fui a mainz d’avoir.
Mes hostes wet l’argent avoir
De son hosteil,
Et j’en ai presque tout ostei,
Et si me sunt nu li costei
Contre l’iver,
Dont mout me sunt changié li ver
(Cist mot me sunt dur et diver)
Envers antan.

Je m’émeus de tout cela mais je n’y peux rien
Car je n’ai ni douzaine ni fagot
Dans ma maison
De bûches pour cette saison
Aussi perdu ne fut nul homme
Comme je le suis vraiment
Car jamais je ne fus tant démuni
Mon propriétaire réclame l’argent
De son loyer
Et j’ai déjà presque tout dépensé
Et mes côtes se trouvent à nu
Contre l’hiver
D’où mes rimes ont beaucoup changé
(ces mots me sont durs et cruels)
Comparés à l’an dernier.

Par poi n’afoul quant g’i enten.
Ne m’estuet pas tenneir en ten;
Car le resvuoil
Me tenne asseiz quant je m’esvuoil;
Si ne sai, se je dor ou voil
Ou se je pens,
Queil part je panrrai mon despens
De quoi passeir puisse cest tens:
Teil siecle ai gié.
Mei gage sunt tuit engaigié
Et d’enchiez moi desmenagiei,
Car g’ai geü
Trois mois, que nelui n’ai veü.

C’est à devenir fou quand j’y réfléchis
Pas besoin de tanin pour me tanner (tanner : fatigué, jeux de mots)
Car le réveil
Me tanne assez quand je m’éveille
Ne sais plus si je dors ou veille
Ou si je pense
De quel côté  trouverais-je de quoi
Passer ces temps difficiles
Voila mon sort.
Mes gages sont tous engagés
Et déménagés de chez moi
Car je suis resté alité
trois mois sans voir personne.

Ma fame ra enfant eü,
C’un mois entier
Me ra geü sor le chantier.
Ge [me] gisoie endementier
En l’autre lit,
Ou j’avoie pou de delit.
Onques mais moins ne m’abelit
Gesirs que lors,
Car j’en sui de mon avoir fors
Et s’en sui mehaigniez dou cors
Jusqu’au fenir.

Ma Femme ayant eu un enfant
Un mois entier
Etait, elle aussi,  alitée dans la chambrée
Je gisais moi pendant ce temps
Dans l’autre lit
Où j’avais bien peu de loisirs
Jamais je n’eus moins de plaisir
De me trouver au lit qu’alors
Car cela me coûta beaucoup
Et j’en resterai infirme
jusqu’à la fin (de mes jours)

Li mal ne seivent seul venir;
Tout ce m’estoit a avenir,
C’est avenu.
Que sunt mi ami devenu
Que j’avoie si pres tenu
Et tant amei?
Je cuit qu’il sunt trop cleir semei;
Il ne furent pas bien femei,
Si sunt failli.
Iteil ami m’ont mal bailli,
C’onques, tant com Diex m’assailli
E[n] maint costei,

Le malheur ne sait seul venir
Et tout ce qui devait m’advenir
Est advenu.
Que sont mes amis devenus
Que j’avais de si près tenu
et tant aimé?
Je crois qu’ils sont trop clairsemés
Il ne furent pas si bien semés
Et m’ont failli
Ces amis là me m’ont pas soutenu
Jamais, tant que Dieu m’assaillait
de toute part.

N’en vi .I. soul en mon ostei.
Je cui li vens les m’at ostei,
L’amours est morte:
Se sont ami que vens enporte,
Et il ventoit devant ma porte,
Ces enporta,
C’onques nuns ne m’en conforta
Ne tiens dou sien ne m’aporta.
Ice m’aprent
Qui auques at, privei le prent;
Et cil trop a tart ce repent
Qui trop a mis
De son avoir a faire amis,
Qu’il nes trueve entiers ne demis
A lui secorre.

Je n’en vis pas un seul chez moi
Je crois le vent les a ôtés
L’amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta.
Jamais aucun  me conforta
Ni du sien ne m’apporta
Ce qui m’apprend
Que le peu qu’on a, un ami le prend
Et celui là se repent trop tard
Qui a trop donné
De ce qu’il avait pour se faire des amis
Quand il ne les trouve ni entiers ni à demi ( pas la moitié d’un)
Pour lui porter secours.

Or lairai donc Fortune corre,
Si atendrai a moi rescorre,
Se jou puis faire.
Vers les bone gent m’estuet traire
Qui sunt preudome et debonaire
Et m’on norri.
Mi autre ami sunt tuit porri:
Je les envoi a maitre Horri
Et cest li lais,
C’on en doit bien faire son lais
Et teil gent laissier en relais
Sens reclameir,
Qu’il n’a en eux riens a ameir
Que l’en doie a amor clameir.

Aussi, désormais, je laisserai courir la chance
Et je tâcherai de m’aider moi-même
Si je le puis
Je me tournerai vers les gens de bien
qui sont généreux et bons
Et m’ont nourri.
Mes autres amis sont tous pourris
Je les envois à Maître Horri (Poubelle)
Et les y laissent.
Car il faut bien en faire son deuil
Et laisser de telles personnes derrière soi
Sans implorer
En eux, il n’y a rien à aimer
Que l’on puisse nommer amitié (amour)

[Or prie Celui
Qui trois parties fist de lui,
Qui refuser ne set nului
Qui le reclaime,
Qui l’aeure et seignor le claime,
Et qui cels tempte que il aime,
Qu’il m’a tempté,
Que il me doint bone santé,
Que je face sa volenté]
Mais cens desroi.

[Alors je prie celui 
Qui fit de lui trois parties, 
Qui ne sait jamais refuser
A qui l’implore,
l’adore et l’appelle Seigneur
Et qui est celui qui met à l’épreuve ceux qu’il aime
Comme il m’a mis à l’épreuve,
Qu’il me donne une bonne santé,
Pour que je fasse sa volonté,
Sans plus faillir.

Monseigneur qui est fiz de roi
Mon dit et ma complainte envoi,
Qu’il m’est mestiers,
Qu’il m’a aidé mout volentiers:
C’est li boens cuens de Poitiers
Et de Toulouze.
Il saurat bien que cil golouze
Qui si faitement se dolouze.
Explicit.

A Monseigneur qui est fils de Roi
Ce dit et cette complainte, envoie, 
Car j’ai besoin de lui,
Qui m’a aidé toujours volontiers
C’est le bon conte de Poitiers
Et de Toulouse.
Il saura bien ce que désire
Celui qui se plaint de la sorte.

En vous souhaitant une belle journée
Fred
Pour moyenagepassion.com
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« Nécessité fait gens méprendre »: aux sources d’une citation de François Villon

poesie_medievale_satirique_eugene_deschamps_moyen_ageSujet: citation, poésie médiévale, poésie réaliste, maître de poésie, auteur, poète médiéval, citations expliquées, adaptation.
Période: moyen-âge tardif,
Auteur: François Villon (1431-1463)
Titre: Le testament (extrait)


francois_villon_citations_médiévales_poesie_satirique_realiste_loup

« Nécessité faict gens mesprendre Et faim saillir le loup des boys. »
François Villon –  maître de poésie médiévale.   Extrait du Testament.


Bonjour à tous,

V_lettrine_moyen_age_passion copiaoici une « citation » extraite du testament de Villon. Pour la remettre dans son contexte, elle fait suite à un passage où François Villon cite l’anecdote du corsaire Diomedés qu’Alexandre le Grand avait décidé d’interroger avant de le faire condamner. Sommer de répondre de ses crimes face à l’empereur, le pirate répondit, en substance,  que s’il en avait eu les moyens, il aurait été lui-même empereur. Au fond, tout n’était peut-être qu’une question d’échelle.  Devant sa répartie, non seulement Alexandre le Grand gracia le corsaire mais décida encore de faire sa fortune.  Dans sa poésie, Villon fera ajouter au corsaire que son infortune et sa misère seules expliquaient ou justifiaient ses actes :

« Et saichiez qu’en grant poverté,
Ce mot se dit communement,
Ne gist pas grande loyaulté. « 

L’Histoire de  l’anecdote sur Alexandre le Grand et le pirate Diomedés

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L’histoire d’Alexandre le Grand et du corsaire à la source d’inspiration de François Villon, Manuscrit “Schachzabelbuch”, Konrad von Ammenhausen, Stuttgart, 1467

Cette anecdote, connue surtout par Saint-Augustin qui la mentionne dans la Cité de Dieu pour illustrer le fait que les empires sans justice ne sont que des entreprises de brigandage, est tirée originellement de la République de Cicéron :

« Alexandre demandait à un pirate par quel attentat il osait infester la mer avec un misérable brigantin. Par le même droit, dit-il, qui vous fait ravager le monde »    Cicéron – La république – Livre III.

Voici l’extrait de Saint-Augustin :

« Que sont les empires sans la justice, sinon de grandes bandes de brigands ? De même, une bande de brigands est-elle autre chose qu’un petit empire, puisqu’elle forme une espèce de société gouvernée par un chef, liée par un contrat, et où le partage du butin se fait suivant citation_poesie_medievale_francois_villon_saint_augustin_alexandre_le_grand_ciceron_moyen-age_tardifcertaines règles convenues? Que cette troupe malfaisante vienne à augmenter en se recrutant d’hommes perdus, qu’elle s’empare de places pour y fixer sa domination, qu’elle prenne des villes, qu’elle subjugue des peuples, la voilà qui reçoit le nom de royaume, non parce qu’elle a dépouillé sa cupidité, mais parce qu’elle a su accroître son impunité. C’est ce qu’un pirate, tombé au pouvoir d’Alexandre le Grand, sut fort bien lui dire avec beaucoup de raison et d’esprit. Le roi lui ayant demandé pourquoi il troublait ainsi la mer, il lui repartit fièrement « Du même droit que tu troubles la terre. Mais comme je n’ai qu’un petit navire, on m’appelle pirate, et parce que tu as une grande flotte, on t’appelle conquérant ».
Saint Augustin – La cité de Dieu

poesie_medievale_epitaphe_villon_ballade_pendu_erik_satie_lecture_audioUtilisant l’anecdote dans le testament pour plaider en faveur de ses propres déboires et de ses inconduites, voilà ce que Villon conclut :

« Se Dieu m’eust donné rencontrer
Ung autre pitieux Alixandre
Qui m’eust fait en bon coeur entrer,
Et lors qui m’eust veu condescendre
A mal, estre ars et mis en cendre
Jugié me feusse de ma voys.
Necessité fait gens mesprendre
Et fain saillir le loup du boys. »
Francois Villon – Le testament

Ce qui très librement adapté en français moderne donne :

Si Dieu m’eut donné de rencontrer
Un être aussi compréhensif que le fut Alexandre
Qui m’eut  permis de vivre en honnête homme
Et que l’on m’eut alors surpris à m’abaisser à faire le mal
Je me serai jugé moi-même
Bon à être brûlé et mis en cendres
Nécessité fait gens mesprendre
Et faim saillir le loup du bois.


L’extrait complet de la poésie
dans la langue de maître  François Villon 

Après l’explication et la synthèse et pour varier un peu, voilà l’extrait complet de Villon dont est tirée cette citation :

Au temps qu’Alixandre regna,
Ungs homs nommé Dïomedés
Devant lui on lui admena,
Engrillonnné pousses et detz
Comme larron, car il fut des
Escumeurs que voyons courir;
S y fut mis devant ce cadés
Pour estre jugiez a mourir.

L’empereur si l’araisonna:
 » Pourquoy es tu laron en mer? »
L’autre responce lui donna:
 » Pourquoy laron me faiz clamer?
Pour ce qu’on me voit escumer
En une petïote fuste?
Se comme toy me peusse armer,
Comme toy empereur je feusse.

Mais que veulx tu! de ma fortune,
Contre qui ne puis bonnement,
Qui si faulcement me fortune,
Me vient tout ce gouvernement.
Excusez moy aucunement
Et saichiez qu’en grant poverté,
Ce mot se dit communement,
Ne gist pas grande loyaulté. « 

Quant l’empereur ot remiré
De Dïomedés tout le dit:
 » Ta fortune je te mueray
Mauvaise en bonne « , ce lui dist.
Si fist il; onc puis ne mesdit
A personne, mais fut vray homme;
Valere pour vray le bauldit
Qui fut nommé le Grant a Romme

Se Dieu m’eust donné rencontrer
Ung autre pitieux Alixandre
Qui m’eust fait en bon eur entrer,
Et lors qui m’eust veu condescendre
A mal, estre ars et mis en cendre
Jugié me feusse de ma voys.
Necessité fait gens mesprendre
Et fain saillir le loup du boys.

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Une belle journée à tous!
Fred
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