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La ballade de Frère Lubin de Clément Marot

portrait_clement_marot_poesie_medievaleSujet : poésie médiévale, poésie satirique,  auteur, poète, humour médiéval, satire, moine dévoyé.
Période : fin du moyen-âge, début renaissance
Auteur : Clément Marot (1496-1544)
Titre : « D’un qu’on appelait frère lubin. »

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons un peu de la poésie caustique, humoristique et satirique de Clément Marot, avec une ballade qu’il faisait alors à l’attention d’un moine dévoyé: frère Lubin.

En réalité, outre le fait que Lubin soit un nom propre, on retrouve ce surnom de « Frère Lubin » dans la littérature à partir du moyen-âge central. Il a été utilisé par les auteurs satiriques et peut-être même de manière populaire pour désigner l’archétype du moine qui sous des dehors dociles et pieux cachait en réalité un loup.

Un loup sous une peau de mouton

Étymologiquement  « Lubiner » proviendrait de Lupinus, diminutif de lupus: loup. On trouve encore cette définition dans le Dictionnaire étymologique de la langue françoise, par M. Ménage, Volume 2 (1750):

LUBIN : « frère Lubin, Moine hypocrite qui cache un coeur de loup sous les apparences de l’agneau. »

C’est sous le nom de « frère Louvel », que ce sobriquet apparaît pour la première fois dans le courant du XIIIe siècle et sous la plume de Jean de Meung, dans le roman de la Rose.

« Je m’en plaindray ? tant seulement
A mon bon confesseur nouvel
Qui n’a pas nom frère Louvel,
Car forment se courrouceroit
Qui par tel nom l’appelleroit.
Et ja n’en prendroit patience
Qu’il n’en eust cruelle vengeance »
Le roman de la rose – Jean de Meung

frere_lubin_etymologie_medievale_franciscain_saint_francois_assise_legende_loup_de_gubbio
« Frère loup » ou la légende du loup sauvage et cruel de Gubbio dompté par Saint François d’Assise

I_lettrine_moyen_age_passion copial est possible qu’originellement ce surnom de « frère loup » ait également désigné les cordeliers ou les moines franciscains dont la robe était grise, mais dont l’ordre avait aussi répandu  l’histoire du loup de Gubbio, ce loup terrible et mangeur d’Hommes que Saint François d’Assise avait appelé « frère » et qu’il aurait converti à la docilité en invoquant le Christ.

Quoiqu’il en soit, l’expression « frère lubin » sera en utilisation jusqu’au XVIIIe siècle et on en retrouvera même l’usage chez Rabelais. En suivant le fil de cet auteur et dans une publication commentée de ses œuvres par Esmangart et Eloi Johanneau en 1823, il semble que ce dernier qui avait été lui-même franciscain l’utilise également dans ce sens là, même s’il ne l’y réduit pas.

Le frère lubin de Clément Marot

A_lettrine_moyen_age_passionla tendance à tirer partie des ingénus et des crédules déjà contenue en filigrane dans la définition originale du sobriquet, Clément Marot ajoutera la cupidité et rejoindra ainsi le profil devenu pratiquement archétypal du religieux cupide et profiteur tel que Bodel ou Rutebeuf nous l’avaient présenté dans leurs fabliaux (voir De Brunain la vache au prêtre et Le  testament de l’âne).

Marot y ajoutera encore le goût pour la débauche autant que la grivoiserie et, pour tout dire, une propension à s’encanailler par tout moyen et hors de toute éthique. A l’hypocrisie et la fausse prêche viennent donc s’ajouter la vie dissolue. Il est difficile de savoir si l’auteur, amateur de bons mots et de satires, pousse plus loin la définition pour la farce ou si le sens populaire et d’époque attribuait déjà à ce frère Lubin ces traits de caractères.

(Ci-contre un moine et sa bouteille de vin, toile de Bellei Gaetano, peintre du XIXe)


« D’un qu’on appelait frère Lubin »
de Clément Marot

« Pour courir en poste à la ville,
Vingt foys, cent foys, ne sçay combien;
Pour faire quelque chose vile,
Frère Lubin le fera bien;
Mais d’avoir honneste entretien.
Ou mener vie salutaire,
C’est à faire à un bon chrestien.
Frère Lubin ne le peult faire.

Pour mettre, comme un homme habile,
Le bien d’autruy avec le sien,
Et vous laisser sans croix ne pile.
Frère Lubin le fera bien;
On a beau dire : je le tien,
Et le presser de satisfaire.
Jamais ne vous en rendra rien.
Frère Lubin ne le peult faire.

Pour desbaucher par un doulx stile
Quelque fille de bon maintien,
Point ne fault de vieille subtile,
Frère Lubin le fera bien.
Il presche en théologien,
Mais pour boire de belle eau claire,
Faictes la boire à vostre chien.
Frère Lubin ne le peult faire.

ENVOY
Pour faire plus tost mal que bien
Frère Lubin le fera bien;
Et si c’est quelque bon affaire.
Frère Lubin ne le peult faire. »


En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
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Bon sens contre vanité: la poésie morale d’Eustache Dechamps

poesie_medievale_satirique_eugene_deschamps_moyen_ageSujet : poésie médiévale, morale, satirique, politique et réaliste, ballade, vieux français
Période : moyen-âge tardif, bas moyen-âge
Auteur : Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre : « Ne dire sien, fors que le sens de l’omme. »

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons de continuer de suivre le fil poétique d’Eustache Deschamps avec un peu de sa plume critique et morale.

Cette fois-ci, au delà des richesses et des possessions matérielles (temporelles) qui vont et viennent et peuvent d’un jour à l’autre changer de main ou disparaître,  il  conseille à tous – mais tout de même surtout aux gens de cour et de pouvoir que sa carrière  l’a longtemps amené à côtoyer avant qu’il ne décide de déserter la cour ou de ne s’y présenter que rarement – de ne rien revendiquer comme sien:  biens, titres ou terres et de ne s’accrocher qu’à la seule chose que nul ne peut ôter à l’homme: son bon sens et sa « science profonde ».

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« vanitas vanitatum, omnia vanitas»

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ans le corpus de ses ballades politiques ou « ballades de moralité », le poète médiéval vient encore opposer ici à l’orgueil, l’avidité et finalement la vanité, la vacuité et l’impermanence des choses pour ne laisser au final à l’homme que son bon sens, en espérant qu’il en possède suffisamment pour comprendre la profonde sagesse de ce texte.

Ajoutons encore que dans un système monarchique où la personne du roi est un représentant du divin ici-bas, dénigrer au personnage le plus haut de l’état et même à l’Empereur du Saint Empire Germanique et de Rome, quelques légitimes revendications à posséder, ça n’en a peut-être pas l’air comme ça, mais c’est tout de même une prise de position relativement courageuse, même s’il faut ajouter que le contexte de l’époque et des guerres médiévales entre couronnes ou provinces,  donne raison à Eustache Deschamps. En en tirant les leçons, il ne fait, au fond et comme toujours, que relayer les vérités de son monde. A quelques siècles de son écriture, le fond de cette ballade reste pourtant vrai et riche d’enseignements, ce qui est toujours le signe d’une bonne morale.

« Ne dire sien fors que le sens de l’homme »
dans le vieux français d’E. Morel Deschamps

De tous les biens temporelz de ce monde
Ne s’i doit nulz Roys ne sires clamer,
Puisque telz sont  que Fortune suronde
Qui par force les puet touldre ou embler;
Le plus puissant puet l’autre déserter,
Si qu’il n’est Roy, duc, n’empereur de Romme
Qui en terre puist vray tiltre occupper,
Ne dire sien, fors que le sens de l’omme.

Veoir le  puet chascun a la reonde
En pluseurs cas. Soit en terre ou en mer,
Tant par guerre, ou convoiteux se fonde.
Comme autrement, voit l’en estât muer,
Riche apovrir, et le povre eslever,
Le fort ravir qui le plus foible assomme;
Si ne doit nulz telz biens atribuer
Ne dire sien, fors que le sens de l’omme

Mais par bon sens ou science profonde,
Que l’en ne puet a creature oster,
Se puet chascun maintenir net et monde
Et en touz lieux saigement gouverner.
Si puis par ce conclure et vueil prouver
Qu’es biens mondains n’a vaillant une pomme;
Homs, quel qu’il soit, (dont) ne se doit vanter,
Ne dire sien fors que le sens de l’omme.

En vous souhaitant une journée pleine de joie et de sagesse.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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La Médiocrité dorée d’Eustache Deschamps: lecture audio et traduction /adaptation en Français moderne

lecture_poesie_medievale_vieux_francais_oil_audioSujet : poésie médiévale, morale, ballade, vieux français, oil, traduction, adaptation
Période : moyen-âge tardif
Auteur : Eustache Deschamps
Media : lecture audio
Titre : « Aurea Mediocritas »

Bonjour à tous,

F_lettrine_moyen_age_passion-copiainalement, à la demande générale et c’est bien parce que c’est vous, nous avons passé un peu de temps pour adapter cette ballade d’Eustache Deschamps en français moderne et du coup, nous en avons profité pour en faire une lecture audio.

Adaptation en français moderne de « Aurea Mediocritas » d’Eustache Deschamps

Ou hault sommet de la haulte montaigne
Ne fait pas bon maison édifier,
Que li grant vens ne la gaste et souspraingne;
Ne ou bas lieu ne la doit pas lier :
Car par eaues pourroit amolier
Le fondement et périr le merrien ;
Nulz ne se doit ne hault ne bas fier :
Benoist de Dieu est qui tient le moien.

Au haut sommet de la haute montagne
Ne fait pas bon édifier sa maison,
Afin que les grands vents ne la ruinent et l’emportent;
Ni dans les bas fonds on ne la doit lier:
Car par les eaux elle pourrait mouiller
ses fondations et détruire ses bois;
Ni au haut, ni au bas, nul ne doit se fier :
Il est Béni de Dieu qui s’en tient au moyen

Es grans estaz est haulte honeur mondaine
Qu’Envie tend par son vent trebuchier;
Et la s’endort chascuns en gloire vaine,
Mais en ce cas chiet honeur de legier ;
Du hault en bas le convient abaissier.
Et lors languist quant il dechiet du sien ;
Telz haulz estas sont de foible mortier :
Benoist de Dieu est qui tient le moien.

Dans haute condition est grand honneur mondain
Que l’Envie tend par son vent renverser;
Et là s’endort chacun dans une gloire vaine,
Mais dans ce cas aussi l’honneur choit aisément;
Du haut jusques en bas lui convient s’abaisser.
Et lors se morfond celui déchu du sien;
Car telles Hautes conditions sont de faible mortier:
Il est Béni de Dieu qui s’en tient au moyen.

Ou lieu trop bas qui est assis en plaine
Ne se doit nulz tenir pour mendier.
Car povreté est reprouche certaine.
Et si n’est homs qui vueille au povre aidier;
Fay ta maison en un petit rochier
Ne hault ne bas, et la vivras tu bien :
En tous estas vueil dire et enseignier :
Benoist de Dieu est qui tient le moien,

Et dans les lieux trop bas qui se tiennent en plaine
Nul ne se doit tenir pour mendier.
Car pauvreté attire les reproches certaines.
Et il n’y a point d’homme qui veuille le pauvre aider;
Fais ta maison sur un petit rocher
Ni haut ni bas, et là tu vivras bien:
En toutes circonstances*, je veux dire et enseigner:
Il est Béni de Dieu qui s’en tient au moyen.

(* double sens: « A tous quelque soit sa condition »)

Pour le reste et si vous l’aviez manqué, l’article détaillé sur cette poésie et la médiocrité dorée est ici.

Longue vie!

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Eustache Deschamps: une ballade sur la voie du juste milieu et la médiocrité dorée

poesie_medievale_satirique_eugene_deschamps_moyen_ageSujet : poésie médiévale, morale, satirique, politique et réaliste, ballade, vieux français
Période : moyen-âge tardif, bas moyen-âge
Auteur : Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre : « Benoist de Dieu est qui tient le moien. » ou « Aurea Mediocritas »

Bonjour à tous,

J_lettrine_moyen_age_passion‘espère que ce dimanche d’octobre vous trouve en joie. De notre côté, nous sommes de retour au moyen-âge tardif et nous vous proposons, aujourd’hui, une nouvelle ballade de « Moralitez » tirée de l’oeuvre poétique d’Eustache Deschamps.

eustache_deschamps_morel_poesie_medievale_auteur_bas_moyen-age_ballades_de_moraliteDans la publication des oeuvres de cet auteur du moyen-âge tardif par le marquis de Queux Sainte Hilaire, à la fin du XIXe siècle (1878), cette ballade est titrée: « Eloge de la médiocrité ». Au sens moderne, c’est un titre qui la dessert relativement et, même au delà, puisqu’il pourrait en faire méprendre le sens. La médiocrité dont il s’agit là n’a, en effet, pas le sens large qu’elle a de nos jours, sauf à la débarrasser (à grand peine) d’un certain nombre de connotations péjoratives dont elle a hérité avec le temps. Pour l’appliquer à cette ballade poétique,  il faudrait user de manière restrictive de cette partie de définition qu’en donne le Littré : « État de fortune, position qui tient le milieu entre le haut et le bas dans la société » mais encore partir aux sources de l’étymologie latine et retrouver le sens de « Mediocritas » tel que l’emploie le poète latin Horace, quelques décennies avant notre ère.

Cet autre exemple en provenance du Littré et du XVIIIe siècle vient encore éclairer les valeurs qui sous-tendent  ce mot de médiocrité tel qu’il est compris ici: « Les uns vous semblaient trop habiles, les autres trop ignorants…. vous cherchiez cette médiocrité justement vantée par les sages, [Courier, Lett. à l’Acad. des inscr.] Il y était alors question de « Juste milieu, Modération juste tempérament » et d’une valeur qu’on rangeait même depuis le moyen-âge central et même l’antiquité du côté de la sagesse. 

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Il est donc question avec cette médiocrité de ne pas chercher à s’élever démesurément dans les richesses ou le prestige matériel, pas d’avantage que dans les démonstrations ostentatoires de ses possessions, mais il ne s’agit pas non plus de vivre dans la misère et le dénuement complet. Comme le dit ici Eustache Deschamps, non sans une certaine ironie chrétienne à l’égard de ses contemporains et de leur manque de charité:  « Car povreté est reprouche certaine. Et si n’est homs qui vueille au povre aidier ».(1)

Cette éloge d’une voie du juste milieu « bénie de Dieu lui-même » suivant l’auteur puise d’un côté ses racines dans une conduite sociale et morale à la fois « chrétienne » (mais finalement plutôt « bourgeoise » en ce qu’elle n’est pas celle du dépouillement christique complet des évangiles). De l’autre, elle emprunte aussi à l’antiquité et justement à la poésie d’Horace, poète latin du 1er siècle avant J-C qui, de fait, n’était pas chrétien.

D’Horace à Eustache Deschamps
ou de l’antiquité au moyen-âge tardif

Dans une version antérieure des œuvres d’Eustache Deschamps publiée par Prosper Tarbé en 1849, cette ballade de moralité y est titrée « Aurea Mediocritas« : Médiocrité dorée. Dans l’édition plus tardive du Marquis de Queux de Saint-Hilaire, on la retrouve sous le titre : « éloge de la médiocrité« .

Pour comprendre cette expression et ce titre, il faut aller chercher dans une œuvre antique, celle du poète italien Horace qui, dans ses odes, sous-titrait justement son chapitre VII, dédié à Licinius: « Eloge de la Médiocrité » ou encore (chez d’autres traducteurs): « Qu’il faut se tenir dans la médiocrité et conserver un esprit toujours égal« . Nous en citons le début ici pour que l’on comprenne mieux la référence à laquelle s’attache Eustache Deschamps dans sa poésie  :

poesie_medievale_eustache_deschamps_morel_horace_mediocrite_eclairee_moyen-age_ballade_de_moralité« Pour vivre heureux, Licinius, il ne faut pas toujours voguer en pleine mer, ni aussi par une crainte excessive de la tempête. se tenir trop près du dangereux rivage. Celui qui sait goûter une précieuse médiocrité, se garde, pour sa propre sûreté et pour son repos, d’habiter les réduits de l’avare ou les palais qui attirent l’envie. Les plus hauts pins sont les plus tourmentés par les vents. Les hautes tours sont celles qui s’écroulent avec le plus d’éclat. Enfin c’est sur les plus hautes montagnes que tombe la foudre. »

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Encore une fois, tout cela n’évoque en rien la médiocrité au sens où nous l’entendons, mais bien plus la mesure, la voie médiane, dans la possession comme (et peut-être même surtout) dans le paraître. Finalement, le vers le plus proche de l’esprit original semble encore celui qui est scandé régulièrement par Eustache Deschamps dans cette poésie : « Benoist de Dieu est qui tient le moien. »  (Béni de Dieu est qui tient le moyen). Nous sommes au moyen-âge la référence à l’antiquité est réintégrée dans un corpus, autant qu’une représentation du monde, chrétiens.

Vers une interprétation historique

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Eustache Deschamps au coeur des jeux de cour et de pouvoir de son temps

I_lettrine_moyen_age_passion copial faut se souvenir, en lisant Eustache Deschamps, qu’étant issu de petite noblesse et ayant officié une grande partie de sa vie à la cour des rois (cour qu’il finira d’ailleurs par exécrer et déserter), la grande majorité de ses ballades s’adresse aux nobles et aux puissants qu’il y côtoie. De par sa situation, le poète médiéval se trouve également au milieu des enjeux poesie_medievale_eustache_deschamps_morel_charles_VI_folie_moyen-age_ballade_de_moralitéde pouvoir ou, à tout le moins, les observent.

Dans son ouvrage Oeuvres inédites de Eustache Deschamps, Prosper Tarbé interprète cette ballade à la lumière du contexte historique de l’année 1392 durant laquelle Eustache Deschamps l’aurait écrite. Cette année là, le roi Charles VI déjà affaibli par son état de santé se trouve frappé d’une crise de démence (enluminure ci-dessus Charles VII et son médecin 1470, bnF). S’en suivront des jeux de pouvoirs entre les Ducs de Bourgogne et de Berry pour chasser les favoris du prince et les priver de leurs places comme de leur pensions (op cité).  Dès lors, les jeux politiques ne cesseront de faire changer de mains le pouvoir et Tarbé voit donc également dans certaines lignes de cette poésie d’Eustache Deschamps, la leçon qu’il en tire pour aviser les puissants, comme ceux tombés en disgrâce, de la sagesse qu’il y a à se tenir dans la fraîcheur de l’ombre, plutôt que dans les lieux élevés et exposés du pouvoir où l’on peut tout perdre d’un instant à l’autre.

Pour conclure, il faut encore ajouter que ce thème du juste milieu, illustré parfaitement ici, est récurrent chez Eustache Deschamps et même à ce point central qu’une thèse lui a été consacrée: voir Miren Lacassagne, « Rhétorique et poétique de la médiocrité chez Eustache Deschamps ».

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Ballade d’Eustache Deschamps
en vieux-français du XVe siècle

Ou hault sommet de la haulte montaigne
Ne fait pas bon maison édifier,
Que li grant vens ne la gaste (dévaste) et souspraingne; (surprenne)
Ne ou bas lieu ne la doit pas lier :
Car par eaues pourroit amolier  ( mouiller)
Le fondement et périr le merrien* ; (bois de construction)
Nulz ne se doit ne hault ne bas fier :
Benoist de Dieu est qui tient le moien.

Es grans estaz est haulte honeur mondaine
Qu’Envie tend par son vent trebuchier; 
Et la s’endort chascuns en gloire vaine,
Mais en ce cas chiet honeur de legier ;
Du hault en bas le convient abaissier.
Et lors languist quant il dechiet du sien ;
c Telz haulz estas sont de foible mortier : 
Benoist de Dieu est qui tient le moien.

Ou lieu trop bas qui est assis en plaine
Ne se doit nulz tenir pour mendier.
Car povreté est reprouche certaine.
Et si n’est homs qui vueille au povre aidier;
Fay ta maison en un petit rochier
Ne hault ne bas, et la vivras tu bien :
En tous estas vueil dire et enseignier :
Benoist de Dieu est qui tient le moien,

En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com.
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

(1) On peut sans trop de risque parler d’ironie sur cette question, connaissant d’autres ballades du poète du XIVe siècle sur la cupidité et le manque de charité de ses contemporains – bourgeois, nobles et gens de pouvoir qui sont les gens auxquels il s’adresse principalement dans ses poésies, à l’égard des pauvres ou des petites gens.