Sujet : musique médiévale, musiques anciennes, ballade polyphonique, Ars nova, chanson médiévale, amour courtois, sentiment amoureux. Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle Auteur : Francesco Landini (1325-1397) Titre :Gran piant agli ochi Interprètes : Ensemble 400 Concert : Eglise de Saint-Georges Martyre, Milan, Italie (2022).
Bonjour à tous,
ous partons, aujourd’hui, à la découverte de nouvelles musiques médiévales, du côté de l’Italie du Moyen Âge tardif. A cette occasion, nous croiserons, à nouveau, l’organiste et maître de musique Francesco Landini, grand représentant de l’Ars Nova florentin du XIVe siècle.
Tristesse & douleur de la séparation
La chanson du jour est une ballade polyphonique. C’est aussi une nouvelle pièce courtoise du compositeur florentin du trecento. Meurtri par une séparation brutale d’avec sa belle, Landini nous contera ses déboires amoureux. Dans le pur style de l’amant courtois, il y fera étalage de sa douleur et de sa peine et, s’adressant à l’objet de son désir, il lui affirmera sa volonté de ne plus s’enticher d’aucune autre, si cet amour devait s’arrêter à jamais.
Ce n’est pas la première fois que Landini s’épanche sur sa douleur et ses déconvenues amoureuses. On se souvient même que la formation médiévale La Reverdie avait dédié un album complet à cette partie du répertoire du maître de musique italien (voir l’occhio del cor et les yeux tristes de Francesco Landini).
Aux sources manuscrites de cette ballade
A l’habitude, du point de vue des sources anciennes et manuscrites, c’est le très beau Codice Squarcialupi (Ms Med Pal 87) qui nous servira ici de guide. Ce manuscrit daté des débuts XVe siècle est actuellement conservé à la Bibliothèque Laurentienne de Florence. Sur l’image ci-dessus, vous retrouverez la chanson polyphonique du jour, accompagnée de sa partition d’époque.
Pour la version en musique de cette pièce de Francesco Landini, nous vous proposons de découvrir l’interprétation de l’Ensemble 400, à l’occasion d’un concert donné, en décembre 2022 à l’Eglise de Saint-Georges Martyre, de Milan. On doit cet enregistrement à Edoardo Lambertenghi, youtubeur et technicien du son milanais passionné de musiques anciennes dont la chaîne est très riche en contenu.
L’ensemble 400 et la passion des musiques médiévales et anciennes
Actif depuis plus de 15 ans sur la scène des musiques anciennes, l’Ensemble 400 est une formation italienne spécialisée dans un répertoire médiéval et renaissant qui s’étend du XIIIe au XVe siècle. Fondée par des experts dans le domaine des musiques anciennes, elle explore un territoire qui s’étend aux musiques profanes et liturgiques de la France, l’Angleterre et l’Italie médiévales.
L’Ensemble 400 est issu de Musicaround, association italienne établie à Gênes et qui se dédie à la promotion des musiques anciennes, depuis l’organisation de concerts et d’événements à l’enseignement de ces dernières. Vous pourrez retrouver l’actualité de cette formation sur le site officiel de l’association . A date, ils se sont déjà produits dans de nombreux festivals, principalement en Suisse et en Italie.
Membre de l’Ensemble 400
Marcello Serafini (viele), Giuliano Lucini (luth), Maria Notarianni (harpe, vièle), Vera Marenco (voix), Alberto Longhi (voix).
Gran piant agli ochi ou la douleur amoureuse par Francesco Landini
Gran piant agli ochi, greve dogli al core Abbonan sempre l’anima, si more.
Per quest’amar’ et aspra diapartita Chiamo la mort’ e non mi vuol udire. Contra mia volglia dura questa vita, che mille morti mi convien sentire.
Ma bench’i’ viva, ma’non vo’seguire Se non vo’, chiara stella et dolce amore.
Gran piant agli ochi …
Traduction française de cette pièce
Grande peine aux yeux, grande douleur au cœur Abondent toujours, tandis que l’âme se meurt.
A cause de cette séparation amère et âpre J’appelle la mort mais elle ne veut m’entendre. Contre ma volonté, cette vie perdure, Et il me faut endurer plus de mille morts.
Mais même si je suis en vie, je ne veux plus poursuivre Aucune autre que vous, brillante étoile et doux amour.
Grande peine aux yeux, grande douleur au cœur…
En vous souhaitant très belle journée.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : sur image d’en-tête, on retrouve l’enluminure de Francesco Landini dans le Codex Squarcialupi, ainsi que le feuillet correspondant à la ballade polyphonique du jour.
Sujet : musique médiévale, chanson médiévale, maître de musique, chanson, amour courtois, chant polyphonique, ballade. Titre : De fortune me doi plaindre et loer Auteur : Guillaume de Machaut (1300-1377) Période : XIVe siècle, Moyen Âge tardif Interprètes : Ensemble Musica Nova Album : Guillaume de Machaut (c. 1300-1377): Ballades, edition AEon (2009)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons de repartir en balade, pour découvrir (justement) une ballade polyphonique du compositeur et maître de musique médiévale Guillaume de Machaut. A l’habitude, nous étudierons cette pièce par le menu avec de son contenu, ses sources manuscrites notées musicalement à sa traduction en français actuel avec, en bonus, une belle version en musique : cette dernière nous fournira le plaisir de vous présenter, en détail, l’ensemble de musiques anciennes Musica Nova. Mais, pour l’instant, revenons à cette chanson médiévale et son contenu.
Ballade courtoise d’une belle à son amant
Une fois n’est pas coutume, dans cette pièce musicale, le compositeur du XIVe siècle nous entraine vers un chant d’amour et une ballade courtoise dont la protagoniste principale est une femme. La dame éprise y fera une véritable louange à son amant et ami. En passant, et c’est même un autre des propos de cette poésie et même son destinataire principal, elle y louera « Fortune » (le sort et le destin) de l’avoir mis dans de si bonnes dispositions amoureuses tout autant qu’elle s’en plaindra par avance et par défiance. Pourquoi cette contradiction ?
Fortune et sa roue : louée et redoutée
Au Moyen Âge, Fortune et sa roue peuvent se mettre en mouvement à tout instant. Nul ne peut en contrôler les caprices et même quand le destin paraît sourire à la femme ou l’homme médiéval, on se garde de s’y fier, car rien n’est jamais figé en ce monde : tôt ou tard, la roue du sort sera inéluctablement amenée à tourner dans un mouvement sans fin, jetant au plus bas celui, au plus haut, que se pensait à l’abri de tout, et élevant, en contrepartie, celui qui, sis au fond du gouffre, espérait que la roue tourne pour mettre sa destinée sous des auspices plus clémentes, fut-ce temporairement.
Pour le reste, on appréciera la douceur de cette ballade polyphonique et sa promesse de loyauté courtoise, cette fois-ci, inversée. La roue de fortune peut menacer de tourner, sous la plume de Guillaume de Machaut, la dame s’engage à rester fidèle à son doux amant.
Aux sources manuscrites de cette ballade
Ci-dessus, nous vous proposons cette ballade notée, telle qu’elle apparaît dans le manuscrit ancien Ms Français 1586. Comme nous l’avions déjà vu, cet ouvrage médiéval, daté du XIVe siècle, est un des plus anciens manuscrits illustrés connus de l’œuvre de Guillaume de Machaut. Il est actuellement conservé à la BnF et consultable au format numérique sur gallica.fr. Pour ne citer que deux autres sources manuscrites de la même période, vous pourrez également retrouver ce chant polyphonique dans le Français 1584 de la BnF ou encore dans le Codex Chantilly 0564 de la bibliothèque du château de Chantilly (image en-tête d’article).
Pour la transcription de cette ballade en graphie moderne, nous nous sommes appuyé sur le Tome 1 de l’ouvrage Guillaume de Machaut poésies lyriques – édition en deux parties de Vladimir Chichmaref (Editions Honoré Champion, 1909).
L’ensemble Musica Nova et la passion des musiques anciennes
Nous avons déjà mentionné l’Ensemble Musica Nova lors d’articles passés au sujet du XIIe Festival des Musiques et histoire de Fontfroide mais aussi à l’occasion d’une des dernières éditions du Festival Voix et Route Romane. Toutefois, c’est la première fois qu’il nous est donné de vous le présenter plus en détail et ce sera un plaisir.
Formé à Lyon, par Lucien Kandel, au début des années 2000, cet ensemble de musique ancienne a acquis, depuis, ses lettres de noblesse sur la scène médiévale, avec de nombreuses reconnaissances de ses pairs. Très fortement orientée sur des prestations vocales, la formation s’entoure aussi, au besoin, d’instrumentistes. Elle a, jusque là, présenté un répertoire polyphonique qui va du Moyen Âge au baroque, mais qui peut aussi s’étendre à d’autres périodes et d’autres horizons.
Discographie de Musica Nova
Du point de vue discographie, Musica Nova a, à ce jour, fait paraître 8 albums qui se distinguent tous par leur qualité. Pour ce qui est de l’œuvre de Guillaume de Machaut, l’ensemble lui a particulièrement fait honneur. On pourra, en effet, retrouver dans ses productions, un album consacré à la Messe notre dame, un double album portant sur tous les motets du maître de musique, et enfin Ballades, l’album du jour, qui explore les ballades polyphoniques du maître de musique. Le reste de la discographie de Musica Nova propose des incursions du côté de l’œuvre de compositeurs célèbres comme Johannes Ockeghem, Josquin Despres, ou encore Guillaume Dufay. S’y ajoute également un album autour du compositeur du Moyen Âge tardif Jacob Handl.
Autres activités de l’ensemble
En plus de ses programmes et albums, l’intérêt de l’ensemble Musica Nova pour la restitution historique, l’ethnomusicologie et le partage l’a conduit à élargir certaines de ses prestations à des aspects plus pédagogiques orientés sur la transmission. Ces interventions s’adressent à des publics profanes ou amateurs comme à des publics plus avertis, en fonction des objectifs visés : ateliers de sensibilisation, stages, master-classes, concerts-conférences, milieu scolaire, etc… Pour plus d’informations sur ces aspects, ainsi que sur l’agenda de la formation ou ses albums, nous vous invitons à consulter son site web très complet.
Guillaume de Machaut (c. 1300-1377) : Ballades
L’album du jour est, donc, tout entier dédié aux Ballades de Guillaume de Machaut. Il a été proposé au public en 2009. Sur 78 minutes de durée, il propose 12 pièces polyphoniques et ballades du compositeur du Moyen Âge tardif, ainsi qu’une treizième pièce non signée et demeurée anonyme. La ballade du jour ouvre le bal, en laissant d’emblée présager de la qualité du reste. On peut retrouver cet album de musique médiévale à la vente sur le site de l’ensemble Musica nova (voir lien vers le site ci-dessus).
Artistes et instrumentistes présents sur cet album
Christel Boiron (cantus), Marie-Claude Vallin (cantus), Thierry Peteau (tenor), Marc Busnel (bassus), Lucien Kandel (tenor et direction), Pau Marcos (violon), Birgit Goris (violon), Julien Martin (flûtes), Marie Bournisien (harpe).
De Fortune me doy pleindre et loer ballade à 4 voix de Guillaume de Machaut
De Fortune me doy pleindre et loer Ce m’est avis, plus qu’autre creature Car quant premiers encommancay l’amer Mon cuer, m’amour, ma pensee, ma cure Mist si bien à mon plaisir Qu’a souhaidier peüsse je faillir N’en ce monde ne fust mie trouvee Dame qui fust si tres bien assenée.
Du sort (destin) je dois (à la fois) me plaindre et me féliciter, me semble-t-il, plus que toute autre créature Car quand, pour la première fois, je commençais à l’aimer Il (le sort) mit mon cœur, mon amour, ma pensée, mes attentions (soins) si parfaitement au service de mon plaisir Que je n’aurais pu échouer à désirer Ni en ce monde il n’aurait jamais pu setrouver Dame qui fut si bien pourvue (ss entendu que moi) (1).
Car je ne puis penser n’imaginer Ne dedens moy trouver c’onques Nature De quanqu’on puet bel et bon appeller Peust faire plus parfaite figure De celui, ou mi desir (comme est cils, où mi désir) Sont et seront a tous jours sans partir; Et pour ce croy qu’onques mais ne fu née Dame qui fust si tres bien assenée.
Car je ne puis penser ou imaginer Ni, au dedans de moi, trouver comment la Nature De tout ce qu’on pourrait nommer bon et juste Pourrait jamais trouver une forme si parfaite Que celui, dans lequel mes désirs Sont et seront, pour toujours et sans fin ; Et pour cela je crois que jamais auparavant ne fut née Dame qui fut si bien pourvue.
Lasse! or ne puis en ce point demourer Car Fortune qui onques n’est seûre Sa roe vuet encontre moy tourner Pour mon las cuer mettre a desconfiture Mais en foy, jusqu’au morir Mon dous ami weil amer et chierir. C’onques ne dut avoir fausse pensee Dame qui fust si tres bien assenée.
Hélas! pourtant je ne puis demeurer en ce point, A cause de Fortune (destin, sort) qui jamais n’est sûre Elle veut tourner sa roue contre moi Pour plonger mon malheureux cœur dans la détresse. Mais, dans la fidélité (foi, honneur) jusqu’à ce que je meure Je veux aimer et chérir mon doux ami (amour), Car jamais ne devrait avoir de fausse pensée Dame qui fut si bien pourvue.
(1)« bien placée »fig :choyée par le sort, en l’occurrence nantie en amour.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
NB : sur l’image en-tête d’article, derrière le portrait de Lucien Kandel au premier plan (crédits photos et copyright hesge.ch), vous pourrez retrouver cette même ballade de Guillaume de Machaut dans le Codex 0564. Daté du XVe siècle, ce recueil médiéval de ballades et chansons, avec musique annotée est conservée au Musée Condé et à la Bibliothèque du château de Chantilly, dans les Hauts-de-France.