Sujet : musique médiévale, galaïco-portugais, lyrisme médiéval, culte marial, miracle
Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central
Auteur : Alphonse X de Castille (1221-1284)
Interprète : Jordi Savall · La Capella Reial de Catalunya · Hespèrion XXI
Titre : Cantiga Santa Maria 37, « Miragres fremosos
faz por nós Santa María»
Album : Cantigas de Santa Maria, Strela do dia, 2017
Bonjour à tous,
ienvenue à la cour de Castille, au cœur de l’Espagne médiévale du XIIIe siècle. Aujourd’hui, nous poursuivons, en effet, notre découverte des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X le Sage.
L’importance du culte marial
de l’Europe médiévale aux siècles suivants
Du Moyen Âge central aux siècles suivants, le culte marial a fait plus que simplement traverser l’occident chrétien médiéval. De l’architecture à l’art, de la peinture à la littérature, il l’a grandement inspiré. Des troubadours aux trouvères, de Rutebeuf à Villon et d’autres après eux, rares seront les auteurs et poètes qui ne rédigeront leur ode à la Sainte. Certains lui feront de véritables déclarations sur le mode de l’amour courtois et même des religieux s’enflammeront pour elle.
Figure de la mère et de la sainte, proche et sacrée à la fois, mère du Dieu mort en croix, elle est celle que le croyant peut approcher en espérant que par sa douceur, son écoute et sa mansuétude, elle puisse exaucer ses prières ou, peut-être, encore intercéder, en sa faveur, auprès du christ et du ciel. On loue, tout à la fois, ses miracles, sa miséricorde et ses vertus et, sur les longues routes qui mènent aux églises ou aux chapelles qui lui sont dédiées, les pèlerins la chantent avec fièvre et foi, en priant pour la réparation, le pardon ou le salut.
Il reste, de ce culte marial, une quantité de textes, de récits, de poésies, ou encore de témoignages artistiques et patrimoniaux dans de nombreux pays d’Europe. En Espagne, le corpus réuni et mis en musique sous le règne d’Alphonse X demeure l’un des plus célèbres d’entre eux. Ils contient 427 chansons médiévales dédiées au culte de la vierge et nous avons entrepris de nous y pencher depuis quelque temps déjà : voir les Cantigas de Santa Maria, du Gallaïco-portugais et leur traduction vers le français moderne.
Le récit de Miracle de la Cantiga 37
La Cantiga Santa Maria 37 est un nouveau récit de miracle. Ce dernier nous entraîne en France, en la ville ardéchoise de Viviers et dans l’ancienne province du Vivarais. Il a pour cadre l’église locale. Au Moyen Âge, les pouvoirs que l’on reconnait à la Sainte sont incommensurables. Certains n’ont même rien à envier à ceux qu’on prête au Christ dans les évangiles. Le refrain de la Cantiga 37 ne cessera d’ailleurs de le scander : « Miragres fremosos faz por nós Santa María, e maravillosos. « , « Sainte-marie accomplit pour nous de beaux et merveilleux miracles. »
(ci-contre et ci-dessus miniatures de la Cantiga 37 tirées du Manuscrit T.I.1, Bibliothèque de l’Escurial, Madrid)
Lèpre, mal des ardents, autre maladie, accident ? Ce chant marial restera vague sur l’origine médical du problème. Toujours est-il qu’un homme atteint d’un mal qui lui infligeait des douleurs terribles au pied (ardentes) finira par se le faire trancher sans ménagement. Devenu un des plus « terribles » estropiés d’entre les estropiés, comme nous dira le poète, le malheureux ne cessera pourtant d’implorer de ses vœux un miracle marial qui finira par survenir.
Une nuit, pendant son sommeil, la Sainte viendra, en effet, à son chevet. Et dans une séance décrite, par la Cantiga, comme une véritable opération de « passes » curatives comme en font certains guérisseurs ou leveurs de maux, elle reconstituera l’organe amputé, rendant ainsi au malheureux son pouvoir de marcher normalement. A l’écoute du miracle et comme à la fin de nombreuses autres Cantigas de Santa Maria, on vînt, bientôt, de loin pour louer le prodige accompli par la vierge et son immense pouvoir.
La Cantigas 37 par Jordi Saval & la Capella Reial de Catalunya
Jordi Savall et les Cantigas de Santa Maria
Sorti pour la première fois chez Astrée en 1993, le bel album dont est tirée la cantiga du jour fut remastérisé et réédité chez Alia vox en 2017. Entouré de ses deux formations de prédilection, la Capella Reial de Catalunya et Hespèrion XXI, le maître de musique catalan Jordi Savall y dirige, en virtuose, 14 pièces issues du répertoire médiéval des cantigas d’Alphonse X de Castille. On y trouvera des versions vocales et instrumentales des cantigas 100, 400, 209, 18, 163, 37, 126, 181, 383, aux côté d’interprétations uniquement instrumentales des CSM 176, 123, 142, 77 et 119. On peut toujours trouver cette album à la vente au format CD ou Mp3. Voici un lien utile pour le pré-écouter ou l’acquérir : Cantigas de Santa Maria, Alfonso X El Sabio.
« Miragres fremosos faz por nós Santa María »
La Cantiga 37 et sa traduction en français
NB : à d’habitude, pour cette traduction nous ne prétendons pas à la perfection. Elle est le fruit de recherches personnelles et elle pourrait mériter quelques repasses. Son intérêt n’est que de fournir les clés de compréhension générale de cette pièce médiévale.
Esta é como Santa María fez cobrar séu pée ao hóme que o tallara con coita de door.
Celle-ci (cette cantiga) conte comment Sainte-Marie fit retrouver son pied à un homme qui se l’était fait trancher à cause de la grande douleur qu’il subissait.
Miragres fremosos
faz por nós Santa María,
e maravillosos.
Sainte-marie accomplit pour nous
De beaux et merveilleux miracles.
Fremosos miragres faz que en Déus creamos,
e maravillosos, por que o mais temamos;
porend’ un daquestes é ben que vos digamos,
dos mais pïadosos.
Miragres fremosos…
Elle accomplit de beaux miracles pour que nous croyions en Dieu,
Et merveilleux, pour que nous le craignons d’avantage:
A ce propos, il est bon que nous vous contions,
un de ceux là parmi les plus miséricordieux.
Refrain …
Est’ avẽo na térra que chaman Berría,
dun hóme coitado a que o pé ardía,
e na sa eigreja ant’ o altar jazía
ent’ outros coitosos.
Miragres fremosos…
Celui-ci survint en une terre qu’on appelait Viviers (Vivarais)
A propos d’un homme affligé dont un pied brûlait (fig : de douleur)
Et qui gisait dans l’église, devant l’autel
Au milieu d’autres malheureux.
Refrain …
Aquel mal do fógo atanto o coitava,
que con coita dele o pé tallar mandava;
e depois eno conto dos çopos ficava,
desses mais astrosos,
Ce feu de la lèpre (de la douleur) le tourmentait tellement
Que dans une grande douleur, il manda qu’on lui coupa le pied,
Et suite à cela, on le compta parmi les estropiés,
et les plus terribles (atroces) d’entre eux.
Refrain …
pero con tod’ esto sempr’ ele confïando
en Santa María e mercee chamando
que dos séus miragres en el fosse mostrando
non dos vagarosos,
Pourtant, malgré tout cela, il était toujours resté confiant
En Sainte Marie et il implorait sa miséricorde
Afin qu’elle exerce sur lui ses miracles
Sans tarder (et pas des plus lents)
Refrain …
e dizendo: “Ai, Virgen, tu que és escudo
sempre dos coitados, quéras que acorrudo
seja per ti; se non, serei hoi mais tẽudo
por dos mais nojosos.”
Miragres fremosos…
En disant : « Oh, Vierge, toi qui es toujours le bouclier
Des miséreux, voudras-tu que je sois secouru
par toi ; sans quoi, je serais, dès à présent, tenu
pour une des plus misérables créatures (une des créatures les plus répugnantes, disgracieuses)
Refrain …
Lógo a Santa Virgen a el en dormindo
per aquel pé a mão indo e vĩindo
trouxe muitas vezes, e de carne comprindo
con dedos nerviosos.
Miragres fremosos…
Suite à cela, la Sainte Vierge vint à lui alors qu’il dormait
Et sur ce pied, elle passa sa main, allant et venant,
De nombreuses fois, en reconstituant sa chair
de ses doigts habiles (en reconstituant la chair et les nerfs de ses doigts ?)
Refrain …
E quando s’ espertou, sentiu-se mui ben são,
e catou o pé; e pois foi del ben certão,
non semellou lóg’, andando per esse chão,
dos mais preguiçosos.
Miragres fremosos…
Et quand l’homme s’éveilla, il se sentit totalement guéri
Et il regarda son pied ; et puis quand il fut bien sûr de lui,
après un court instant, il se mit à marcher sur le sol,
en prenant son temps (avec précaution, en flânant ?)
Refrain …
Quantos aquest’ oíron, lóg’ alí vẽéron
e aa Virgen santa graças ende déron,
e os séus miragres ontr’ os outros tevéron
por mais grorïosos.
Miragres fremosos…
Ceux qui entendirent cela, sont alors venus sur place
Et à la Sainte Vierge, ils ont rendu grâce,
Ainsi qu’à ses miracles, entre autres ceux qui étaient
tenus pour les plus glorieux.
Refrain …
Notes de contexte
Faut-il être soi-même chrétien pour apprécier la valeur de ces chants, de ces miracles et tout ce qu’ils nous disent du monde médiéval et de sa culture ? Ce serait se condamner (et l’exercice de l’Histoire) avec, à des vues bien étroites. Ce patrimoine et ces témoignages font partie intégrante de notre Histoire et des centaines d’années les contemplent.
Au vue de l’actualité, il semble même plus à propos que jamais de rappeler la grande importance revêtue par le culte marial en France, comme dans une partie de l’Europe médiévale, à partir du XIIe et durant de longs siècles. Dussions-nous encore abonder dans le sens contraire du vent, nous le ferions même, sans hésiter en affirmant combien il nous est agréable de voir encore les traces de ce culte marial dans nos villes, nos villages et nos campagnes. Il est même devenu tout particulièrement important et urgent de nous souvenir de sa profondeur historique à l’heure où, sous couvert d’idéologies ou d’impulsions diverses (souvent sans grande relation, semble-t-il, avec les manifestations ayant fait suite, en France, au décès de l’américain Georges Floyd), quelques individus sans grande envergure, culture, ni profondeur s’arrogent fièrement le droit de déboulonner (officiellement) ou même de vandaliser (plus sauvagement), des statues de vierges installées, ici ou là, depuis des siècles.
C’est encore cette même heure affligeante et irritante à laquelle on incendie régulièrement des églises et des cathédrales, de manière criminelle et gratuite, et en toute impunité, en donnant même, au passage, à tous ceux pour lesquels l’histoire, le patrimoine et/ou ses symboles ont encore un sens profond, l’impression que cette fameuse « haine » devenue un instrument de coercition à la mode et dont on nous rabat les oreilles, est un peu à échelle variable suivant les objets ou les valeurs qu’elle vise.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.