Sujet : Girart de Roussillon, chanson de geste, France carolingienne, monde féodal, histoire médiévale, médiéviste, film, documentaire.
Période : haut Moyen Âge, IXe siècle Titre : À la recherche de Vaubeton Durée : 86 minutes Réalisatrice : Michelle Gales Production : Le Chemin derrière les murs, Now & Then et Rivarts (2018) Evénement : Projection, échanges Date : le 26 octobre 2019 à 15h30 Lieu : La cité de la Voix , Vézelay
Bonjour à tous,
l y a quelque temps, nous vous avions présenté le film documentaire « À la recherche de Vaubeton » de la réalisatrice Michelle Gales. Avec comme fil conducteur le personnage et la geste de Girart de Roussillon, ce long métrage, filmé en Bourgogne, autour du site supposé de la bataille de Vaubeton, est, tout à la fois, une invitation à la poésie et à la réflexion. Ainsi, si l’histoire de Girart y est questionnée avec l’appui des médiévistes, il y est aussi question d’un jeu de miroirs entre monde médiéval et modernité.
Filmer le Moyen Âge aujourd’hui
Au delà des faits historiques ou archéologiques, Michelle Gales s’y laisse entraîner, avec délectation, sur les traces de la légende ; elle la traque de son regard et de sa caméra jusque dans ses recoins les plus secrets, pour mieux la suggérer ou la faire resurgir : à travers les paysages, les sites, les vieilles pierres et même jusque dans les gestes et les regards.
Au delà du factuel, il s’agit aussi de questionner l’empilement du temps et les liens mystérieux et muets qui peuvent encore nous unir au Moyen Âge ; que nous en fassions un relecture consciente ou que ce dernier s’invite, à tâtons, jusque dans notre présent.
La Projection-échange du 26 octobre à Vézelay
Le film documentaire sera projeté le 26 octobre prochain, à 15h30 à la Cité de la Voix, en la belle cité médiévale classée de Vézelay.
L’événement est organisé en partenariat avec les Amis de Vézelay, Association de préservation de l’Histoire et du Patrimoine de la ville, et de sa région. La projection sera suivie d’une rencontre échange avec la réalisatrice. Les entrées sont libres dans la mesure des places disponibles. Pour plus d’informations, nous vous conseillons ce lien : contacter les Amis de Vézelay.
Si vous n’avez pas la chance de vous trouver autour de Vézelay à cette date, vous trouverez plus d’informations sur le site officiel du documentaire ici (calendrier de projections, visionnage, location, …).
Sujet : Girard de Roussillon, chanson de geste, France carolingienne, monde féodal, histoire médiévale, médiéviste, film, documentaire.
Période : haut moyen-âge, IXe siècle Titre : A la recherche de Vaubeton Réalisatrice : Michelle Gales Production : Le Chemin derrière les murs, Now & Then et Rivarts (2018) Evénement : Projection, échanges Date : lundi 5 novembre 2018, 19h00 Lieu : SCAM, Salle Charles Brabant 5, avenue Vélasquez. Paris 5e
Bonjour à tous,
u titre des événements à noter sur les agendas de ceux qui se trouveront en Île de France et à Paris, le 5 novembre prochain, dans les locaux de la Société Civile des Auteurs Multimédias (la SCAM ) sera projeté le film documentaire A la recherche de Vaubeton de la réalisatrice Michelle Gales.
Réflexions & regard poétique au carrefour
du haut moyen-âge & de la modernité
Au croisement de l’histoire médiévale, de l’archéologie et de l’imaginaire poétique, Michelle Gales s’est engagée sur les traces de Girart de Roussillon et des légendaires mésaventures de ce Seigneur de Province du temps du haut moyen-âge et de la France carolingienne .
Au cœur d’un petit village de Bourgogne, celui-là même où le célèbre Conte de Vienne avait fondé, au IXe siècle, avec son épouse, une abbaye de femmes, la réalisatrice a suivi les pas d’un médiéviste, à la recherche de possibles vestiges de la bataille de Vaubeton mentionnée dans la célèbre Chanson de Geste (voir plus bas dans l’article)
» À travers la poésie, la musique, les objets ou les lieux, ces voix du passé nous interpellent. Habitants et visiteurs se réapproprient l’Histoire et la Légende. »Ardècheimages (2018)
Précisons-le, il ne s’est pas tant agi pour Michelle Gales de se livrer à un exercice documentaire scientifique et technique, cantonné aux découvertes archéologiques factuels, mais bien plutôt d’observer et de saisir, au présent, les échos de la légende médiévale dans les esprits et les récits des habitants, artistes ou visiteurs du lieu, avec leurs lots d’imaginaire, de ré-interprétation et de reconstruction. Derrière la caméra, il a donc été question pour elle, de deviner, de lire ou de rêver, des résonances où se mêlent histoire, poésie et modernité, au travers des hommes, mais aussi des paysages et des pierres.
Concernant la projection de ce bel essai documentaire qui pourrait intéresser les passionnés, les initiés ou les amateurs de moyen-âge, autant qu’un public plus large, vous y êtes donc largement conviés. Elle sera suivie d’un échange dans l’ouverture et la convivialité. Attention cependant, les places étant réduites, les réservations sont obligatoires et les entrées seront privatives sur cette base. Pour vous inscrire, merci d’écrire à l’adresse email suivante : chmigabe[@]gmail[.]com
Pour ceux qui ne pourraient pas s’y rendre, voici également un lien utile pour en savoir plus sur ce film-documentaire et pour suivre le calendrier de ses projections : A la recherche de Vaubeton.
Girart de Roussillon :
de l’Histoire à la légende
Milieu du neuvième siècle, en cette fin de haut moyen-âge, les descendants de Charlemagne et héritiers directs de son fils Louis le Pieux s’entre-déchirent et se jalousent. A la faveur de cette crise, au sein d’un royaume carolingien divisé et affaibli, la féodalité émerge et les grands vassaux tirent déjà leur épingle du jeu. Il en résulte les premières grandes tensions entre pouvoir central et pouvoir délocalisé ou provincial, et il faudra encore de longs siècles de luttes aux couronnes d’Europe pour conquérir à nouveau ce qu’elles considéraient bien leur revenir de droit.
L’apparition de la chanson de geste autour de la vie de Girart de Roussillon est bien plus tardive que l’époque dont elle relate les faits puisqu’on la date entre la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle. Elle conte en 10 000 vers la vie d’un grand seigneur féodal et ses démêlés avec le roi de France, Charles le Chauve. Largement étudiée par nombre de médiévistes et d’experts, elle contient tous les ingrédients d’une grande aventure épique : amour, jalousie, convoitise, jeux de pouvoir et trahison, batailles sanglantes et absurdes, folie et orgueil et elle n’oublie pas, au passage, l’importance et le grand rôle des femmes et des reines, prises dans la tourmente de toutes ses affaires « d’hommes ».
Girart, comte et puissant vassal
au milieu d’un empire carolingien morcelé
Le personnage historique (810/815 – 877)
Devenu comte de Paris sous Louis le Pieux, quand l’empire sera divisé en trois, Girart de Vienne prendra le partie de Lothaire, en perdant au passage son titre sur le Comté de Paris revenu aux mains de Charles le Chauve.
En charge du duché de Lyon et du comté de Vienne, il élargira, au fil des années, ses possessions du côté de la bourgogne. A la lutte contre les sarrasins et bientôt contre les raids viking venus par le Rhône jusque Valence, Girart se signera par ses faits au Sud, mais il devra aussi se défier, au nord, des ambitions de Charles le Chauve bien décidé à étendre ses terres, au détriment de celles du puissant seigneur et guerrier acquis à la cause de Lothaire. Au milieu des luttes de pouvoir qui opposeront alors les nobles de la lignée de Charlemagne et leurs descendants pour la possession de la Provence, le noble réussira longtemps à maintenir son pouvoir sur le Lyonnais et le Viennois, mais les jeux de succession feront bientôt tomber les deux provinces dans l’escarcelle de Charles le Chauve qui s’empressera d’en chasser l’ancien fidèle de son frère pour placer l’un des siens, Après s’être soulevé, Girart renoncera pourtant. Il rentrera en Avignon et avant que le souverain ne s’empare aussi de ses terres bourguignonnes, il fondera avec son épouse Berte (Berthe), deux monastères qu’il placera sous le protection du Pape pour les soustraire à la main du roi. Il mourra quelques années plus tard, en 877, la même année que Charles le Chauve
Sa vie est celle d »un personnage d’importance dans la France féodale du IXe siècle et dans un monde carolingien écartelé entre l’ambition de frères que leur père, Louis le Pieux, avait déjà échoué à unir de son vivant. Charlemagne était mort et, avec lui, son oeuvre, il n’en resterait plus que des jalousies fratricides et pour les siècles à venir, et même au delà du moyen-âge, un rêve de reconquête qui allait hanter nombre de souverains ou d’empereurs du Saint-Empire.
La Légende et la chanson de geste
Pour en dire deux mots et mieux situer le contexte du film documentaire de Michelle Gales, la chanson de geste Girart de Roussillon est une oeuvre littéraire qui prend de grandes libertés avec la réalité historique, même si, pour une part, elle en reprend peut-être des éléments, en les retraitant de manière allégorique. Elle conte ainsi la vie du Seigneur de Vienne et sa longue opposition avec Charles le Chauve, née d’une jalousie du souverain mais qui se poursuivra pour prendre des tours inextricables et suggérer des responsabilités aux contours plus partagés.
Les deux hommes s’étant vu promettre chacun une fille de l’empereur de Constantinople, le roi, ayant entendu de ses conseillers que Girart allait marier la plus belle d’entre elles, ne l’entendit pas de cette oreille. Il fit donc changer les termes de l’arrangement pour la prendre en épousailles, laissant finalement l’autre fille, Berte, au seigneur de Lyon et de Vienne. Dans l’opération, Charles le Chauve dut faire quelques sérieuses concessions dont laisser à Girart la totalité du pouvoir sur ses fiefs dont ce denier n’aurait plus à répondre face à la couronne.
La bataille de Vaubeton
Sitôt la concession faite, le roi la regrettant déjà viendra provoquer Girart sur ses terres pour reprendre ses droits sur ce qu’il continuait de considérer à l’évidence comme son bien. Les échauffourées prendront bientôt de plus grandes proportions pour déboucher sur la terrible bataille de Vaubeton dont il est question dans le documentaire de Michelle Gales. L’Ost de Charles le Chauve d’un côté, Girard et ses barons alliés de l’autre, elle verra des pertes sanglantes des deux côtés et la légende conte que Dieu lui-même vint pour y mettre un terme :
« …mais par la volonté de Dieu un orage éclata, fort, fier, horrible et redoutable. Charles vit son enseigne brûler et Girart la sienne tomber en charbon. A la vue de ces signes que Dieu leur manifeste, ils arrêtent le combat. » . Girart De Roussillon,
Chanson De Geste Traduite Pour La Première Fois, Paul Meyer 1884
La suite de la geste est une longue suite de péripéties, alternés de conflits et de trêves entre les deux hommes sur le détail desquels nous aurons l’occasion de revenir plus tard. L’objectif reste, dans le cadre de cet article, de vous donner quelques clés utiles pour mieux appréhender le film-documentaire de Michelle Gales.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
PS : les deux autres images tirées d’une seule enluminure représentant le chantier d’un église au moyen-âge sont également tirées du Codex 2549, Vienne, Österreichische Nationalbibliothek
Sujet : chanson de geste, poésie, littérature médiévale, Charlemagne, Roland, Croisades, livres, moyen-âge chrétien. Période : moyen-âge central, XIe siècle Auteur (supposé) : Turold Manuscrit ancien : Manuscrit d’Oxford , Titre : La chanson de Roland Intervenants : Jean Dufournet, Abdelwahab Meddeb Programme : Cultures d’Islam, France Culture (2008)
Bonjour à tous,
n 2008, dans le cadre de son programme Cultures d’Islam, France Culture et l’écrivain, poète et érudit tunisien Abdelwahab Meddeb (1946-2014) recevaient l’historien, médiéviste et romaniste Jean Dufournet (1933-2012) autour de la Chanson de Roland. Dans la continuité de notre article précédent sur la geste médiévale et son importance/influence sur l’Europe médiévale. nous vous proposons donc de découvrir ici cet échange.
Mise en contexte de la chanson de Roland
Après un mot sur les anciens manuscrits, Jean Dufournet nous parlera de la chanson de geste, supposée écrite par le clerc Turold, en la remettant dans son contexte littéraire, mais surtout historique et politique. On découvrira ainsi comment trois siècles après les faits et l’épopée de Charlemagne, la Chanson de Roland fut instrumentalisée par son époque pour mettre en valeur la royauté, mais également pour renforcer idéologiquement l’ardeur des croisés. Le médiéviste et son interlocuteur feront aussi quelques intéressants détours pour mettre en valeur les parentés, les similitudes et les divergences entre les deux cultures chevaleresques et religieuses.
Sur ces aspects de récupération « idéologique », en l’occurrence à des fins religieuses,, soulignons, comme les deux interlocuteurs en présence ont la finesse de le faire eux-même, qu’il ne s’agit nullement ici et après coup d’en faire le procès, ni de la fustiger et encore moins de l’encenser. L’analyse critique et contextuelle de Jean Dufournet sur le sujet dépasse, par ailleurs et de loin, les simples visées liées à la croisade : les conflits internes et sociaux, les relations de vassalité du monde féodal et bien d’autres aspects conflictuels et complexes du monde médiéval ne sont pas développés ici pour des raisons éditoriales. Au final, être conscient du soubassement politique de l’oeuvre devrait donc plutôt permettre de transcender ces aspects pour la replacer dans sa réalité médiévale mais aussi pour aller à ses qualités littéraires, c’est en tout cas le voeu formé par le médiéviste, une fois démêlé les aspects idéologiques. L’intention est-elle paradoxale ? Si le chemin est difficile, la démarche est, à tout le moins, hautement louable, intellectuellement parlant.
Pour le reste, ajoutons que l’instrumentalisation de la littérature à des fins stratégiques a existé de tout temps et plus encore quand ses auteurs dépendaient du pouvoir politique ou religieux pour s’alimenter, On pourrait, comme le disait ici très justement Abdelwahab Meddeb trouver sans peine des exemples de ce procédé de l’autre côté des rives de la croisade ou même en d’autres temps. Rien n’est vraiment nouveau sous le soleil quand il s’agit de motiver les hommes ou les troupes à guerroyer…
Pour clore sur l’aperçu de ce programme, on y survolera encore quelques idées intéressantes : interpénétration, reprise ou réinterprétation des traditions païennes et guerrières dans le cadre chrétien, relation et interdépendance encore du combattant et son épée (pas de Roland sans Durandal, pas de Durandal sans Roland) qui a peut-être même, selon Jean Dufournet, influencé la matière arthurienne. De fait et comme ce dernier le mentionnera encore au passage, la Chanson de Roland a eu une incidence sur la littérature médiévale, bien au delà de son temps.
Un échange autour de la chanson de Roland avec Jean Dufournet
NB ; pour des raisons techniques le son se trouve indisponible sur la page de France Culture et nous rendons grâce ici à la chaîne youtube Eclair Brut d’avoir pu le préserver et le mettre en ligne. Lien originel du programme sur France Culture (Fichier son indisponible pour le moment).
Le manuscrit MS Digby 23
de la bibliothèque bodléienne d’Oxford
Bien qu’on connaisse un certain nombre de manuscrits anciens contenant la Chanson de Roland, le manuscrit anglo-normand de la fin du XIIe siècle MS Digby 23, conservé à la Bodleian Libraryd’Oxford semble faire autorité en la matière auprès des experts, depuis un certain temps déjà.
Nous disons « semble » parce que pour être le plus ancien, dans le courant du XIXe et une partie du XXe, les médiévistes ont largement débattu sur la question de la méthodologie permettant d’apporter au public la plus juste restitution de cette chanson de geste. Fallait-il reprendre mot pour mot le manuscrit d’Oxford ou lui préférer une synthèse comparative entre les différentes sources ? A lire les critiques sur les différentes traductions parues autour de la Chanson de Roland, rares furent en tout cas, celles qui firent l’unanimité mais il faut dire que, pour des raisons de contenu, de datation, autant pour sa résonance médiévale, ce texte littéraire demeure un objet d’étude central (et donc sensible) pour bien des historiens médiévaux et romanistes.
La chanson de Roland en Ligne,
quelques références
En 1993, Jean Dufournet, grand spécialiste de la question comme on l’aura compris, faisait paraître une traduction de la Chanson de Roland, basée sur ce manuscrit d’Oxford. qui fournit la substance de cet échange organisé par France Culture. L’ouvrage est toujours disponible en format poche chez Flammarion. En voici les liens si le sujet vous intéresse.La chanson de Roland : Edition bilingue français-ancien français
Voici quelques autres liens utiles vers des manuscrits anciens ou vers des oeuvres plus récentes :
Sujet : musique, chanson, poésie médiévale, scandinavie, Norvège médiévale, Charlemagne, Roland, Haakon V, littérature courtoise, ballade folklorique, chanson traditionnelle, folk médiéval. Période : moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur : Anonyme Titre : Rolandskvadet, la chanson de Roland Interprètes : Trio Mediaeval Album : Folk Songs (2007)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous voyageons vers le nord de l’Europe et les terres scandinaves à la découverte d’une version toute récente de la chanson de Roland qui nous provient de manière presque inattendue, tout au moins en apparence, de Norvège.
Par quel curieux mystère l’histoire et la fin tragique du plus fidèle et héroïque guerrier de Charlemagne peut-elle aujourd’hui se retrouver chantée par un trio originaire de Scandinavie dans un album qui met en exergue les chansons traditionnelles et folkloriques de Norvège ? C’est ce que nous allons nous proposer de vous expliquer dans cet article, en remontant le fil de l’Histoire jusqu’au moyen-âge central.
La Karlamagnùs Saga, la geste de Charlemagne en terres noiroises
la fin du XIIIe siècle et sous le règne de Haakon Vde Norvège (1270-1319) parut en vieux norrois (le norvégien ancien devenu aujourd’hui l’Islandais), la Karlamagnùs Saga. Le récit contait l’épopée du grand empereur Charlemagne et la chanson de Roland y avait, bien entendu, sa place. A la même époque et sans doute à l’initiative du souverain, de source sûre et documentée, une quarantaine d’autres récits, romans ou poésies français furent traduits au coté de cette saga. Il y a pu en avoir plus, mais si c’est le cas, ils se sont perdus en cours de route.
Selon la romaniste et médiéviste danoise Jonna Kjaer (1), les traductions sous Haakon V de cette littérature médiévale française participait d’une volonté du souverain « demettre la Norvège à la hauteur de la civilisation européenne contemporaine« . Pour être plus spécifique, il était notamment question pour lui d’introduire et de promouvoir à sa cour et « dans son entourage », les moeurs courtoises.
Les textes ont sans doute et en partie transités par l’Angleterre même si les échanges culturels entre la France et la Norvège, dans le courant des XIIe et XIIIe siècles, sont des faits établis, notamment à travers certaines abbayes (Saint Victor à Paris) mais encore par des clercs norvégiens venus se former à l’Université de Paris. Parmi les oeuvres concernées, outre la saga de Charlemagne, on retrouvait aussi des chansons de gestes, des pièces courtoises et encore trois romans arthuriens de Chrétien de Troyes.
Bien entendu, pour des raisons sans doute autant liées à la difficulté de transposer mot pour mot l’univers et le contexte historique français dans lesquels baignait la plupart de ces textes (et notamment les chansons de Geste), autant que pour des raisons idéologiques et politiques, les textes une fois traduits n’étaient pas tout à fait les mêmes que les originaux. On notera, par exemple, avec Jonna Kjaer (opus cité), que le peu de goût pour les croisades du souverain norrois l’ont sans doute conduit à en gommer quelque peu l’ardeur dans les versions traduites. (pour plus de détails, nous vous renvoyons à l’excellent article de la romaniste cité en sources)
Plus tard, au moyen-âge tardif et dans le courant du XVe siècle, un auteur danois vint encore recompiler la Karlamagnus saga pour en produire une version d’un usage plus populaire, en s’aidant aussi d’autres poésies médiévales françaises. Au XIXe siècle, des versions adaptées de cet ouvrage circulaient encore dans les campagnes islandaises ou danoises. Nous trouvons ces faits exposés très clairement dans l’introduction de La chanson de Roland, de l’historien et chartiste Léon Gauthier, datant de 1876(2).
Rolandskvadet, aux origines de la Chanson
et ballade Norvégienne sur Roland
out cela démontre donc, sans conteste, une réelle popularité de cette saga de Charlemagne en terres scandinaves et, avec elle, la partie qui concerne le chant de Roland de Roncevaux. Cette popularité a perduré au fil des siècles et, de fait, on comprend mieux pourquoi et comment on peut encore, de nos jours, retrouver une chanson norvégienne sur le sujet; l’intérêt que cette dernière démontre pour l’histoire franque et ses héros vient de très loin.
Si elle fut bien inspirée de la Karlamagnus Saga, cette ballade ayant originellement pour titre Roland og Magnus kongen (Roland et le Roi Magnus), a été recueillie au début du XIXe siècle par les folkloristes norvégiens. Il semble qu’elle ait été collectée directement auprès des chanteurs populaires issus de la longue tradition des bardes nordiques. Son auteur s’est perdu dans les méandres de la transmission et de la culture orales et nous ne savons pas non plus la dater précisément mais il ne fait aucun doute qu’indirectement au moins elle prend ses racines dans le lointain passé médiéval auquel nous faisions référence plus haut. Depuis, elle a connu de nombreuses variantes; les versions originelles qui comptaient entre 27 et 31 strophes (!) sont quelquefois tronquées, comme c’est le cas de l’adaptation que nous en propose aujourd’hui le Trio Mediaeval.
La Gloire de Roland et de Charlemagne dans l’Europe médiévale
« Roland est un des héros dont la gloire a été le plus oecuménique, et il n’est peut-être pas de popularité égale à sa popularité »
Léon Gauthier la Chanson de Roland
Pour élargir, il est indéniable que la popularité de Roland fut grande, en Scandinavie, comme en de nombreux autres endroits de l’Europe médiévale : Allemagne, Angleterre, Italie, Hollande, … Au moment où les romanciers et poètes du moyen-âge central avaient commencé à donner à la mythologie arthurienne ses premières lettres de noblesse, le roi celte et breton était pourtant loin de rallier tous les esprits à sa cause et à sa référence. Une bonne dose d’imaginaire entourait aussi les récits arthuriens et si on les considérait « plaisants » avec Jean Bodel : « Li conte de Bretaigne si sont vain et plaisant », on savait, par ailleurs, que leur nature était, en grande partie, fictionnelle. Et même si le roi Edouard 1er d’Angleterre dans le courant du XIIIe siècle, se piqua d’intérêt pour l’histoire du roi breton, il fallut compter tout de même sur de notables efforts de l’Abbaye de Glastonburypour tenter de donner à la légende des chevaliers de la table ronde un fond plus solide de véracité ou au moins de vraisemblance historique.
De son côté, pour romancée, magnifiée ou même encore instrumentalisée que pouvait être l’histoire de Charlemagne et de Roland, ces derniers demeuraient des personnages historiques bien réels et les faits de Charlemagne, grand empereur unificateur, restaient établis à l’échelle européenne. Dans les XIIe et XIIIe siècles et longtemps loin devant Arthur, l’empereur et son fidèle Roland comptaient indéniablement parmi les héros qui faisaient rêver les rois et chanter les bardes jusqu’aux confins des terres de l’Europe médiévale.
La chanson de Roland par le Trio Mediaeval
Le Trio Mediaeval
ondée à Oslo dans les années 1997 par l’artiste Linn Andrea Fuglseth, la formation vocale norvégienne Trio Mediaeval s’est donnée comme ambition de faire revivre les chants monodiques ou polyphoniques sacrés de l’Italie, l’Angleterre et la France médiévales, mais encore d’y adjoindre des ballades ou chansons plus traditionnelles (ou folk) en provenance des répertoires norvégiens, suédois ou islandais, et réarrangées par leurs soins.
Vingt ans après sa création, le trio féminin continue de se produire activement. Sa fondatrice et directrice est aujourd’hui entourée de Anna Maria Friman et Berit Opheim, cette dernière ayant remplacée Torunn Østrem Ossum qui faisait partie de la formation des origines et l’a quitté depuis. En scène ou sur leurs albums, on peut retrouver les trois chanteuses en trio simple ou accompagnées de divers artistes, ceci pouvant aller jusqu’à des formations et orchestrations plus conséquentes.
uatrième album du trio, Folk Songs entendait renouer avec les racines traditionnelles et anciennes de la musique norvégienne. Trio Mediaeval faisait appel ici à l’artiste Birger Mistereggen spécialiste des percussions dans la pure tradition norvégienne et signait un album résolument folk et 100% nordique.
Si l’album vous intéresse ou même simplement quelques unes de ses pièces, vous pourrez le trouver au lien suivant en format CD ou en format dématérialisé MP3 : Folk Songs du Trio Mediaeval
Les paroles de Rolandskvadet du Trio Medioeval & leur traduction française
NB : mon norrois étant aussi pauvre que la misère sur un jour sans pain, la version française des paroles est adaptée par mes soins à partir de leur traduction anglaise. Elle en a donc clairement des limites, mais elle a au moins le mérite de nous permettre d’approcher le texte original.
Seks mine sveinar heime vera Og gjøyme det gullet balde; Dei andre seks på heidningslando Gjøyme dei jarni kalde.
Six hommes restèrent à l’arrière Pour garder leur or; Les six autres au coeur de la lande Brandirent l’acier froid.
Ria dei ut or Franklandet Med dyre dros i sadel. Blæs i luren, Olifant, På Ronsarvollen.
Ils sont sortis des terres franques Avec des butins dans leurs selles. Souffle dans ta corne, Olifant, À Roncevaux.
Slogest dei ut på Ronsarvollen I dagane två og trio; Då fekk’kje soli skine bjart For røykjen av manneblodet.
Ils se battirent à Roncevaux Pour deux jours, sinon trois; Et le soleil était obscurci Par la puanteur du sang des hommes.
Ria dei ut or Franklandet… (refrain) Ils sont sortis des terres franques…
Roland sette luren for blodiga mundi Blæs han i med vreide. Då rivna jord og jardarstein I trio døger av leide.
Roland porta son cor à sa bouche ensanglantée Et souffla dedans de toute sa volonté La terre trembla et les montagnes résonèrent Durant trois jours et trois nuits.
Ria dei ut or Franklandet… (refrain) Ils sont sortis des terres franques…
‘est un fait, de nos jours, une certaine littérature, des mouvements musicaux ou même encore de nombreuses troupes médiévales de reconstituteurs sont fortement attirés par les légendes ou la mythologie nordiques ou par l’histoire de ces vikings qui, venant de leurs terres froides, s’installèrent dans le nord de la France entre la fin du haut moyen-âge et le début du moyen-âge central. Pour autant, on s’en souvient sans doute moins, mais il est amusant de constater qu’à une période médiévale un peu plus tardive, les légendes et l’histoire de Charlemagne en provenance des terres franques, autant que la poésie et les chansons de geste françaises qui les vantaient, influençaient grandement la littérature et les esprits du côté de la Norvège et de la Scandinavie.
Sous la pression même de leurs couronnes, on voyait alors dans ces oeuvres littéraires le moyen d’introduire des « éléments civilisationnels » en provenance de l’Europe, autrement dit (pour ne pas entrer dans le difficile débat qui consiste à définir ce qu’est exactement une civilisation) des « choses culturelles » auxquelles on prêtait suffisamment de reconnaissance et de crédit, pour vouloir les voir diffuser au sein de son propre territoire, Contre les conquêtes et les grandes expéditions du haut moyen-âge, la courtoisie et ses valeurs étaient, semble-t-il, devenues les signes d’une certaine modernité, une norme, en somme, qu’on cherchait même à importer, dusse-t-elle être au passage adaptée et quelque peu remaniée.
Pour parenthèse, on notera encore que cette popularité du thème de Roland est encore relativement présente en Norvège puisque cette chanson a connu plus de sept enregistrements par des groupes folk locaux différents, depuis le milieu du XXe siècle. Dans le même temps, en France, nos chansons sur Charlemagne se réduisent à peu près à une contine pour enfants sur l’invention de l’école, reprise par France Gall dans les années soixante et écrite par son père Robert, parolier et chanteur, un peu avant. Sauf tout le respect dû à la mémoire de l’auteur autant qu’à sa belle et talentueuse interprète, disparue récemment et puisqu’il ne s’agit pas de cela, on conviendra tout de même que du point de vue de notre Histoire, nous avons perdu quelques billes en cours de route… Il fallait bien, semble-t-il quelques norroises passionnées de musiques médiévales et anciennes pour venir nous rappeler les glorieux héros de notre moyen-âge.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.