Sujet : chanson médiévale, amour courtois, vieux-français, langue d’oïl, musique médiévale, manuscrit ancien Période : XIIe s, XIIIe siècle, Moyen Âge central Titre :Cuer qui dort, il n’aime pas Auteur : auteur anonyme Manuscrit ancien : Codex de Montpellier H196 ou Chansonnier de Montpellier
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons une chanson médiévale datée entre le XIIe et le XIIIe siècle (avant 1280). Tirée du Codex H196 de Montpellier , cette pièce d’amour courtois est demeurée anonyme. Pour les amateurs de mélodies anciennes, ce beau manuscrit médiéval dont nous avons déjà parlé, a l’avantage de nous proposer les notations musicales de ses textes.
A l’image de nombreuses pièces du Chansonnier de Montpellier, la chanson du jour est en langue d’oïl. Comme son vieux français présente quelques difficultés sur certains vocables, nous avons décidé de vous en livrer une courte traduction en français moderne. Du point de vue du contenu, nous nous situons tout à fait, dans la veine des valeurs courtoises du Moyen Âge central. Ici, le loyal amant fait le vœu de ne jamais s’endormir en amour. Il ne connaîtra même de vrai repos tant que la belle de son cœur ne lui aura pas ouvert ses doux bras.
Si le Chansonnier de Montpellier ou ses pièces vous intéressent, vous pourrez les retrouver dans l’ouvrage de Gaston Raynaud daté de 1881 : Recueil de Motets français des XIIe et XIIIe siècles.
Cœur qui dort n’aime pas
Cuer qui dort, il n’aime pas : Ja n’i dormirai, Toz jors penserai, Loiauement sans gas, A vos, simple et coie Dont j’atent joie Et solas ; N’i dormirai tant que soie Entre voz douz bras.
Cœur qui dort n’aime pas : Jamais je ne dormirai en cela (en amour), Toujours je penserai, Loyalement et sans vanterie (sans moquerie, sérieusement) A vous, modeste (ingénu, loyal) et tranquille Dont j’attends joie Et réconfort ; Et je ne dormirai tant que je serais Entre vos doux bras.
Sujet : poésie médiévale, trouvère, chanson médiévale, musique ancienne, pastourelle, amour courtois Titre : «Ce fut en mai » Auteur : Moniot d’Arras, Pierre Moniot (12 ?) Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central Interprète : Martin Best Medieval Ensemble Album : Songs of Chivalry (1983)
Bonjour à tous,
u XIIIe siècle, Moniot d’Arras, connu également sous le nom de Pierre Moniot ou Moniot, composa plus d’une vingtaine de chansons dont un bon nombre sur le thème de l’amour courtois. Bien qu’on ne connaisse pas précisément les dates de sa vie et de sa mort, ce poète du Moyen Âge central est contemporain de cette génération demeurée célèbre de trouvères dans laquelle on compte des grands noms comme Colin Muset, Adam de la Halle ou encore Thibaut de Champagne, pour ne citer qu’eux. Il était même actif un peu avant eux.
Œuvre et chansons de Moniot d’Arras
A en juger par les adresses de ses poésies, Moniot a entretenu une certaine familiarité avec quelques nobles de son temps : Renaud de Dammartin, comte de Boulogne, Gérard III, vidame d’Amiens, Jehan de Braine, etc… Il a aussi été suffisamment populaire pour qu’une de ses chansons soit, en partie, citée dans le Roman de la Violette de Gerbert de Montreuil (autour de 1230).
La plupart des pièces laissées par Moniot d’Arras sont de nature courtoise et profane. Sur la foi des manuscrits, on lui avait tout d’abord attribué près de 40 chansons, mais l’on doit au médiéviste Petersen Dyggve d’avoir mis un peu d’ordre dans ce corpus ( Moniot d’Arras et Moniot de Paris, trouvères du XIIIe siècle, 1938). Dans ce même ouvrage, ce spécialiste finlandais de littérature romane médiévale en a également profité pour établir des lignes plus claires entre notre trouvère et une autre Moniot avec lequel on l’avait quelquefois confondu : Moniot de Paris.
Le chansonnier provençal d’Estense
La chanson que nous vous présentons aujourd’hui est l’une des plus célèbres du trouvère artésien même si son attribution a pu être aussi questionné. Elle se présente sous la forme d’une pastourelle et a pour titre « L’autrier en mai » ou encore « Ce fut en mai« . Du point de vue des sources, on peut la retrouver dans un manuscrit ancien conservé à la Bibliothèque d’Estense de Modène, en Italie.
Sous la référence aR44, ce codex de 346 feuillets est aussi connu sous le nom de Chansonnier provençal d’Estense. Depuis sa création, vers la fin du XIIIe siècle, il est passé entre plusieurs mains et a même fait l’objet d’ajouts, au fil du temps. Il est conservé à la Bibliothèque italienne de l’Université d’Estense depuis le XVIe siècle. Dans sa version actuelle, il contient la recopie de nombreuses pièces et chansons occitanes, mais également de textes en langue d’oïl et en vieux français comme celui du jour.
Ce fut en Mai de Moniot d’Arras par Martin Best Medieval Ensemble
Martin Best, un chanteur et musicien anglais, sur la scène médievale
Des années 70 aux années 90, le chanteur compositeur, luthiste et multi-instrumentiste britannique Martin Best a conquis un large public sur la scène des musiques anciennes et traditionnelles. Sur la partie de son répertoire qui touche le Moyen Âge. il a exploré un vaste territoire poétique et musical qui va de la Suède, à l’Angleterre, l’Espagne, la Provence et la France médiévales. En près de 30 ans de carrière, il a ainsi produit 25 albums, certains signés de son nom, d’autres sous les noms de ses formations Martin Best Consort ou encore Martin Best Medieval Ensemble.
En dehors de la scène musicale, Martin Best est aussi connu pour sa longue collaboration avec la troupe théâtrale Royal Shakespeare Company en tant qu’acteur et chanteur. Au carrefour de la musique et du théâtre, il a même produit en 1979, un album sur les musiques et chansons autour de l’oeuvre de William Shakespeare.
L’album Songs of Chivalry :
chansons du temps de la chevalerie
En 1983, avec le Martin Best Medieval Ensemble, l’artiste présentait l’album Songs of Chivalry. On pouvait y découvrir 19 pièces de choix, issues du répertoire français.
La sélection mêlait troubadours occitans et trouvères de langue d’oïl sur le thème de la chevalerie. Entre courtoisie, chansons de croisades, et même quelques pièces instrumentales, de grands auteurs de la France médiévale s’y trouvaient représentés : Guillaume IX d’Aquitaine, Marcabru, Thibaut de Champagne, Blondel de Nesle, Bernart de Ventadorn, Jaufre Rudel, Beatriz de Dia et quelques autres noms encore, dont Moniot d’Arras et la pastourelle du jour.
Edition & disponibilité
A ce jour, l’album est toujours disponible à la vente en ligne au format CD ou au format Mp3. Vous pourrez le retrouver au lien suivant : Songs of Chivalry.
Notons encore que les travaux du Martin Best Médiéval Ensemble sur le thème des troubadours firent l’objet d’un coffret de 6 CDs sorti en 1999, sous le titre Music from the Age of Chivalry. Pour l’instant, il semble qu’il n’ait pas été réédité et il demeure un peu difficile à trouver.
« Ce fut en mai » ou « l’autrier en mai »
de Moniot d’Arras
Ce fut en mai Au douz tens gai Que la saisons est bele, Main* (de bon matin) me levai, Joer m’alai Lez une fontenele. En un vergier Clos d’aiglentier Oi* (de ouir) une viele; La vi dancier Un chevalier Et une damoisele.
Cors orent gent Et avenant Et molt très bien dançoient; En acolant Et en baisant Molt biau se deduisoient* (se divertir, s’amuser). Au chief du tor* (finalement), En un destor, Dui et dui s’en aloient ; Le jeu d’amor Desus la flor A lor plaisir faisoient.
J’alai avant. Molt redoutant Que mus d’aus* (aucun d’entre eux) ne me voie, Maz* (triste) et pensant Et desirrant D’avoir ausi grant joie. Lors vi lever Un de lor per* (des deux) De si loing com j’estoie Por apeler Et demander Qui sui ni que queroie* (qui j’étais & ce que je voulais).
J’alai vers aus, Dis lor mes maus, Que une dame amoie, A cui loiaus Sanz estre faus Tot mon vivant seroie, Por cui plus trai Peine et esmai* (trouble, découragement) Que dire ne porroie. Et bien le sai, Que je morrai, S’ele ne mi ravoie* (revient).
Tot belement Et doucement Chascuns d’aus me ravoie* (fig; consoler?). Et dient tant Que Dieus briement* (bientôt) M’envoit de celi joie Por qui je sent Paine et torment : Et je lor en rendoie Merci molt grant Et en plorant A Dé les comandoie*(je prie congé d’eux).
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : codex de Montpellier, musique, chanson médiévale, amour courtois, vieux-français, chants polyphoniques, motets, Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central Titre:Puisque Bele Dame m’eime Auteur : Anonyme Interprète : Anonymous 4
Album : Love’s Illusion Music from the Montpellier Codex 13th Century (1993)
Bonjour à tous,
ous vous avions déjà présenté, il y a quelques semaines, une pièce du Chansonnier médiéval de Montpellier ( ou Codex de MontpellierH196 ) et nous poursuivons aujourd’hui son exploration.
Pour rappel, ce manuscrit ancien des débuts du XIVe fait un immense tribut aux chants polyphoniques et aux motets du XIIIe siècle. Il présente, en effet, pas moins de 336 pièces de ce type ( voir article précédent sur le Codex de Montpellier). La chanson médiévale que nous vous présentons, ici, est à l’image de la majorité d’entre elles puisqu’il s’agit d’un motet d’amour courtois ayant pour titre « Puisque Bele Dame m’eime ». On peut la trouver interprétée par un certain nombre d’ensembles sur la scène des musiques anciennes et médiévales. De notre côté, nous avons choisi la version de la formation américaine Anonymous 4 pour vous la faire découvrir et nous en profiterons pour vous présenter ce quatuor vocal à la longue carrière.
« Puisque Belle Dame m’eime » par L’Ensemble New-Yorkais Anonymous 4
Anonymous 4 sur les ailes des chants polyphoniques de l’Europe médiévale
L’ensemble Anonymous 4 est le fruit de la rencontre de quatre chanteuses américaines, à l’occasion d’une session d’enregistrement dans un studio new-yorkais, au printemps 1986. Réunies autour d’une même passion pour les chants polyphoniques et de musique médiévale, il n’en fallut pas moins pour donner naissance à cette formation. A plus de trente ans de là, Anonymous 4 s’est produit sur scène au cours de plus de 1500 représentations sur tout le territoire américain. La quatuor a aussi fait connaître et voyager son art dans la bagatelle de trente -cinq pays.
Au cours de cette longue carrière qui a vu son dernier concert en 2015, Anonymous 4 a fait paraître près de 30 albums, incluant quatre anthologies pour saluer leur large contribution à la scène des musiques anciennes et médiévales. La formation ne s’est pas cantonnée au répertoire médiéval et on la retrouve également sur des chants de Noël, des chansons du temps de la guerre civile américaine ou encore sur des chants celtiques ou anglais plus folkloriques. Du côté du Moyen Âge qui reste tout de même son terrain de prédilection, Anonymous 4 a eu l’occasion d’exercer son talent sur de nombreux thèmes : les visions d’Hildegarde de Bingen, les chants dédiés au culte marial médiéval, le répertoire de Francisco Landini, et encore bien d’autres chansons de l’Europe médiévale : France, Angleterre, Hongrie, Espagne, etc…
Membres de la formation Anonymous 4
La dernière formation était composée de Ruth Cunningham, Marsha Genensky, Susan Hellauer et Jacqueline Horner-Kwiatek. Au départ, elle fut fondée par Ruth Cunningham, Marsha Genensky, Susan Hellauer et Johanna Maria Rose.
Love’s Illusion, l’illusion de l’amour (courtois) autour du chansonnier de Montpellier
En 1993, Anonymous 4 proposait au public un album intitulé « Love’s Illusion » autour du codex de Montpellier et de ses chants courtois polyphoniques. Ces pièces étant courtes, le quatuor féminin décidait d’en proposer un bon nombre et on en retrouve ainsi pas moins de 29 sur cette production.
On retrouve la partition moderne de cette pièce médiévale chez Hans Tischler. En 1978, le compositeur et musicologue américain a, en effet, réalisé un excellent travail de transcription musicale sur les pièces du Codex de Montpellier : The Montpellier Codex Fascicles 6,7 and 8.
Les paroles en vieux français
et leur traduction en français moderne
Puisque bele dame m’eime Destourber ne m’i doit nus; Quar iere si loiaus drus Que je n’iere ja tensus Pour faus amans ne vantanz. Ja li mesdisant N’en seront joiant, Car nul mal ne vois querant; Mes qu’ami me cleime Je ne demant plus.
» Puisque belle dame m’aime Nul ne doit m’en empêcher ; Car j’ai toujours été amant loyal Et jamais on ne m’a accusé d’être Faux amant (infidèle) ou vantard. Désormais, les médisants Ne pourront plus se réjouir, Car nul autre mal, je ne cherche ; Qu’elle me proclame son ami (amant) Je ne demande rien de plus. »
En vous souhaitant une excellente journée
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue d’oc, amour courtois, Provence médiévale, fine amor, fine amant Période : Moyen Âge central, XIIe, XIIIe siècle Auteur : Peire Vidal (? 1150- ?1210) Titre :S’eu fos en cort Interprète : Ensemble Peregrina Album : Cantix (2013)
Bonjour à tous,
n suivant les pas de Peire Vidal et de ses désillusions amoureuses, nous vous entraînons, cette fois, du côté de la Provence médiévale. Nous sommes quelque part entre la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle et le troubadour nous conte comme il se trouve mis à mal par l’indifférence de sa dame. Sous les formes (habituelles pour l’époque) de la courtoisie, cette chanson médiévale est l’histoire d’une impasse et, comme tout bon loyal amant continue de l’être, quelquefois, au delà de toute raison, le poète s’accroche à ses sentiments autant qu’à son désespoir de ne pas les voir aboutir.
Pour servir cette belle chanson en occitan médiéval, dont nous vous proposerons une traduction, nous avons choisi l’interprétation d’une formation de talent : l’Ensemble Peregrina, ce qui nous donnera l’occasion de vous la présenter.
S’eu fos en cort, de Peire Vidal par l’Ensemble Peregrina
L’Ensemble Peregrina
L’ensemble Peregrina a été fondé à Bâle, en 1997, par la musicologue et chanteuse Agnieszka Budzińska-Bennett(au centre, sur la photo ci- dessous). Il a des relations étroites avec la Schola Basiliensis Cantorum puisque c’est là que ses membres se sont rencontrés. On se souvient que cette école suisse spécialisée dans l’apprentissage des musiques anciennes et médiévales a vu passer des professeurs de renom (voir autobiographie intellectuelle de Jordi Savall) mais qu’elle a aussi favorisé la formation de nombreux ensembles de talent.
Dès sa formation, Peregrina a opté pour un répertoire très clairement médiéval avec une prédilection pour les musiques sacrées ou profanes du Moyen Âge central à tardif (XIIe au XIVe siècle). Depuis sa création, il y a presque 20 ans, l’ensemble a fait du chemin. Il s’est produit en concert sur de nombreuses scènes en Europe (Suisse, Pologne, Espagne, Allemagne, France, Angleterre, Estonie, …) mais aussi aux Etats-Unis. Il a également produit un nombre important d’albums sur les thèmes les plus divers : musiques médiévales de l’Europe du nord (Finlande, Suède et Danemark), musiques du Tyrol, compositions autour de Saint-Nicolas , chants dévots à la vierge du XIIe siècle, etc… A différentes occasions, Peregrina a reçu de nombreux prix et sa reconnaissance sur la scène des musiques médiévales est, aujourd’hui, largement établie.
L’album Cantrix Musique Médiévale pour Saint Jean-Baptiste
Enregistré en 2012 et mis à la distribution l’année suivante, l’album Cantrix a pour vocation de faire tribut aux musiques médiévales autour de Saint Jean-Baptiste, notamment tel qu’on le chantait dans les couvents royaux des hospitalières de Sigena et des Cisterciennes de Las Huelgas.
On y retrouve des musiques principalement liturgiques extraites, dont une grande partie, issues du Codex de Las Huelgas. L’ombre de la Reine Sancha qui fonda un monastère en Aragon plane aussi sur cet album. Ceci explique la présence de pièces issues du répertoire des troubadours, une de Rostainh Berenguier de Marselha et celle du jour de Peire Vidal. On la retrouve sous deux formes dans l’album : en version vocale et musicale. Comme on le verra, dans sa chanson, le troubadour provençal et occitan fait allusion à la grandeur d’une reine d’Aragon et son roi et leur adresse même cette création. Au vue des éloges qu’il y prodigue à leur encontre, il semble bien qu’il s’était fait des deux monarques des protecteurs très appréciés et bienveillants.
Pour revenir à l’album Cantrix, sa sortie coïncidait aussi avec l’anniversaire les 900 ans de l’Ordre de Malte et sa reconnaissance par le pape. Il a d’ailleurs été co-produit par l’Association Suisse pour le règne souverain de l’Ordre de Malte (la Swiss Association of the Sovereign Order of Malta). On y retrouve 24 pièces dont une majorité de chants polyphoniques et motets, mais aussi des pièces plus instrumentales.
Agnieszka Budzińska-Bennett (dir, voix, harpe), Kelly Landerkin, Lorenza Donadini, Hanna Järveläinen, Eve Kopli, Agnieszka Tutton (voix), Baptiste Romain (vièle), Matthias Spoerry (voix)
S’eu fos en cort de Peire Vidal
de l’Occitan au Français moderne
Pour nous guider dans la traduction de cette chanson, nous avons suivi les travaux de Joseph Anglade : Les poésies de Peire Vidal (1913). Nous les avons complétés avec des recherches personnelles sur divers lexiques et dictionnaires occitans. Se faisant, il n’est jamais question d’arrêter une version définitive, ni d’en avoir la prétention, mais plus d’ouvrir d’autres pistes et même, par endroits, de susciter certaines interrogations sur les sens et les interprétations.
S’eu fos en cort on hom tengues dreitura, De ma domna, sitôt s’es bon’ e bela, Me clamera, qu’a tan gran tort mi mena Que no m’aten plevi ni covinensa. E donc per que.m promet so que no.m dona, No tem peccat ni sap ques es vergonha.
Si j’étais dans une cour où on obtienne justice, De ma dame, quoiqu’elle soit bonne et belle, Je me plaindrais, car elle me traite avec tant d’injustice, En ne respectant ni promesse, ni convention (gage, accord). Et puisqu’elle me promet ce qu’elle ne me donne pas; Elle ne craint pas le péché et ne sait ce qu’est la honte.
E valgra.m mais quem fos al prim esquiva, Qu’ela’m tengues en aitan greu rancura ; Mas ilh o fai si com cel que cembela, Qu’ab bels semblans m’a mes en mortal pena, Don ja ses leis no cre aver garensa, Qu’anc mala fos tan bêla ni tan bona.
Il eut mieux valu qu’elle me fut, d’emblée, farouche, Puisqu’elle me tient dans un chagrin (rancune ?) si grand et si sévère Mais elle a fait comme celui qui tend un piège (au moyen d’un leurre) Puisqu’avec ses belles apparences, elle m’a mis dans une peine mortelle, Dont jamais sans elle, je ne crois pouvoir me guérir Tant, pour mon malheur, elle n’eut sa pareille en beauté et en bonté.
D’autres afars es cortez’ e chauzida, Mas mal o fai, car a mon dan s’abriva, Que peitz me fai, e ges no s’en melhura, Que mals de dens, quan dol en la maissela; Que.l cor me bat e.m fier, que no.s refrena, S’amors ab leis et ab tota Proensa.
En d’autres affaires, elle est courtoise et distinguée (indulgente, avisée ?) Mais elle agit mal, car elle s’acharne à me causer de la peine, En me faisant le pire et cela ne s’améliore en rien, Pas plus que le mal de dents quand il s’étend à la mâchoire ; Au point que mon cœur bat et frappe, sans se refréner, D’amour pour elle, dans toute la Provence.
E car no vei mon Rainier de Marselha, Sitot me viu, mos viures no m’es vida ; E.l malautes que soven recaliva Garis mout greu, ans mor, si sos mals dura. Doncs sui eu mortz, s’enaissi.m renovela Aquest dezirs que.m tol soven l’alena.
Et puisque je ne vois mon Rainier de Marseille, Quoique je vive, ce n’est pas une vie ; Et comme le malade, qui ne cesse d’avoir de la fièvre Est plus dur à guérir, et meurt, si son mal persiste. Ainsi je suis bien mort, si ne cesse de se renouveler, Ce désir qui me prive souvent de respiration.
A mon semblan mout l’aurai tart conquista, Car nulha domna peitz no s’aconselha Vas son amic, et on plus l’ai servida De mon poder, eu la trob plus ombriva. Doncs car tan l’am, mout sui plus folatura Que fols pastres qu’a bel poi caramela.
A ce qu’il me semble, je l’aurais conquise trop tard, Car nul femme ne prend de si dures résolutions, Envers son ami (amant), et plus je l’ai servie De toutes mes forces, plus je la trouve ombrageuse. Ainsi puisque je l’aime tant, je suis encore plus fou Que le pâtre qui joue du chalumeau sur une belle colline.
Mas vencutz es cui Amors apodera ; Apoderatz fui quan ma domn’ aic vista, Car nulh’autra ab leis no s’aparelha De pretz entier ab proeza complida. Per qu’eu sui seus e serai tan quan viva, E si no.m val er tortz e desmezura.
Mais il est vaincu celui que l’amour possède Je fus pris dès que j’ai vu ma dame, Car nulle autre ne lui ressemble, De ses mérites entiers à sa bonté parfaite. Et pour cela je suis à elle et le resterais aussi longtemps que je vivrais Et si elle ne me porte secours ce sera tort et démesure.
Chansos, vai t’en a la valen regina En Arago, quar mais regina vera No sai el mon, e si n’ai mainta quista, E no trob plus ses tort e ses querelha. Mas ilh es franc’ e leials e grazida Per tota gent et a Deu agradiva.
Chanson, va-t-en jusqu’à la vaillante reine En Aragon, car reine plus authentique Je ne connais au monde, et pourtant j’en ai vu plus d’une Et je n’en trouve d’autre, sans tort et sans tâche Mais, elle, est franche, et loyale et gracieuse aimée de tous et de Dieu.
E car lo reis sobr’autres reis s’enansa, Ad aital rei coven aitals regina.
Mon Gazanhat sal Deus e Na Vierna, Car hom tan gen no dona ni guerreja.
Et puisque le roi au dessus des autres rois s’élève, A un tel roi convient une telle reine.
Beau Castiat (1), votre mérite surpasse tous les mérites, car il s’élève par de plus hauts faits (nobles actions).
Dieu sauve mon Gazanhat (profit, protecteur ?) et dame Vierna (2), Car personne ne sait mieux qu’eux donner et guerroyer.
Notes
(1) Castiatz : Raymon V de Toulouse, protecteur du troubadour. d’après M.E Hoepffner suivi par une grande majorité de médiévistes depuis.
(2) Na Vierna : Dame très souvent mentionnée dans les poésies de Vidal, et qui d’après Hoepffner vivait certainement dans l’entourage du comté de Toulouse. Dans ses poésies, Peire Vidal la mentionne, en effet, systématiquement en même temps que Castiatz. Dans un article de 1943, la philologue et médiéviste Rita Lejeune nous apprend que son nom véritable aurait été Vierna de Ganges. Selon elle toujours, cette Na Vierna aurait pu être plus proche du comte de Toulouse que seulement une vassale et lointaine parente. Elle pense même que serait cette dame à laquelle le troubadour aurait volé un baiser qui allait lui coûter son exil de Toulouse par le comte lui même. En suivant son raisonnement, ce serait peut-être encore la dame à laquelle est destinée cette pièce. Très sincèrement, il n’existe aucun moyen de vérifier cela aussi libre à vous de suivre ou non la médiéviste dans ses allégations et son raisonnement. (Voir Les personnages de Castiat et de Na Vierna dans Peire Vidal, Annales du Midi, Tome 55, N°217-218, 1943).
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.