Sujet : musique ancienne, chansons médiévales, école franco-flamande, rondeau, chants polyphoniques, lyrique courtoise. Période : moyen-âge tardif, XVe siècle. Auteur: Guillaume Dufay (1397-1474) Titre : la plus mignonne de mon coeur. Interprète : The Medieval Ensemble of London, Album : DUFAY, chansons (1995)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous repartons à la toute fin du moyen-âge, voire même à la renaissance suivant les chronologies classiques, pour découvrir un nouveau rondeau de Guillaume Dufay. C’est une chanson d’amour courtois qui fait partie du large répertoire profane que ce grand compositeur nous a laissé et c’est aussi un pièce polyphonique.
« La plus Mignonne de mon coeur », par l’ensemble médiéval de Londres
The Medieval Ensemble of London
Fondé à la fin des années 70, par Peter Davies & Timothy Davies, le Medieval Ensemble de Londres connut une carrière d’un peu moins d’une dizaine d’années. Au cours de son activité, il s’intéressa principalement au répertoire du XVe siècle avec quelques incursions du côté du XIVe et invita à son bord des musiciens importants de la scène anglaise de la musique ancienne ou qui allaient le devenir.
De 79 à 85, la formation laissa pas moins 16 albums en comptant ceux présents dans les coffrets, tous produits aux édition de L’Oiseau-Lyre, disparu depuis.
« Dufay Complete Secular Music »
un coffret dédié à la musique profane de Dufay
En 1981, sous la direction de ses deux fondateurs, The Medieval Ensemble of London faisait paraître à la distribution un impressionnant coffret contenant 5 Cds, autour de la musique profane de Guillaume Dufay. Sous le titre de Dufay Complete Secular Music, la production tenait ses promesses puisqu’on pouvait y trouver répertoriée près de 100 pièces du compositeur du XVe siècle dont le rondeau du jour.
Le coffret est toujours disponible à la vente au format CD et Universal Music Diffusion qui a en charge désormais sa distribution a aussi eu la bonne idée de le proposer au format dématérialisé pour ceux qui préféreraient butiner les pièces qui les intéressent de plus près plutôt que d’acquérir d’un coup l’ensemble d’entre elles : Dufay: Complete Secular Music (5 CDs)
La plus mignonne de mon cueur
de Guillaume Dufay
Du point de vue langagier, nous ne sommes déjà plus, avec cette chanson, dans le cadre du vieux français du moyen-âge central que nous côtoyons souvent ici. De fait, la langue de Dufay ne présente pas de grandes difficultés de compréhension et nous laissons donc cette jolie pièce libre de toute annotation.
Pour plus de détail sur cette retranscription voir ici
La plus mignonne de mon cueur Je m’esbahis, dont ce me vient Que sans cesser il me souvient De vostre beaulté et doulceur.
Des bonnes estez la meilleur, Puisque dire le vous convient,
La plus mignonne de mon cueur Je m’esbahis, dont ce me vient.
Quant j’ay desplaisir ou douleur Aucune foiz, comme il advient, Je ne scay que cela devient Pensant en vostre grant valleur.
La plus mignonne de mon cueur Je m’esbahis, dont ce me vient Que sans cesser il me souvient De vostre beaulté et doulceur.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, vieux-français, langue d’oil, fine amor. Période : XIIe, XIIIe, moyen-âge central Titre:A l’entrant d’esté Auteur : Blondel de Nesle Interprète :Estampie, Graham Derrick Album : Under The Greenwood Tree (1997)
Bonjour à tous,
n continuant d’explorer la piste des trouvères du moyen-âge central, nous revenons aujourd’hui à la poésie et aux chansons de Blondel de Nesle. Contemporain de Gace Brûléet de Conon de Bethune, ce noble entré depuis dans la légende, faisait sans doute partie d’un petit cercle d’amis et de nobles qui s’adonnaient à l’Art de Trouver, autour des cours florissantes du nord de la France et notamment celle de Champagne. Un peu plus tard, c’est sur l’héritage de ces derniers que Thibaut de Champagne composera, à son tour, ses propres chansons.
Nous ne reviendrons pas ici sur les éléments de biographie que nous avons déjà largement abordés (voir article: l’amour courtois d’Oc en Oil, Blondel de Nesle, trouvère, poète, adepte et fine amant devenu « légendaire »). Rappelons simplement que Blondel de Nesle compte dans la génération des précurseurs qui transposèrent la lyrique courtoise provençale et occitane en langue d’oïl. La chanson du jour s’inscrit totalement dans cette veine; on y retrouve tous les ingrédients et même les archétypes de la fine amor. Forme exacerbée du sentiment amoureux ou bien plutôt construction littéraire à part entière, le fine amant s’y tient dans cette position inconfortable (quelquefois même à la limite du supportable) de l’attente. A la merci du moindre signe d’acceptation, il se « complaît » dans la prison volontaire de la Delectatio Morosa, cetteexaltation propre à l’amour courtois, nichée dans la tension extrême entre, d’un côté, l’angoisse du rejet ou de la perte de la dame convoitée et, de l’autre, l’espoir de la reconnaissance de son statut d’amant parfait et le désir bientôt assouvi qui lui succédera.
La pièce du jour dans les manuscrits anciens
On peut retrouver cette chanson de Blondel de Nesle dans un certain nombre de manuscrits anciens ( Cangé, Français 844, Manuscrit de Berne, Manuscrit du Vatican, etc…), avec des variantes notables entre ses versions. Elle y est diversement attribuée par les copistes à d’autres auteurs : Gace Brûlé, ou même demeurée anonyme dans certains ouvrages. D’autres manuscrits, plus nombreux, l’attribuent bien à Blondiax ou Blondiaus, Le dernier vers de cette composition ne laisse, du reste, que peu d’équivoque sur sa paternité. Pour plus de détails sur tout cela, on pourra valablement consulter l’ouvrage de Prosper Tarbé : les Oeuvres de Blondel de Nesle, collection des poètes de Champagne antérieurs au XVIe siècle (1862).
Pour les paroles, nous retranscrivons ici la version qu’il a lui-même choisi de cette chanson, celle annotée musicalement du Manuscrit Français 1591, connu encore sous le nom de Chansonnier Français R (ancienne cote Manuscrit 7613). Vous pouvez retrouver ci-dessus les feuillets du manuscrit qui la contiennent ainsi que leur notation musicale. Daté de la première moitié du XIVe siècle, l’ouvrage contient des chansons notées et jeux partis. Il est consultable sur Gallica au lien suivant.
A l’entrant d’esté, Blondel de Nesle par l’Ensemble Estampie
L’Ensemble Estampie pour une grande évocation de la légende de Robin des Bois
Dans un album resté d’anthologie, l’Ensemble anglais Estampie, sous la direction de Graham Derrick, se proposait d’évoquer, avec une sélection musicale débordant le répertoire musical médiéval, le personnage et les aventures de Robin de Bois. Le titre de l’album « Under the Greenwood tree » (Sous l’arbre de Greenwood), se réfère d’ailleurs à la forêt de Sherwood, repère et fief du célèbre héros et archer de cette légende anglaise dont bien des composants ont été rédigés postérieurement au siècle qu’elle évoque.
Sorti en 1998, l’album contient pas moins de 30 pièces contemporaines ou plus tardives, évocatrices de cette période trouble de l’Angleterre médiévale qui avait vu son roi Richard Coeur de Lion partir pour les croisades. On retrouve ainsi, dans l’introduction de cette belle production, le célèbre chant de croisades Pälastinalied du poète médiéval allemand Walther von Vogelweide, suivi de la non moins renommée Complainte du prisonnier de Richard Coeur de Lion :Ja Nuns Hons Pris. La chanson du jour arrive, quant à elle, en troisième etévoque, entre les lignes, la légende selon laquelle le trouvère Blondel de Nesle, très proche du roi d’Angleterre, aurait même été celui ayant permis de le retrouver dans sa geôle d’Autriche. Certaines versions de l’histoire conte que le poète, parti à la recherche du souverain, entonnait à tue-tête une chanson afin que ce dernier puisse l’entendre et se manifester et que c’est grâce à cela qu’il put le localiser. Sans doute l’Ensemble Estampie nous suggère-t-il ici, en forme de clin d’oeil, que la pièce du jour pourrait-être celle qui permit au trouvère de retrouver le roi.
Pour revenir au reste de l’album, on y trouve encore Kalenda Maya de Raimbaut de Vaquerias ainsi qu’une autre pièce anonyme en provenance de la France médiévale. Le reste se partage entre des pièces d’origine anglaise sur la légende de Robin de bois. Comme nous l’avions déjà souligné ici, on peut aussi y entendre une version vocale de la célèbre chanson Lady Greensleeves.
L’album est disponible à la vente en ligne sous forme CD, mais également au format MP3 pour ceux qui préféreraient n’en acquérir que des pièces choisies. Voici un lien où vous pourrez trouver les deux versions : Under The Greenwood Tree.
A l’entrant d’esté
dans le vieux-français de Blondel de Nesle
A l’entrant d’esté que li temps s’agence* (s’adoucie), Que j’oï sur la flour les oiseaux tentir* (retentir, faire entendre un son), Sui pensis d’amour, où mes cuers balance* (est en péril, ébranlé) Diex me doint* (de do(n)ner) avoir joie à mon plaisir ! Ou autrement cuid* (cuidier : croire) morir sans doutance* (hésitation); Car je n’ay el mond autre soustenance* (soutien, appui); Amours est la riens* (chose) que je plus désir.
N’est pas droit d’amours que cil les biens sente, Qui ne peut les maus aussi soustenir. (1) Chargiez me les a tous en pénitence La belle, qui bien me les puet mérir* ( faire gagner, récompenser). Tous les mauls d’un an par une semblance M’assouageroit* (me soulagerait), par sa grant vaillance* (valeur), Celle qui me fait parler et taisir* (taire).
Un autre homme en fust piécà* (depuis longtemps déjà) la mort prise, S’il aimast ainsinc, com j’ai fait lousjours ; Car onques n’en pois* (de peser, ne m’en pèse), par mon bel service, Traire* (présenter) bel semblant* (apparence,image) , si com j’ai aillours. Ja en bel servir n’aurai mès fiance* (foi, certitude, confiance) : Sé je l’amour perd, ou j’ai m’atendance* (espérance), Asseure m’a …. mourir la flours.
Hélas ! je l’aim tant de cuer, sans faintise , Ara* (de avoir) ja merci de moi fine amours. Moult parai ma paine en bel lieu assise ; Mes trop m’i demeure, et joie, et secours. Ainz mès nul amant, en tel espérance, N’attendit d’amours la reconnoissance Comme a fait cilz ( las ! ) à si grant dolours.
Mon cuer doi haïr, sé longuement la prie. Cuidiez que li maus d’amer ne m’anuit ? — Nenil. — Par foi ! dit ai grande folie. Ja ne quiers avoir nul autre déduit* (plaisir, jouissance). Tant com li plaira, serai roy de France ; Car en tout le mond n’a de sa vaillance Pucelle ne dame ; mes que trop me fuit !
Je chant et respond de ma douce amie ; Et à li penser me confort la nuit. Diex ! verrai je ja le jour qu’ele die : — Ami, je vous aim ! vrai voir je cuid. Amours me soustient, où j’ai ma fiance , Et ce que je sai qu’elle est belle et blanche ; Ne m’en partirai* (séparer), s’or m’avoit destruit.
Mes ne doit Amours servir en balance, Car à chascuns rend selonc sa vaillance. Blondel a de mort a vie et conduit.
(1) Il n’est pas juste en amour (fine amant parfait) celui qui en ressent les bienfaits, mais n’est pas capable d’en supporter les souffrances.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com. A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : trouvère, chanson médiévale, poésie médiévale, retrouange, culte marial, rotrouenge, lyrique courtoise, amour courtois, vieux français, langue d’oil Période : Moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur : Jacques de Cambrai (1260-1290) Titre : Retrowange Novelle Interprètes : Ensemble Oliphant Album : Chansons pieuses. Joie Fine : Medieval Pious Trouvère Songs (2006)
Bonjour à tous,
n continuant d’explorer la poésie et les chansons médiévales du côté du nord de la France, notre route croise aujourd’hui celle d’un trouvère du moyen-âge central du nom de Jacques de Cambrai (orthographié encore Jaque, Jaikes ou Jacquemes). Il a laissé derrière lui douze pièces en tout et pour tout : sept chansons religieuses, vouées au culte marial, dont celle du jour, une pastourelle et encore quatre autres chansons d’amour courtois.
Eléments de biographie
Ils demeurent à peu près inexistants. D’après ses œuvres, on a pu déduire que le trouvère avait vécu vers la fin du XIIIe siècle et qu’il était en activité quelque part entre les années 1260 et 1290.
Etait-il jongleur ? Avait-il fait de l’art de trouver son métier ou n’était-ce qu’un clerc qui s’adonnait à cet exercice en dehors d’autres activités ? On ne le sait pas. Les plus pieuses de ses chansons font en tout cas état d’une véritable dévotion et de certaines connaissances théologiques sur ces sujets, même si la religion était loin de demeurer à cette période, l’apanage unique des clercs ou du personnel ecclésiastique ou épiscopal.
Manuscrit principal et mélodies
Du côté des manuscrits, on trouve la majeure partie de son oeuvre dans le Manuscrit de Berne MS 389, connu encore sous le nom de Chansonnier français C que nous avons déjà cité par le passé. Vous trouverez ci-dessous la reproduction du feuillet sur lequel on peut trouver la chanson du jour (l’ouvrage est également consultable en ligne ici).
Du point de vue musical, Jacques de Cambrai a fait de nombreux emprunts mélodiques à des trouvères l’ayant précédé ou qui lui étaient contemporains pour y greffer ses propres textes. C’est entre autre une des manières qui a permis de le situer un peu plus précisément dans le temps.
La chanson du jour fait partie de celles dont l’emprunt mélodique n’est pas sourcé ni certain, même il est difficile de se fier à l’absence de mentions explicites des manuscrits pour en déduire que notre trouvère en fut l’auteur. Six autres de ses chansons mariales ont, en effet, pris des mélodies existantes et identifiées pour modèle (entre autres chez Thibaut de Champagne, Gauthier d’Espinal, Raoul de Soissons, Gace Brûlé, etc…). De fait concernant cette « rotrouenge », certaines hypothèses penchent favorablement sur un emprunt de la part de Jacques de Cambrai à une autre chanson dont l’auteur est demeuré également anonyme et qui a pour titre « quand voi la flour novele » (Voir Songs of the Troubadours and Trouveres : An Anthology of Poems and Melodies, publié par Samuel N. Rosenberg, Margaret Switten, Gerard le Vot, Garland Publishing, 1998).
La « Rotrowange Novelle » de Jacques de Cambrai par l’Ensemble Oliphant
L’Ensemble Oliphant et les chansons pieuses des trouvères du moyen-âge central
En 2006,les artistes d’origine finlandaise de l’Ensemble Oliphant sortaient un album sur le thème de la « joie fine » et des chansons pieuses des trouvères du moyen-âge central.
On pouvait y retrouver 15 pièces : Guillaume de Bethune, Adam de la Halle, Thibaut de Champagne et Aubertin d’Araines, s’y trouvaient aux côtés de cette rotrouenge « nouvelle » signée de Jacques de Cambrai. Le reste des compositions et chansons se partageaient entre neuf pièces anonymes de cette même période.
Cet album d’intérêt est encore distribué. Il a entre autre mérite de proposer une sélection originale de chansons médiévales dont certaines sont assez peu connues et, en tout cas, peu fréquemment reprises. A toutes fins utiles, voici un lien sur lequel vous pourrez le découvrir ou l’acquérir au format MP3 ou au format CD : Ensemble Oliphant – Joie Fine – Chanson pieuses – Trouvère songs
La Retrowange novelle de Jacques de Cambrai
Comme nous l’avons déjà mentionné ici, à propos du culte marial au moyen-âge central, à un certain point, les thèmes de la lyrique courtoise, ses codes et les formes du sentiment amoureux que cette dernière mettait en exergue, ont été en quelque sorte repris et calqués par des clercs ou mêmes des ecclésiastiques pour les appliquer à la dévotion pour la Sainte (voir aussi article suivant). On retrouve à nouveau ce procédé chez Jacques de Cambrai eton lui reconnait même semble-t-il, d’avoir été l’un des derniers à l’utiliser sous cette forme chantée. (voir ici reprise de sources wikipédia par la Bnf sur cette question).
Retrowange novelle Dirai et bone et belle De la virge pucelle, Ke meire est et ancelle *(servante) Celui ki de sa chair belle Nos ait raicheteit. Et ki trestous* (tous) nos apelle A sa grant clairteit.
Je chanterai une chanson nouvelle Bonne et belle Sur la vierge pucelle Qui est mère et servante Celle qui avec sa belle chair Nous a racheté Et qui tous nous appelle A sa grande clarté.
Ce nos dist Isaïe En une profesie: D’une verge delgie* (tige délicate), De Jessé espanie,* (épanouie, ouverte)(1) Istroit* (de issir, eissir : sortir, jaillir) flors per signorie De tres grant biauteit. Or est bien la profesie Torneie a verteit.
C’est ce que nous dit Esaïe Dans sa prophétie : D’une tige délicate De Jessé épanouie, Jaillirait une fleur noble D’une très grande beauté Et cette prophétie s’est bien réalisée.
Celle verge delgie Est la Virge Marie La flor nos senefie De ceu ne douteis mie, Jhesucrist, ki la haichie* (2) En la croix souffri; Fut por rendre ceaus en vie Ki ierent peri.
Cette tige délicate C’est la vierge Marie Quant à la fleur, il s’agit, De cela ne doutez pas, De Jésus-Christ, qui les pires tourments (la mort?) endura sur la croix, Afin de faire revenir à la vie ceux qui avaient péri.
(1) Livre d’Isaïe, chap XI, Is 11.1 « Il sortira un rejeton de la tige de Jessé, et une fleur naîtra de sa racine »
(2)On ne trouve le mot « Haichie » dans le Dictionnaire Saint-Hilaire Vandaele où il est défini comme suit : « haichie (?), Sf, mort ». C’est une piste. En réalité, orthographié tel quel, de nombreux autres dictionnaires ne mentionnent pas ce mot. En revanche, on trouve à « Hachier » ou à « Haschier » beaucoup plus de définitions : tourments, tortures, supplices etc, qui pourraient parfaitement correspondre au contexte de la chanson de Jacques de Cambrai. Le Godefroy long pourrait même soutenir cette hypothèse puisqu’il nous indique (vol 4. page 441) que « Haschies » au pluriel fait référence à la Passion du Christ. Le manuscrit référencé plus haut semble pourtant bien mentionner en toutes lettres gothiques : « Haichie ». Il peut s’agir d’une variante linguistique ou d’une erreur de copiste mais dans le contexte, cette définition pourrait faire autant sens, sinon plus que celle que le Saint-Hilaire est un des seuls à nous donner.
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes
Sujet : musique, chanson médiévale, humour, trouvère, ménestrel, jongleur, auteur médiéval, vieux-français, grivoiserie, chanson satirique. Période : moyen-âge central, XIIIe siècle. Auteur ; Colin Muset (1210-?) Titre : « Quant je voi yver retorner» Interprètes : Krless Medieval Crossover Band
Album : Hudci písní nejstarších, Musique de l’Europes médiévale (1998)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons un chanson médiévale « rafraîchissante » de Colin Muset. Elle l’est à plus d’un titre, tout d’abord parce que le trouvère y célèbre le retour de la saison froide (c’est un peu tôt mais en l’absence de climatisation, ça peut être bienvenu pour certains) et, ensuite, parce qu’elle contient, comme nous le verrons, l’humour de ce poète du XIIIe siècle, amateur déclaré et assumé, toute à la fois de bonne chère et de plaisirs « courtois » et plus si affinités.
Du côté de l’interprétation et pour varier, nous vous en présentons ici une version instrumentale. Assez enlevée, on la doit à Krless, ensemble folk/rock d’inspiration médiévale plein d’énergie, et qui nous vient de République Tchèque, ce qui nous démontre encore une fois, à quel point la musique du moyen-âge central n’en finit pas de séduire et de voyager dans le temps et l’espace, autant que dans les formes.
Quant je voi yver retorner, la version musicale du groupe Krless
Krless, folk, rock énergique
d’inspiration médiévale
ormé dans les années 90, par quatre musiciens tchèques passionnés de musique médiévale mais pas que, le groupe Krless s’est positionné, depuis sa création, au carrefour des genres. Ce « Medieval Crossover » totalement assumé dont ils entendent bien se faire les représentants, comporte une bonne dose de rock, folk, de musiques arabes ou séfarades et va même jusqu’au blues, au besoin.
Ce qui est recherché ici c’est donc plutôt de se situer dans une énergie et une acoustique telles que peuvent les attendre un auditoire moderne et le groupe s’affirme lui-même comme bien plus proche de la « World music », que de l’Ethnomusicologie. Autrement dit, même si les compositions comportent leur lot d’instruments anciens ou d’époque, il n’est pas question pour ces quatre artistes de chercher à restituer la musique médiévale telle qu’on pouvait peut-être l’entendre dans son berceau original. Le moyen-âge est la source d’inspiration qui donne libre cours à la fusion des genres; Krless parle même de « reliquat » médiéval et le cadre est ainsi clairement posé.
Du point de vue du répertoire, le groupe puise dans des compositions qui vont du XIIIe au XVe siècle. Ouvert à tous les styles, profanes ou religieux, leur champ d’exploration a encore ceci d’original qu’il s’étend sur une ère géographique assez vaste qui inclue l’Europe médiévale pour s’élargir au bassin méditerranéen et aller jusqu’à la Turquie et le moyen-orient.
Depuis leur formation, Krless a sorti pas moins de 5 albums et ils se sont aussi produits dans un nombre impressionnant de manifestations, mais aussi de pays autour du bassin méditerranéen et au delà (République Tchèque, Biélorussie, Estonie, Roumanie, Allemagne, France, Etats-Unis, Libye, Algérie, etc,…).
L’album Hudci písní nejstarších »,
musiques de l’Europe médiévale
Sorti en 1998, l’album « Hudci písní nejstarších », musiques de l’Europe médiévale, proposait 16 titres, pris dans un large répertoire de pièces du moyen-âge central à tardif, en passant par la Provence des troubadours, les trouvères du nord de la France, et encore l’Espagne, l’Allemagne, la bohème, avec des titres en différentes langues dont un certain nombre en latin, empruntés notamment au Manuscrit des chants de Benediktbeuern et aux Carmina Burana.
Quant je voi yver retorner
dans le vieux français de Colin Muset
L’impertinence et l’humour grivois
d’un bon vivant, loin des codes courtois
u retour de l’hiver, quand bien d’autres poètes, trouvères ou troubadours du moyen-âge central pouvaient être tentés de chanter leur douleur, leur tristesse ou leur espoir de reconquérir leur dame, dans l’attente du « renouvel » printanier, Colin Muset, partageait, de son côté, avec cette chanson, bien d’autres préoccupations.
Résolument pragmatique, il n’a, en effet, ici, qu’une idée en tête : trouver un hôte généreux qui le gratifie des largesses de sa table, si possible riche et garnie en victuailles, viandes et gibiers de saison. Mais les espérances du trouvère ne s’arrêtent pas là, et il forme encore l’espoir que ce bienfaiteur potentiel le laisse accessoirement s’adonner à quelques plaisirs « courtois », voire même lutiner avec sa dame, sans se montrer trop jaloux de la chose. Rien ne lui déplairait plus, en effet, que de devoir chevaucher, aux côtés d’un seigneur, qui soit rancunier voir mal disposé à son encontre.
Bref, gourmandise et grivoiserie sont au programme de l’hiver rêvé de Colin Muset. Les codes courtois y sont totalement retournés à l’avantage du jouisseur et il y a, à travers cet humour, une forme de provocation que, plus près de nous, un Georges Brassens, par exemple, n’aurait certainement pas désavoué.
Les Paroles
Quant je voi yver retorner, Lors me voudroie sejorner, Se je pooie oste trover, Large qui ne vousist conter. Qu’eüst porc et buef et mouton, Mas larz faisanz, et venoison, Grasses gelines et chapons, Et bons fromages en glaon.
Et la dame fust autresi Cortoise come li mariz Et touz jors feïst mon plesir Nuit et jor jusqu’au mien partir, Et li hostes n’en fust jalous, Ainz nos laissast sovent touz sous, Ne seroie pas envious De chevauchier toz bo[o]us* (tout boueux) Après mauvais prince angoissoux* (colèreux, violent, cruel).
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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