Archives par mot-clé : chanson médiévale

Lyrique Courtoise : Reis glorios, une alba de Guiraut de Bornelh

Sujet  : musique, chanson médiévale, poésie médiévale, alba, troubadour, manuscrit médiéval, occitan, oc, amour courtois
Période  : Moyen Âge central, XIIe et XIIIe s
Auteur  :  Guiraut de Bornelh, Giraut de Borneil (?1138-?1215)
Titre : Reis glorios Interprète : Simone Sorini

Bonjour à tous,

ous repartons, aujourd’hui, au Moyen Âge central et en pays d’oc avec le troubadour Guiraut de Bornelh. Nous nous pencherons même sur une de ses chansons courtoises parmi les plus connues. Il s’agit d’un Alba et elle a pour titre Reis Glorios.

L’aube chez les troubadours occitans

L’aube est un moment de la journée et un thème prisé dans la lyrique courtoise des troubadours occitans. Ainsi, on retrouve l’alba, l’aubade (ou quelquefois même simplement « l’aube ») chez les plus grands d’entre eux et elle est même devenue un genre à part entière. Dans ces textes et chansons, cette transition entre mystères de la nuit, d’un côté et lumière d’un nouveau jour, de l’autre est souvent ce moment qui vient séparer les amants.

Récits d’amours souvent secrètes et interdites, on peut quelquefois y retrouver la présence d’un guetteur, venu alerter les amants ou invoqué comme le témoin complice de leurs escapades. Autour de la même période que la chanson de Guiraut de Bornelh, on pense notamment à la jolie pièce de Raimbaut de Vaqueiras. Nous ne l’avons pas encore présentée ici mais on peut la retrouver dans notre roman « Frères devant Dieu ou La tentation de l’alchimiste« . En voici un extrait :

Gaita be, gaiteta del chastel,
Quan la re que plus m’es bon e bel
Ai a me trosqu’a l’alba.
E.l jornz ve e non l’apel!
Joc novel
Mi tol l’alba,
L’alba, oi l’alba

(…) Domn’, adeu que non puis mais estar;
Malgrat meu me.n coven ad annar.
Mais tan greu m’es de l’alba,
Que tan leu la vei levar;
Enganar
Nos vol l’alba,
L’alba, oi l’alba


Guette bien, Guetteur du château
Quand la chose qui m’est la plus chère et la plus belle en ce monde
Est mienne jusqu’à l’Aube.
Et déjà le jour vient sans que je l’appelle !
Un Jeu nouveau

Que me ravit (ravir, ôter) l’aube,
L’aube, oui l’aube!

(…) Dame, adieu je ne puis rester d’avantage,
Malgré moi, il me faut partir.
Mais cette aube m’attriste tant
Que je vois se lever si promptement,
Cette aube qui veut
se jouer de nous
L’aube, oui l’aube.

Raimbaut de Vaqueiras (?1150-1207).

Evolution thématique et formes diversifiées

Aux siècles qui succéderont ceux des troubadours, le genre de l’aubade finira par évoluer vers des thématiques assez hétérogènes. Ainsi, l’aube n’y sera plus seulement ce moment redouté des amants courtois. Du côté de l’Espagne du Moyen Âge tardif, elle pourra même les unir quelquefois (voir « Ami, venez à l’aube »). L’aubade prendra encore des formes si diverses (religieuses par exemple) que certains médiévalistes et romanistes finiront par se demander s’il est encore opportun de la classer comme une variation sur le thème de la courtoisie (1).

Reis Glorios de Guiraut de Bornelh dans le manuscrit médiéval Français 22543, dit chansonnier La Vallière de la BnF (datation XIVe s). contenu : pièces et chansons annotées de troubadours

Comme on le verra, l’alba de Guiraut de Bornelh, qu’on peut situer dans les premières du genre, met en scène une séparation mais sa compréhension ne se livre pas si facilement, même une fois traduite. Cette difficulté est, cela dit, le charme et l’apanage de nombreuses chansons de troubadours occitans du Moyen Âge, quand bien même ils ne se réclament pas du trobar clus.

Simone Sorini, tenor, musicien et cantor al liuto

« Rei Glorios » la belle version de Simone Sorini

Nous partageons ici la belle interprétation de Rei Glorios par le chanteur ténor et multi-instrumentiste Simone Sorini. La réputation de cet artiste italien n’est plus à faire sur la scène des musiques anciennes. Au fil de sa carrière, il s’est spécialisé dans un répertoire qui va du Moyen Âge à la Renaissance avec même des incursions vers des rivages plus folks et traditionnels. Sur la partie plus médiévale, on se souvient de l’avoir vu collaborer avec de nombreux autres formations dont Micrologus ou même encore des ensembles français comme Les Musiciens de Saint-Julien and Vox Cantoris.

Dans cet extrait de concert, on le retrouve sur une performance uniquement vocale mais, entre autres instruments, il est aussi joueur de luth et s’inscrit dans la tradition des « cantore al liuto ». De Pétrarque aux siècles suivants, cette tradition des « chanteurs au luth » a désigné, dans la péninsule italienne, des compositeurs s’accompagnant de l’instrument pour faire partager leurs chansons et leurs pièces poétiques.

Directeur du Narnia Cantores, Simone Sorini a également à son arc des études de musicologie. Elles se sont engagées avec des recherches poussées sur la musique du Duché de Montefeltro au Moyen Âge tardif. Il a particulièrement illustré ce travail au sein de l’Ensemble Bella Gerit qu’il a aussi fondé. Cette curiosité et ses recherches ne sont pas arrêtées là. Elles l’ont conduit à mettre en place de nombreux projets originaux, au long d’une discographie de plus de 30 albums dont certains salués et même primés pas la scène médiévale.


« Rei glorios » en occitan médiéval
et sa traduction en français moderne

Reis glorios, veray lums e clartatz,
totz poderos, Senher, si a vos platz,
al mieu compaynh sias fizels aiuda,
qu’ieu non lo vi pus la nuech fo venguda,
et ades sera l’alba.

Roi glorieux, lumière et clarté véritable,
Seigneur tout puissant, s’il te plait,
Sois une aide fidèle pour mon compagnon
Que je n’ai pas vu depuis le crépuscule
Car bientôt l’aube viendra.

Bel companho, si dormetz o velhatz,
non durmas pus, senher, si a vos platz;
qu’en aurien vey l’estela creguda
c’adus lo jorn, qu’ieu l’ay ben conguda;
et ades sera l’alba.

Beau (bon) compagnon, que tu dormes ou tu veilles,
Ne dors plus, Seigneur, si cela te plaît,
Que, vers l’Orient, tu vois l’étoile
Qui annonce le jour, elle que je connais si bien
Et bientôt l’aube viendra.

Bel companho, en chantant vos apel;
non durmas pus, qu’ieu aug chanter l’auzel
que vay queren lo jorn per lo bosctie,
et ay paor quel gilos vos assatie;
et ades sera l’alba.

Beau compagnon, je t’appelle en chantant;
Ne dors plus, car j’ai entendu l’oiseau chanter
Pour annoncer le jour dans la forêt,
Et j’ai peur que la jalousie ne t’assaille ;
Et bientôt l’aube viendra.

Bel companho, pos mi parti de vos
yeu nom durmi nim muoc de ginlhos,
ans pregieu Dieu, lo filh Santa Maria,
queus mi rendes per lial companhia;
et ades sera l’alba.

Beau compagnon, depuis que je me suis séparée de toi,
Je n’ai pas dormi et me suis tenu agenouillée
Priant Dieu, le fils de Sainte Marie,
Pour que tu reviennes en ma loyale compagnie
:
Et bientôt l’aube viendra.

Bel companho, issetz al fenestrel
et esgardaz las ensenhas del sel.
Conoysiret sieu soy fizel messatie.
Si non o faytz, vostres er lo dampnatie;
et ades sera l’alba.

Beau compagnon, sors à la fenêtre
Et contemple les signes du ciel,
Tu sauras si je suis une fidèle messagère.
Si tu ne le fais pas, la souffrance sera tienne :
Et bientôt l’aube viendra.

Bel companho, la foras al peiro
me preiavatz qu’ieu no fos dormilhos,
enans velhes tota nueg tro ad dia.
Ara nous platz mos chans ni ma paria;
et ades sera l’alba.

Beau compagnon, où que te conduisent tes pas
Tu m’as demandé de ne pas m’endormir
Mais de veiller nuit et jour
Désormais, ni mes chants ni ma compagnie ne te plaisent
Et bientôt l’aube viendra.

Bel dos companh, tan soy en ric sojorn
qu’ieu no volgra mays fos l’alba ni jorn;
car la genser que anca nasques de mayre
tenc et abras, per qu’ieu non prezi gaire
lo fol gilos ni l’alba.

Belle et douce amie, je me sens si bien (en si riche séjour)
Que je ne voudrais plus jamais que l’aube ni le jour n’arrive;
Car je tiens et j’embrasse
la plus belle créature jamais née d’une mère,
Et pour cela je n’accorde pas d’importance,
Ni au fou jaloux, ni à l’aube.


Pour revenir sur l’interprétation de cette chanson de Guiraut, veuillez noter que vous pourrez en retrouver une autre version dans le concert de Gérard Zuchetto et son Troubadour Art Ensemble donné en 2010, à l’université de Stanford.

En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

(1) Voir Les mutations de l’alba dans la poésie des troubadours, Dominique Billy Cahiers de recherches médiévales et humanistes  18 | 2009.

Ars nova : les yeux tristes de Francesco Landini

Sujet :  musique médiévale, musiques anciennes, ballade, chants polyphoniques, Ars nova, chanson médiévale.
Période :  Moyen Âge tardif, XIVe siècle
Auteur : Francesco Landini (1325-1397)
Titre :  Ochi dolenti mie
Interprètes :  La Reverdie
Concert : Baarn, Hollande (2019)
Album : Francesco Landini, l’occhio del Cor (2019).

Bonjour à tous,

rand maître de l’Ars nova, Francesco Landini a ravi le Florence du XIVe siècle, de sa musique et de ses compositions. De son vivant, son talent a même dépassé largement les frontières italiennes pour le faire reconnaître dans d’autres contrées de l’Europe médiévale d’alors.

Celui dont le handicap visuel avait infléchi le destin en le poussant vers la musique, et que l’on avait surnommé l’aveugle des orgues (il Cieco degli organi), a légué à la postérité pas moins de 154 pièces polyphoniques. A plus de cinq siècles de sa disparition, on les joue encore sur la scène des musiques médiévales et anciennes. Aujourd’hui, nous vous proposons de découvrir l’une d’elle et son interprétation par l’ensemble La Reverdie.

L’affliction d’un maître de musique

« Ochi dolenti mie » dans cette pièce polyphonique, Francesco Landini s’adresse à ses propres yeux qui pleurent de ne pouvoir voir l’objet de leur amour, autant qu’ils pleurent la retenue de leur détenteur. Ce dernier a en effet décider de ne pas poursuivre l’objet de son désir de peur d’en retirer de trop grandes souffrances et tourments.

Aux sources médiévales de cette chanson

On peut retrouver cette pièce dans le somptueux Codice Squarcialupi (Ms Med Pal 87). Daté des débuts du XVe siècle, ce manuscrit médiéval superbement enluminé est conservé à la Bibliothèque Laurentienne de Florence, en Italie. Il demeure un des grands témoins de l’Ars nova italien du trecento et réunit pas moins de 354 pièces, entre madrigaux, « ballatte » et chants polyphoniques. Douze compositeurs et auteurs du XIVe siècle y sont répertoriés et c’est Francesco Landini qui occupe la plus large place de ce codex. On trouvera, ci-contre, le feuillet correspondant à la pièce du jour et sa partition d’époque.

Ochi dolenti mie par l’ensemble La Reverdie & Christophe Deslignes.

La Reverdie, 35 ans de passion
sur la scène des musiques médiévales

Nous avions déjà eu le plaisir de vous présenter l’ensemble médiéval italien La Reverdie. Fondée en 1986 par deux couples de sœurs musiciennes, la formation italienne fut rejointe par d’autres collaborateurs au fil de ses albums. Depuis, elle a fait un long chemin, avec une belle carrière, pavée de reconnaissance, qui célèbre, cette année, ses 35 ans.

La discographie de La Reverdie est riche de pas moins de 16 albums à la découverte de la musique sacrée et profane du Moyen Âge. Guillaume Dufay, Hildegarde de Bingen, les Carmina Burana, musiques de cour et Ars nova, ne sont que quelques-uns des thèmes ou auteurs médiévaux que l’on peut y retrouver. Dans une production de 2019, l’ensemble décidait de célébrer à nouveau le codex Squarcialupi et l’œuvre de Francesco Landini. A cette occasion, il faisait appel au talent de l’organiste français Christophe Deslignes.

L’album : Francesco Landini,
L’occhio Del CorSongs of invisible love

On retrouve, dans cet album, édité chez Arcana, pas moins de 15 pièces de Francesco Landini, pour près de 65 minutes d’écoute. Le compositeur médiéval ne voyait plus depuis son jeune âge et l’ensemble musical a décidé de partir, ici, à la recherche des références mettant en avant l’influence de la condition de Landini sur sa poésie amoureuse. Cela donne un album qui découvre la grande sensibilité de Landini et, en quelque sorte, un œil plus intérieur et plus secret, celui du cœur.

D’un point de vue musical, le défi est merveilleusement relevé et La Reverdie affirme, une fois de plus, un don pour le répertoire médiéval qu’on dirait presque inné , s’il n’était aussi le fruit de temps d’années de travail. Les voix et les orchestrations y sont sublimes et servent à la perfection l’œuvre du grand maître de l’Ars nova italien. Déjà largement familier avec le répertoire de l’organiste florentin, Christophe Deslignes y prête, avec virtuosité, ses talents d’instrumentiste. Du côté distribution, vous devriez pouvoir trouver cet album assez facilement chez votre revendeur habituel. On le trouve aussi en ligne au format mp3 comme au format CD. Voici un lien utile pour plus d’informations : L’occhio Del Cor de l’Ensemble Reverdie.

Musiciens présents sur cet album

Claudia Caffagni (chant et luth), Livia Caffagni (chant et luth),
Elisabetta De Mircovich (chant, rebec et vièle), Teodora Tommasi (harpe, zang), Matteo Zenatti (chant, harpe et tambourin), Christophe Deslignes (organetto ou orgue portatif)

Extrait de concert au Prelude Classical Music

Ochi dolenti mie, le chant polyphonique du jour est issu de cet album mais nous avons décidé d’en partager la version enregistrée lors d’un concert organisé, à Baarn, en Hollande, par Prelude Classical Music. Boutique de musique, mais aussi lieu de rencontres, d’actualité et information, cette véritable institution sur la scène des musiques anciennes organisait aussi de nombreux concerts. Hélas, après 30 ans d’activité, la société a dû fermer ses portes en septembre 2020. Elle laisse, sur sa chaîne youtube, de nombreuses pièces de concert interprétées par de belles formations de musique médiévale, renaissante ou plus classique (on espère que cette chaîne pourra être maintenue).


Ochi dolenti mie, che pur piangete
de Francesco Landini

Ochi dolenti mie, che pur piangete,
Po’ che vedete,
Che sol per honestà non vi contento.

Mes yeux dolents (affligés, douloureux), qui, toujours, pleurez,
Car vous avez vu
Que, c’est seulement par honnêteté, que je ne vous satisfais pas.

Non a diviso la mente’1 disio
Con voi che tante lagrime versate
Perchè da voi si cela ci viso pio
Il qual privato m’a da libertate.

Mon esprit désire exactement la même chose que vous,
Qui pleurez tant de larmes.
Parce que de vous, se cache ce joli (pieu) visage,
Qui m’a privé de ma liberté.

Gran virtù è rafrenar volontate
Per honestate,
Che segui è sofferir tormento.


C’est grande vertu que de s’abstenir volontairement
Par honnêteté,
Quand poursuivre (cette dame) serait souffrir un grand tourment.

Ochi dolenti mie, che pur piangete,
Po’ che vedete,
Che sol per honestà non vi contento.

Mes yeux dolents, qui, toujours, pleurez,
Car vous avez vu
Que, seulement par honnêteté, je ne vous satisfais pas.


En vous souhaitant très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Un concert d’exception à la rencontre DE L’EUROPE & de l’occitanie médiévales

Concert médiéval enluminure troubadours

Sujet : chanson médiévale, occitan médiéval, troubadours, concert, Europe médiévale, oc, musique médiévale
Titres : 15 pièces médiévales de choix
Auteurs : troubadours & anonymes
Période : Moyen Âge central, XII, XIIIe s
Interprète : Troubadours Art Ensemble
Concert : Université de Stanford, USA, Memorial Church (Mars 2010)

Bonjour à tous,

ur la route des troubadours et des musiques du Moyen Âge central, nous avons le très grand plaisir de partager ici, avec son aimable autorisation, une belle prestation du Troubadours Art Ensemble, avec et sous la direction de Gérard Zuchetto, entouré de Sandra Hurtado-Ròs et de quatre autres musiciens de talent.

Une fois n’est pas coutume, en lieu de compositions isolées, il s’agit d’un concert entier de 15 pièces d’exception. On y partira à l’écoute de nombreux troubadours occitans, mais aussi de musiques séfarades anciennes, avec encore quelques interludes instrumentaux du côté des cantigas de l’Espagne médiévale ou d’estampies italiennes du XIVe siècle.

Un voyage exceptionnel au cœur
de l’Europe méditerranéenne médiévale

L’amateur de musiques médiévales et anciennes ne pourra qu’être conquis par ce beau concert. En effet, tout y est et c’est ce qui en fait un moment totalement unique : l’émotion brute de la parole occitane et de son chant portée par la voix de Gérard Zuchetto, son talent et sa longue pratique de ce répertoire. A ses côtés, les envolées vocales de la soprano Sandra Hurtado-Ròs touchent au cœur et sont un véritable enchantement. Les quatre autres grands instrumentistes viennent compléter la scène avec un accompagnement, des sonorités et des rythmiques qui servent le tout avec une rare justesse.

On ne retrouvera dans tout cela de beaux accents séfarades et même byzantins qui nous porteront jusqu’aux confins de la péninsule ibérique, en s’aventurant même au delà de ses côtes méditerranéennes. En suivant ce voyage temporel au cœur du Moyen Âge central européen, on pourra encore voir d’invisibles et anciennes frontières culturelles se redessiner sous nos yeux : celles d’une certaine Europe médiévale du sud (France, Espagne et plus loin encore, méditerranéenne) faites d’échanges, de paroles en écho et d’influences mutuelles. Et devant cette reconstitution vivante, on pourra être tenté d’embrasser la vision suggérée à demi-mot par nos artistes du jour, d’une culture qui aurait partagé des traits communs sur une carte ne correspondant pas à celle des couronnes d’alors et encore moins à celle des nations actuelles.

Un concert d’exception du Troubadours Art Ensemble à Stanford

Des troubadours à l’université de Stanford

« A la fois interprète et interlocuteur de cette performance, le Troubadours Art Ensemble nous offre une expérience essentielle de la culture médiévale en tant qu’événement : la fusion de la musique et du chant, et celle du poète-chanteur-compositeur et de l’audience. En exposant la communauté de Stanford à la riche texture auditive et verbale du monde médiéval, nous pouvons nous rapprocher de l’environnement de l’interprétation originale qui constitue la vraie nature de la tradition poétique. »

Marisa Galvez – Universitaire, romaniste, spécialiste du français
et de l’italien ancien et médiéval, Université de Stanford

Daté de 2010, ce concert, donné à la Memorial Church de l’Université de Stanford, inaugurait le départ d’une collaboration fructueuse entre le Troubadours Art Ensemble de Gérard Zuchetto et l’université américaine. A ce jour, ces échanges se poursuivent toujours à destination des étudiants comme des enseignants de l’établissement supérieur outre-Atlantique. Ils mettent en œuvre des partenariats croisés entre de nombreux départements de l’université californienne (Centre médiéval, département de Français et d’italien, de Littérature, cultures et langages, de sciences humaines, …) mais aussi la région Languedoc Roussillon, le Centre International de Recherche et de Documentation Occitanes (CIRDOC) et le Trob’Art Productions, association créée, en 2000, par Gérard Zuchetto.

Le Troubadours Art Ensemble

Fondé pour Gerard Zuchetto au milieu des années 80, Troubadours Art Ensemble se dédie, comme son nom l’indique, à cet art occitan médiéval. Depuis ses premières productions, en 1985, la formation a continué sa route avec des collaborations à géométrie variable, en privilégiant le répertoire des troubadours des XIIe et XIIIe siècles. On lui doit notamment la grande Anthologie la Tròba dont nous avons déjà parlée. Aujourd’hui, elle est sous la direction artistique conjointe de son fondateur et de Sandra Hurtado-Ròs.

Programme musical de ce concert

  1. Ar’ resplan la flors enversa, Raimbaut d’Aurenga
  2. Ar’ab la forsa del freis, Raimon de Miraval
  3. A chantar m’er de so qu’eu non volria, La Comtessa de Dia
  4. La serena, Anonyme Séfarade
  5. Per dam, Peirol
  6. Lanquan li jorn son lonc en mai, Jaufre Rudel
  7. Ben aja’l cortes esciens, Raimon de Miraval
  8. Principio di vertu, Estampie Instrumentale
  9. Como la rosa, Anonyme Séfarade
  10. Tuchia Mazmoume, Instrumental
  11. Quan vei la lauzeta mover, Bernart de Ventadorn
  12. Alli en el midbar, Anonyme Séfarade
  13. Cantiga Instrumental
  14. Reis glorios verais lums e clartatz, Giraut de Bornelh
  15. Scalerica, Anonyme Séfarade

Musiciens et artistes

Sandra Hurtado-Ròs (voix, harmonium, hang), Gérard Zuchetto (direction, voix, clarinette médiévale). Denyse Dowling – Macnamara (flûtes, chalemie), Patrice Villaumé (vielle à roue, psaltérion), André Rochard (guiterne, oud, vièle à archet), Thierry Gomar (percussions anciennes et traditionnelles).

Pour conclure, ajoutons que par les grands mystères de l’algorithme de youtube, ce concert est, pour l’instant, passé largement en dessous du niveau de visibilité qu’il mérite. En le diffusant, nous espérons y remédier. Aussi, s’il vous parle comme il nous a parlé, n’hésitez pas à le partager. Nous n’avons pas de doute que le public l’appréciera autant que les universitaires et étudiants américains de Stanford ont su le faire.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

Quant je parti de m’amie, une pièce courtoise du Codex de Montpellier h196

Enluminure amour courtois

Sujet :   codex de Montpellier,  musique médiévale, chanson médiévale, amour courtois, vieux-français,  chants polyphoniques, motets, fine amor, traduction.
Période :   XIIIe siècle, Moyen Âge central
Titre:  
Quant je parti de m’amie
Auteur :   Anonyme
Interprète :  Ligeriana
Album : 
De Amore – Polyphonie française du XIIIe siècle  (2005)

Bonjour à tous,

armi les manuscrits de musiques et de chansons médiévales que nous explorons, le précieux Codex de Montpellier se pose comme un des plus grands témoignages des chants polyphoniques du Moyen Âge central, particulièrement du XIIIe siècle.

Référencé H196 à la Bibliothèque Historique de Médecine de Montpellier où il est encore conservé, ce chansonnier ancien contient plus de 340 pièces, dont 275 motets, rondeaux et pièces en vieux français, annotés musicalement. Très courtes, les compositions vocales et instrumentales du manuscrit de Montpellier ont pour thème principal la lyrique courtoise et se présentent comme autant de petites odes à cette expression amoureuse du Moyen Âge central. Quant je partie de m’amie, le motet que nous vous proposons aujourd’hui n’y déroge pas.

Codex de Montpellier, chanson médiévale courtoise

Une séparation douloureuse pour deux amants

Le poète nous y contera ici sa séparation contrainte d’avec son aimée. Il ne nous en donne pas la cause, mais comme il n’est pas rare qu’une certaine courtoisie fleurte avec les interdits sociaux (dame déjà engagée ou d’un milieu social plus élevé, amants en proie aux médisants et aux dénonciations), on peut en imaginer les raisons (sans avoir le moyen de les établir). Pour ce qui est de la référence à la fin’amor, s’il n’est pas question dans ce motet de désir en attente ou d’espoir de la part du prétendant, mais bien de séparation définitive, l’attitude de ce dernier reste celle de l’amant courtois. Plus victime passive et en souffrance qu’acteur de la relation, il nous assure même qu’il se tiendra toute sa vie dans la douleur inconsolable de cette déchirure.

Pour la version en graphie moderne de ce motet, nous continuons de nous appuyer sur l’ouvrage de Gaston Raynaud : Recueil de motets français des XIIe & XIIIe siècles, Tome premier (Bibliothèque française du Moyen Âge – 1881). Quant à son interprétation, elle nous fournira l’occasion de vous présenter une nouvelle formation de grande qualté : l’Ensemble médiéval Ligeriana.

Quant je parti de m’amie par l’Ensemble Ligeriana

Ligeriana, la passion des musiques médiévales sous la direction de Katia Caré

Fondé dans le courant de l’année 2000 par la chanteuse, flutiste, soliste et directrice Katia Caré, l’ensemble Ligeriana a exploré, depuis, un répertoire largement centré sur le Moyen Âge central. Depuis 20 ans, au plus proche des manuscrits et de l’ethnomusicologie, la formation et sa directrice ont ainsi mis à l’honneur la musique médiévale des XIIe et XIIIe siècle, avec même des incursions sur la fin du haut-Moyen Âge.

Ensemble de musiques anciennes Ligeriana

Au cours de sa belle carrière, Ligeriana a déjà gratifié son public et la scène médiévale de 9 albums de haut vol. Ces productions s’étendent sur des thèmes aussi variés que les musiques carolingiennes, les chansons de toiles, les musiques sacrées de l’Espagne médiévale, mais aussi la place de la dame et de sa « voix » dans la lyrique courtoise et encore d’autres belles anthologies et florilèges de pièces en provenance du Moyen Âge. Quant à sa directrice, si son grand parcours l’a amenée à faire de nombreuses recherches autour de la musicologie et des manuscrits médiévaux, il faut aussi rappeler ses contributions à quantité d’autres productions. On pourra ainsi la retrouver aux côtés de l’Ensemble Perceval, mais encore de l’Ensemble Sanacore et enfin, sans être exhaustif, dans plusieurs albums au côté de Gérard Zuchetto.

Visitez le site de l’Ensemble Ligeriana pour suivre leur actualité

De Amore – Polyphonie française du XIIIe siècle,
Le Manuscrit de Montpellier

Sorti en 2005 chez Calliope, pour un enregistrement à l’Abbaye royale de Fontevraud, daté de 2004, cet album du Ligeriana propose pas moins de 29 pièces pour 30 motets issus du Codex H196.

Album de musique médiévale, codex Montpellier

Superbe tribut au codex de Montpellier, De Amore – Polyphonie française du XIIIe siècle a été qualifié par Le Monde de la Musique de véritable anthologie du célèbre chansonnier médiéval. Le magazine n’a pas été le seul à saluer cette sortie puisque Katia Caré et sa formation ont reçu, à cette occasion comme à d’autres, les honneurs mérités de la scène des musiques anciennes et médiévales. Aux côtés des musiciens de talent ayant contribué à cet hommage au chansonnier de Montpellier, on aura plaisir à retrouver Guy Robert, complice de longue date de la directrice, notamment dans le cadre de l’Ensemble Perceval.

A noter que cette belle performance vocale et musicale de Ligeriana est encore disponible et éditée. Voici un lien utile pour acquérir cet album en ligne : De Amore – Polyphonie française du XIIIe s, Le Manuscrit de Montepellier

Artistes et musiciens ayant participé à cet album

Katia Caré, Florence Carpentier, Estelle Filer, Déborah Flornoy,
Caroline Montier, Laure Pierredon, Yves Lenoir (voix), Caroline Montier (organetto), Jean Luc Lenoir (vièle, harpe, jeu de cloches), Guy Robert (harpe, luth médiéval, percussion).


Quant je parti de m’amie
motet dans le Vieux-Français du XIIIe siècle

Quant je parti de m’amie,
Si li dis qu’en desconfort
Seroie toute ma vie
Mès li amoros recort
Du soulas et du deport
Et de sa grant cortoisie
N’en tout les maus que je port.
Mès ce me greva trop fort
Quant vint a la departie,
Et je li dis
« A Diu !amie »
plourer la vi, si m’a mort.

Traduction en français moderne de ce motet

Quand je me suis séparé de mon aimée,
Je lui ai dit que, dans la désolation,
Je demeurerai tout le reste de ma vie.
Mais le souvenir amoureux
(le doux souvenir)
Du réconfort et de la joie
Et de sa grande courtoisie
N’en ôte pas pour autant les douleurs que je porte.
Mais ce qui m’affligea le plus
Quand vint le moment de la séparation,
Et que je lui dis,
«Adieu, mon amour!»
Je l’ai vue pleurer, et cela m’a meurtri.

En vous souhaitant une  excellente journée

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.