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Cantiga de Santa Maria 1, le voeu d’un troubadour de chanter la vierge et ses joies

musique_espagne_medievale_cantigas_santa_maria_alphonse_de_castille_moyen-age_centralSujet  : musique médiévale,  Cantigas de Santa Maria, chanson,  galaïco-portugais, culte marial, Sainte-Marie, vierge, Moyen Âge chrétien, Espagne médiévale
Période  : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Titre :  Cantiga 1  « Des oge mais…»
Auteur  : Alphonse X  (1221-1284)
Interprète  :  Ensemble Antequera, Johannette Zomer
Album :  Eno Nome de Maria, Cantigas de Santa María d’Alphonse X le Sage (2001)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn suivant le fil des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse le Sage, que nous nous sommes pris à traduire et commenter depuis quelque temps déjà, nous revenons aujourd’hui à leur source en vous présentant la première de ce recueil de chansons médiévales dédiées à la Sainte, sur le ton et à la manière  d’un troubadour.

Dans cette première Cantiga, le poète nous explique sa résolution de ne plus exercer son art de « trouver » qu’en l’honneur de la vierge Marie, ce qu’il fera tout au long de ce volumineux ouvrage. Il y passe aussi en revue, les grands moments de la vie de la Sainte et toutes les bonnes raisons qu’il y voit de lui dédier ses vers et sa foi.

Que les amateurs de musique, mais aussi d’Histoire médiévale trouvent ici de quoi mieux comprendre les fondements de ce culte Marial, dont nous ne finissons pas de souligner l’importance au sein d’un Moyen Âge européen et chrétien qui a fait du Salut, une question primordiale et de la Sainte, une voie d’exception pour l’atteindre. Dans ceux que ces traductions pourraient encore intéresser, nous n’oublions pas non plus, les chrétiens qui nous lisent. Qu’ils leur plaisent de trouver ici, l’antique témoignage de cet amour et cette foi véritables que l’homme médiéval a voué à Marie et, pourquoi pas, les bases de quelques chants inspirés.

La Cantiga de Santa Maria 1 par L’Ensemble Antiquera

L’Ensemble médiéval Antequera

Fondée dans le courant des années 90, par sept musiciens venus de pays différents, avec une large représentation de la Hollande, l’Ensemble Antequera s’est spécialisé dans un répertoire touchant les musiques médiévales espagnoles.  Sous le nom d’Antequera on ne leur connait que deux albums, celui dont est issu la pièce présentée ci-dessus, et un autre sur les musiques juives et chrétiennes de l’Espagne médiévale.

La formation n’a plus fait parler d’elle depuis longtemps déjà et on ne trouve hélas aucun site web, ni même une page Facebook en ligne pour nous donner plus de détails sur elle.  La plupart des artistes l’ayant composée sont en revanche toujours actifs dans le champ des musiques anciennes. En voici la liste : Sabine van der Heyden ( chant, vièle à roue) Carlos Ferreira Santos (chant), Sarah Walden (vièle),  Lucas van Gent (flûte et rebab) René Genis (luth), Michèle Claude et Robert Siwak (percussion).

Eno Nome de Maria
Cantigas de Santa María d’Alphonse X le Sage

Dans le courant de l’année 2001, l’Ensemble Antequera enregistrait à Paris, à la Chapelle de l’hôpital Notre-Dame de Bonsecours, un album dédié aux Cantigas d’Alphonse X, en proposant 12 pièces choisies de ce vaste répertoire. Rejoint pour l’occasion par la très reconnue cantatrice soprano néerlandaise Johannette Zomer, l’album fut largement salué et on n’en trouve encore d’excellentes critiques en ligne.

Dans  son approche des cantigas, la formation a accordé une large place à l’improvisation et a aussi  fait une belle part à des variations mélodiques où viennent se mêler les influences du berceau méditerranéen et les tons chauds de la musique séfarade ou arabe de cette période. Sommes-nous proches de l’interprétation qu’en faisaient les troubadours de l’époque ? Difficile de l’affirmer même si l’on peut supposer que ces derniers s’adonnaient aussi aux digressions et aux improvisations.

Se souvenant du goût et de l’ouverture d’esprit du souverain de Castille pour les cultures présentes sur le territoire de l’Espagne d’alors (voir portrait d’Alphonse X),, on pourra encore tout à fait rejoindre l’esprit de cette interprétation et en comprendre mieux le cheminement. En se fiant aux manuscrits anciens cantiga_santa_maria_musique_chanson_medievale_ensemble_antiquera_album_alphonse_X_moyen-Age_chretien_culte_marialautour de ces Cantigas, on y retrouve également illustrée une pléthore d’instruments qui laisse présumer encore de la richesse des sonorités et des interprétations auxquelles ses chansons médiévales  pouvaient être sujettes.

Ajoutons encore que dans cet album où l’Ensemble déroule chaque pièce, avec délectation, on reconnaîtra la maîtrise d’un répertoire déjà longuement éprouvé. Cette production fait, en effet, suite à plus de dix ans de pratique par l’Ensemble Antequera des Cantigas de Santa Maria et il en est, en quelque sorte, le couronnement. Du côté distribution, il est toujours édité et vous pourrez le trouver à l’adresse suivante : Cantigas de Santa Maria: Eno nome de Maria.


Des oge mais quer’ eu trobar
les résolutions pieuses d’un Troubadour

NB. Cette traduction n’a absolument aucune prétention de rejoindre la force et la poésie de l’originale. Ce n’est vraiment qu’un guide de compréhension générale. Dans le même esprit, nous avons aussi maintenu autant que faire se peut et au détriment du style, l’ordre des phrases pour coller à la version originale. Il est évident qu’une véritable adaptation supposerait un sérieux remaniement.

Esta é a primeira cantiga de loor de Santa María, ementando os séte goios que ouve de séu Fillo.

Ceci est la première Cantiga de louanges à Sainte-Marie, nous rappelant les sept joies qu’elle reçut de son fils.

Des oge mais quér’ éu trobar
pola Sennor onrrada,
en que Déus quis carne fillar
bẽeita e sagrada,
por nos dar gran soldada
no séu reino e nos erdar
por séus de sa masnada
de vida perlongada,
sen avermos pois a passar
per mórt’ outra vegada.

A partir d’aujourd’hui, je ne veux plus « trouver » (chanter et composer)
Que pour la Dame Honorée,

En laquelle Dieu voulut se faire chair,
Bénite et sacrée,
Pour nous donner une grande foi
En son règne et nous faire héritage
A ceux de sa Maison (Mesnie)
De la vie éternelle
Sans que nous n’ayons plus à passer
Par la mort, une autre fois.

E porên quéro começar
como foi saüdada
de Gabrïél, u lle chamar
foi: “Benaventurada
Virgen, de Déus amada:
do que o mund’ á de salvar
ficas óra prennada;
e demais ta cunnada
Elisabét, que foi dultar,
é end’ envergonnada”.

Et pour cela je veux commencer à conter
Comment elle fut saluée
Par Gabriel qui vint l’appeler :
« Bienheureuse
Vierge, aimée de Dieu :
De celui qui doit sauver le monde
Tu es maintenant enceinte,
Comme ta cousine
Elisabeth, qui doutait
et marchait dans la honte.

E demais quéro-ll’ enmentar
como chegou canssada
a Beleên e foi pousar
no portal da entrada,
u pariu sen tardada
Jesú-Crist’, e foi-o deitar,
como mollér menguada,
u deitan a cevada,
no presév’, e apousentar
ontre bestias d’ arada.

Et je veux dire encore,
Comme elle arriva épuisée
A Bethléem  y se réfugia
A la porte d’entrée
Et enfanta sans tarder,
Jésus-Christ,  et alla l’étendre
Comme une femme miséreuse
Là où l’on verse  l’orge (mangeoire )
dans la crèche, et l’installa
parmi les bêtes de trait.

E non ar quéro obridar
com’ ángeos cantada
loor a Déus foron cantar
e “paz en térra dada”;
nen como a contrada
aos tres Reis en Ultramar
ouv’ a strela mostrada,
por que sen demorada
vẽéron sa oférta dar
estranna e preçada.

Et je ne veux pas oublier
Comme les anges s’en furent chanter
Leur cantique de louanges à Dieu
« Que la Paix sur la terre soit donnée »,
Ni comment l’étoile montra la contrée
Aux trois rois d’outre-mer,
Pour que, sans tarder,
Ils viennent faire leurs offrandes
Etranges et précieuses.

Outra razôn quéro contar
que ll’ ouve pois contada
a Madalena: com’ estar
viu a pédr’ entornada
do sepulcr’ e guardada
do ángeo, que lle falar
foi e disse: “Coitada
mollér, sei confortada,
ca Jesú, que vẽes buscar,
resurgiu madurgada.”

Et je voudrais conter un autre épisode,,
Que vous avez déjà  entendu conter
C’est comment Madeleine
vit la pierre entrouverte
du sépulcre,  gardé
Par l’ange qui vint à lui parler
et lui dit « Pauvre femme (malheureuse),
Console-toi, Jésus que tu es venu chercher,
Est ressuscité à l’aube.

E ar quéro-vos demostrar
gran lediç’ aficada
que ouv’ ela, u viu alçar
a nuv’ enlumẽada
séu Fill’; e pois alçada
foi, viron ángeos andar
ontr’ a gent’ assũada,
mui desaconsellada,
dizend’: “Assí verrá julgar
est’ é cousa provada.”

Et je veux encore vous montrer
La très grande joie
Qu’elle reçut, quand elle vit s’élever
Dans un nuage empli de lumière
Son fils, Et après qu’il fut élevé
Ils virent les anges  passer
entre les gens rassemblés là
et qui étaient très déconcertés
En disant  « C’est ainsi qu’il viendra juger,
ceci en est la preuve. » (cela est chose prouvée)

Nen quéro de dizer leixar
de como foi chegada
a graça que Déus envïar
lle quis, atán grãada,
que por el’ esforçada
foi a companna que juntar
fez Déus, e enssinada,
de Spírit’ avondada,
por que soubéron preegar
lógo sen alongada.

Et je ne veux non plus cesser de dire
Comment lui parvint
La grâce si grande
que Dieu voulut lui envoyer
Afin que, par elle, soit renforcée
L’armée apostolique que Dieu (Jésus) avait levée,
Enseignée et enrichie par l’Esprit Saint,
Grâce à quoi ils surent pêcher, par la suite, sans détour.

E, par Déus, non é de calar
como foi corõada,
quando séu Fillo a levar
quis, des que foi passada
deste mund’ e juntada
con el no céo, par a par,
e Reínna chamada,
Filla, Madr’ e Crïada;
e porên nos dev’ ajudar,
ca x’ é nóss’ avogada.

Et, par Dieu, ce n’est pas chose à taire,
Que de conter comment elle fut couronnée,
Quand son fils voulut l’emporter
Au moment où elle passa dans l’autre monde
Et comment ils  s’unirent
Côte à côte, dans le ciel
Pour qu’elle soit nommée Reine,
Fille, mère et servante;
Et pour cela elle doit nous aider,
Car elle est notre avocate.

Retrouvez l’index de toutes les Cantigas de Santa Maria traduites et commentées, avec leur interprétation  par les plus grands ensembles de musique médiévale,

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

A l’entrant d’esté: une chanson d’amour courtois en langue d’Oil du trouvère Blondel de Nesle

trouvere_chevalier_croise_poesie_chanson_musique_medievale_moyen-age_centralSujet : musique, poésie, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, vieux-français, langue d’oil, fine amor.
Période :  XIIe,  XIIIe, moyen-âge central
Titre:  
A l’entrant d’esté
Auteur :   
Blondel de Nesle
Interprète : 
Estampie, Graham Derrick
Album  : Under The Greenwood Tree (1997)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn continuant d’explorer la piste des trouvères du moyen-âge central, nous revenons aujourd’hui à la poésie et aux chansons de Blondel de Nesle.  Contemporain de Gace Brûlé  et de  Conon de Bethune, ce noble entré depuis dans la légende, faisait sans doute partie d’un petit cercle d’amis et de nobles qui s’adonnaient à l’Art de Trouver, autour des cours florissantes du nord de la France et notamment celle de Champagne. Un peu plus tard, c’est sur l’héritage de ces derniers que Thibaut de Champagne composera, à son tour, ses propres chansons.

Nous ne reviendrons pas ici sur les éléments de biographie que nous avons déjà largement abordés (voir article: l’amour courtois d’Oc en Oil, Blondel de Nesle, trouvère, poète, adepte et fine amant devenu « légendaire »). Rappelons simplement que Blondel de Nesle compte dans la génération des précurseurs qui transposèrent la lyrique courtoise provençale et occitane en langue d’oïl. La chanson du jour s’inscrit totalement dans cette veine; on y retrouve tous les ingrédients et même les archétypes de la fine amor. Forme exacerbée du sentiment amoureux ou bien plutôt construction littéraire à part entière, le fine amant s’y tient dans cette position inconfortable (quelquefois même à la limite du supportable) de l’attente. A la merci du moindre signe d’acceptation, il se « complaît » dans la prison volontaire de  la  Delectatio Morosa, cette  exaltation propre à l’amour courtois, nichée dans la tension extrême entre, d’un côté, l’angoisse du rejet ou de la perte de la dame convoitée et, de l’autre, l’espoir de la reconnaissance de son statut d’amant parfait et le désir bientôt assouvi qui lui succédera.

La pièce du jour dans les manuscrits anciens

On peut retrouver cette chanson de Blondel de Nesle dans un certain nombre de manuscrits anciens ( Cangé, Français 844, Manuscrit de Berne, Manuscrit du Vatican, etc…), avec des variantes notables entre ses versions. Elle y est  diversement attribuée par les copistes à d’autres auteurs : Gace Brûlé, ou même demeurée anonyme dans certains ouvrages. D’autres manuscrits, plus nombreux, l’attribuent bien à Blondiax ou Blondiaus, Le dernier vers de cette composition ne laisse, du reste, que peu d’équivoque sur sa paternité.  Pour plus de détails sur tout cela, on pourra valablement consulter l’ouvrage de Prosper Tarbé : les Oeuvres de Blondel de Nesle, collection des poètes de Champagne antérieurs au XVIe siècle (1862).

Pour les paroles, nous retranscrivons ici la version qu’il a lui-même choisi de cette chanson, celle annotée musicalement du Manuscrit Français 1591, connu encore sous le nom de Chansonnier Français R (ancienne cote Manuscrit 7613). Vous pouvez retrouver ci-dessus les feuillets du manuscrit qui la contiennent ainsi que leur notation musicale. Daté de la première moitié du XIVe siècle, l’ouvrage contient des chansons notées et jeux partis. Il est consultable sur Gallica au lien suivant.

A l’entrant d’esté, Blondel de Nesle par l’Ensemble Estampie

L’Ensemble Estampie pour une grande évocation de la légende de Robin des Bois

Dans un album resté d’anthologie, l’Ensemble anglais Estampie, sous la direction de Graham Derrick, se proposait d’évoquer, avec une sélection musicale débordant le répertoire musical médiéval, le personnage et les aventures de Robin de Bois. Le titre de l’album « Under the Greenwood tree » (Sous l’arbre de Greenwood), se réfère d’ailleurs à la forêt de Sherwood, repère et fief du célèbre héros et archer de cette légende anglaise dont bien des composants ont été rédigés postérieurement au siècle qu’elle évoque.

Sorti en 1998, l’album contient pas moins de 30 pièces contemporaines ou plus tardives, évocatrices de cette période trouble de l’Angleterre médiévale qui avait vu son roi Richard Coeur de Lion partir pour les croisades. On retrouve ainsi, dans l’introduction de cette belle production, le célèbre chant de croisades Pälastinalied du poète médiéval allemand Walther von Vogelweide, suivi de la non moins renommée  Complainte du prisonnier de Richard Coeur de Lion : Ja Nuns Hons PrisLa chanson du jour arrive, quant à elle, en troisième et évoque, entre les lignes, la légende selon laquelle le trouvère Blondel de Nesle, très proche du roi d’Angleterre, aurait même été celui ayant permis de le retrouver dans sa geôle d’Autriche. Certaines versions de l’histoire conte que le poète, parti à la recherche du souverain, entonnait à tue-tête une chanson afin que ce dernier puisse l’entendre et se manifester et que c’est grâce à cela qu’il put le localiser. Sans doute l’Ensemble Estampie nous suggère-t-il ici, en forme de clin d’oeil, que la pièce du jour pourrait-être celle qui permit au trouvère de retrouver le roi.

Pour revenir au reste de l’album, on y trouve encore Kalenda Maya de Raimbaut de Vaquerias ainsi qu’une autre pièce anonyme en provenance de la France médiévale. Le reste se partage entre des pièces d’origine anglaise sur la légende de Robin de bois. Comme nous l’avions déjà souligné ici, on peut aussi y entendre une version vocale de la célèbre chanson Lady Greensleeves.

musique_medievale_et_ancienne_chanson_greensleeves_folk_populaire_anglaisL’album est disponible à la vente en ligne sous forme CD, mais également au format MP3 pour ceux qui préféreraient n’en acquérir que des pièces choisies. Voici un lien où vous pourrez trouver les deux versions : Under The Greenwood Tree.

A l’entrant d’esté
dans le vieux-français de Blondel de Nesle

A l’entrant d’esté que li temps s’agence* (s’adoucie),
Que j’oï sur la flour les oiseaux tentir* (retentir, faire entendre un son),
Sui pensis d’amour, où mes cuers balance* (est en péril, ébranlé)
Diex me doint* (de do(n)ner) avoir joie à mon plaisir !
Ou autrement cuid* (cuidier : croire) morir sans doutance* (hésitation);
Car je n’ay el mond autre soustenance* (soutien, appui);
Amours est la riens* (chose) que je plus désir.

N’est pas droit d’amours que cil les biens sente,
Qui ne peut les maus aussi soustenir. (1)
Chargiez me les a tous en pénitence
La belle, qui bien me les puet mérir* ( faire gagner, récompenser).
Tous les mauls d’un an par une semblance
M’assouageroit* (me soulagerait), par sa grant vaillance* (valeur),
Celle qui me fait parler et taisir* (taire).

Un autre homme en fust piécà* (depuis longtemps déjà) la mort prise,
S’il aimast ainsinc, com j’ai fait lousjours ;
Car onques n’en pois* (de peser, ne m’en pèse), par mon bel service,
Traire* (présenter) bel semblant* (apparence,image) , si com j’ai aillours.
Ja en bel servir n’aurai mès fiance* (foi, certitude, confiance) :
Sé je l’amour perd, ou j’ai m’atendance* (espérance),
Asseure m’a …. mourir la flours.

Hélas ! je l’aim tant de cuer, sans faintise ,
Ara* (de avoir) ja merci de moi fine amours.
Moult parai ma paine en bel lieu assise ;
Mes trop m’i demeure, et joie, et secours.
Ainz mès nul amant, en tel espérance,
N’attendit d’amours la reconnoissance
Comme a fait cilz ( las ! ) à si grant dolours.

Mon cuer doi haïr, sé longuement la prie.
Cuidiez que li maus d’amer ne m’anuit ?
— Nenil. — Par foi ! dit ai grande folie.
Ja ne quiers avoir nul autre déduit* (plaisir, jouissance).
Tant com li plaira, serai roy de France ;
Car en tout le mond n’a de sa vaillance
Pucelle ne dame ; mes que trop me fuit !

Je chant et respond de ma douce amie ;
Et à li penser me confort la nuit.
Diex ! verrai je ja le jour qu’ele die :
— Ami, je vous aim ! vrai voir je cuid.
Amours me soustient, où j’ai ma fiance ,
Et ce que je sai qu’elle est belle et blanche ;
Ne m’en partirai* (séparer), s’or m’avoit destruit.

Mes ne doit Amours servir en balance,
Car à chascuns rend selonc sa vaillance.
Blondel a de mort a vie et conduit.

(1) Il n’est pas juste en amour (fine amant parfait) celui qui en ressent les bienfaits, mais n’est pas capable d’en supporter les souffrances.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com.
A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes.

Hors saison : quand le trouvère Colin Muset chantait avec humour le retour de l’hiver

poesie_litterature_medievale_realiste_satirique_moral_moyen-ageSujet : musique, chanson médiévale, humour,  trouvère, ménestrel, jongleur, auteur médiéval, vieux-français, grivoiserie, chanson satirique.
Période : moyen-âge central, XIIIe siècle.
Auteur ; Colin Muset (1210-?)
Titre :  « Quant je voi yver retorner»
Interprètes : Krless Medieval Crossover Band
Album :  
Hudci písní nejstarších, Musique de l’Europes médiévale (1998)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons un chanson médiévale « rafraîchissante » de Colin Muset. Elle l’est à plus d’un titre, tout d’abord parce que le trouvère y célèbre le retour de la saison froide (c’est un peu tôt mais en l’absence de climatisation, ça peut être bienvenu pour certains) et, ensuite, parce qu’elle contient, comme nous le verrons, l’humour de ce poète du XIIIe siècle, amateur déclaré et assumé, toute à la fois de bonne chère et de plaisirs « courtois » et plus si affinités.

Du côté de l’interprétation et pour varier, nous vous en présentons ici une version instrumentale. Assez enlevée, on la doit à  Krless, ensemble folk/rock d’inspiration médiévale plein d’énergie, et qui nous vient de République Tchèque,  ce qui nous démontre encore une fois, à quel point la musique du moyen-âge central n’en finit pas de séduire et de voyager dans le temps et l’espace, autant que dans les formes.

Quant je voi yver retorner, la version musicale du groupe Krless

Krless, folk, rock énergique
d’inspiration médiévale

F_lettrine_moyen_age_passion-copiaormé dans les années 90, par quatre musiciens tchèques passionnés de musique médiévale mais pas que, le groupe Krless s’est positionné, depuis sa création, au carrefour des genres. Ce « Medieval Crossover » totalement assumé dont ils entendent bien se faire les représentants, comporte une bonne dose de rock, folk, de musiques arabes ou séfarades et va même jusqu’au blues, au besoin.

Ce qui est recherché ici c’est donc plutôt de se situer dans une énergie et une acoustique telles que peuvent les attendre un auditoire moderne et le groupe s’affirme lui-même  comme bien plus  proche de la « World music », que de l’Ethnomusicologie. Autrement dit, même si les compositions comportent leur lot d’instruments anciens ou d’époque, il n’est pas question pour ces quatre artistes de chercher à restituer la musique médiévale telle qu’on pouvait peut-krless_groupe_musique_medieval_tcheque_republique_chansons_trouveresêtre l’entendre dans son berceau original. Le moyen-âge est  la source d’inspiration qui donne libre cours à la fusion des genres; Krless parle même  de « reliquat » médiéval et le cadre est ainsi clairement posé.

Du point de vue du répertoire,  le groupe puise dans des compositions qui vont du XIIIe au XVe siècle. Ouvert à tous les styles, profanes ou religieux, leur champ d’exploration a encore ceci d’original qu’il s’étend sur une ère géographique assez vaste qui inclue l’Europe médiévale pour s’élargir au bassin méditerranéen et aller jusqu’à la Turquie et le moyen-orient.

Depuis leur formation, Krless a sorti pas moins de 5 albums et ils se sont aussi produits dans un nombre impressionnant de manifestations, mais aussi de pays autour du bassin méditerranéen et au delà (République Tchèque, Biélorussie, Estonie, Roumanie, Allemagne, France, Etats-Unis, Libye, Algérie, etc,…).

Voir le site web de Krless (en français)

L’album Hudci písní nejstarších »,
musiques de l’Europe médiévale

musique_europe_medievale_poesie_trouvere_carmina_burana_groupe_krless_album Sorti en 1998, l’album « Hudci písní nejstarších », musiques de l’Europe médiévale, proposait 16 titres, pris dans un large répertoire de pièces du moyen-âge central  à tardif, en passant par la Provence des troubadours, les trouvères du nord de la France, et encore l’Espagne, l’Allemagne, la bohème, avec des titres en différentes langues dont un certain nombre en latin, empruntés notamment au Manuscrit des chants de Benediktbeuern  et aux Carmina Burana.

Quant je voi yver retorner
dans le vieux français de Colin Muset

L’impertinence et l’humour grivois
d’un bon vivant, loin des codes courtois

A_lettrine_moyen_age_passionu retour de l’hiver, quand bien d’autres poètes, trouvères ou troubadours du moyen-âge central pouvaient être tentés de chanter leur douleur, leur tristesse ou leur espoir de reconquérir leur dame, dans l’attente du « renouvel » printanier, Colin Muset, partageait, de son côté, avec cette chanson, bien d’autres préoccupations.

Résolument pragmatique, il n’a, en effet, ici, qu’une idée en tête : trouver un hôte généreux qui le gratifie des largesses de sa table, si possible riche et garnie en victuailles, viandes et gibiers de saison. Mais les espérances du trouvère ne s’arrêtent pas là, et il forme encore l’espoir que ce bienfaiteur potentiel le laisse accessoirement s’adonner à quelques plaisirs « courtois », voire même lutiner avec sa dame, sans se montrer trop jaloux de la chose. Rien ne lui déplairait plus, en effet, que de devoir chevaucher, aux côtés d’un seigneur, qui soit rancunier voir mal disposé à son encontre.

Bref, gourmandise et grivoiserie sont au programme de  l’hiver rêvé de Colin Muset. Les codes courtois y sont totalement retournés à l’avantage du jouisseur et il y a, à travers cet humour, une forme de provocation que, plus près de nous, un Georges Brassens, par exemple, n’aurait certainement pas désavoué.

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Les Paroles

Quant je voi yver retorner,
Lors me voudroie sejorner,
Se je pooie oste trover,
Large qui ne vousist conter.
Qu’eüst porc et buef et mouton,
Mas larz faisanz, et venoison,
Grasses gelines et chapons,
Et bons fromages en glaon.

Et la dame fust autresi
Cortoise come li mariz
Et touz jors feïst mon plesir
Nuit et jor jusqu’au mien partir,
Et li hostes n’en fust jalous,
Ainz nos laissast sovent touz sous,
Ne seroie pas envious
De chevauchier toz bo[o]us* (tout boueux)
Après mauvais prince angoissoux* (colèreux, violent, cruel).

deco_frise

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

Le serventois de Huon d’Oisy à la façon néo-médiévale de l’Ensemble Estampie

chanson_musique_medievale_croisades_enluminures_moyen-age_centralSujet :  chanson médiévale, poésie médiévale, servantois, poésie satirique, trouvère, chanson de croisades, musique médiévale, musiques anciennes.
Période  : moyen-âge central, XIIe siècle
Auteur :  Huon d’Oisy  (1145 – 1190)
Titre :  Maugré tous sains et maugré Diu ausi 
Interprète : Estampie
AlbumCrusaders. In nomine domini, ed NaxosofAmerica (1996) 

Bonjour à tous,

S_lettrine_moyen_age_passionuite à notre article détaillé sur le serventois d’Huon d’Oisy écrit à l’intention du trouvère Conon de Bethune, nous vous proposons, aujourd’hui, une version musicale de cette chanson.

Elle nous provient de l’Ensemble Estampie que nous en profitons pour vous présenter. On notera, au passage, qu’il existe, à travers l’Europe, plusieurs formations médiévales portant le nom d’Estampie dont notamment une, en Angleterre, sous la direction de Graham Derrick, dont nous avions déjà parlé ici (voir article) ; il convient donc de ne pas la confondre avec la formation du jour qui est d’origine germanique.

« Maugré tous sains et maugré Diu ausi »  Huon d’Oisy par Estampie

L’Ensemble Allemand Estampie

Fondé en Allemagne, dans le courant de l’année 1985, par trois artistes férus de musiques anciennes, l’Ensemble Estampie sous la direction de Michael Popp s’est proposé, dès son origine, de revisiter le répertoire médiéval, en lui ajoutant une touche de sonorités modernes.  Nous sommes donc, ici, dans un moyen-âge revisité musicalement de manière totalement assumée et on peut parler d’un style Néo-médiéval, cher à nombre de musiciens et artistes d’Outre-Rhin.

Très éclectique, son directeur Michael Popp (au premier plan, à droite sur la photo ci-dessous) participe, par ailleurs, à plusieurs autres formations : Qntal, qui explore les rives de la Dark Wave, de « l’électro-médiéval » et du Néo-folk et encore Deine Lakaien qui se classe dans le champ de la World music, de la « Dance » et de l’Easy Listening, avec, là-encore, une touche de Dark Wave.

Albums, productions et projets

ensemble_estampie_musiques_anciennes_neo-medieval_moyen-agePour la petite histoire, la formation s’appelait, au départ,  Münchner Ensemble für frühe Musik (l’Ensemble de Munich pour la Musique Ancienne) et Estampie n’était que le nom de leur premier projet. Avec le temps, les deux se sont confondus et le groupe a fini par s’appeler Estampie.  Depuis sa création, il compte à son actif près d’une quinzaine d’albums (en comptant  les lives et les compilations) sur des thèmes aussi variés que le culte marial, les troubadours, la fine amor, les compositions d’Hildegarde de Bingen, les musiques et légendes d’origine scandinaves et nordiques et même encore un album dvd autour des voyages de Marco Polo.

Au fil de sa longue carrière, on retrouvera cet ensemble néo-médiéval en association avec divers artistes ou formations. Dans le courant des années 2010, il mettra notamment en place un projet autour des musiques de l’Andalousie médiévale en collaboration avec des artistes espagnols et marocains pour revisiter les musiques Séfarades, musulmanes et chrétiennes de l’Espagne de cette période. Ce projet leur vaudra notamment de recevoir en 2012, le « Ruth Price », prix allemand décerné dans le domaine de la musique Folk international.

L’album Crusaders – In nomine domini

En 1996, l’ensemble s’attelait aux musiques et chansons de la période des croisades, en proposant un album ayant pour titre Crusaders. In nomine Domini. Venus en renfort de la formation, on pouvait y apprécier les choeurs polonais de la Schola Cantorum Gedanensis.

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Entre minnesingers, trouvères et chants liturgiques, l’album Crusaders présentait douze pièces se situant toutes entre le XIIe et le XIIIe siècle.

Du côté la France médiévale et de la langue l’oïl, Guiot de Dijons y côtoyait Thibaut de Champagne, ainsi que Conon de Bethune et Huon d’Oisy. On y retrouvait également  des pièces anonymes dont certaines en latin, et même une en langue d’oc. Le célèbre chant de croisades  Palästinalied  de Walter von der Vogelweide y était également repris et encore une chanson du très reconnu poète médiéval allemand Wolfram von Eschenbach.

Pour plus d’informations sur Estampie, vous pouvez retrouver ici leur site officiel (en anglais et allemand).

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
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