Sujet: troubadours & trouvères du moyen-âge, musique, chanson, poésie médiévale, infortune. Titre : la complainte de Rutebeuf, Pauvre Rutebeuf. Période : XIIIe siècle, moyen-âge central. Auteur : Rutebeuf, Leo ferré
L’hommage de Léo Férré au Trouvère Rutebeuf
oilà encore un article qui pourrait avoir sa place à la fois dans la catégorie musique médiévale et dans la catégories écritures, poésies, auteurs, etc… A proprement parler, il s’agit ici plus d’une mise en musique moderne, inspirée de textes médiévaux anciens, que de musique véritablement médiévale, mais, comme nous l’avons déjà souligné, le monde médiéval nous intéresse aussi dans sa « modernité » ou dans sa contemporanéité. Par ailleurs, ce très beau titre nous fournit l’occasion de parler un peu de Rutebeuf, ce grand poète médiéval du XIIIe siècle.
Le « Pauvre Rutebeuf » chanté par Léo Ferré, poète, anarchiste, écorché, emporté lui aussi, est un hommage rendu à ce trouvère satirique du XIIIe siècle qui aura a permis au grand public de le découvrir. Cette chanson a été reprise maintes et maintes fois et, si d’aventure, vous entrez son titre dans youtube, vous allez en découvrir une avalanche de versions, reprises et autres, toutes issues de l’originale de Léo Ferré. Me concernant, je retiens en plus de la version ci-dessous du poète anarchiste des temps moderne, celle de Philippe Léotard pour la parenté de coeur entre les deux hommes, et aussi celle de Joan Baez pour la curiosité.
Qui était Rutebeuf?
Poète, écrivain et trouvère de la fin du moyen-âge central, Rutebeuf a vécu sa vie, comme la plupart des artistes de cette époque, misérable. C’est aussi un écrivain de la rupture et ses oeuvres s’orientent plus sur la description de sa propre condition sociale ou des misères et de la pauvreté de son temps, que sur l’amour courtois chanté alors par les trouvères et troubadours. Nul doute que Rutebeuf se situe dans la prise de risque. et l’on dit aussi de lui qu’il est l’ancêtre spirituel de François Villon
De fait, Rutebeuf puise dans la satire et dans un regard sans concession sur son temps, comme le fera François Villon lui-même, près de deux siècles plus tard. Son répertoire contient aussi de nombreux jeux de mots et traits d’humour dans le texte même s’il est difficile aujourd’hui d’en percevoir toutes les nuances.
Une biographie qui demeure mystérieuse
On ne sait pas grand chose de précis sur la naissance de Rutebeuf. Il serait né en Champagne mais l’ensemble de sa carrière d’auteur semble s’être faite à Paris. On ne le connait que sous ce surnom comique de « Rutebeuf » qui fait allusion à sa nature rustre ou rude, et qui semble déjà servir d’excuses à d’éventuelles libertés ou audaces qu’il s’autoriserait dans ses textes, comme pour se les faire pardonner par avance. Par contraste aussi, cette rudesse sur laquelle il insiste, appelle l’attention d’un auditoire sur des propos qui sont finalement bien plus fins et « ambitieux » qu’ils ne veulent s’avouer.
Peut-être faut-il encore voir dans ce surnom la distanciation que l’homme veut mettre avec « l’auteur », pour se réserver plus de champ ? Dans les pirouettes de ce trouvère qui ne se prive pas de rire de tout et à tout propos, ce « Rustre Boeuf » est, sans doute aussi, une tentative d’esquiver les possibles conséquences de ses dires satiriques à l’encontre des gens de pouvoir (religieux, universitaires, haute noblesse) ?
Liberté de jeu et de ton
« Rutebeuf oeuvre rudement, souvent, dans sa rudesse, il ment. »Citation de Rutebeuf.
De fait, l’oeuvre de Rutebeuf se signe par une grande liberté de ton : « n’attendez pas de moi de la justesse, de la finesse« , nous disait-il, réfugié derrière ce pseudonyme et son personnage, un peu lourd. Pourtant, ses textes ont traversé les siècles et l’on découvre, au prisme de son regard acerbe, tout un monde médiéval.
Pour le reste, était-il le plus grand de son temps ? Sauf à se fier aux manuscrits anciens pour établir la popularité des auteurs médiévaux (voir conférence de Richard Trachsler sur la codicologie), la subjectivité règne toujours en maître dans cette matière. Reste que Ruteboeuf a laissé derrière lui une oeuvre abondante et prés de quatorze mille pieds de vers à redécouvrir. On pourra y trouver des poésies, des pièces de théâtres, des fabliaux, des poèmes satiriques, de miracles et encore des hagiographies* (*écriture et textes sur la vie et l’œuvre de saints, Sainte Marie l’égyptienne, Sainte Elysabel de Hongrie).
« Pauvre Rutebeuf », la complainte de Rutebeuf
Ce texte de Léo Ferré est donc une chanson librement inspirée de la poésie de Rutebeuf. Remaniée et traduite en français moderne, elle empreinte à divers textes de l’auteur médiéval. Sur le fond et pour la référence au titre notamment, je vous conseille de voir ces deux articles complémentaires sur ce trouvère et poète médiéval : « la pauvreté Rutebeuf » et « Lecture audio de Rutebeuf en français moderne et en vieux français«
Que sont mes amis devenus Que j’avais de si près tenus Et tant aimés Ils ont été trop clairsemés Je crois le vent les a ôtés L’amour est morte Ce sont amis que vent emporte Et il ventait devant ma porte Les emporta.
Avec le temps qu’arbre défeuille Quand il ne reste en branche feuille Qui n’aille à terre Avec pauvreté qui m’atterre Qui de partout me fait la guerre Oh vent d’hiver Ne convient pas que vous raconte Comment je me suis mis à honte En quelle manière.
Que sont mes amis devenus Que j’avais de si près tenus Et tant aimés Ils ont été trop clairsemés Je crois le vent les a ôtés L’amour est morte. Le mal ne sait pas seul venir, Tout ce qui m’était à venir M’est avenu.
Pauvre sens et pauvre mémoire M’a Dieu donné le Roi de gloire Et pauvre rente Et droit au cul (1) quand bise vente Le vent me vient Le vent m’évente L’amour est morte Ce sont amis que vent emporte Et il ventait devant ma porte Les emporta Les emporta…
Voilà quelques mots sur un artiste médiéval et sa poésie, mise en musique et en texte de manière moderne par un troubadour de notre temps, une belle complainte qui nous vient du moyen-âge et qui se trouve être finalement intemporelle.
Une très belle journée à vous!
Fred
moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Notes
(1) Pour répondre aux commentaires sur cette question. Ce « Droit au cul » provient du texte original de Rutebeuf modifié par Léo Ferré (l’original médiéval est « Et froit au cul quant byze vente »). Il appartient donc bel et bien à la version du poète anarchiste du XXe et vient de sa plume. 800 ans après Rutebeuf, le texte de Léo a, dit-on, choqué quelques oreilles ce qui lui a même valu, dans un premier temps, une censure de la chanson et, en tout cas, de rares diffusions.
Joan Baez, dans sa reprise, n’a pas reculé et a gardé l’esprit et la lettre original de Léo mais quelques interprètes français ont cru bon de le remplacer, de leur propre chef par « Droit au Coeur ». Cela a même valu à l’une d’elle d’essuyer les foudres de Léo, qui aurait appelé la maison de disque pour faire interdire cette version édulcorée qui, en plus de trahir sa lettre, trahissait celle de Rutebeuf. L’anecdote raconte que Léo Ferré aurait même envoyé un télégramme à la chanteuse en question en lui disant : « Madame, de mon temps, on ne confondait pas encore le cul avec le coeur ! Bien à vous de derrière le monde… Rutebeuf.
Pour ceux qui auraient encore quelques doutes, je les invite à réécouter la version originale de Léo ici :
« Pour commencer, nous allons faire les petites choses faciles. Petit à petit, nous nous attaquerons aux grandes. Et, quand les grandes choses seront faites, nous entreprendrons les choses impossibles. »
Saint François d’Assise (1181-1226)
Citation médiévale, Sagesse du moyen-âge, mystique chrétien
Voilà une citation médiévale de circonstance en ce 24 décembre 2015 puisqu’on dit aussi de ce grand Saint et mystique chrétien du moyen-âge qu’il est l’inventeur de la crèche que les chrétiens décorent pour Noel et qui représente la nativité.
« Parce que le monde change Plus souvent qu’un denier au Change, Je veux rimer sur ce monde changeant. L’été est passé, maintenant c’est l’hiver ; Le monde était bon, maintenant c’est différent, Car personne ne sait plus Travailler au bien d’autrui, S’il ne pense pas y trouver son profit. »
Citation et poésie médiévales pour moyenagepassion.com
Je vous partage ci dessus, la première strophe d’un poème célèbre de Rutebeuf, écrivain, trouvère satyrique du XIIIe siècle. Après sept cent ans, le texte reste d’actualité et l’on est même surpris en songeant que le XIIIe, siècle encore profondément chrétien, voyait se répandre de plus en plus les ordres mendiants.