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Une conférence de Michel Zink sur la quête du Graal, de Chrétien de Troyes à ses premiers successeurs

moyen-age_quete_graal_legendes_arthuriennes_conference_matiere_de_bretagne_auteurs_medievaux_roman_arthurien« Sujet : Roman Arthurien, Graal, légendes Arthuriennes, quête du Graal, table ronde, châteaux et chevaliers, Conférence, Chrétien de Troyes, Robert de Boron, Wolfram Von Eschenbach
Période ; moyen-âge central, XIIe, XIIIe siècle
Titre : La quête du Graal
Auteur: Michel Zink
Lieu : Académie Royale de Belgique (2009)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous revenons à la Matière de Bretagne, au roman arthurien et aux aventures médiévales des chevaliers  du Graal avec le médiéviste et philologue français Michel Zink, dans le cadre d’une conférence qu’il donnait, en 2009, au collège de l’Académie royale des Sciences et des lettres de Belgique.

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Eluminure du Manuscrit Ancien MS Fr 112 « Messire lancelot du Lac » de Gauthier Map, 1470, BNF, Départements des manuscrits

L’académicien français et grand spécialiste de littérature médiévale nous invitait ici à une réflexion qui, partant de Chrétien de Troyes, « inventeur du modèle du roman chevaleresque d’aventure et d’amour » et allant jusqu’à ses premiers successeurs, tentait de décrypter le sens et les messages nichés derrière l’allégorie du Graal. Il y faisait aussi le constat que les premiers ouvrages du cycle arthurien, à partir de Chrétien de Troyes, étaient loin de faire une éloge manichéenne ou « simpliste » de la chevalerie et de ses valeurs et ne pouvait, en tout cas, pas se résumer à cela.

La Quête du Graal, par Michel ZINK, Académie royale de Belgique, 2009

Loin d’une promotion manichéenne des valeurs chevaleresques, les leçons du Graal

E_lettrine_moyen_age_passionn se penchant d’abord sur l’époque moderne pour montrer combien le récit arthurien semble y avoir supplanté les autres histoires, mythes ou récits en provenance du Moyen-âge (Roland, Tristan & Yseult, Jeanne d’Arc,…), le médiéviste fera un crochet par les usages actuels du terme Graal. Au passage, il notera que cette mention du Graal (encore bien présente dans les jeux de rôle, les jeux vidéo, l’Heroïc Fantasy, le langage et finalement l’imaginaire médiéval contemporain) constitue « le seul cas » de référence positive au Moyen-Age. Nul doute que la quête du Graal nous fascine et nous parle encore pour deux raisons principales  qu’il nous exposera  :

michel_zink_litterature_medievale_academicien_philologie_citation_moyen-age_medievalisme« Le mythe littéraire du Graal combine en lui deux éléments. D’une part, une quête spirituelle promettant la révélation d’une vérité sur le monde et sur soi-même. flattant l’illusion que nous pourrions, une bonne fois, trouver la clef de notre destin. (on arrive dans un château, on dit ce qu’il faut et, bon sang mais bien sûr !, c’est  ça la clef de la vie). Et d’autre part, le monnayage de cette quête en une aventure concrète palpitante, faite de voyages, de rencontres, de combats. »
Michel Zink – La quête du Graal – Citation –
Conférence à l’Académie Royale de Belgique (2009)

Ayant souligné les relations entre la Sainte relique et  les mythologies liées à la fertilité, il passera encore en revue ici les différentes formes prises par le Graal dans le roman arthurien, avant de nous gratifier d’un résumé, par le menu, de la première partie de Perceval, le roman de Graal inachevé de Chrétien de Troyes, non sans avoir au préalable resituer l’auteur médiéval dans son innovation :

cycle_roman_legendes_arthuriennes_litterature_medievale_moyen-age_central« Chrétien est l’inventeur du chevalier errant, un pur type littéraire à concevoir dans la réalité du temps, mais qui incarne en lui cette idée d’un cheminement qui conduit à la fois à l’aventure extérieure et à la révélation de soi-même, image dont l’aventure extérieure est l’image et que l’aventure extérieure provoque, donc ce parallélisme de l’aventure extérieure de l’aventure intérieure. »  
Michel Zink – La quête du Graal – Citation Citation (Conférence citée)

Ayant suivi à la trace les premiers pas de Perceval, l’exercice lui permettra de mieux s’interroger, dans un second temps, sur le sens véritable de cette quête chevaleresque, devenue avec Chrétien et les premiers auteurs médiévaux du roman arthurien  (Robert de Boron,  Wolfram  Von Eschenbach), pétrie de valeurs chrétiennes et même cisterciennes.  Et comme nous le disions plus haut, loin d’y voir à l’oeuvre une mise en valeur sans condition de la chevalerie, Michel Zink s’évertuera à nous démontrer qu’en réalité, l’éloge qui lui est faite « n’est pas sans restriction », les aspects les plus critiques s’étant peut-être dilués avec le temps et les auteurs suivants :

« Il me semble que, tout au contraire, les tout premiers de ces romans  (ceux du cycle arthurien) montrent les tensions de l’être au monde à travers les contradictions entre la fin et les moyens, entre cette voie chevaleresque qui, seule, conduit à la révélation des mystères du Graal, et le sens profond mais aussi tout proche de ces mystères qui renvoient à leur néant l’aventure et la gloire chevaleresque. »
Michel Zink – La quête du Graal – Citation (Conférence citée)

simone_weil_philosopheAu delà des valeurs chevaleresques, le médiéviste nous expliquera finalement que, du point de vue du cheminement intérieur, cette quête du Graal qui ne regarde en rien l’habileté au combat du chevalier, pas plus que sa volonté ou sa force, nous parle aussi et peut-être même surtout de l’oubli de soi-même. S’oublier pourquoi ? Peut-être pour retrouver « l’attention » (à ce qui est tout proche, à l’autre) dans la définition qu’en donnait la philosophe Simone Weil et prise comme « la forme la plus rare et la plus pure de la générosité » (Correspondance,  Simone Weil, Joe Bousquet).

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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Médecine médiévale préventive et recettes de cuisine « médicales »

medecine_medievale_ecole_salerne_science_savant_Regimen_SanitatisSujet : médecine, citations médiévales, école de Salerne,  ouvrage, manuscrit ancien.  cuisine, alimentation, médecine préventive.
Période: moyen-âge central (XIe, XIIe siècles)
Titre:  l’Ecole de Salerne (traduction de 1880)
Auteur :  collectif d’auteurs anonymes
Traducteur : Charles Meaux Saint-Marc

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionvant que les livres de recettes et de cuisine n’apparaissent en nombre, une grande partie des ouvrages du moyen-âge central parlant de diététique, d’alimentation et même de recettes se trouvait dans les traités de médecine.

Dans le courant du XIIe siècle, émanent de l’Ecole de Salerne mais différent du Flos Medicinae (que nous continuons de dérouler aujourd’hui ici), on trouve ainsi un ouvrage rédigé par Petrus Musandinus, maître de la célèbre école  italienne : la summula de medecine_medievale_preventive_alimentation_repas_ecole_salerne_extraits_moyen-age_central_XIIepreparatione ciborum et potuum infirmorum.  C’est un traité de préparation de mets et boissons à destination des malades et qui se présente déjà comme un véritable livre de recettes. Nombre de celles qui s’y trouvent décrites proviennent d’ailleurs de la cuisine de l’époque. Dans le même esprit, mais un peu plus tard, en 1300, on retrouvera, entre autres ouvrages, un autre traité latin, tiré de la traduction partielle d’une source arabe du XIe siècle, « le Livre des plats et des condiments » (Liber de ferculis et condimentis).  Quelque temps plus tard on trouvera même une partie de traité médicale consacrée aux sauces Opusculum de saporibus que son auteur avait rédigé à l’attention d’un évêque.  Avouez que de nos jours, on se figurerait assez mal revenir de chez son généraliste avec comme ordonnance, la recette de la meilleure sauce au poivre vert pour le magret.

Au fil du temps les deux genres d’ouvrage, même s’ils partageront les mêmes recettes finiront par se différencier de plus en plus, l’exigence appelant les médecins à être plus précis dans leurs arguments et à détailler un peu mieux les effets de leurs recettes, en prévoyant notamment certains ajustements pour qu’elles assurent une équilibrage satisfaisant des humeurs. Ces traités d’hygiène et de médecine préventive ont-ils contribué à répandre certains usages alimentaires ? Peut-être. Ont-ils entériné plus que devancer certaines moeurs ayant trait à la gastronomie et au goût  ? Sans doute. On se reportera valablement à la source, citée en pied d’article, pour un approche plus complète de ces questions.

Règles générales applicables au repas
du FLos Medicinae ou Regimen Sanitatum

S_lettrine_moyen_age_passion‘il n’a pas pour propos de donner des recettes précises, comme nous avons déjà pu nous en rendre compte ici, le Flos Medicinae côtoie de près le sujet de l’alimentation. Dans la partie plus générique de l’ouvrage qui ne touche pas encore à la liste des plantes et leurs usages, qu’il s’agisse de nourriture, de boissons ou de règles à suivre, le thème demeure central et récurrent. La médecine médiévale n’a d’une manière générale, absolument aucun doute sur le fait que la méthode la plus naturelle et efficace de prévention de la santé résidait dans la qualité des aliments et l’alimentation et dans les règles entourant ces pratiques. On notera d’ailleurs, au passage, dans l’extrait d’aujourd’hui que l’on prêtait tant de crédit et d’importance à la nourriture, la boisson et leurs usages que l’ombre de la peste ou de la lèpre se trouvaient fréquemment associées à certaines mauvaises pratiques. Pour le reste et comme on le constatera, la modération reste toujours au coeur de ce traité médiéval de l’Ecole de Salerne.

Pour parenthèse, à l’heure largement sonnée de la malbouffe, la relation directe entre alimentation et santé est une idée qui ne fait aucun doute pour personne et quand on s’intéresse un peu à certains travaux médicaux sérieux et récents, on sait bien aujourd’hui que l’on ne peut pas manger à l’envie n’importe quelle « préparation » industrielle (en restant poli) et compter, par la suite, sur la médecine et une pastille miracle pour se sauver. Depuis l’après guerre, on peut compter près de soixante ans d’industrialisation extrême de la nourriture, de ses processus de production et avec eux  decole_salerne_citation_medecine_medievale_regles_repas_alimentation_XIIe_moyen-age_central‘introduction en force de la chimie dans nos assiettes. Comparé avec des millénaires d’une toute autre pratique, c’est une durée finalement assez courte pour en mesurer les véritables conséquences même si quelques conclusions claires ont déjà été tirées (graisses, sel et sucre saturés, faible valeur nutritive, obésité, maladies coronariennes, etc.. Le reste demeure quelquefois nébuleux entre les enjeux économiques croisées et un prétexte de « nourrir la planète » (ce qui n’est toujours pas totalement le cas) qui a bien souvent couvert des pratiques débridées à visées uniquement mercantiles. Dans un monde du « à chacun son boulot », nourrir et soigner sont/étaient devenus des pratiques dissociées, phénomène pâlement compensé par l’introduction des « alicaments » (encore du marketing) dans lesquels on ajoute toutes sortes de « compléments » (encore de laboratoires), pour compenser les carences vitaminiques ou nutritives des produits industriels de masse.  Drôle de planète…

Tout cela étant dit et sans aucunement prétendre vous en gâter le plaisir, voici quelques nouveaux vers du Flos Medicinae autour des repas. De fait et pour le clin d’oeil, ces rimes vous inspireront peut-être quelques conseils à l’approche des agapes de fin d’année. Et si vous êtes de ceux qui vous y adonnez, bien décidés à attendre début janvier pour penser aux bonnes résolutions et pour ne rien gâcher de la fête, peut-être céderez-vous tout de même, à l’attrait poétique de leur charme médiéval un peu désuet, mais pas si inepte sur le fond.

Règles générales pour tous les repas
du Flos medicinae  ou l’Ecole de Salerne

Un Repas te nuira, s’il n’est dans ton usage:
D’aliments étrangers, fruit, poisson, ou breuvage,
Crains la saveur perfide, et défends ta santé
De l’ivresse fréquente et du vin frelaté.

Boire après chaque mets est un précepte utile,
Auquel applaudira ton estomac docile.
Ne bois jamais sans soif, ne mange pas sans faim:
L’excès en ces deux points enfante un mal certain.

Consulte la raison, et, si tu rrfen veux croire,
Quand tu quittes le bain, souviens-toi de peu boire.
Instruit des soins à prendre, un médecin prudent
Les trace avec méthode, et des écueils défend

Son client rassuré. D’une table modeste,
Convive rarement (la chose est manifeste)
Sortit malade, au lieu qu’un repas somptueux
Attire et médecins et cent maux avec eux.

Ne prends, que pour céder à prière trop forte,
Des mets très-différents, des vins de mainte sorte;
Crains du lait et des vins le mélange odieux:
Sinon, sur toi la lèpre étend son voile affreux.

Avant les mets servis comme en quittant la table,
Lave tes mains selon l’usage respectable.
Nul écart de régime, à moins que ta santé
N’approuve un changement qu’elle-même a dicté

Le malaise suivrait, Hippocrate l’atteste,
Du régime adopté le changement funeste.
Un régime uniforme, excellent médecin,
Surpasse des docteurs l’art et le savoir vain.

Pauvres, de simples mets couvrez la pauvre table,
Le régime est pour vous un repas délectable.
Un superbe festin gâte les estomacs,
Tandis qu’un sommeil pur suit un léger repas.

La santé se conserve avec l’économie;
La lourde gourmandise abrège et rompt la vie.
Un médecin l’a dit: Le sage ne meurt pas,
Qui jamais ne s’assit qu’à modeste repas.

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-Âge sous toutes ses formes.

Sources utiles et documentées  :  Cuisine et médecine au Moyen Âge, Bruno Laurioux

Le fabuleux voyage d’Ibn Battûta, grand aventurier du moyen-âge central

ibn_batouta_explorateur_monde_medieval_livre_moyen-age_centralSujet : aventurier, explorateur, musulman, Islam médiéval, voyageur,
Portrait :  Ibn Battûta  (1304-1368 ?77),
Abu Abdullah Muhammad Ibn Battuta (Batutah ou Batouta)
Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle
Ouvrage : « les voyages » ou « Un cadeau pour ceux qui contemplent les splendeurs des cités et les merveilles des voyages » (1356)

« Écrivain arabe et l’un des plus grands voyageurs de tous les temps, Ibn Baṭṭūṭa est l’auteur d’un récit de voyage (Riḥla) qui, par l’ampleur du champ parcouru et les qualités du récit, constitue une des œuvres de la littérature universelle » André MIQUEL – Encyclopédie Universalis

Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour les besoins de l’indexation, nous reprenons ici, en le complétant largement, le portrait que nous avons dédié au grand voyageur berbère et musulman Ibn Battûta dans  l’article consacré au Festival Musique et Histoire  de Fontfroide à venir.

ibn_battuta_aventurier_pelerin_musulman_medieval__moyen-age_centralIl a fallu attendre le XIXe siècle pour que les européens découvrent ce grand aventurier, chroniqueur et témoin du monde musulman du moyen-âge central que l’on a souvent surnommé « le plus grand voyageur de tous les temps » (en opposition aux voyageurs maritimes et sur le plan de la distance parcourue par les terres, il l’est assurément).

Ayant recouvert bien plus de miles et de distance que Marco Polo, la popularité de ce pèlerin explorateur, hors du monde arabe, est sans doute, aujourd’hui plus grande dans le monde anglophone que francophone, aussi ce portrait rétablira-t-il un peu, à sa manière, l’équilibre. Voilà donc quelques mots de l’histoire de Abu Abdallah Muhammad Ibn Abdallah al-Lawati at-Tanji plus connu sous le nom de Ibn Battûta (Batutah),

ibn_battuta_aventurier_musulman_voyageur_moyen-age_central_XIVe_siecle

« Je sortis de Thandjah, lieu de ma naissance, le jeudi 2 du mois de redjeb, le divin et l’unique, de l’année 725,  dans l’intention de faire le pèlerinage de La Mecque et de visiter le tombeau du Prophète. (Sur lui soient la meilleure prière et le salut !) J’étais seul, sans compagnon avec qui je pusse vivre familièrement, sans caravane dont je pusse faire partie ; mais j’étais poussé par un esprit ferme dans ses résolutions et le désir de visiter ces illustres sanctuaires était caché dans mon sein. Je me déterminai donc à me séparer de mes amis des deux sexes, et j’abandonnai ma demeure comme les oiseaux abandonnent leur nid. Mon père et ma mère étaient encore en vie. Je me résignai douloureusement à me séparer d’eux, et ce fut pour moi comme pour eux, une cause de maladie. J’étais alors âgé de vingt-deux ans. »
Ibn Battûta — Voyages  

Un périple aux confins du monde musulman du XIVe siècle

De 1325 à 1349, cet aventurier berbère musulman, né à l’aube du XIVe siècle, parcourut plus de 120 000 kilomètres à l’occasion de trois grands périples qui le menèrent de son Maroc natal jusqu’aux confins du monde musulman médiéval.

Parti originellement en pèlerinage vers la Mecque, à l’age de 22 ans, il finira par visiter des myriades de destinations dans une longue aventure où il prendra toute la mesure du monde musulman, de sa diversité autant que de ibn_battuta_voyages_moyen-age_central_explorateur_musulman_monde_medievalson étendue : Inde, Asie centrale, Chine, Afrique orientale, Moyen et proche orient, Palestine, Perse, Irak, Syrie, son périple le conduira jusqu’à l’Anatolie, et encore Sumatra ou plus près l’Andalousie et il s’aventura même encore, hors des terres de l’Islam, jusqu’à la ville de Constantinople.

Si ses longs périples pourraient prendre par moments, les contours d’une longue errance, Ibn Battûta  connaîtra aussi des périodes de sédentarisation qui lui permettront de mieux approfondir ses observations. Démontrant d’une solide capacité d’adaptation et bénéficiant aussi de l’aura que son origine arabe lui confère dans les pays musulmans qu’il traverse et qui ne sont pas tous arabes, l’explorateur prodigue est aussi lettré et occupera des fonctions variées, au fil de ses voyages, dont, à de nombreuses reprises, celles de juge.

Quelques années après son retour, en 1354 et à la demande du sultan du Maroc Abu Inan Faris,  il dictera ses aventures à un historien, poète, juge et érudit, ibn_battuta_voyages_moyen-age_central_explorateur_monde_medievaloriginaire de Grenade et de la grande Andalousie d’alors (Al-Andalous), du nom de Ibn Juzayy al-Kalbi al-Gharnati, pour les inscrire dans la postérité.

Par la suite, il finira vraisem-blablement sa vie en occupant la charge de juge mais l’on n’est pas vraiment fixé sur la date de sa mort qui oscille de 1368 à 1377, suivant les historiens. A l’image des aventures de Marco Polo, la véracité de certains récits d’Ibn Battuta a été partiellement mise en doute. Sans entrer dans le détail, ces polémiques ne touchent toutefois que quelques destinations qu’il dit avoir visitées. Et pour être clair, nul ne peut aujourd’hui nier qu’il ait véritablement effectué ces immenses voyages et sillonné le monde qui lui était contemporain. Nombre des observations qu’il fut le tout premier et même le seul à faire, dans certains cas, ont d’ailleurs été corroborés par des voyageurs et observateurs ultérieurs et, pour tout dire, sa sincérité est à ce point reconnu qu’on l’a encore baptisé quelquefois : « l’honnête voyageur ».

Ibn Battûta, conteur, chroniqueur et sa contribution aux sciences humaines

« Voyager vous laisse d’abord sans voix, avant de vous transformer en conteur. »
Ibn Battûta — Voyages

Dien sûr, même si le leg et les écrits d’Ibn Battuta restent d’une valeur inestimable, au regard des sciences humaines modernes et de leurs méthodes, on y rencontrera  des limites communes à tous les chroniqueurs du moyen-âge.

Apports historiques

Du point de vue de l’historien, les repères chronologiques manquent, des imprécisions et incohérences demeurent, certaines destinations décrites, nous l’avons dit plus haut, n’ont sans doute pas été visitées (ce qui, en soit, ne serait pas un obstacle majeur). En réalité, le récit d’Ibn Battuta s’approche plus d’un grand tableau ou d’une fresque, si l’on préfère, du monde musulman médiéval et des pays visités, que de chroniques historiques, à ibn_battuta_batutah_aventurier_moyen-age_monde_musulman_medieval_XIVe_siecleproprement parler. On ne sait s’il tenait un journal de bord systématique, il semble que ce n’était pas le cas, même si l’on sait, par ailleurs, qu’il a perdu des notes en chemin, en se faisant dérober ses effets,

Dictée de mémoire et après coup, sur la base de ses souvenirs, cette compilation comporte forcément certaines limites « scientifiques », même si la quantité de détails et d’anecdotes fournis ne cesse de forcer l’admiration. Pour mieux comprendre cela, il faut se souvenir que durant ses périples, Ibn Battûta  se rapproche souvent des rois, des émirs et des puissants pour bénéficier de leurs dons et de leur largesse. Bien décidé à vivre de ses voyages, il leur conte, à plus d’un tour, ses aventures, sous forme de récits. De fait, c’est une matière qui n’est donc pas restée cloisonnée en lui pour ne sortir,  par magie, que des années après ce qui explique sans doute aussi qu’il ait pu la garder aussi vive.

Alors, pour le reste, peut-il être considéré comme un historien ? Non. et encore moins au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Il n’en a ni la rigueur, ni les méthodes, à son époque nul ne les a. Il n’en a pas non plus d’ailleurs la prétention. Quoiqu’il en soit, dans le domaine de l’histoire médiévale du monde musulman, sa grande contribution ne peut être niée, pas d’avantage que l’intérêt et la valeur particulière de ses récits. A cette même époque, les historiens du monde arabe sont un peu à l’image de ceux de l’Europe médiévale, nombre d’entre eux s’occupent bien plus de grandes batailles ou des hauts faits militaires ou religieux (plus ou moins enjolivés) des seigneurs et nobles (qui, la plupart du temps, les financent et les font vivre).

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Dans ce contexte, Ibn Battuta apparaît comme l’un des rares à dépeindre les moeurs, les cultures et les sociétés qu’il observe. Son approche est plus celle d’un chroniqueur ou d’un journaliste; il décrit plus qu’il ne questionne en profondeur ce qu’il voit, mais il a légué un témoignage précieux par la qualité autant que par l’ampleur des destinations parcourues. Il a  encore été un des premiers voyageurs à s’aventurer en profondeur dans le centre Afrique et de même qu’il n’a pas constitué un atlas et une cartographie précise des régions traversées durant tous ses périples, son apport en géographie a longtemps été reconnu.

Apports ethnologiques

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Pour l’ethnologue, comme pour l’anthropologue, au regard des méthodologies actuelles de ces disciplines, là encore, l’ouvrage d’Ibn Battuta ne peut être considéré comme « scientifique », L’auteur médiéval  ne conduit pas une monographie précise et systématique des pays traversés ou des cultures rencontrées pas plus qu’il n’engage une réflexion profonde et conceptuelle à partir de ses observations (qui ne serait, de toute façon et là encore, pas de son temps). En revanche, sa contribution est là aussi de taille, pour ces sciences humaines. Certaines de ses observations sur les cérémonies de mariage, sur le patriarcat mais aussi le matriarcat et les lignées matriarcales de certains pays ou cultures qu’il visite sont d’un haut intérêt ethnologique. (voir à ce sujet l’article de Joseph Chelhod Ibn Battuta, ethnologue, sur persée). Au delà et sur le terrain des observations, la curiosité de l’explorateur médiéval  reste insatiable et s’exerce dans de nombreux domaines; moeurs sexuelles, techniques, musiques, monnaie, économie, bureaucratie, pratiques religieuses qui intéressent l’anthropologie comme l’ethnologie dans un perspective historique.

Se procurer les ouvrages Ibn Battuta.

Du point de vue de l’édition, les  récits de Ibn Battûta sont en général découpés en 3 tomes: de l’Afrique du Nord à la Mecque (tome 1), de La Mecque aux steppes russes (tome 2), et Inde, Extrême-Orient, Espagne & Soudan (tome 3).

ibn_battûta_voyages_portrait_aventurier_monde_medieval_moyen-ageLes versions que l’on retrouve le plus communément ont été traduites depuis l’Arabe en 1858 par Charles Defrémery et Beniamino Raffaelo Sanguinetti, tous deux orientalistes. On peut trouver des versions digitalisées de quelques uns de ces ouvrages d’époque sur le web.

Pour ce qui est de l’édition papier, les versions les plus récentes datent des années 1980-90. Leur traduction provient des auteurs sus-mentionnés et elles sont annotées et préfacées par Stéphane Yerasimos  (Historien, professeur des universités, spécialiste de l’empire ottoman, 1942-2005). On les trouve chez plusieurs maisons d’édition, Les éditions de la découverte sont encore, à ce jour, semble-t-il, celles qui proposent les prix les plus abordables (autour de 15 euros par exemplaire). En voici les liens:

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Médecine médiévale de Salerne : la santé et l’hygiène au mois le mois

medecine_medievale_ecole_salerne_science_savant_Regimen_SanitatisSujet :  médecine, citations médiévales, école de Salerne, Europe médiévale, moyen-âge,   manuscrit ancien,  saignée.  calendrier
Période: moyen-âge central (XIe, XIIe siècles)
Titre:  l’Ecole de Salerne (traduction de 1880)
Auteur :  collectif d’auteurs anonymes
Traducteur : Charles Meaux Saint-Marc

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn suivant le fil de la médecine médiévale « hygiéniste » de  l’Ecole de Salerne et notamment de son long poème en vers qui traversa le temps du XIe  au  XVIIe siècles, nous découvrons aujourd’hui des indications de santé, au science_hygiene_medecine_medievale_salerne_mois_mars_calendrier_moyen-age_centralmois le mois que recommandaient  alors les médecins italiens.

Sur les terres d’une Europe médiévale où, serfs ou vilains, 95% des populations sont paysannes, on vit alors, de manière étroite, au rythme du calendrier agricole et de l’alimentation saisonnière. Du côté de la médecine, on prend très au sérieux l’adaptation du « régime » (au sens large d’ensemble de mesure et pas seulement de diète) au climat et aux  conditions de chaque mois.  Ce nouveau chapitre  du Regimen Sanitatis ou du Flos Médicinae est là pour l’attester.

Comme nous l’avions vu dans notre article précédent  sur cet ouvrage ancien, de même que la médecine médiévale le fait pour les saisons, elle lie encore les mois aux humeurs, à la saignée, aux bains, aux activités physiques incluant même celle  de l’amour. On n’imagine pas, sans sourire, un médecin généraliste s’avancer de nos jours, sur ce dernier terrain science_hygiene_medecine_medievale_salerne_mois_regime_couverture_calendrier_moyen-age_centralau moment de rédiger son ordonnance.

Quoiqu’il en soit et pour revenir à notre sujet, en rapprochant ces conseils des médecins italiens de Salerne avec les illustrations de calendrier agricole et de ses rythmes, on peut d’ailleurs aisément jeter des ponts de l’un à l’autre. Dans un contexte où la relation à l’environnement et la nature reste étroite, la médecine médiévale ne peut qu’entériner, autant qu’elle réaffirme la forte dépendance de l’homme et de sa santé, à la terre et à ses rythmes. Au passage et toute proportion gardée, cette approche hygiéniste de l’Ecole de Salerne  n’apparaît pas aujourd’hui  si éloignée de certains courants de médecines dites « holistiques » qui tentent de remettre en exergue l’importance du lien entre santé, environnement naturel et alimentation.

Du régime suivant les mois 

Un seul rapprochement par mois te suffira,
S’il n’a rien de suspect; sinon, il t’en cuira.
A ce prix, des docteurs l’aréopage illustre,
De vie et de santé te garantit maint lustre.

Janvier.
Janvier se réjouit de vins chauds, généreux.
L’hydromel est trop fade et rend moins vigoureux;
Prends contre les langueurs des boissons salutaires.
Écarte les soucis et fuis les mets vulgaires;
Les bains sont bienfaisants; bois sans faire d’excès ;
Les mets chauds en janvier méritent leur succès.

Février.
La fièvre, en Février, se glisse dans tes veines.
Pour écarter le froid n’épargne pas tes peines;
De boissons, de mets chauds emprunte le secours.
Oie, aneth et poirée entretiendront tes jours;
Arrose-les de vin. Ta santé souffre-t-elle ?
Fais-toi saigner au pouce, adieu le mal rebelle.

Mars.
Mars, rouvrant des humeurs les sources jaillissantes,
Enfante dans le corps cent douleurs renaissantes.
Aux veines garde-toi de dérober leur sang,
Mais de racines bois le suc rafraîchissant.
Plonge-toi lentement dans de chaudes étuves
Qui raniment ta force à leurs tièdes effluves.
Des mets avec leur jus, des aliments sucrés
Réparent la vigueur d’estomacs délabrés.

Avril.
Quand Avril fleurissant vient rajeunir le monde,
Quand s’entr’ouvre le sein de la terre féconde,
Tout revit. Le sang pur se gonfle en bouillonnant*,
Dégage alors le ventre, au pied soustrais du sang.

Mai.
Tu pourras en ce mois te purger à loisir;
Fais-toi saigner; des bains goûte le doux plaisir,
Parfume l’eau des bains d’un arôme sauvage;
L’absinthe en lotion est utile au visage.

Juin.
L’hydromel trouble en Juin le cerveau du buveur;
Du houblon fermentant crains la jeune liqueur;
Prends la verte laitue et bois l’eau des fontaines,
La bile malfaisante évitera tes veines.

Juillet.
La saignée en Juillet est chose redoutable;
Ne charge pas de vin un viscère irritable;
Abrège ton sommeil: fuis les bains, le plaisir,
Et de sauge et d’aneth compose un élixir.

Août.
Pour garder en ce mois un tempérament sage,
Dors peu, crains la fraîcheur, de Pamour fuis l’usage,
Abandonne les bains, fais de sobres repas,
Évite la saignée et ne te purge pas;
De vins, de lotions crains la suite fatale;
Surtout qu’aucun mets chaud à tes yeux ne s’étale.

Septembre.
Que Septembre en tes mains prodigue ses fruits mûrs,
Poires, pommes, raisins, lait de chèvre et vins purs;
Qu’un doux jus dans ton sang coule et le renouvelle,
Fais-toi saigner au bras; mange amande nouvelle.

Octobre.
Qu’Octobre en tes celliers verse ses vins nouveaux,
Entasse autour de toi gibier, oiseaux, chevreaux;
Mange autant qu’il te plaît sans charger tes viscères,
Que lasserait l’abus d’aliments salutaires.
Mange et le lait de chèvre et le lait de brebis,
En disques savoureux, épaissis et durcis.

Novembre.
Observe de Novembre un précepte formel:
Mange miel et gingembre, et bois doux hydromel.
De l’amour et des bains néglige la pratique
Qui rend l’époux débile et la femme hydropique.

Décembre.
Les mets chauds en ce mois sont chose capitale;
Point de choux. Qu’on te saigne à la veine frontale.
Les lotions du corps n’ont pas d’utilité.
Bois sec, mange faisans avec sécurité.
Contre le froid piquant couvre avec soin ta tête,
Au mal le cinnamome* et s’oppose et l’arrête.

* Cannelle

Une excellente journée !
Fred

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