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Eglogue au Roi sous les noms de Pan & Robin, une parabole aux accents bucoliques de Marot, à l’automne de sa vie

portrait_clement_marot_poesie_medievaleSujet :  poésie renaissante, moyen-âge tardif, poésies courtes, églogue, Robin, Marion.
Période : fin du moyen-âge, renaissance
Auteur :  Clément MAROT (1496-1544)
Titre : « Eglogue au roy (roi), sous les noms de Pan et Robin»
Ouvrage :. oeuvres complètes de Clément MAROT, par Abel grenier, Tome 1 (1879)

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionaté de 1539, l’Eglogue au Roy de Clément Marot fait partie de la poésie tardive de l’auteur. Notre poète a passé la quarantaine et il laisse ici de côté le ton grivois et gaulois qu’il a si souvent tutoyé sur le thème de Robin et de Marion, pour une poésie plus sage et plus profonde, mais dont le ton reste léger et imagé.


Eglogue :  l’églogue est une poésie lyrique en général assez courte qui loue et met en exergue le thème de la vie champêtre et pastorale. Son origine remonte aux grecs et au poète Virgile. Dans la forme dont il est question ici, c’est un genre poétique repris aux débuts du XVe.


Les deux visages de Marot

deco_medievale_enluminures_clement_marotEn réalité, ce n’est pas qu’une affaire d’âge, ni de maturité. Les deux visages de Marot homme de cour trivial à l’humour caustique  d’un côté et, de l’autre, auteur talentueux d’une grande sensibilité qui sait aussi traiter les sujets avec style et profondeur, sont présents tout au long de son parcours.

Peut-être ne peut-on pas totalement en vouloir à Boileau de l’avoir un peu enfermé et sans doute réduit à ce rôle d’amuseur et cet « élégant badinage ». Marot a cédé plus qu’à son tour aux traits d’esprit et sa verve a, de fait et souvent, pu un peu éclipser l’auteur plus sérieux et formel qu’il savait être aussi. L’humour a quelquefois ceci de « dévorant » qu’il suffit d’en faire un peu pour qu’on veuille vous y réduire ou  même en faire, à votre place, une profession de foi. C’est loin d’être le cas de Marot et on ne peut l’y cantonner, ceux qui se sont penchés sur la totalité de son oeuvre le savent bien. Comme de notre côté, nous avons jusque là beaucoup cédé à ses bons mots, il est temps sans doute que nous approchions un peu son autre visage, pour contrebalancer.

Contexte historique

Que de chemin parcouru entre la première églogue à Virgile de l’Adolescence Clémentine, ou celle encore, en forme d’épitaphe à Ma Dame Loyse de Savoye et celle du jour. De longues années se sont écoulées, plus de vingt ans, avec dans l’intervalle, quelques sérieuses épreuves.

En 1539, Marot est revenu depuis quelque temps déjà de son premier et douloureux exil. Trois ans auparavant et sur demande de François 1er, il a abjuré solennellement à Lyon et, ayant obtenu le pardon du roi, il se tient à nouveau à la cour. Ses conflits avec les autres poètes sont loin derrière lui et sa réputation, autant que sa position, y sont de nouveau bien assises. Quelques années auparavant, ces oeuvres ont été publiées à la faveur d’une imprimerie qui s’impose de plus en plus comme une technologie avec laquelle il faudra désormais compter et malgré les vicissitudes et le parcours agité que notre auteur a connu, le roi semble toujours autant l’avoir en ses faveurs, goûtant, sans les bouder, les charmes de sa plume.

deco_medievale_enluminures_clement_marotPourtant, pour autant qu’il pourrait se contenter du confort dans lequel il se tient, il semble qu’il faille que Marot ne soit jamais tout à fait sage et conforme, ni tout à fait docile. En l’occurrence et cette  même année 1539, il sera, en plus, rattrapé par son passé. L’Enfer – sulfureux pamphlet qu’il avait composé à l’attention de ceux qui l’avaient fait emprisonner en 1526 et contre la magistrature et les théologiens – sera, en effet, édité sans son autorisation. Trois ans plus tard, le même texte sera à nouveau publié par Estienne Dollet dans des conditions similaires.

D’un autre côté et, pour le coup, bien volontairement, Marot continue d’oeuvrer à sa traduction des psaumes. Sait-il que se faisant, il prendra encore le risque d’éveiller les foudres de ses anciens ennemis qui continuent de le surveiller d’un oeil ? Il ne peut l’ignorer et, en tout cas, il semble le redouter, comme on pourra le lire entre quelques lignes de cette Eglogue du Roy.

« Il me suffit, que mon trouppeau (tu) preserves* (Pan)
Des loups, des ours , des lyons, des loucerves, »

Du reste, ces foudres, il les connaîtra à nouveau, quelques temps après, avec ses mêmes psaumes. La Sorbonne en tête, bientôt suivie par l’église et une cohorte de détracteurs, se dressera contre la traduction et la versification de Marot. Bien que le succès de la parution ait été indéniable à la cour comme ailleurs, on le frappa d’hérésie et on vint même demander au roi d’entériner la sanction. Ajoutés au contexte houleux de la réforme et de la chasse aux luthériens, la publication de l’enfer en 1542 et cette agitation autour des psaumes comptèrent sans doute parmi les raisons qui conduisirent le poète à un nouvel exil. On en connait les suites, il s’enfuit à Genève, de là et un peu plus tard, il se réfugia en Savoie, puis encore en Italie et à Turin où, il finit par périr, deux ans plus tard,  loin de son sol aimé.

Liberté et conscience de la postérité

Plus idéaliste que marginal ou même révolté ( au sens social), pour être pensionné et au service du roi, nous le disions plus haut, Marot n’en est pas, pour autant, totalement servile ; une nécessité le pousse à mener son art, autant que ses actes, là où bon lui semble et où sa conscience lui dicte. On ne peut sans doute pas réduire cette liberté à une protection royale et peut-être même une certaine bienveillance qu’il tiendrait pour acquises et dont, le supposant, il aurait fait quelques abus. En 1539, l’expérience lui en a déjà largement démontré les limites. Les choses lui échappent-elle vraiment ? Se pose-t-il même toujours  la question ? A l’image de ses convictions, il semble tout de même que l’écriture reste pour lui une affaire sérieuse qui devrait situer le poète, en dernier ressort, à une certaine hauteur de débat et même au dessus des simples contingences alimentaires. (1)

Est-ce une tendance naturelle, un trait de caractère frondeur ou est-ce l’écriture critique et satirique du Jean de Meung du Roman de la Rose, qui l’a formé à l’école d’une certaine liberté qu’on ne peut simplement réduire à de l’impertinence ? Plus haut et plus loin que le désir puéril de provoquer, la plume est un chemin vers une liberté deco_medievale_enluminures_clement_marotqui ne souffre l’aliénation. On a parlé quelquefois à son propos d’étourderie, d’impulsivité, c’est lui prêter, sans doute, un peu trop de « légèreté intellectuelle » et moins de conscience qu’il n’en avait.  La vérité est entre les deux. S’il serait exagéré de faire de Marot un auteur clairement engagé, loin s’en faut, on ne peut pour autant  le résumer à un poète de cour  épris de trivialité et aveuglément au service du roi. (2)

Peut-être un peu de la fronde de François Villon a t-elle aussi fini par se greffer dans un coin de l’esprit de Marot et jusque dans sa destinée houleuse ? On sait l’admiration qu’il vouait à ce dernier et si c’est le cas, le poète de Cahors aurait eu de qui tenir. Même si le rapprochement ne peut se faire que de loin entre  le parcours et « l’anticonformisme » de l’auteur du Grand testament et Marot,  Villon a indéniablement insufflé à la poésie une forme d’absolu, en la mettant, d’une certaine manière, au dessus des lois des hommes et du conformisme. Dans les méandres de sa vie chaotique et marginale, à travers la grande aventure de son écriture, armé de sa seule plume, Villon est finalement demeuré seul face à ses actes, face à Dieu et face à la postérité, insaisissable et élevé par son art.

Marot a-t-il pu être touché par cet absolu et la hauteur à laquelle ce dernier plaçait la poésie ? Peut-être. Dans ses siècles où se forme plus résolument la notion d’auteur, il eut aussi une conscience aiguë de la notion de legs et de postérité :

 « Et tant que ouy, & nenny se dira,
Par l’univers, le monde me lira »
Clément Marot. Epitre LXI a un sien amy (1543)

L’imprimerie, de plus en plus présente, n’est sans doute pas étrangère à cela. Dans ce XVIe siècle déjà renaissant, elle a déjà édité et souvent même égratigné des oeuvres poétiques (celles de Villon notamment) pour les besoins de son commerce, Marot s’en est assez plaint. Nouvelle technologie à double tranchant, elle peut, certes, déformer l’art du poète ou éditer contre lui des oeuvres passées en lui ôtant des mains le contrôle de son legs mais, en même temps, elle l’affranchit (idéalement plus que matériellement) de son royal bienfaiteur en lui offrant un large lectorat. Il est difficile de savoir à quel point cela a pu faire partie des éléments favorisant chez le poète de Cahors la conscience d’inscrire son art et ses actes dans la durée, à l’ère des manuscrits le succès de certains auteurs avait déjà été assuré, mais c’est un élément de contexte que l’on ne peut totalement ignorer.

L’Eglogue au Roy,
sous les noms de Pan & Robin  

Dans cet églogue à la première personne, Marot se glisse dans la peau d’un pastoureau nommé Robin qui nous conte sa vie champêtre tout en louant le Dieu Pan.

De fait, l’ensemble de cette oraison du petit berger à Pan est une belle parabole aux accents rupestres dans lequel le poète relate et « encode » les moments forts de sa vie. On y trouvera donc de nombreux allusions à son propre parcours, beaucoup de légèreté, un brin de mélancolie et de questionnement sur l’avenir mais pas de trace d’amertume. Point de verve ou de vitriol, le calme est retrouvé et à l’approche de l’hiver, l’auteur semble ne rêver que d’un peu d’abri et de tranquillité.

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On en connait le passage célèbre, maintes fois cité que nous reprenons ici à notre tour. Au delà de ces quelques vers connus, en plus du plaisir à la lire, cette églogue vaut vraiment d’être redécouverte dans sa totalité pour ce qu’elle nous apprend de la vie du poète, mais aussi de ses vues sur son art. Nous vous proposons d’ailleurs en pied d’article un lien vous permettant de la télécharger au format pdf.

(…)

Sur le printemps de ma jeunesse folle,
Je ressemblois l’arondelle qui volle
Puis ça, puis là : l’aage me conduisoit,
Sans peur ne soing, où le cueur me disoit.
En la forest (sans la craincte des loups)
Je m’en allois souvent cueillir le houx,
Pour faire gluz à prendre oyseaulx ramages,
Tous differens de chantz et de plumages ;
Ou me souloys (pour les prendre) entremettre
A faire bricz, ou cages pour les mettre.
Ou transnouoys les rivieres profondes,
Ou r’enforçoys sur le genoil les fondes,
Puis d’en tirer droict et loing j’apprenois
Pour chasser loups et abbatre des noix.

Saluant au passage la « jeunesse folle » de Villon,  dans quelques uns de ses premiers vers sur le printemps de sa vie, on pourrait presque entendre raisonner avec quelques siècles d’avance, certains accents lyriques du Chant du monde de Giono ou revoir encore défiler les plus belles pages contemporaines de l’enfance buissonnière de Pagnol à la Gloire de son père. Le cadre de la vie campagnarde est joliment posé.

Viendra encore s’y ajouter l’affirmation de la vocation précoce du poète et un long hommage à son père Jean Marot pour lui avoir transmis cet art que l’auteur mettra ici en comparaison avec celui des troubadours ou des trouvères de la lyrique courtoise, en parlant de ‘chants », de « chansons », de « notes » et encore de « flûtes » et de « flajolets« .

O quantesfoys aux arbres grimpé j’ay,
Pour desnicher ou la pye ou le geay,
Ou pour jetter des fruictz ja meurs et beaulx
A mes compaings, qui tendoient leurs chappeaux!
Aucunefoys aux montaignes alloye ,
Aucunefoys aux fosses devalloye,
Pour trouver là les gistes des fouynes,
Des herissons ou des blanches hermines,
Ou pas à pas le long des buyssonnetz
Allois cherchant les nidz des chardonnetz
Ou des serins, des pinsons ou lynottes.
Desja pourtant je faisoys quelques nottes
De chant rustique, et dessoubz les ormeaux,
Quasy enfant, sonnoys des chalumeaux.

Si ne sçaurois bien dire ne penser
Qui m’enseigna si tost d’y commencer,
Ou la nature aux Muses inclinée,
Ou ma fortune, en cela destinée
A te servir : si ce ne fust l’un d’eux,
Je suis certain que ce furent tous deux.

Plus tard, plus loin, arrivant à l’été, il nous parlera encore du plaisir qu’il a eut à exercer son art. Cigale plus que fourmi, il n’a eu cure d’accumuler les biens.

Plus me plaisoit aux champestres séjours
Avoir faict chose (ô Pan) qui t’agreast,
Ou qui l’oreille un peu te recreast,
Qu’avoir autant de moutons que Tityre;
Et plus (cent foys) me plaisoit d’ouyr dire :
‘( Pan faict bon oeil à Robin le berger. »
Que veoir chés nous trois cents beufz héberger,
Car soucy lors n’avoys en mon courage
D’aucun bestail ne d’aucun pasturage.
Mais maintenant que je suis en l’autonne,
Ne sçay quel soing inusité m’estonne.
De tel’ façon que de chanter la veine
Devient en moy, non point lasse ne vaine,
Ains triste et lente, et certes, bien souvent,
Couché sur l’herbe, à la frescheur du vent,
Voy ma musette à un arbre pendue
Se plaindre à moy qu’oysive l’ay rendue;

Et le souci le prend un peu de pouvoir se mettre à l’abri, lui et les siens pour anticiper sur l’hiver déjà proche :

D’autre costé j’oy la bise arriver.
Qui en soufflant me prononce l’yver;
Dont mes trouppeaux, cela craignant et pis,
Tous en un tas se tiennent accroupis,
Et diroit on, à les ouyr besler,
Qu’avecques moy te veulent appeller
A leur secours, et qu’ilz ont cognoissance
Que tu les as nourriz dès leur naissance.
Je ne quiers pas (ô bonté souveraine)
Deux mille arpentz de pastiz en Touraine,
Ne mille beufz errants par les herbis
Des montz d’Auvergne, ou autant de brebis :
Il me suffit que mon troupeau préserves
Des loups, des ours, des lyons, des loucerves.
Et moy du froid, car l’yver qui s’appreste
A commencé à neiger sur ma teste.

Certains auteurs se sont demandés si sous le visage de Pan, Marot ne s’adressait pas ici, de manière allégorique, à la personne de François 1er. De fait et par son titre cette Eglogue est explicitement adressée au souverain. On a même évoqué l’hypothèse que le poète puisse ici s’adresser au Christ (2). Il semble, en tout cas, qu’à la même période, Marot ait obtenu du roi la donation d’une demeure (« une maison avec jardin rue du clos Bruneau à Paris »).  Les auteurs sont partagés sur la question d’une doléance voilée au souverain ou même encore de remerciements que le poète lui aurait fait à travers cette oraison comme les deux derniers vers semblent le suggérer:

« Sus mes brebis, trouppeau petit et maigre,
Autour de moy saultez de cueur allaigre,
Car desja Pan, de sa verte maison,

M’a faict ce bien d’ouyr mon oraison. »

On trouvera une autre version de cette oraison plus tardive et découverte après le mort du poète. Son authenticité ou sa paternité ont quelquefois été questionnées, mais il semble qu’on n’ait plus grand doute de nos jours sur le fait que cette réécriture est bien de Marot et sans doute du temps de son dernier exil. Elle a pour titre « La Complaincte d’un pastoureau chrestien faict en forme d’églogue rustique, dressant laplaincte a Dieu, soubz la personne de pan, dieu des Bergers ». La « verte maison » en a été gommée :

Puis je connois par ce chesne tremblant
Que Pan mon dieu me monstre bon semblant,
Dont à mon coeur ferme joye est rendue
Puisqu’il a jà ma prière entendue.

Retrouvez l’Eglogue au Roy de Marot dans sa totalité ici :
Télécharger l’églogue au Roy de Clément Marot au format PDF

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-Age sous toutes ses formes


(1) Sur la liberté de Marot, on lira avec intérêt l’article de Daniel Martin « Clément Marot, nouveaux horizons de la poésie et du poète à la Renaissance«  dans le numéro 54 de la revue Réforme, Humanisme, Renaissance de 2004.

(2) Du même auteurLe Valet de chambre et son roi, Marot impertinentRéforme, Humanisme, Renaissance, 2014.

Epigramme, quand Clément Marot moquait Geoffroy Bruslard

portrait_clement_marot_poesie_medievaleSujet :  poésie renaissante, moyen-âge tardif, humour, poésie satirique, poète, épigramme, poésies courtes.
Période : fin du moyen-âge, renaissance
Auteur :  Clément MAROT (1496-1544)
Titre : « Epigramme  à Geoffroy Bruslard»
Ouvrage : oeuvres complètes de Clément MAROT, par Pierre JANNET, Tome 3 (1868)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous partons en balade sur les rives de la fin du moyen-âge et de la renaissance avec un peu de l’humour caustique dont Clément Marot avait le secret. Le temps a emporté depuis ce Geoffroy Bruslard mais, pour le meilleur ou pour le pire, grâce à la verve du poète de Cahors plus sûrement qu’à la teinture, sa barbe est resté épinglée sur le mur de la postérité.

poesie_humour_satirique_renaissance_moyen-age_tardif_Clement_Marot_Epigrammes

A Geoffroy Bruslard

Tu painctz ta barbe, amy Bruslard, c’est signe
Que tu vouldrois pour jeune estre tenu ;
Mais on t’a veu nagueres estre un cigne,
Pous tout à coup un corbeau devenu.
Encore le pis qui te soit advenu
C’est que la Mort, plus que toy fine et sage,
Coingnoist assez que tu es tout chenu,
Et t’ostera ce masque du visage.

Clément Marot (1496-1544)
Mentiris juvenem –  Epigramme

Une belle journée à tous dans la joie et aussi loin que possible de la dictature des apparences !
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

Histoire de la Ballade médiévale du moyen-âge central au XIXe siècle

ballade_medievale_poesie_forme_histoire_evolution_moyen-age_central_Sujet : ballade, poésie médiévale, formes, histoire, évolution, définition, métriques, médiévalisme,
Propos : histoire de la ballade médiévale à travers les siècles, refléxions sur le monde médiéval
Période : du moyen-âge central au XIXe siècle
Auteurs : Théodore de Banville, Victor Hugo, et divers (voir sources)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionssociée au départ à la danse et à l’art des troubadours, la forme poétique de la ballade a évolué dans ses formes, tout au long du moyen-âge central, pour connaître de vraies heures de gloire au XIVe au XVe siècle.

Au XIVe siècle, Guillaume de Machaut (portrait ci dessous) en écrira près de 250, donnant ainsi des premiers éléments de formalisation la concernant. Quelque temps après le maître de musique, Eustache Deschamps parachèvera le travail dans son Art de Dictier. Il fixera l’envoi, sans toujours le respecter lui-même d’ailleurs et affranchira la ballade de ses formes uniquement musicales. Elle deviendra ainsi et après lui, une forme poétique à part entière non nécessairement chantée. En poesie_ballade_medievale_guilllaume_de_machaut_moyen_age_central_XIVeen écrivant autour de mille, il s’affirmera encore comme un des maîtres en la matière et il l’emmènera à sa traîne vers les thèmes les plus divers : politiques, morales, « médicinales », gastronomiques, historiques,  ou même plus personnelles, complaintes, etc …

Sous la plume de Jean Meschinot, mais aussi et surtout même de Charles d’Orléans et de François Villon, la ballade connaîtra encore de belles heures dans le courant du XVe. Au siècle suivant, Clément Marot nous en gratifiera encore de quelques unes (exemple, voir Ballade de Frère Lubin) mais l’âge d’or de la ballade sera déjà un peu passé.


Les formes poétiques « fixes » de la ballade

Après avoir subi quelques évolutions, la ballade est composée de trois couplets de taille identique, avec un refrain en général formé d’un ver, à la fin de chacun des couplets, et d’un envoi qui la clôt en forme d’invocation, souvent à un « Prince » réel, issu d’une académie littéraire, ou même allégorique. Cet envoi fait, en général, la longueur deco_medievale_enluminures_moine_moyen-aged’une demi strophe et se termine aussi par le refrain. La longueur des vers varie de quatre à dix syllabes, avec une préférence pour les vers de huit (petite ballade 8+8+8+4) ou de dix syllabes (grande ballade 10+10+10+5). Les formes courtes (octosyllabiques) sont, en général, préférées au moyen-âge, pour la légèreté qu’elle donne à l’ensemble.

Une difficulté supplémentaire consiste à faire des couplets carrés, c’est à dire des strophes qui font, en longueur (en nombre de vers), le même nombre de syllabes qu’il y a dans un vers. (huit vers pour les octosyllabes, dix pour les décasyllabes, etc) Pour le reste, les ballades sont, en général, composées sur trois ou quatre rimes qui reviennent d’un couplet à l’autre. Pour des raisons harmoniques, l’envoi est construit sur les mêmes rimes que celles qui servent à former les couplets. Du point de vue de l’alternance  à l’intérieur des couplets de la ballade, les rimes obéissent à des règles assez rigoureuses. Exemples : vers octosyllabiques (abab/cdcd), décasyllabiques (ababb/ccdcd).

Même si la ballade demeure une forme fixe, du fait de son évolution dans le temps, on en trouve de nombreuses variantes connues et tolérées et qui entrent dans sa définition.


Faire des ballades après la Pléiade

« Lis donc et relis premièrement, ô poète futur, feuillette de main nocturne et journelle les exemplaires Grecs et Latins ; puis me laisse toutes ces vieilles poésies françaises aux Jeux Floraux de Toulouse et au Puy de Rouen comme rondeaux, ballades, virelais, chants royaux, chansons et autres telles épiceries qui corrompent le goût de notre langue. »
Joachim du Bellay  Défense et illustration de la langue françoyse (1549)

Après le XVe siècle et Clément Marot, dans le courant du XVIe, la ballade est quelque peu passée de mode. mais on l’y a aussi un peu aidé. On se souvient que, tirant un trait sur quelques siècles de poésies et de littérature française, Joachim du Bellay avait, en effet, expliqué à ses contemporains qu’il fallait à jamais la reléguer  au rang des poésies de bas-étage. A l’écouter, cette forme et, avec elle à peu de choses près, toutes celles qui lui étaient contemporaines (virelais, lais et autres rondeaux, et…) auraient même « corrompu » le goût de notre belle langue et, à tout le moins, la sienne. L’heure était donc à l’ode et au sonnet, poesie_ballade_medievale_theodore_de_banville_XIXe_celle de la ballade avait sonnée (Laurent Ruquier sors de ce corps) et avec elle, l’heure du moyen-âge ce que la plupart des historiens ont d’ailleurs fini par entériner. Moquée encore dans le courant du XVIe siècle par Molière, la ballade n’avait pourtant pas tout à fait dit son dernier mot, pas d’avantage que les auteurs de la Pléiade n’avaient réussi, par une simple pirouette, à faire disparaître le legs poétique du moyen-âge, sa riche histoire littéraire, et encore moins la puissance évocatrice de son monde.

Bien qu’ayant pratiquement disparu, la ballade résista encore un peu au XVIIe sous la plume de Jean de La Fontaine, et (on le verra plus loin), elle connut à partir du XVIIIe un nouveau regain d’intérêt sous la plume des auteurs romantiques. Plus tard, on s’en souvient, dans la deuxième moitié du XIXe Théodore de Banville  (portrait ci-contres’évertua, à la tête des parnassiens, à faire revivre ses formes originelles avec une grande dextérité.

Nous avions déjà souligné les références explicites de cet auteur à la poésie de Villon dans certaines de ses poésies. Au delà des rigueurs de la forme toute médiévale de cette grande ballade que nous partageons ici de lui, on sera frappé de constater de grandes similitudes de ton et de vocabulaire (sans aucun doute volontaires) avec certaines ballades issues de la plume d’Eustache Deschamps,  quatre siècles avant lui.


Ballade de fidélité à la Poésie

Chacun s’écrie avec un air de gloire:
A moi le sac, à moi le million!
Je veux jouir, je veux manger et boire.
Donnez-moi vite, et sans rébellion,
Ma part d’argent; on me nomme Lion.
Les Dieux sont morts, et morte l’allégresse,
L’art défleurit, la muse en sa détresse
Fuit, les seins nus, sous un vent meurtrier,
Et cependant tu demandes, maîtresse,
Pourquoi je vis? Pour l’amour du laurier.

O Piéride, ô fille de Mémoire,
Trouvons des vers dignes de Pollion!
Non, mon ami, vends ta prose à la foire.
Il s’agit bien de chanter Ilion!
Cours de ce pas chez le tabellion.
Les coteaux verts n’ont plus d’enchanteresse;
On ne va plus suivre la Chasseresse
Sur l’herbe fraîche où court son lévrier.
Si, nous irons, ô Lyre vengeresse.
Pourquoi je vis? Pour l’amour du laurier.

Et Galatée à la gorge d’ivoire
Chaque matin dit à Pygmalion:
Oui, j’aimerai ta barbe rude et noire,
Mais que je morde à même un galion!
Il est venu, l’âge du talion:
As-tu de l’or? voilà de la tendresse,
Et tout se vend, la divine caresse
Et la vertu; rien ne sert de prier;
Le lait qu’on suce est un lait de tigresse.
Pourquoi je vis? Pour l’amour du laurier.

Envoi.

Siècle de fer, crève de sécheresse;
Frappe et meurtris l’Ange à la blonde tresse.
Moi, je me sens le coeur d’un ouvrier
Pareil à ceux qui florissaient en Grèce.
Pourquoi je vis? Pour l’amour du laurier.

Théodore de Banville – 1861


« Ballade » romantique  et attraits
du moyen-âge  au XVIIIe, XIXe siècles

Au XIXe et même au siècle précédent, Théodore de Banville n’est pourtant pas le seul à revendiquer une inspiration en provenance du moyen-âge et à faire revivre les « ballades » même si les auteurs concernés le font avec bien moins de rigueur que lui dans les formes et même si leurs « ballades » demeurent surtout médiévales par leur nature évocatrice. Dès le XVIIIe siècle, on retrouve ces tendances chez certains auteurs romantiques allemands et anglais comme poesie_ballade_romantique_attrait_monde_medieval_goetheBürger, Goethe (portrait ci contre), Christabel, ou encore Coleridge. Elles sont la marque d’un renouveau littéraire dont le moyen-âge devient le fer de lance et le symbole tout indiqué.

Comme nous le disions plus haut,  ces « ballades » n’ont pas les rigueurs, ni les formes de leur ancêtre médiévale : on n’y respecte pas nécessairement, les métriques, le refrain  ou l’envoi et on pourrait presque se demander si le terme de ballade n’est pas finalement galvaudé. Pour autant et sur le fond, le monde médiéval est loin d’y constituer simplement un décor de carton pâte. L’inspiration souvent gothique et fantastique de ces romantiques s’exerce à travers des légendes ou des quêtes empruntées la la période médiévale, qui en sont inspirées ou qui l’évoquent. Au delà,  le mouvement se pose aussi comme une volonté de retour à une certaine littérature « primitive » mais, en se tournant vers un moyen-âge « des racines », reconnu comme point de référence historique et fondateur, ses auteurs lui redonnent, du même coup, de véritables lettres de noblesse.

« La ballade, qui se veut l’écho de la poésie populaire, intègre des thèmes nouveaux, au cœur des préoccupations des romantiques : le merveilleux, le fantastique, les superstitions et les mythes médiévaux. Elle crée donc un nouveau genre propre au romantisme. Son rapport avec la poésie du Moyen Âge reste lointain, mais ce qui importe surtout, c’est cette volonté de filiation, même si elle reste éminemment artificielle. »
Renaissance d’une forme poétique, la ballade,
Le Moyen-âge des romantiques,
 Isabelle Durand-Le-Guern

poesie_ballade_medievale_victor_hugo_XIXe_Ce mouvement se poursuit au début du XIXe siècle et, en France, Victor Hugo lui-même attiré par le monde médiéval et ce nouveau genre, s’en fera l’écho dans ses poésies de jeunesse, avec ses « odes et ballades » publiés en 1828 . Du point de vue des thèmes abordés, il puisera souvent directement son inspiration dans le moyen-âge (tournoi, belle qui attend son chevalier, valeurs chrétiennes, valeurs guerrières, etc…). Quant au style, en plus du recours à un vocabulaire évocateur de cette période, même si on ne retrouvera pas non plus chez lui les formes fixes de la ballade médiévale telles que définie plus haut, il se pliera au moins aux métriques pour renforcer les références autant que l’effet d’immersion : quatrains, vers courts, vers octosyllabiques.


« … Oui, je crois, quand je vous contemple,
Des héros entendre l’adieu ;
Souvent, dans les débris du temple,
Brille comme un rayon du dieu.
Mes pas errants cherchent la trace
De ces fiers guerriers dont l’audace
Faisait un trône d’un pavois ;
Je demande, oubliant les heures,
Au vieil écho de leurs demeures
Ce qui lui reste de leur voix.

Souvent ma muse aventurière,
S’enivrant de rêves soudains,
Ceignit la cuirasse guerrière
Et l’écharpe des paladins ;
S’armant d’un fer rongé de rouille,
Elle déroba leur dépouille
Aux lambris du long corridor ;
Et, vers des régions nouvelles,
Pour hâter son coursier sans ailes,
Osa chausser l’éperon d’or. »

Victor Hugo – La Bande Noire – Odes & Ballades –  1828


Du point de du vue du contenu, s’il cherchera à faire renaître l’image du « moyen-âge des troubadours », Hugo versera aussi, par endroits, dans un moyen-âge gothique et fantastique totalement assumé. Nous sommes finalement dans le champ d’un monde médiéval « recomposé » tel que l’étudie le médiévalisme. A travers ses évocations, il sera bien question de « reconstruction ». Là encore, la prétention ne sera pas d’opérer une plongée dans le moyen-âge historique et réaliste, mais bien d’y chercher un point de référence, des racines fortes auxquelles se rattacher et s’identifier. (1)

Au delà de la ballade

Quelques siècles après les auteurs de la Pléiade, Du Bellay en tête, le mépris assumé de la ballade et des formes poétiques médiévales en général, n’aura pas suffi à en ternir la référence, de même que les auteurs renaissants ne seront parvenus à éteindre à jamais la fascination qu’exerce et qu’exercera le Moyen-âge dans les siècles qui leur succéderont. Au fond, on peut même se demander si à vouloir en repousser à toute force le spectre sous couvert d’ignorance crasse et d’obscurantisme, ils n’ont pas été ceux qui ont le mieux contribué à en renforcer inévitablement l’attrait pour les auteurs des siècles suivants, de même qu’ils ont en partie œuvrer à le créer chez les historiens. Qui sait si ses détracteurs ne lui ont pas au fond permis de renaître plus fort encore au XIXe et aux siècles suivants ?

Pour échapper la sophistication et aux règles des formes classiques, les romantiques des XVIIIe et XIXe siècle tenteront de revenir à une poésie épurée et aux formes simples qui renouvelle les genres mais qui soit aussi un support d’identification doté de thèmes forts et évocateurs, propices à l’évasion romantique et onirique. Or, presque naturellement, c’est bien dans le moyen-âge que nombre d’entre eux iront trouver les sources de leur nouvelle inspiration, dans ce monde médiéval lointain et pourtant si proche, qui évoque quelque chose deco_medievale_enluminures_moine_moyen-agede nos racines et qui est aussi à la fondation de références partagées et de mythes qui font sens pour les sociétés européennes des XVIIIe, XIXe. Nous sommes sans doute ici au delà du simple far-west ou  western, cher à Georges Duby.

Force est de constater qu’en dépit des efforts soutenus du siècle des lumières, dans la lignée d’un Du Bellay, on ne peut rayer d’un trait de plume mille ans d’histoire écrite dans l’inconscient collectif. D’ailleurs, il semble bien que ce goût pour le moyen-âge ait survécu depuis, à son rythme et jusqu’à nos jours. L’ère de la post industrialisation l’a même peut-être encore renforcé par endroits et grossi de nouvelles représentations.

Avec ses légendes, ses bestiaires, avec ses gargouilles en cohorte qui nous mirent depuis les hauteurs de leurs cathédrales, avec sa camarde qui danse dans un dialogue perpétuel avec les hommes, avec ce monde spirituel si intriqué dans le quotidien de l’homme médiéval et, avec lui, son lot d’émotions fortes, de peurs presque « primales », avec ses superstitions, sa magie, ses mystères et ses « miracles » encore, le monde médiéval porte en lui la graine du merveilleux et du fantastique. Il l’a toujours portée et ce n’est pas mystère si les romantiques du XVIIIe siècle y ont catalysé leur inspiration. De même qu’il n’est pas étonnant que ce Moyen-âge gothique et fantastique, peuplé de créatures effrayantes, magiques et étranges dont ils ont fait un genre et qu’ils ont aussi alimenté, ait perduré jusqu’à nos jours,  porté encore plus loin dans le courant du XXe siècle par des auteurs comme JRR Tolkien.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.


Sources

(1) Pour plus de détails sur ses aspects, voir l’article très complet d’Isabelle Durand-Le-Guern qui nous a servi de guide ici :  Renaissance d’une forme poétique, la balladeLe Moyen-âge des romantiques, (2001)

Odes & Ballades – Victor Hugo  (1828)
– Poésies morales et historiques d’Eustache DeschampsCrapelet  (1832)
Trente-six ballades joyeuses de Théodore de Banville (1890)
 –  Défense et illustration de la langue françoyse,  J du Bellay  (1549)
 Ballade,  Claude Thiry,   Universalis

Saadi, Marot, contes et poésies croisés sur l’Erémitisme médiéval

gullistan_sagesse_medievale_persane_saadi_jardin_rose_moyen-age_centralSujet : contes moraux, sagesse, poésie politique, morale, persane, citation médiévale. ermite, érémitisme. epigramme, conte persan
Période : moyen-âge central à tardif.
Auteur : Mocharrafoddin Saadi  (1210-1291), Clément Marot (1496-1544)
Ouvrage : Gulistan, le jardin des roses.

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nour partageons une nouvelle historiette de Mocharrafoddin Saadi, tirée de son célèbre Gulistan et, contre toute attente, nous la croisons même avec d’autres vers de Clément Marot, à près de trois siècles d’intervalles.

Ces vers du conteur persan sont cités dans le cadre d’une parabole sur l’amitié et sur la séparation, mais ce qui nous intéresse ici c’est qu’il nous parle de la figure de l’ermite retiré dans ses montagnes et de ses motivations à fuir les tentations du monde (notamment celles de la chair et de l’amour), en nous gratifiant au passage d’une jolie métaphore.

citation_saadi_sagesse_persane_ermite_eremistisme_moyen-age_monde_medieval_XIIIe_siecle

J’ai vu dans un endroit montagneux un grand personnage, qui, de toutes les choses de ce monde, se contentait d’une caverne :
 
 » Pourquoi, lui dis-je, ne viens tu pas a la ville? Car tu enlèverais de dessus ton coeur le fardeau qui le tient captif. »

Il répondit :

 » Il y a là des beautés à visage de fée et gracieuses : quand la boue est épaisse, les éléphants glissent. »

Autre temps, autre culture et religion, autres moeurs, quelques siècles plus tard, dans l’Europe du moyen-âge tardif et de la renaissance, on retrouvera deux épigrammes de Clément Marot faisant étonnamment écho au conte de Saadi. A la manière habituelle du poète de Cahors, le ton sera nettement plus vert, pourtant le fond restera le même au moins quant à la motivation de ses ermites. Sur le versant moral, rien n’est moins sûr, il est difficile de mesurer l’humour dans les vers de Saadi, mais, dans le contexte, il semble tout de même plutôt mettre en exergue une forme de sagesse de la part de son ami que de moquer le sérieux de ses motivations.

Sans bien sûr vouloir limiter à cette seule idée commune aux deux poètes, les raisons de coeur ou d’esprit qui ont pu  et peuvent encore pousser les hommes à se retirer du monde et sans non plus prétendre tirer ici de grandes et profondes déductions de ce rapprochement, il demeure amusant de mettre en miroir ces deux textes qui se renvoient l’un à l’autre à travers les siècles. Au passage, on pourrait sans nul doute trouver de semblables paraboles du côté du bouddhisme et de sa tradition d’érémitisme.

Pour une mommerie de deux hermites. Clément Marot

LE PREMIER HERMITE.

Sçavez vous la raison pourquoy
Hors du monde je me retire
En un hermitage à recoy ?
Sans faulte je vous le veulx dire :
Celle que tant j’ayme et desire,
En lieu de me reconforter,
Toujours ce cul arriere tire ;
Le diable la puisse emporter.

L’AUTRE HERMITE.

Je m’en voys tout vestu de gris
En un boys ; là je me confine
Au monde aussi bien j’amaigris ;
M’amye est trop dure ou trop fine ;
Là vivray d’eau et de racine,
Mais, par mon ame, il ne m’en chault ;
Cela me sera medecine
Contre mon mal, qui est trop chauld.

Clément Marot  – Epigrammes

La figure de l’ermite
dans l’occident médiéval

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour en dire deux mots, si la figure (également biblique) de l’ermite a largement alimenté l’occident chrétien médiéval et sa littérature, l’église s’est rapidement élevée contre ces solitaires difficilement contrôlables et qui, de surcroît, mettaient quelquefois leur vie en jeu, en s’exposant, par leur choix de s’isoler, dans un monde médiéval loin d’être sûr et sécurisé, aux dangers du brigandage et autres intolérances, meurtres même quelquefois, etc, . Durant la période  mérovingienne, nombre d’homicides commis notamment à l’encontre de femmes ermites pousseront même Rome à leur en interdire formellement la pratique. L’émergence des récluses et réclusoirs, cette forme d’isolement volontaire en cellule,  contre l’érémitisme au grand air et ses dangers en est une des conséquences.

Qu’ils soient femmes ou hommes, si l’église a lutté pour en contrôler et même en prohiber la pratique, en tentant notamment de les intégrer dans des structures, des institutions, des réclusoirs ou des monastères, la littérature et la culture populaire semble, quant à elle, avoir apprécié les ermites. Il reste au fond une figure biblique deco_medieval_moyen-age_chretiensynonyme de renoncement, de sagesse et d’un certain courage. Du côté des textes religieux et des hagiographies, la vie des saints n’est non plus exempte d’expériences de ce type. Même s’il demeure difficile de mesurer la réalité du phénomène et encore moins de le quantifier, le haut moyen-âge semble en avoir connu un grand nombre. Il en existe des sédentaires ou des errants et on trouve encore des moines qui se retirent de la vie collective pour des périodes d’isolement « relatives » et plus ou moins longues.

Dans de nombreux cas encore, l’ermite ne vit pas seul et on le retrouve entouré ou en petits groupes qui quelquefois enflent avec le temps. Disant cela, on ne peut s’empêcher de penser à l’ironie de l’histoire de Saint-Benoit dérangé dans sa retraite solitaire par des disciples désireux de le suivre et qu’il finit par accepter, pour se voir bientôt tenter d’être empoisonné par eux.

« Sous les Carolingiens, la force du pouvoir politique s’était assuré le contrôle de la société, mais quand cette puissance se désintégra, les peuples fraîchement (et superficiellement) convertis retournèrent à leurs pratiques, dans le même temps que la vie morale du clergé sombrait dans la luxure, la simonie et le nicolaïsme… »
L’ermite au Moyen Age : Erémitisme et anachorèse,  par Marie-Geneviève Grossel, Maître de conférence à l’Université de Valenciennes

deco_medieval_moyen-age_chretienDans le courant des IXe et Xe siècle, au morcellement de l’empire carolingien et suivant cette déliquescence dont nous parle l’historienne médiéviste Marie-Geneviève Grossel dans un excellent article sur le sujet qui nous sert ici de guide, le phénomène de l’érémitisme reculera  pour connaître un nouveau regain dans le courant des XI et XIIe siècles.

« Pourtant devant la décadence qui avait frappé les plus prestigieux établissements religieux en raison de la mainmise des puissants, devant le relâchement du clergé, la violence, la misère des temps, le temps des réformes et du renouveau allait être annoncé par une véritable floraison d’ermites. » Opus cité

On renouera alors notamment avec le monachisme bénédictin des origines et pour un nombre choisi d’ermites, l’isolement sera même une étape pour fonder de nouveaux ordres religieux.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.