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« Amours & ma Dame aussi », un rondeau amoureux du trouvère Adam de La Halle

Sujet : musique, chanson, médiévale, vieux français, trouvère d’Arras,  chant polyphonique, rondeau, amour courtois, langue d’oïl, courtoisie.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Auteur :  Adam de la Halle (1235-1285)
Titre : Amours et ma dame aussi
Interprète : Ensemble Micrologus
Album: 
Adam de la Halle : Le Jeu de Robin et Marion (2004)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons la découverte d’une nouvelle pièce du trouvère Adam de la Halle. Cet auteur compositeur prolifique du XIIIe siècle, nous a légué une œuvre abondante et variée qui a fait de lui, plus que « le dernier des trouvères » comme on l’a souvent appelé, un des premiers compositeurs en langue d’oïl de la France médiévale.

Un rondeau courtois à mains jointes

La chanson médiévale du jour a pour titre « Amours et ma dame aussi« . Il s’agit d’un rondeau polyphonique à 3 voix et donc d’une pièce courte. Dans le registre profane, elle nous offre un nouvel échantillon de la lyrique courtoisie du trouvère d’Arras.

Sur le fond, le contenu de ce rondeau reste simple et épuré. Le poète a aperçu la grande beauté d’une dame et son cœur en a été transpercé. Désormais, il est condamné à implorer cette dernière, mais aussi « Amour », autrement dit, le sentiment amoureux personnifié auquel les troubadours et les trouvères ne cessent de s’adresser directement. Que l’un ou l’autre veuillent bien lui accorder miséricorde et le délivrer de cet aiguillon ardent qui l’a enchaîné d’un seul regard, car si la belle n’accepte de lui céder, il lui faudra souffrir le martyre d’amant courtois : incapable de se soustraire à l’emprise de la dame, ce sera alors un bien funeste jour que celui où il aura découvert sa beauté.

Sources manuscrites médiévales

On pourra retrouver ce rondeau avec sa partition ancienne dans le manuscrit médiéval ms Français 25566. Cet ouvrage ancien mêle partitions, chansons et autres pièces littéraires des XIIe et XIIIe siècles. Il est également connu sous le nom de chansonnier W. Daté de la fin du XIIIe ou des débuts du XIVe siècle, il est originaire de la cité d’Arras qui a donné naissance, durant cette période du Moyen Âge central, à de nombreuses vocations artistiques.

L’œuvre d’Adam de la halle tient une place de choix dans ce manuscrit d’époque entre chansons, rondeaux, motets, mais encore pièces de théâtre. Avec plus de 280 feuillets, cet ouvrage enluminé et annoté musicalement permet aussi au trouvère d’Arras de côtoyer un grand nombre d’autres auteurs de cette période dont Jean Bodel, Richard de Fournival, Huon de Méri, Baudouin de Condé.

Le rondeau d'Adam de la Halle dans le manuscrit médiéval Français 25566 de la BnF.
Le rondeau du jour dans le manuscrit médiéval ms Français 25566 de la BnF (gallica.fr)

Une version de l’ensemble Micrologus

Pour l’interprétation en musique de la pièce du jour, nous avons penché pour la version de l’Ensemble Micrologus et sa belle orchestration.

Depuis sa fondation, dans le courant de l’année 1984, cette formation italienne dont la musicienne et chanteuse Patrizia Bovi est devenue l’une des figures emblématiques, s’est fait une spécialité des musiques du Moyen Âge. En privilégiant une approche ethnomusicologique, l’ensemble a produit pas moins de 36 albums, dont 26 collent au répertoire médiéval, pour une dizaine d’autres plus libres et expérimentaux. A l’occasion d’une carrière exceptionnelle qui fêtera bientôt ses 40 ans, le travail de Micrologus a été récompensé, à de nombreuses reprises, par des prix et mentions.

Adam de la Halle : Le Jeu de Robin et Marion, l’album

L'album de Micrologus sur Adam de la Halle et le jeu de Robin et Marion

En 2004, l’ensemble médiéval faisait paraître un album sur les pas d’Adam de la Halle. Sous le titre Adam de la Halle : Le Jeu de Robin et Marion et sur près de soixante minutes d’écoute, on y trouvait un mélange de nombreuses pièces du trouvère.

En terme de sources manuscrites, le ms Français 25566 y tenait une bonne place, aux côtés du codex de Montpellier H196, du codex Bamberg (Staatsbibliothek Bamberg Msc Lit 115) ou même encore du manuscrit du Roy (le ms français 844). A sa sortie, ce bel album fut largement salué par la scène médiévale et les revues spécialisées dans les musiques anciennes. Près de 20 ans après sa sortie, on peut encore le trouver édité chez Harmonia Mundi, à la commande chez votre disquaire préféré ou en ligne au lien suivant.

Membres de Micrologus présents sur cet album

Patrizia Bovi (voix, harpe gothique, instruments à vent), Adolfo Broegg (luth, guiterne), Gabriele Russo (viole, cornemuse, instrument à vent), Leah Stuttard (harpe médiévale et gothique), Goffredo Degli Esposti (chalemie, percussions, flute traversière, instruments à vent), Sofia Laznik-Galves (voix), Olivier Marcaud (voix), Mauro Borgioni (voix), Simone Sorini (voix), François Lazarevic (cornemuse), Luigi Germini (trompette), Gabriele Miracle (percussions).

La partition moderne du rondeau médiéval "Amours et ma dame aussi" de Adam de la Halle
« Amours et ma dame aussi » partition ancienne et moderne de ce rondeau du XIIIe siècle

Amours et ma Dame aussi*,
en langue d’oïl & en français actuel

Amours et ma Dame aussi,
Jointes mains vous proi merchi.
Votre grant biauté mar vi
Amours et ma Dame aussi.


Jointes mains vous proi merchi
Se n’avés pité de mi
Votres grant biautés mar vi
Amours et ma Dame aussi, etc.

Amours et ma Dame aussi,
J’implore votre grâce (miséricorde) à mains jointes
Hélas, pour mon malheur
(1), je vis votre grand beauté
Amours et ma Dame aussi.

Je vous implore à mains jointes
Si vous ne me prenez en pitié
Hélas, pour mon malheur, je vis votre grand beauté
Amours et ma Dame aussi, etc.


Notes

(1) mar : par malheur, mal à propos. On comprend bien la nature déguisée et la flatterie sous-jacente de la tournure.

* NB : ce rondeau est à rapprocher d’un autre rondeau très semblable d’Adam de la Halle. La parenté des deux pièces montrent bien la nature littéraire de l’exercice courtois :

A jointes mains vous proi,
Douche dame, merchi.
Liés sui quant (je) vous voi.
A jointes mains vous proi,

Ayez merchi de moi
Dame, je vous en pri.
A jointes mains vous proi,
Douche dame, merchi.



En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour Moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

Au XIIe siècle, une sextine du troubadour occitan Arnaut Daniel

Sujet  : musique, chanson médiévale, poésie, troubadour, manuscrit ancien, langue d’oc, occitan médiéval, sextine, trobar clus, trobar ric, courtoisie, amour courtois.
Période  : Moyen Âge central, XIIe et XIIIe s
Titre : Lo ferm voler qu’el cor mintra
Auteur : Arnaut Daniel (Arnautz) (1150-1210)
Interprète : Gérard Zuchetto
Album : Gérard Zuchetto chante les Troubadours des XIIe et XIIIe siècles » (1985)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous poursuivons notre exploration de l’œuvre d’Arnaut Daniel par l’étude d’une chanson de ce troubadour des XIIe-XIIIe siècles. Et quelle chanson ! puisqu’il s’agit, en effet, d’une sextine, forme poétique dont il fut l’inventeur et qui inspira, plus tard, de grands poètes de la renaissance italienne.

Trobar ric & Trobar clus

Si vous nous suivez depuis quelque temps déjà, vous avez dû nous suivre à l’étude de troubadours occitans du Moyen-âge et notamment de poésies qui, même une fois traduite, conservent des mystères impénétrables. C’est notamment le propre du Trobar Clus d’un Marcabrun qui se signe par sa difficulté d’approche, ses sous-entendus et ses sens cachés.

S’il ne se réclame pas directement de cette école, Arnaut Daniel en pratique une variante qu’on nomme « le trobar ric ». On a même fait de lui un de poètes les plus représentatifs de ce courant considéré comme proche du trobar clus en ce qu’il peut conduire au même résultat, en terme de difficultés d’interprétation. Le trobar ric se signe, en effet, par une recherche de formes sophistiquées qui peut rendre son résultat et ses images assez difficiles à percer. La pièce du jour vous en donnera un aperçu, mais avant d’en venir là, revenons à la sextine.

Qu’est-ce que la sextine ?

Pour redire un mot de cette forme poétique qui nécessite autant de rigueur que de virtuosité, il est donc question d’un poésie de six strophes de six vers, qui se termine par une demi-strophe de trois vers. Six mots-clés forment les rimes de la sextine. Cette dernière impose qu’ils reviennent à chaque nouvelle strophe mais ils doivent être permutés tout au long du poème, suivant un ordre précis.

Règles de permutations des rimes

Règle importante de la sextine, l’ordre des « mots-rimes » de la première strophe commande pour construire la seconde. En partant du principe qu’on numérote les six rimes de la première strophe, dans l’ordre des vers de 1 à 6, soit 1 2 3 4 5 6, les vers de la seconde strophe devront se terminer, dans l’ordre, suivant la séquence 6 1 5 2 4 3.

Pour les strophes suivantes, il existe plusieurs options. La plus simple est de considérer, pour chaque nouvelle strophe, que celle qui la précède réinitialise le compteur des rimes à 1 2 3 4 5 6. La strophe à écrire devra donc, à chaque fois, permuter l’ordre des mot-rimes de la strophe précédente pour retomber sur 6 1 5 2 4 3 et, ainsi de suite, jusqu’à la dernière strophe. La dernière strophe de trois vers contiendra, quant à elle, deux mots rimes par vers.

L’autre façon de procéder et qui aboutit au même résultat est de connaître l’ordre des séquences par rapport, cette fois, à l’ordre défini par les mots rimes de la première strophe. Cela suppose de mémoriser et de connaître toutes les séquences mais, en contrepartie, cela permet de mieux appréhender la subtilité de la construction spiralée de la sextine et l’enchaînement des permutations. Voilà ce que donne, dans l’ordre, pour chaque strophe : 123456 – 615243 – 364125 – 532614 – 451362 – 246531, ce qui donnerait a nouveau 123456 si une septième strophe existait.

Du reste, on notera que la séquence des mots rimes dans la demi-strophe d’envoi est de 12 34 56, à raison de deux par vers. Ainsi, la sextine s’enroule en quelque sorte sur elle-même en une forme qui n’a pas manqué de fasciner un certain nombre de poètes,longtemps après le troubadour Arnaut Daniel.

Une sextine de Ferdinand de Gramond

Pour être un peu plus concret sur le rendu de la sextine et sa mécanique sous-jacente, en voici un exemple emprunté à l’ouvrage Petit Traité de Poésie Française de Théodore de Banville (1871). Cette sextine en langue française est de la plume du comte Ferdinand de Gramond (1811-1897). Longtemps après Arnaut Daniel, ce poète et écrivain du XIXe siècle mit au point une nouvelle forme de la sextine, en se basant sur celles de Pétrarque (1304-1374) ; l’auteur du Moyen Âge tardif et du trecento italien s’était, lui-même, inspiré de notre troubadour du Moyen Âge.

Pour corser l’exercice, Ferdinand de Gramond ajouta à sa sextine française, des règles absentes de la version originelle d’Arnaut Daniel : la contrainte de l’alexandrin notamment mais encore d’autres difficultés liées à la nature des rimes : le premier, le troisième & le quatrième vers devaient rimer ensemble, de même que le second, le cinquième et le sixième vers. Cette sextine permettra de mieux comprendre le système des mots-rimes et leur permutation même si, comme on le verra, Arnaut Daniel s’était contenté de moins de pieds et de rimes plus simples dans la sienne.

L’étang qui s’éclaircit au milieu des feuillages, (1)
La mare avec ses joncs rubanant au soleil, (2)
Ses flottilles de fleurs, ses insectes volages (3)
Me charment. Longuement au creux de leurs rivages (4)
J’erre, et les yeux remplis d’un mirage vermeil, (5)
J’écoute l’eau qui rêve en son tiède sommeil. (6)

Moi-même j’ai mon rêve et mon demi-sommeil. (6)
De féeriques sentiers s’ouvrent sous les feuillages ; (1)
Les uns, en se hâtant vers le coteau vermeil, (5)
Ondulent, transpercés d’un rayon de soleil; (2)
Les autres indécis, contournant les rivages. (4)
Foisonnent d’ombre bleue et de lueurs volages. (3)

Tous se peuplent pour moi de figures volages (3)
Qu’à mon chevet parfois évoque le sommeil, (4)
Mais qui bien mieux encor sur ces vagues rivages (6)
Reviennent, souriant aux mailles des feuillages : (1)
Fantômes lumineux, songes du plein soleil, (2)
Visions qui font l’air comme au matin vermeil. (5)


C’est l’ondine sur l’eau montrant son front vermeil (5)
Un instant ; c’est l’éclair des sylphides volages (3)
D’un sillage argentin rayant l’or du soleil ; (2)
C’est la muse ondoyant comme au sein du sommeil (6)
Et qui dit : Me voici ; c’est parmi les feuillages (1)
Quelque blancheur de fée… O gracieux rivages ! (4)


En vain j’irais chercher de plus nobles rivages. (4)
Pactole aux sables d’or, Bosphore au flot vermeil, (5)
Aganippe, Permesse aux éloquents feuillages, (1)
Pénée avec ses fleurs, Hèbre et ses chœurs volages, (3)
Eridau mugissant. Mincie au frais sommeil (6)
Et Tibre que couronne un éternel soleil ; (
2)

Non, tous ces bords fameux n’auraient point ce soleil (2)
Que me rend votre aspect, anonymes rivages ! (4)
Du présent nébuleux animant le sommeil, (6)
Ils y font refleurir le souvenir vermeil (5)
Et sonner du printemps tous les échos volages (3)
Dans les rameaux jaunis non moins qu’aux verts feuillages.
(1)

Doux feuillages (1), adieu; vainement du soleil (2)
Les volages (3)
clartés auront fui ces rivages (4),
Ce jour vermeil (5)
luira jusque dans mon sommeil (6).

Sextine de Ferdinand de Gramond
Petit Traité de Poésie Française, T de Banville (1871)

Une histoire courtoise d’oncle et d’ongle

Les contraintes de la sextine assimilées, revenons maintenant à celle d’Arnaut Daniel. Du point de vue thématique, cette chanson médiévale nous place dans le registre courtois cher à notre troubadour ; à l’exception d’un texte humoristique plutôt scatologique, la majorité de son œuvre gravite, en effet, autour du sentiment amoureux et de la lyrique courtoise.

On retrouvera donc dans cette sextine, le thème du loyal amant et de son engagement. Arnaut Daniel y abordera aussi l’inévitable question des médisants qui, sans relâche, cherchent à mettre des bâtons dans les roues des amants courtois et se dressent pour empêcher la réalisation de leurs projets. Toutefois, il faudrait plus que quelques mauvaises langues pour décourager notre poète amoureux ; sourd à toutes les recommandations de frères comme d’oncles (oncle), il compte bien faire corps avec sa maîtresse comme chair et ongle (ongla). Et son cœur doive-t-il supporter douleur plus cuisante que des coups de verges (verja) face à l’indifférence de la dame, son âme (arma) maintiendra son vœu de fin’amor. Dans l’attente, sûr que sa loyauté lui vaudra bientôt, le salut, Arnaut rêve, fébrile, de voir s’entrouvrir la porte de cette chambre (cambra) où nul jamais n’entre (intra).

Pour retomber sur nos pattes, et dans l’ordre d’apparition, voici donc les six mots rimes de cette sextine : intra (1)- ongla (2)- arma (3)- verja (4)- oncle (5)- cambra (6). Comme nous le disions plus haut, on ne saisira, sans doute pas, toutes les nuances de cette poésie à demi-hermétique, du fait de ses exigences de forme auxquelles s’ajoute aussi la distance temporelle et contextuelle qui nous sépare du pays d’Oc médiéval. Aussi, consolons-nous, même avec l’aide du romaniste et érudit occitan Pierre Bec pour la traduction, il demeurera quelques zones d’ombres auxquelles nous devrons nous résoudre ; mais il faut bien que l’art des troubadours occitans conserve quelques mystères et quelques références insaisissables pour continuer de nous fasciner.

Sources & partition de cette chanson médiévale dans le Chansonnier occitanl G

Les partitions musicales du troubadour Arnaut Daniel dans les manuscrits médiévaux
Les partitions musicales d’Arnaut Daniel dans le manuscrit médiéval R71 sup

Malgré la pléthore de manuscrits qui font état de l’œuvre d’Arnaut Daniel, seules les mélodies de deux de ses chansons nous sont parvenues. La bonne nouvelle est que la sextine du jour en fait partie. L’autre pièce dont la notation musicale nous a également été restituée est la chanson Chanzo dol. moz son pian eprim.

Ses deux partitions (photo ci-dessus) se trouvent dans le manuscrit médiéval R 71 sup de la bibliothèque Ambrosienne de Milan, en Italie. Connu également sous le nom de Chansonnier provençal G (canzionere provenzale G), cet ouvrage daté du dernier tiers du XIIIe siècle contient, sur 141 feuillets, de nombreuses pièces de troubadours occitans notées musicalement. On peut le consulter en ligne sur le site de la Bibliothèque milanaise. Notre auteur y apparaît sous le nom de Nardnard daniel.

Gérard Zuchetto & les troubadours occitans

Pour l’interprétation musicale de la chanson du jour, nous avons choisi une version de Gérard Zuchetto. Elle est tirée de l’album « Gérard Zuchetto chante les Troubadours des XIIe et XIIIe siècles » enregistré en 1985. Le talentueux musicien et chanteur, passionné de longue date par l’art des troubadours, y était entouré de deux complices : Patrice Brient, à la vièle à archet et à la citole et Jacques Khoudir, à la derbouka et aux percussions. Il en résulte une version plutôt minimaliste du point de vue de l’orchestration qui a l’avantage de laisser une belle place au chant et au texte de l’auteur de la fin du XIIe siècle.

Cet album peut s’avérer un peu difficile à débusquer mais vous pourrez également retrouver cette pièce dans le volume 2 de La Tròba. Cette anthologie des Troubadours XIIe et XIIIe siècles, signée de Gérard Zuchetto & son Troubadours Art Ensemble réunit une vie entière de recherche sur le sujet.

Cette œuvre complète autour de l’art des troubadours est réédité régulièrement par les Editions Troba Vox, maison d’édition de l’artiste. Sa dernière mouture date de 202. Elle comprend un ouvrage détaillé de plus de 800 pages pour près de 300 chansons occitanes médiévales, accompagnées de leur traduction. Vous pouvez commander cette production chez votre meilleur disquaire. Elle est aussi disponible en ligne au lien suivant.


Lo ferm voler qu’el cor m’intra
dans son Occitan médiéval

Lo ferm voler qu’el cor m’intra
no’m pot ges becs escoissendre ni ongla
de lauzengier qui pert per mal dir s’arma;
e pus no l’aus batr’ab ram ni verja,
sivals a frau, lai on non aurai oncle,
jauzirai joi, en vergier o dins cambra.

Quan mi sove de la cambra
on a mon dan sai que nulhs om non intra
-ans me son tug plus que fraire ni oncle-
non ai membre no’m fremisca, neis l’ongla,
aissi cum fai l’enfas devant la verja:
tal paor ai no’l sia prop de l’arma.

Del cor li fos, non de l’arma,
e cossentis m’a celat dins sa cambra,
que plus mi nafra’l cor que colp de verja
qu’ar lo sieus sers lai ont ilh es non intra:
de lieis serai aisi cum carn e ongla
e non creirai castic d’amic ni d’oncle.

Anc la seror de mon oncle
non amei plus ni tan, per aquest’arma,
qu’aitan vezis cum es lo detz de l’ongla,
s’a lieis plagues, volgr’esser de sa cambra:
de me pot far l’amors qu’ins el cor m’intra
miels a son vol c’om fortz de frevol verja.

Pus floric la seca verja
ni de n’Adam foron nebot e oncle
tan fin’amors cum selha qu’el cor m’intra
non cug fos anc en cors no neis en arma:
on qu’eu estei, fors en plan o dins cambra,
mos cors no’s part de lieis tan cum ten l’ongla.

Aissi s’empren e s’enongla
mos cors en lieis cum l’escors’en la verja,
qu’ilh m’es de joi tors e palais e cambra;
e non am tan paren, fraire ni oncle,
qu’en Paradis n’aura doble joi m’arma,
si ja nulhs hom per ben amar lai intra.

Arnaut tramet son chantar d’ongl’e d’oncle
a Grant Desiei, qui de sa verj’a l’arma,
son cledisat qu’apres dins cambra intra


Une traduction en français actuel de Pierre Bec

Ce vœu sûr qui, dans le cœur, m’entre
Nul bec ne peut le déchirer, ni ongle
De médisant qui en parlant mal perd son âme ;
Car il n’ose le battre ni par branche ni par verge,
Du moins en secret, là où il n’y a pas d’oncle,
Je jouirai de ma joie en verger ou en chambre.

Quand je me souviens de la chambre
Où à mon dam je sais que personne n’entre
Tant me touchent plus que frère et oncle,
Nul membre n’ai qui ne tremble, ni d’ongle,
Ainsi le fait l’enfant devant la verge :
Telle est ma peur de l’avoir trop dans l’âme.

Puisse-t-elle de corps, non de l’âme,
Me permettre de venir en secret dans sa chambre !
Car plus me blesse au cœur que coups de verge
Celui qui la sert là où elle est ne rentre :
Toujours je serai pour elle comme chair et ongle
Et ne prendrai conseil d’ami ni d’oncle.

Et jamais la sœur de mon oncle
Je n’aimai plus ni tant, de par mon âme !
Et si voisin comme l’est le doigt de l’ongle,
S’il lui plaisait, je voudrais être dans sa chambre ;
Plus peut Amour qui dans le cœur me rentre
Mieux à son vouloir me faire fort de frêle verge.

Depuis que fleurit la sèche verge
Et que le seigneur Adam légua neveux et oncles,
Si fin’amor dans le cœur me rentre
Comme ne le fut jamais en corps ni en âme ;
Où qu’elle soit, dehors ou dans sa chambre,
Mon cœur y tient comme la chair à l’ongle.

Car ainsi se prend et s’énongle
Mon cœur en elle ainsi qu’écorce en verge ;
Elle est de joie tour et palais et chambre,
Et je n’aime autant frère, parent ni oncle :
Au paradis j’aurai deux fois joyeuse l’âme,
Si jamais nul, de bien aimer, n’y entre.

Arnaut envoie sa chanson d’ongle et d’oncle,
A celle qui de sa verge a pris l’âme,
Son Désiré, dont le Prix en chambre entre.

Fin’Amor et folie du verbe – Arnaut Daniel, Pierre Bec, ed Fédérop (2012)


En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes


NB : sur l’image en-tête d’article, vous retrouverez deux enluminures d’Arnaut Daniel dans les manuscrits médiévaux, Ms Français 854 (chansonnier provençal I) et Ms Français 12473 (chansonnier provençal K) tous deux conservés au département des manuscrits de la BnF et consultables en ligne sur Gallica.

Le rondeau joyeux d’un amant amoureux par Adam de la Halle

Sujet : musique, chanson, médiévale, vieux français, trouvère d’Arras,  chant polyphonique, rondeau, amour courtois, langue d’oïl, courtoisie.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Auteur :  Adam de la Halle (1235-1285)
Titre : Bonne amourete me tient gai
Interprète : Ensemble Sequentia
Album: 
Trouvères, chants d’amour courtois des pays de langue d’Oil (1987)

Bonjour à tous,

ous repartons, aujourd’hui, au XIIIe siècle et dans le nord de France, pour y découvrir un nouveau rondeau courtois d’Adam de la Halle. Ce célèbre trouvère qu’on trouve aussi référencé dans les manuscrits comme le bossu d’Arras, est considéré comme un des derniers trouvères. Il préfigure, en effet, par son œuvre à la fois monodique et polyphonique, les premiers compositeurs du Moyen Âge central et nous a laissé des pièces variées qui sont encore jouées, de nos jours, par les meilleurs ensembles médiévaux.

Un rondeau courtois plein de légèreté

La chanson du jour est un nouveau rondeau polyphonique courtois. On y trouvera le poète tout en joie d’être en amour et d’avoir trouvé une compagne. La pièce est courte, rondeau oblige, et bien qu’elle soit dans la vieille langue d’Oïl d’Adam de la Halle quelquefois un peu ardue, sa compréhension ne pose guère de difficultés.

La chanson Bonne Amourette d'Adam de la Halle dans le Chansonnier médiéval W ou MS Français 25566.

Pour ce qui est des sources manuscrites, nous avons choisi de vous présenter ce rondeau courtois tel qu’on le trouve dans le manuscrit médiéval Français 25566 de la BnF, connu également sous le nom de chansonnier français W. Sur plus de 280 feuillets, cet ouvrage originaire d’Arras et daté du XIVe siècle contient un grand nombre de pièces, entre chansons notées et pièces littéraires d’auteurs divers. Vous pouvez le consulter, à tout moment, sur le site Gallica.fr.

Les grands trouvères des XIIIe et XIVe siècles
par l’ensemble Sequentia

Bonne Amourette d’Adam de la Halle, par l’ensemble Sequentia

Une fois de plus, nous avons choisi, pour l’interprétation musicale de ce rondeau, l’incontournable double-album « Trouvères, Höfische Liebeslieder Aus Nordfrankreich (Trouvères : chants d’amour courtois des pays de langue d’Oil) de l’Ensemble médiéval Sequentia, sous la houlette de Benjamin Bagby et de Barbara Thornton.

Le double-album Trouvères de l'ensemble médiéval Sequentia.

Enregistré en 1982 et sorti au format CD en 1987, ce double opus et ses 43 pièces continuent de faire référence en matière de musique médiévale des XIIIe et XIVe siècles. Comme nous lui avions déjà dédié un long article, nous vous invitons à vous y reporter pour en savoir plus sur cette anthologie musicale.

Bien qu’il ait été réédité chez Sony en 2009, ce double-album peut s’avérer un peu difficile à trouver. Pour le débusquer, quelques recherches seront donc à prévoir chez votre disquaire préféré. En ligne, il est disponible sur un certain nombre de plateformes, au format MP3. Voici un lien utile pour plus d’informations.

Musiciens & artistes ayant participé à cet album

Barbara Thornton (voix, chifonie), Benjamin Bagby (voix, harpe, organetto), Margriet Tindemans (violon, psaltérion), Jill Feldman (voix), Guillemette Laurens (voix), Candace Smith (voix), Josep Benet (voix), Wendy Gillespie (violon, luth).

Les partitions anciennes et modernes de la chanson médiévale "Bonne amourette" du trouvère Adam de la Halle.

Bonne amourete me tient gai
dans le vieux français d’Adam de la Halle

Bonne amourete
Me tient gai ;
Ma compaignete
* ;
Bonne amourete,
Ma cançonnete
Vous dirai.
Bonne amourete
Me tient gai.

*compaignete : petite compagne


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Manuscrit de bayeux : Un épérvier pour un loyal amant

Sujet  : musique, chanson médiévale, poésie médiévale, renaissance, courtoisie, amour courtois, épervier, symbole, manuscrit médiéval, fauconnerie, autourserie, fine amor, fin’amant
Période  : Moyen Âge tardif, Renaissance,
Auteur : Anonyme (XVe siècle)
Titre : Ung espervier venant du vert boucaige
Manuscrit : Manuscrit de Bayeux (1505-1510) et version de Théodore Gerold pour la graphie moderne (1921)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous partons pour les tout débuts du XVIe siècle et l’aube de la renaissance pour y découvrir une chanson courtoise tirée du manuscrit de Bayeux.

Nous avons déjà eu l’occasion de partager, ici, un certain nombre de chansons issues de ce bel ouvrage d’époque. Réalisé pour Charles III, duc de bourgogne, ce manuscrit ancien contient plus de 102 chansons notées en provenance d’auteurs anonymes et que l’on rattache généralement au siècle du manuscrit, voir même au siècle précédent pour certaines d’entre elles.

Sous une copie élégante et de très belle faction, ce véritable mémento des premiers âges de la chanson ancienne française de la renaissance réunit un mélange de pièces variées :on y trouve des chansons populaires au côté de pièces plus courtoises, ou même encore de vers plus satiriques, politiques auxquelles viennent s’ajouter également des chansons à boire.

L’amant, l’épervier et la belle

La chanson du jour dans le MS FR 9346, chansonnier ou manuscrit de Bayeux de la BnF

La pièce que nous vous présentons, aujourd’hui, du Manuscrit de Bayeux est donc une nouvelle chanson courtoise. On y croisera un amant empressé de conter fleurette à sa belle. Pour parvenir à ses fins, il invoquera l’image d’un épervier sauvage qu’il espère capturer et utiliser comme subterfuge. L’oiseau de proie, prisé de la fauconnerie et même plutôt de l’autourserie au Moyen-âge, lui servira de prétexte pour tenter de ravir les faveurs de sa belle, mais aussi pour tromper les envieux.

Comme on le verra, en effet, même si nous ne sommes plus au temps des premiers troubadours, ni même des premiers trouvères, loin s’en faut (deux ou trois bons siècles nous en séparent) les envieux, les jaloux et les médisants que nous avons déjà croisés, abondamment, dans les pièces courtoises des siècles précédents, sont toujours là pour compromettre les plans des amants courtois et leur mettre des bâtons dans les roues.

Épervier, amour et courtoisie

Dans le courant du Moyen Âge, l’épervier est utilisé à la chasse au même titre que le faucon, par les hommes comme par les dames, même si le faucon semble rester l’apanage de la classe noble. Au delà de l’autourserie, ce rapace reste assez fréquemment évoqué, du Moyen Âge central au tardif, comme un symbole de courtoisie.

Enluminure ancienne d'un épervier, Bibliothèque Royale des Pays-Bas
Enluminure d’un épervier (Accipiter) dans le Manuscrit KB, KA 16 : Der Naturen Bloeme de Jacob van Maerlant, Bibliothèque royale des Pays-Bas (Koninklijke Bibliotheek)

Dans le roman de la violette

Voici un premier exemple de son rôle dans le Roman de la violette de Gerard de Nevers. Dans un contribution de 2009, l’historien Matthieu Marchal conduisait l’analyse comparée entre la version originale versifiée de ce roman, datée de 1228 et la version en prose du XVe siècle sous l’angle de « l’Espreveterie » :

« L’oiseau de vol, associé à la vie de cour et au loisir, acquiert dès lors une fonction d’apparat ; il est « le compagnon précieux d’une élite sociale ». L’épervier est ainsi dans la violette un attribut du fin’amant.
(…) L’épervier appartient aux oiseaux de poing, ce qui signifie qu’il revient sur le poing de son maître après avoir chassé. La présence de l’épervier – qui, dans la tradition iconographique, est tenu sur le poing gauche – participe de toute évidence au maintien de Gérard, à son port et ajoute à sa séduction. Dès sa première apparition à la cour, Gérard tient son épervier sur le poing et provoque l’émoi d’une noble dame

(…) L’identité de Gérard est en relation étroite avec l’épervier qui lui sert d’emblème et témoigne aux yeux de tous de sa courtoisie, à la cour comme en exil. Dès lors, Gérard ne peut se défaire de son oiseau de vol qu’il tient le plus souvent sur le poing. »

L’art de la chasse à l’épervier ou espreveterie, du Roman de la Violette à sa mise en prose Gérard de Nevers, Matthieu Marchal, Déduits d’Oiseaux au Moyen Âge, direction Chantal Connochie-Bourgne, Presse universitaire de Provence (2009)

Enluminure d'un épervier retouchée
La même enluminure, tirée du même bestiaire médiéval et légèrement rafraichie au niveau des couleurs par nos soins

Dans Erec et Enide et chez Chrétien de Troyes

On retrouvera encore l’épervier dans le premier roman arthurien de Chrétien de Troyes (Erec et Enide, vers 1164). Erec déclarant que l’élue de son cœur est la plus belle gagnera en retour un épervier et les deux amants seront accueillis à la cour d’Arthur avec une grande liesse :

« Au terme de ce parcours dans Érec et Énide, force est de constater d’une part la récurrence du motif des oiseaux de chasse, d’autre part, sa charge significative et son rôle crucial dans le récit. Loin de ressortir au registre des détails anecdotiques, les oiseaux de vol, et en particulier l’épervier, sont porteurs d’une charge sentimentale et symbolique forte. »

De l’épervier à l’émerillon : images de la chasse au vol dans les romans de Chrétien de Troyes, Baudouin Van den Abeele, Pour l’Amour des mots, sous la direction de Martine Willems, Presses de l’Université Saint-Louis (2019)

Chez Giraud de Bornelh à François Villon

Pour en prendre deux autres exemples à des moments différents du Moyen Âge. Tout d’abord, revoyons la chanson médiévale « No posc sofrir c’ a la dolor » de Giraud de Bornelh (fin XIIe, début XIIIe siècle). Le troubadour nous contait alors le songe d’un épervier venu se poser, spontanément, sur sa main. Après que le poète ait confié son rêve au seigneur qui lui est proche, ce dernier l’interprétera, sans hésitation, comme un signe de sa future réussite en amour. Là encore, l’épervier vient évoquer le sentiment amoureux ou en être le signe.

Enfin, on évoquera la ballade faite, au début du XVe siècle, par le maître de poésie François Villon pour un gentilhomme désireux de témoigner son amour à sa belle. Une nouvelle fois, l’épervier est évoqué, dès les premiers vers de cette ballade médiévale qui ouvre sur la strophe suivante :

« Au poinct du jour, que l’esprevier se bat,
Meu de plaisir et par noble coustume,
Bruyt il demaine et de joye s’esbat,
Reçoit son per et se joint à la plume:
Ainsi vous vueil, à ce désir m’allume.
Joyeusement ce qu’aux amans bon semble.
Sachez qu’Amour l’escript en son volume,
Et c’est la fin pourquoy sommes ensemble. »

François Villon Voir la ballade entière de Villon ici


Ung espervier venant du vert boucaige
Dans le français du manuscrit de Bayeux

Ung espervier venant du vert boucaige :
Il est jolis et de noble façon;
Se je le puis tenir et mectre en caige,
Je l’iray voir,
Je l’iray voir, car c’est droict et raison


J’yray voller si tres parfaictement
Que les jalloux en seront esbahiz :
Et se je trouve nulle maulvaise gent,
Je leur diray que je quiers la perdrix.
Mais je querray la belle au cler visaige,
Celle qui tient mon cueur en sa prison ;
A la servir mectray cueur et couraige :
Par mon serment j’ay bien droit et raison.

Ung espervier…

Tous ces jalloux si puissent enrager :
Notre Seignour les veuille conjurer,
Et trestous ceulx qui les pourront tromper
Puissent chanter et bonne vye mener !
J’en congnois ung, a bien peu qu’il n’enraige
Quant il me voit auprès de sa maison :
Mais s’il debvoit mourir de malle raige,
Si convient il qu’il en viengne a raison.

Ung espervier…


Partition, notation moderne : chanson 42 - Un Espervier du Manuscrit de Bayeux

Pour l’instant, nous n’avons pas encore trouvé de version en musique de cette chanson. Si vous en connaissez une, n’hésitez pas à nous le faire savoir dans les commentaires ou par email. Autre option qui nous ferait plaisir : si un musicien (ils sont nombreux parmi nos lecteurs) voulait se dévouer et proposer sa propre version, nous la partagerions volontiers ici.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

NB : sur l’image d’en-tête, en arrière plan de l’épervier, vous trouverez la chanson du jour telle qu’elle apparait dans le manuscrit de Bayeux. Encore une fois la Bibliothèque Nationale de France auprès duquel il est conservé, a fait la faveur de digitaliser cet ouvrage ancien à l’attention du public. Vous pouvez donc le consulter en ligne sur Gallica. Pour les enluminures plus décoratives, on retrouvera le Traité de la Fauconnerie de Frédéric II,  traduction française ou Ms Français 12400. Lui aussi consultable sur gallica.fr