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La Cantiga de Santa Maria 7 interprétée par l’ensemble Apotropaïk

Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, Espagne médiévale.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Compilateur : Alphonse X (1221-1284)
Titre : Cantiga 7 « Santa Maria amar »
Interprètes : Ensemble Apotropaïk
Concert : Générations France Musique (2019)

Bonjour à tous,

Au XIIIe siècle, à la cour d’Alphonse X de Castille, on compile et on réunit des miracles et des chants autour du culte marial. L’œuvre et le corpus prendront le nom des Cantigas de Santa Maria. Sur moyenagepassion, nous sommes partis en quête de ces œuvres depuis quelques années. Comme elles sont originellement en galaïco-portugais, nous nous efforçons de les commenter et de les traduire. Nous en profitons, au passage, pour vous présenter de grands ensembles de la scène médiévale actuelle qui se sont attelés à leur interprétation.

La Cantiga de Santa Maria 7 ou l’absolution d’une abbesse piégée par le démon

Nous vous avons présenté cette cantiga de Santa Maria 7, dans le détail, il y a déjà quelque temps. Pour en redire un mot, ce miracle relate l’histoire d’une abbesse. Poussée à la faute par le diable nous dit la Cantiga, cette dernière s’était retrouvée enceinte de son intendant, un homme de Bologne.

Bientôt, la religieuse fut dénoncée auprès de l’évêque par ses nonnes empressées d’infliger une leçon à leur supérieure. Le dignitaire se déplaça donc pour la confondre, mais c’était sans compter sur l’apparition de la vierge à laquelle l’abbesse était particulièrement dévote. La sainte répondit, en effet, à ses appels de détresse et apparut pour la délivrer en songe de l’enfant qui fut envoyé à Soissons afin d’y être élevé. La religieuse s’éveilla donc, blanche comme neige et innocente comme au premier jour. Pour conclure, le chant marial nous conte que l’évêque n’ayant rien trouvé en l’examinant, il n’eut d’autres choix que de laisser tomber toute charge contre elle, non sans avoir blâmé au passage les nonnes accusatrices.


Aujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle interprétation de cette cantiga par l’ensemble médiéval Apotropaïk. Nous vous avions déjà présenté cette jeune formation, à l’occasion d’un concert donné au Musée de Cluny en 2018. C’est avec plaisir que nous la retrouvons, cette fois, dans le cadre d’un programme-événement Générations France Musique, le live organisé par France Musique en janvier 2019. La valeur n’attend pas le nombre des années, dit l’adage. Clémence Niclas et ses complices font justice à cette pièce médiévale en la servant avec tout le sérieux et le talent qu’on pouvait en attendre.

Membres de l’Ensemble Apotropaïk : Clémence Niclas (voix), Marie-Domitille Murez (harpe gothique), Louise Bouedo-Mallet (vièle), Clément Stagnol (luth)

Vous pouvez retrouver le détail de la Cantiga de Santa Maria 7, en galaïco-portugais, ainsi que sa traduction en français moderne à la page suivante : la cantiga de Santa Maria 7 par le menu.

En vous souhaitant une belle journée!
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

Cantiga de Santa Maria 74 : Un peintre sauvé des griffes du démon

Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracle, Sainte-Marie, Sainte vierge, démon
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Alphonse X  (1221-1284)
Titre : CSM 74 «Quen Santa Maria quiser deffender»
Interprète : Discantus – Brigitte Lesne
Album : Santa Maria, chants à la vierge … (2016)

Bonjour à tous,

ienvenue au cœur du XIIIe siècle, à la découverte des cantigas de Santa Maria. Ce grand corpus de miracles et de louanges chantés fut compilé, au Moyen Âge central, par le sage et lettré Alphonse X de Castille. Nous en avons déjà étudié un certain nombre et nous vous proposons, cette fois-ci, de découvrir la Cantiga 74 : commentaire, sources, traduction, à l’habitude, nous en ferons le tour complet avec, en prime, aujourd’hui, l’interprétation du bel ensemble médiéval Discantus que nous en profiterons pour vous présenter.

Le miracle de la Cantiga de Santa Maria 74

Aux sources manuscrites

On trouve les cantigas de Santa Maria dans plusieurs manuscrits d’époque. Ils sont au nombre de 4. Le plus connu est, sans doute, le Ms. T.j.I (« E2 ») Códice Rico. Conservé à la Bibliothèque de l’Escorial, c’est aussi l’un des manuscrits les mieux illustrés (images et enluminures plus bas dans cet article).

La Cantigas de Santa Maria 74 dans le Ms. 10069, Bibliothèque nationale de Madrid, Espagne.

Pour varier un peu, nous vous proposons de découvrir, aujourd’hui, un manuscrit médiéval encore plus ancien. C’est même le plus daté des 4. Il s’agit du codex Ms. 10069, connu encore sous le nom de Códice de Toledo (TO), et conservé actuellement à la Bibliothèque Nationale de Madrid (il est consultable en ligne ici). Demeuré longtemps à la cathédrale de Tolède, ce manuscrit médiéval, daté de la première moitié du XIIIe siècle, contient sur quelques 160 feuillets, plus de 100 miracles annotés musicalement ainsi qu’un peu plus d’une vingtaine d’autres compositions. Sur l’image ci-dessus, vous retrouverez la cantiga du jour et sa partition d’époque.

La vierge au secours d’un peintre d’église

L’histoire de la Cantiga de Santa Maria 74 relate un miracle. Ici, l’art et les représentations religieuses sont, d’abord, en question. Le pouvoir en bien de l’image de la vierge traverse le corpus des cantigas. C’est un thème récurrent que nous avons approché à plusieurs reprises : statue ou image de la vierge qui se met à parler, pain que l’on tend à une représentation de l’enfant Jésus et qui ouvre, au donateur, les portes du Paradis, lettres au nom de Sainte Marie qui protègent celui qui les écrit, image d’elle retrouvée dans le cœur d’une croyante, etc… Bref, dans ces chansons mariales du XIIIe siècle, ce ne sont pas les exemples qui manquent de foi et de dévotion qui transitent par l’intermédiaire de l’iconographie et donnent lieu à des miracles. La cantiga du jour en est un autre exemple.

Art et iconographie religieuse :
médiateurs entre le réel, le surnaturel ou le spirituel

Cette fois-ci, le procédé s’applique un peu d’une autre manière et il est intéressant de voir que le pouvoir de la représentation (prêté habituellement à l’image de la sainte ou de l’enfant Christ), peut également déclencher des effets (dans la réalité) quand la représentation porte sur le mal plutôt que sur le bien. L’art ou l’imagerie sacrée et religieuse auraient-ils le pouvoir de faire bouger toutes les lignes du naturel au surnaturel ? Cette cantiga semble s’y accorder. Et comme il pourra plaire à la Sainte d’être représentée avec foi et application, cette fois-ci, c’est le diable qui viendra s’offusquer du contraire. Piqué au vif, il viendra même se manifester à l’artiste peintre, dans un accès de cabotinage, en le menaçant des pires représailles.

Le peintre au cœur de la bataille du bien et du mal

La CSM 74 dans le Manuscrit de l’Escorial, Ms. T.j.I (« E2 ») Códice Rico

Ainsi, franchissant les barrières de l’invisible, le démon engagera le dialogue avec l’homme. Devant la détermination de celui-ci à ne pas changer son pinceau d’épaule, le démon tentera même de se venger mortellement du mauvais traitement visuel que le peintre d’église lui aura réservé. C’est dire toute l’importance de la représentation artistique sur le monde surnaturel. Mais les efforts du démon resteront vains : il aura beau déchainer les éléments, ce sera sans compter sur l’intercession de la Sainte Mère. En se dressant comme un rempart entre le mal et le peintre dévot, elle sauvera l’homme d’une terrible chute, en se servant du pinceau pour défier la gravité, de manière miraculeuse.

A plusieurs reprises, la cantiga ne manquera pas d’insister sur le fait que notre artiste mettait toujours beaucoup d’application à représenter Marie dans toute sa splendeur. Plus qu’un simple outil, le pinceau est ici le symbole de la médiation de sa grande foi, autant que de sa dévotion et c’est aussi ce par quoi le miracle arrive.

Apparitions du diable au Moyen Âge

Nous avons déjà croisé le Diable, à plusieurs reprises, dans notre étude des Cantigas de Santa Maria. Dans la Cantiga 26, notamment, il apparaissait, physiquement, à un pèlerin de Compostelle, sous une forme trompeuse. Il parvenait même à le duper mortellement. Comme dans le corpus des Cantigas, le Démon se manifestera, de manière croissante, au Moyen Âge central. En prenant les formes les plus diverses – invisibles, oniriques, jusqu’aux plus matérielles et personnifiées-, il viendra ainsi menacer, tromper ou tenter les hommes médiévaux, hantant de sa présence leurs imaginations comme leur quotidien ( à ce propos, voir citation de Jacques le Goff ou encore cet article sur les manifestations du diable au Moyen Âge ).

La Cantiga 74 par l’ensemble Discantus sous la direction de Brigitte Lesne

L’ensemble Discantus

Discantus est un ensemble vocal féminin spécialisé dans les musiques anciennes dont le répertoire s’étend du Moyen Âge à des musiques plus renaissantes. Cette formation a vu le jour dans les débuts des années 90, sous l’impulsion et la direction de Brigitte Lesne.

La réputation de cette grande voix et directrice française n’est plus à faire sur la scène des musiques médiévales et anciennes. Formée notamment à la Schola Cantorum Basiliensis de Bâle et très attachée au Centre de Musique Médiévale de Paris, elle a contribué avec Pierre Hamon, à la formation de l’Ensemble médiéval de Paris, devenu la célèbre formation Alla Francesca. Au long de sa carrière de renommée mondiale, on a pu la retrouver également en collaboration avec d’autres ensembles, mais aussi dans des productions solo.

Discographie et programmes

A l’image de sa directrice, l’ensemble Discantus a poursuivi, depuis sa création, une carrière de dimension internationale avec des concerts donnés sur tous les continents. Leur discographie affiche 17 CDs et des programmes qui s’épanchent, volontiers, du côté des chants polyphoniques et des musiques sacrées du Moyen Âge : Ars antiqua, chants grégoriens et mise à jour de pièces des premiers manuscrits du Moyen Âge central. Les albums sont le fruit de recherches ethnomusicologiques poussées, et on y trouvera même des compositions sur mesure et originales ou encore des chansons de pèlerins plus contemporaines. Pour en savoir plus sur cet ensemble et suivre son actualité, vous pouvez consulter le site du Centre de Musique Médiévale de Paris.

L’album : Santa Maria, chants à la vierge dans l’Espagne du XIIIe siècle

C’est en 2016 que fut proposé, au public, l’album « Santa Maria, chants à la vierge dans l’Espagne du XIIIe siècle« . Sur un peu plus d’un heure d’écoute, il propose un voyage à la découverte de 17 pièces mariales médiévales. Ces dernières ne sont pas toutes issues directement du corpus d’Alphonse le savant, loin de là même.

On y retrouve 7 cantigas de Santa maria ; les dix autres pièces se distribuent entre compositions et chants anonymes en provenance de manuscrits variés (dont le Codex de las Huelgas). On y découvre encore quelques signatures d’auteurs comme Adam de Saint-Victor et des troubadours occitans comme Folquet de Lunel, ou Guiraut Riquier qui se tinrent, un temps, durant cette période, à la cour d’Espagne. Edité chez Bayard Musique, cet album peut encore être trouvé à la vente. Voici un lien utile pour plus d’informations à ce sujet : Santa Maria, chants à la vièrge dans l’Espagne du XIIIe, ensemble Discantus.

Musiciennes ayant participé à cet album

Brigitte Lesne ( direction, conception, chant, cloches à main, harpe-psaltérion, percussions), Vivabiancaluna Biffi (chant, vièle à archet, cloches à main), Christel Boiron, Hélène Decarpignies, Caroline Magalhaes, Lucie Jolivet (chant, cloches à main), Catherine Sergent (chant, psaltérion, cloches à main)


La Cantigas de Santa Maria 74
Du galaïco-portugais au français moderne

Como Santa María guareceu o pintor que o démo quiséra matar porque o pintava feo.

Comment Sainte Marie sauva le peintre que le démon voulait tuer parce qu’il le peignait laid (et à son désavantage).

Quen Santa Maria quiser defender
Non lle pod’ o demo niun mal fazer.

(Refrain) Le démon ne peut faire aucun mal
A celui que Sainte Marie veut défendre.

E dest’un miragre vos quero contar
de como Santa Maria quis guardar
un seu pintor que punnava de pintar
ela muy fremos’ a todo seu poder.

Et c’est de ce miracle que je veux vous conter
De comment Santa Maria voulut protéger
Un de ses peintres qui tentait de la peindre
très belle, et de tout son pouvoir.

(Refrain)

E ao demo mais feo d’outra ren
pintava el sempr’; e o demo poren
lle disse: « Por que me tees en desden,
ou por que me fazes tan mal pareçer

Quant au démon, il le peignait toujours
plus laid que tout : et, pour cette raison, le démon
lui dit : « Pourquoi me voues-tu un tel mépris (dédain)
Et pourquoi me fais-tu paraître de manière si laide

(Refrain)

A quantos me veen? » E el diss’ enton:
« Esto que ch’ eu faço é con gran razon,
ca tu sempre mal fazes, e do ben non
te queres per nulla ren entrameter ».

A ceux qui me voient ? » Sur quoi le peintre lui répondit :
« Ce que je fais là, je le fais avec grande raison,
Car tu fais toujours le mal, et de faire le bien,
Tu ne veux, jamais et en rien, te mêler. »

(Refrain)

Pois est’ houve dit’, o démo s’assannou
e o pintor fèrament’ amẽaçou
de o matar, e carreira lle buscou
per que o fezésse mui cedo morrer.

Quand cela fut dit, le démon s’irrita
Et menaça durement le peintre
De le tuer, et de chercher le moyen
Pour le faire mourir au plus tôt
.
(Refrain)

Porend’ un dia o espreitou ali
u estava pintando, com’ aprendi,
a omagen da Virgen, segund’ oý,
e punnava de a mui ben compõer,

Ainsi, un jour, le démon l’épiait
Tandis qu’il était en train de peindre, comme je l’ai appris
et selon ce que j’ai pu entendre, l’image de la vierge,
Et qu’il s’efforçait de la composer de la plus belle manière
,
(Refrain)

Por que pareçesse mui fremos’ assaz.
Mais enton o dem’ , en que todo mal jaz,
trouxe tan gran vento como quando faz
mui grandes torvões e que quer chover.

Afin qu’elle paraisse la plus belle possible.
Mais alors, le démon, en qui tout le mal repose,
Fit lever tel grand vent comme cela se produit
En cas de grandes tempêtes et que la pluie va venir.

(Refrain)

Pois aquel vento na igreja entrou,
en quanto o pintor estava deitou
en terra; mais el log’ a Virgen chamou,
Madre de Deus, que o veéss’ acorrer.

Puis, ce vent entra dans l’église,
Et alors que le peintre allait se retrouver projeté
au sol, il parvint à appeler la vierge,
Mère de Dieu, afin qu’elle vienne à son secours.

(Refrain)

E ela logo tan toste ll’ acorreu
e fez-lle que eno pinzel se soffreu
con que pintava; e poren non caeu,
nen lle pod’ o dem en ren enpeeçer.

Et suite à cela, elle accourut aussitôt
Et fit en sorte qu’il put se soutenir au pinceau
Avec lequel il peignait ; et grâce à cela, il ne tomba point
Et aucun dommage d’aucune sorte ne lui survint.

(Refrain)

E ao gran son que a madeira fez
veeron as gentes logo dessa vez,
e viron o demo mais negro ca pez
Fugir da igreja u s’ ía perder.

Au grand bruit que fit l’échelle (l’échafaudage) en tombant
Les gens accoururent sur le champ
Et ils virent le démon, plus noir que poisson
Fuir de l’église où il allait perdre (pour se perdre?)
(Refrain)

E ar viron com’ estava o pintor
colgado do pinzel; e poren loor
deron aa Madre de Nostro Sennor,
que aos seus quer na gran coita valer.

Et alors ils virent comment se tenait le peintre
Accroché au pinceau : et suite à cela,
Ils firent des louanges à la mère de notre Seigneur,
Qui veut toujours secourir, les siens, avec grand soin.

Voilà pour cette cantiga et ce beau miracle marial du Moyen Âge central, mes amis. Au passage, si les diableries sur fond médiéval vous intéressent, notre roman Frères devant Dieu ou la Tentation de l’Alchimiste est toujours disponible à la vente et en promotion.

Une très belle journée à tous.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

PS : la vierge en oraison sur l’image d’en-tête est le détail d’une peinture de Jean Bourdichon (fin du XVe, début du XVIe siècle)

la Cantiga de Santa Maria 421 par le menu


Sujet :  musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, Sainte-Marie. jugement dernier, prière, chant polyphonique
Epoque :  Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur :  Alphonse X  (1221-1284)
Titre :  Cantiga  421, souviens-toi Mère de Dieu, Nenbre-sse-te, Madre de Deus
Interprètes :  Micrologus, Patricia Bovi   
 Album :  Madre de Deus, Cantigas de Santa Maria (1999)

Bonjour à tous,

ans l’Espagne du XIIIe siècle, féru de lettres, de sciences et de culture, le roi Alphonse X de Castille, dit Alphonse le savant ou le sage, s’entoure d’érudits de tout bord et de disciplines variées. Lui même s’adonne aussi à l’écriture et la poésie et on lui prête d’avoir recompilé, de sa plume, de nombreux récits de miracles qui circulaient alors à propos du personnage biblique de la sainte vierge. Connus sous le nom de Cantigas de Santa Maria, ces chants sont un fleuron de la littérature castillane médiévale. Ils constituent également un grand témoignage du culte marial qui courut, en Europe, à partir du Moyen Âge central et de nombreux siècles plus tard.

Depuis quelque temps, nous avons entrepris de partir à la découverte de ce corpus de plus de 420 chansons, en le commentant, le traduisant, mais en nous accompagnant, aussi, des plus belles formations de la scène musicale médiévale pour vous le faire découvrir. Aujourd’hui, pour cette cantiga 421, nous vous présenterons une belle version à deux voix de l’ensemble Micrologus.

Une prière d’intercession et un appel à la miséricorde

Nous vous avons présenté, jusque là, de nombreux récits de miracles autour de pèlerinages ou de lieux de culte dédiés à la Sainte, ainsi que quelques chants de louanges, La cantiga de Santa Maria 421 sort un peu de ce cadre, puisque c’est un chant assez court qui se présente plus comme une prière d’intercession. A travers elle, le croyant demande à la vierge d’intervenir auprès de Dieu en sa faveur et même de le prier pour qu’il lui accorde sa miséricorde et sa protection, en particulier au moment du jugement dernier.

La cantiga 421 à deux voix par l’ensemble Micrologus

Micrologus et les cantigas Santa Maria

En 1999, la formation italienne Micrologus menée par Patrizia Bovi partait à la conquête des cantigas d’Alphonse le Sage, dans un album intitulé Madre De Deus, Cantigas de Santa Maria. Nous avons déjà eu l’occasion de vous toucher un mot de cette production (voir article). Elle fut, du reste, saluer par plusieurs magasines de la scène des musiques anciennes et médiévales. On peut y retrouver 15 pièces pour 16 cantigas évoquées et, entre versions vocales ou instrumentales, sa durée dépasse légèrement une heure d’écoute.

Cet album est toujours disponible à la vente, en commande chez votre disquaire, sous forme de CD ou même en format MP3, à la vente en ligne. Voici un lien utile pour plus d’informations : Madre de Deus, Cantigas de Santa Maria.

Ajoutons que plus de 20 ans après la sortie de cette production, l’ensemble Micrologus continue toujours de proposer un programme et des concerts autour de ses cantigas de l’Espagne mariale et médiévale.

Musiciens & artistes ayant participé à cet album

Patrizia Bovi (voix et harpe), Adolfo Broegg (oud, guitare), Goffredo Degli Esposti (flutes, percussion, cornemuses), Gabriele Russo (violon, rebec), Alessandro Quarta (voix), Ulrich Pfeifer (vièle à roue, voix), Luigi Germini et Mauro Morini (cuivres), Gabriele Miracle (percussion, darbouka,), Francesco Speziali (riqq, percussions). Chœurs : Alberto Berettini, Francesca Breschi, Barbara Bucci, Flaviana Rossi, Claudia Mortali, Laura Scipioni.


La cantiga 421 version originale galaïco-portugaise et traduction française

Esta undécima, en outro día de Santa María, é de como lle venna emente de nós ao día do jüízio e rógue a séu Fillo que nos haja mercee.

Nenbre-se-te, Madre
de Deus, Maria,
que a el, téu Padre,
rogues todavia,
pois estás en sa compania
e es aquela que nos guia,
que, pois nos ele fazer quis,
sempre noit’ e dia
nos guarde, per que sejamos fis
que sa felonia
non nos mostrar queira,
mais dé-nos enteira
a ssa grãada merçee,
pois nossa fraqueza vee
e nossa folia,
con ousadia
que nos desvia
da bõa via
que levaria
nos u devia,
u nos daria
sempr’ alegria
que non falrria
nen menguaria,
mas creçeria
e poiaria
e compriria
e ‘nçimaria
a nos.

En un nouveau jour destiné à Sainte Marie, cette XIe cantiga est pour qu’elle se souvienne de nous, au jour du jugement dernier et qu’elle prie son fils d’avoir pitié de nous.

Souviens-toi, Marie, Mère de Dieu,
De prier ton Père,
chaque jour,
Puisque tu es en sa compagnie
Et que tu es celle qui nous guide,
Afin que, puisqu’il nous a élevé (créé),
Il nous tienne en sa garde, nuit et jour,
Et pour que nous soyons assurés
Qu’il ne nous veuille point
montrer sa colère (sa sévérité),
Mais plutôt qu’il nous accorde
Sa grande miséricorde.
Car il voit notre faiblesse
Et notre folie,
Qui, avec audace,
Nous détourne
Du bon chemin ;
Celui qui nous conduirait
Sans détour
Et nous apporterait
Toujours la joie (la joie éternelle)
Qui ne se tarirait jamais
Ni ne nous ferait défaut,
Mais qui croîtrait
Et grandirait
Et nous remplirait
Et nous comblerait
De sa présence.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : pour l’image en tête d’article, nous nous sommes un peu avancé dans le temps. Elle ne date pas, en effet, du Moyen Âge central, mais de la renaissance italienne et c’est une des superbes madones peintes par le grand Sandro Botticelli (1445-1510)

« Du tres douz nom », le culte marial de Thibaut IV de Champagne servi par la voix de René Zosso

thibaut_le_chansonnier_troubadour_trouvere_roi_de_navarre_comte_de_champagneSujet :  chanson médiévale, poésie , culte marial, roi troubadour, roi poète, trouvères, vieux-français, langue d’oïl,  vierge Marie.
Période  : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Auteur   : Thibaut IV de Champagne (1201-1253), Thibaut 1er de Navarre (Thibaud)
Titre :    « Du tres douz nom a la virge Marie»
Interprète  :   René Zosso
Album :  Anthologie de la chanson française, des trouvères à la pléiade  (2005)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous revenons à la poésie et l’art des trouvères avec un des plus célèbres d’entre eux : Thibaut IV de Champagne , roi de Navarre et comte de Champagne, connu encore sous le nom de  Thibaut le Chansonnier. Nous le faisons avec d’autant plus de plaisir et d’à-propos que c’est une  belle et puissante interprétation de René Zosso qui nous permettra de découvrir cette chanson médiévale du XIIIe siècle.

Une chanson du roi de Navarre
en hommage au nom de la vierge

On connait du legs de Thibaut de Champagne, les pièces courtoises ou encore les chants de croisade. Nous en avons déjà présenté quelques-unes issues de ces deux répertoires. Pour varier un peu, la
pièce du jour est dédiée à la dévotion à Sainte Marie, autrement dit
au culte marial, très populaire aux temps médiévaux notamment à partir du Moyen Âge central.

deco-medieval-culte-marialOn le verra, dans cette chanson, le roi et seigneur poète énumère les qualités et les propriétés de la sainte vierge, à partir des cinq lettres composant  son nom :  M A R I A. On notera qu’avant lui,  le moine et trouvère   Gauthier de Coincy (1177-1236) s’était, lui aussi, adonné à un exercice  similaire à partir du nom de la Sainte.  Au Moyen Âge, la seule  prononciation de ce dernier est réputée chargée de hautes propriétés spirituelles, voire « magiques » ou miraculeuses.  Vous pourrez trouver des éléments d’intérêt  sur ces questions dans un article de la spécialiste de littérature médiévale et de philosophie religieuse Annette Garnier : Variations sur le nom de Marie chez Gautier de Coinci, Nouvelle revue d’onomastique, 1997. Egalement, pour élargir sur le culte marial et ses miracles, nous vous invitons à consulter nos publications sur les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille. Passons maintenant aux sources de cette chanson  et sa partition .

Sources manuscrites historiques :
le  trouvère K ou chansonnier de Navarre

thibaut-de-champagne-chanson-medievale-culte-marial-manuscrit-ancien-arsenal-francais-12148--moyen-age_s

On retrouve cette  pièce du comte Thibaut de Champagne dans un certain nombre de manuscrits anciens datant plutôt des XIVe et siècles suivants. On citera le Chansonnier du Roi dit français 844 ou encore les   MS français 846, MS français 12615 et MS français 24406. Ajoutons-y également  le  Manuscrit MS Français 12148, autrement coté, MS 5198  de la Bibliothèque de l’Arsenal (voir photo ci-dessus). C’est un ouvrage d’importance dont nous avons, jusque  là, peu parlé.

Un mot du Manuscrit MS 5198 de l’Arsenal

Daté du   premier quart du XIVe siècle, ce manuscrit ancien contient  pas moins de  392 folios  pour 418 pièces : chansons avec musiques annotées et poésies françaises. Les auteurs sont variés dont une grande quantité de trouvères. L’oeuvre de Thibaut de Champagne y est largement représentée ; sous  le nom de « roi de Navarre« , elle  ouvre même le MS 5198 avec  53 pièces.  Pour avoir une bonne  vision du contenu de ce manuscrit médiéval, nous vous conseillons de vous procurer la Bibliographie des Chansonniers français des XIIIe et  XIVe siècle de Gaston Raynaud (1884). Quant à l’original digitalisé, il est consultable sur Gallica.

« Du trez douz nom » de Thibaut de Champagne par René Zosso

 Anthologie de la chanson française : des trouvères à la Pléiade

musique-medievale-album-trouveres-chansons-francaises-anthologie-moyen-ageNous avons déjà consacré un article à cet album d’Anthologie autour de la musique médiévale et renaissante. Daté du milieu des années 90, il fait partie d’une vaste collection de CDs, sortie chez EPM, qui proposait de découvrir la chanson française à travers les époques. L’opus réservé à la période « des trouvères à la Pléiade » , dont est extraite la pièce du jour, faisait  une belle place à René Zosso.   Ce dernier  y interprétait, en effet, plus de six chansons dont en compagnie de Anne Osnowycz. (Nous vous renvoyons au lien ci-dessus pour découvrir une autre de ces pièces, ainsi que plus d’information sur cet album.)

Ajoutons que sur les 24 chansons présentées dans cette Anthologie, se trouvaient trois chansons tirées du répertoire de Thibaut le chansonnier, toutes interprétées par le musicien et joueur de vièle à roue suisse.


Du tres douz non a la Virge Marie
du vieux français d’oïl au français moderne

NB : une fois n’est pas  coutume, pour cette traduction de l’oïl vers le français moderne, nous avons suivi, à la lettre, celle du critique littéraire et médiéviste français Alexandre Micha dans son ouvrage :   Thibaud IV, Thibaud de Champagne, Recueil de Chansons (Paris, 1991, Klincksieck).

Du tres douz non a la Virge Marie
Vous espondrai cinq letres plainement.
La premiere est M, qui senefie
Que les ames en sont fors de torment;
Car par li vint ça jus entre sa gent
Et nos geta de la noire prison
Deus, qui pour nos en sousfri passion.
Iceste M est et sa mere et s’amie.

Du très doux nom de la Vierge Marie
Je vous expliquerai les cinq lettres clairement.
La première est M, qui signifie
Que les âmes par elle sont délivrées des tourments,
Car par elle descendit parmi les hommes
Et nous jeta hors de la noire prison
Dieu qui pour nous souffrit sa passion.
Ce M représente sa mère et son amie.

A vient après. Droiz est que je vous die
Qu’en l’abecé est tout premierement;
Et tout premiers, qui n’est plains de folie,
Doit on dire le salu doucement
A la Dame qui en son biau cors gent
Porta le Roi qui merci atendon.
Premiers fu A et premiers devint hom
Que nostre loi fust fete n’establie.

A vient après et je dois vous dire
Qu’il est la première lettre de l’alphabet.
Avec cette première lettre, si l’on est sage,
On doit dire dévotement la salutation
A la Dame qui en son beau corps
Porta le Roi de qui nous attendons le pardon.
A fut la première lettre du premier homme,
Depuis que notre religion fut instituée.

Puis vient R, ce n’est pas controuvaille,
Qu’erre savons que mult fet a prisier,
Et sel voions chascun jor tout sanz faille,
Quant li prestes le tient en son moustier;
C’est li cors Dieu, qui touz nos doit jugier,
Que la Dame dedenz son cors porta.
Or li prions, quant la mort nous vendra,
Que sa pitiez plus que droiz nous i vaille.

Puis vient R, ce n’est pas pure fantaisie :
Nous savons qu’erre est digne de respect,
Et nous le voyons chaque jour avec évidence,
Quand le prêtre le tient en son église :
C’est le corps de Dieu qui nous jugera tous
Et que la Dame porta en son beau corps.
Demandons-lui, quand viendra notre mort
Que sa pitié soit plus forte que sa justice.

I est touz droiz, genz et de bele taille.
Tels fu li cors, ou il n’ot qu’enseignier,
De la Dame qui pour nos se travaille,
Biaus, droiz et genz sanz teche et sanz pechier.
Pour son douz cuer et pour Enfer bruisier
Vint Deus en li, quant ele l’enfanta.
Biaus fu et genz, et biau s’en delivra;
Bien fist senblant Deus que de nos li chaille.

I est tout droit, svelte et de belle taille.
Tel fut le corps, riche de toutes les vertus,
De la dame qui se met en peine pour nous,
Beau, svelte, noble, sans tache et sans péché.
Grâce à son doux coeur et pour briser l’Enfer
Dieu était en elle, quand elle l’enfanta.
Il était beau et gracieux et elle eut une heureuse délivrance.
Dieu montra bien qu’il a soin de nous.

A est de plaint: bien savez sanz dotance,
Quant on dit a, qu’on se plaint durement;
Et nous devons plaindre sanz demorance
A la Dame que ne va el querant
Que pechierres viengne a amendement.
Tant a douz cuer, gentil et esmeré,
Qui l’apele de cuer sanz fausseté,
Ja ne faudra a avoir repentance.

A exprime la plainte : vous savez bien
Que quand on dit A, on se plaint amèrement.
Nous devons constamment faire monter nos plaintes
Vers la Dame qui n’a d’autre but
Que de voir le pécheur s’amender
Elle a le cœur si doux, si noble, si généreux
Que si on fait appel à elle,
Il s’ouvrira au repentir.

Or li prions merci pour sa bonté
Au douz salu qui se conmence Ave
Maria! Deus nous gart de mescheance!

Implorons sa merci, confiants en sa bonté,
Avec le doux salut qui commence par Ave
Maria. Que Dieu nous garde de tout malheur !


En vous souhaitant une  fort belle journée.
Fred
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