Sujet : contes moraux, sagesse, poésie persane, justice, valeurs humaines, citation médiévale. exercice du pouvoir, clémence, fourmi,éléphant.
Période : moyen-âge central
Auteur : Mocharrafoddin Saadi (1210-1291)
Ouvrage : Gulistan, le jardin des roses.
J’ai toujours dans la pensée ce vers que me dit un gardien d’éléphants, sur le bord du fleuve du Nil : « Si tu ne connais pas la situation de la fourmi sous ton pied, sache qu’elle est comme serait la tienne sous le pied d’un éléphant. » Mocharrafoddin Saadi (1210-1291), Gulistan.
Bonjour à tous,
iré du premier chapitre du Gulistan et de la vingt deuxième historiette du conteur et poète médiéval persan Mocharrafoddin Saadi, ce distique vient conclure un des savoureux contes moraux dont il a le secret.
Il est question, ici, d’un sultan ayant décidé, sur le conseil de ses médecins, de tuer un enfant pour sauver sa propre vie et pour échapper à la maladie. Au moment fatidique, les paroles de l’enfant rappelleront finalement le vieux souverain à la raison et il décidera de le gracier. Clémence du roi envers le petit sujet, de l’homme envers la fourmi mis en abîme sous le pied de l’éléphant, parabole et leçon de discernement surtout: une vie en vaut une autre, et l’existence même du plus grand sultan ne saurait le soustraire à cette règle. Il aura fallu l’innocence et les rires d’un enfant pour le lui rappeler. Il aura fallu aussi que le sultan soit assez sage pour l’entendre. Voici le conte en entier.
Une fourmi sous le pied d’un éléphant
et la sagesse persane de Saadi
Un certain roi avait une maladie épouvantable. dont il ne convient pas de répéter le nom. Une troupe de médecins grecs s’accordèrent à dire : « Il n’y a point de remède pour cette maladie, si ce n’est le fiel d’un homme distingué par tels signes. »
Le roi ayant ordonné que l’on recherchât cet homme , on trouva un fils de villageois avec les qualités que les sages avaient dites. Le roi manda son père et sa mère, et les rendit satisfaits au moyen de richesses immenses.
Le câdhi* (*juge) délivra un fetva (décision juridique), portant qu’il était permis de répandre le sang d’un sujet pour la conservation de la vie du roi. Le bourreau se disposa donc à tuer l’enfant. Celui-ci leva son visage vers le ciel et se mit à rire. Le roi demanda : « Quel sujet y a-t-il de rire dans cette circonstance? »
Le jeune garçon répondit: « Caresser un enfant est une obligation pour ses père et mère; on porte les procès devant le câdhi, et l’on demande justice au roi. Or, maintenant mon père et ma mère m’ont livré au supplice, à cause des faux biens* (*bagatelles) de ce monde; le câdhi a rendu un fetva pour qu’on me tue, et le sultan voit son salut dans ma perte. Je n’aperçois donc pas de refuge, si ce n’est Dieu très-haut. ‘’
« Devant qui élèverai-je mes cris contre toi ?
Je demande justice de toi-même, devant toi-même. »
Le coeur du sultan se contracta à cause de cette parole ; il fit rouler des larmes dans ses yeux et dit : « Il vaut mieux pour moi périr que de répandre le sang d’un innocent« . Il le baisa sur la tète et les yeux, le serra sur son sein, lui donna des richesses immenses et le renvoya libre. On dit que le roi obtint sa guérison dans cette même semaine.
J’ai toujours dans la pensée ce vers que me dit un gardien d’éléphants*, sur le bord du fleuve du Nil : « Si tu ne connais pas la situation de la fourmi sous ton pied, sache qu’elle est comme serait la tienne sous le pied d’un éléphant. »
Mocharrafoddin Saadi (1210-1291), Gulistan, le parterre de roses.
Traduit du persan par Charles Defréméry, 1858.
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* suivant les versions de la traduction du jardin des roses, on traduit quelquefois d’un gardien de chameaux et non pas d’éléphants, mais cela n’affecte en rien la morale.
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En vous souhaitant une très belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
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