Sujet : danse, musique médiévale, estampie, Italie, manuscrit ancien Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle. Auteur : anonyme Titre : Parlamento Source : Add 29987, Manuscrit de Londres Interprètes : Arte Factum Album : Saltos brincos y reverencias
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous partageons une nouvelle danse médiévale issue du Manuscrit de Londres ou MS Add 29987. Avec un peu moins de 120 pièces notées, cet ouvrage du moyen-âge tardif, frappé des armoiries des Médicis et longtemps resté sous leur garde, demeure un témoin précieux des musiques de l’Italie médiévale, de la dernière partie du XIVe siècle au XVe naissant. Parvenu à Londres à la toute fin du XIXe, l’ouvrage est actuellement conservé à la British Library (consultation en ligne ici).
La composition du jour est une estampie dont l’auteur reste, à ce jour, inconnu. Son interprétation est celle de l’ensemble médiéval andalous Artefactum dont nous avons déjà abondamment parlé ici.
Parlamento, du MS Add 29987, par l’ensemble Artefactum
Joyeux Anniversaire Artefactum
Notons que la formation Artefactum fête, cette année, ses 25 ans de carrière et de scène, aussi nous en profitons pour lui souhaiter ici un très joyeux anniversaire. Rejoignez-la sur Facebook pour suivre son actualité et notamment les concerts ou récitals spéciaux qu’elle ne manquera pas de donner à cette occasion.
Sujet : chanson médiévale, musique médiévale, chant de Croisade, 2e croisade, vieux français. rotruenge, Louis VII, chevaliers Période : moyen-âge central, XIIe siècle Auteur : anonyme Titre : « Chevalier, mult estes guariz» Interprète : Early Music Consort of London Album :Music of the Crusades(1971)
Bonjour à tous,
ous partons aujourd’hui, à la découverte d’une nouvelle chanson de croisades du moyen-âge central. Demeurée anonyme, elle compte parmi les plus anciennes qui nous soit parvenue. Sur les traces de Joseph Bédier et son ouvrage conjoint avec Pierre Aubry ( Les chansons de croisade, 1909), sans toutefois le suivre totalement, nous vous en proposerons une traduction en français moderne et vous dirons aussi un mot des sources dans lesquelles la trouver et du contexte historique qui la vit naître.
Pour le reste, cette poésie très chrétienne et guerrière du XIIe siècle a été interprétée par un grand nombre de formations médiévales et nous avons choisi ici la version qu’en proposait le Early Music Consort of London en 1971, dans un album tout entier dédié aux musiques du temps de croisades.
La prise d’Edesse et l’appel à la 2e Croisade
Vers le milieu du XIIe siècle, et plus exactement en 1144, la forteresse d’Edesse (Rohais, l’actuelle cité de Şanlıurfa ou Urfa dans le sud de la Turquie) tombaient aux mains d’Imad ed-Din Zengi, atabeg de Mossoul et d’Alep. Connu encore comme Zengui, l’homme fut aussi surnommé « le sanglant » par les chroniqueurs chrétiens d’alors (tout un programme). Très avancé sur les terres islamiques, le comté d’Edesse qui compte parmi les premiers états latin d’Orient était alors sous la régence de la reine Mélisende de Jérusalem. Son héritier Baudouin III n’a, en effet que 13 ans et est encore trop jeune pour gouverner.
Le siège fut de courte durée et la cité céda en moins d’un mois : de la fin novembre 1144 à la fin décembre de la même année. Informé de sa chute de la main même de la régente, le souverain pontife Eugène III appellera bientôt à une seconde croisade en terre sainte, par l’intermédiaire de la bulle Quantum praedecessores. Alors âgé de 25 ans, Louis VII ne tarda pas à y répondre, mais, autour de lui, les seigneurs chrétiens d’Occident se montrèrent plutôt tièdes. Il faudra toute la ferveur, les prédications et les promesses de rédemption d’un Bernard de Clairvaux pour que le mouvement prenne véritablement de l’ampleur. Près de deux ans après l’appel, ce seront ainsi près de 35000 hommes d’armes qui répondront présents. En suivant les conclusions de Joseph Bédier et sans trop prendre de risques, la chanson du jour a nécessairement été écrite entre l’annonce par Louis VII de son intention de se croiser, le 25 décembre 1145 à l’assemblée de Bourges et son départ effectif pour la croisade, le 12 juin 1147.
Sources historiques
Du point de vue des sources, on ne trouve cette chanson et sa notation musicale (sommaire) que dans un seul manuscrit datant de la deuxième moitié du XIIe siècle : le Codex Amplonianus 8° 32, également référencé RS 1548a, conservéàErfurt en Allemagne (Foreschungsbibilothek), Au vue de la langue usitée pour la retranscription de cette poésie, la copie est à l’évidence l’oeuvre d’un anglo-normand.
Pour le moment, il semble que ce manuscrit médiéval ne soit toujours pas disponible à la consultation en ligne. On ne peut donc qu’espérer qu’il le soit bientôt pour découvrir cette pièce dans son écrin d’époque. Dans l’attente et pour vous en faire une idée, nous reproduisons ci-dessus la version d’assez piètre résolution qu’on pouvait trouver dans un autre ouvrage de Pierre Aubry datant de 1905 : Les plus anciens monuments de la chanson française.
« Chevalier, moult estes guariz » par le Early Music Consort of London
Musique des croisades, par David Munrow et le Early Music Consort de Londres
« Chevalier, Mult estes guariz »
en vieux-français & sa traduction moderne
I Chevalier, mult estes guariz, Quant Deu a vus fait sa clamur Des Turs e des Amoraviz, Ki li unt fait tels deshenors. Cher a tort unt ses fîeuz saiziz ; Bien en devums aveir dolur, Cher la fud Deu primes servi E reconnu pur segnuur. Ki ore irat od Loovis Ja mar d’enfern avrat pouur, Char s’aime en iert en pareïs Od les angles nostre Segnor.
Chevaliers, vous êtes sous très bonne protection, Quand c’est vers vous que Dieu s’est plaint Des turques et des Amoravides, Qui lui ont fait une si grand honte En saisissant à tort ses fiefs. Il est juste que nous en souffrions Car c’est là que Dieu fut d’abord servi Et reconnu pour seigneur. Celui qui désormais ira avec Louis Ne redoutera plus jamais l’enfer Car son âme sera (mise) en Paradis Avec les anges de notre seigneur.
II Pris est Rohais, ben le savez, Dunt crestiens sunt esmaiez, Les mustiers ars e désertez : Deus ni est mais sacrifiez. Chivalers, cher vus purpensez, Vus ki d’armes estes preisez ; A celui voz cors présentez Ki pur vus fut en cruiz drecez. Ki ore irat od Loovis Ja mar d’enfern avrat pouur, Char s’aime en iert en pareïs Od les angles nostre Segnor.
Rohais est pris, bien le savez, Dont les chrétiens sont en émoi Les monastères brûlent et sont désertés, Dieu n’y est plus célébré* (sacrificare : célébrer une messe) Chevaliers, songez-y bien, Vous qui êtes prisés pour vos faits d’armes, Offrez vos corps à celui Qui pour vous fut dressé en croix. Celui qui désormais ira avec Louis Ne redoutera plus jamais l’enfer Car son âme sera (mise) en Paradis Avec les anges de notre seigneur.
III. Pernez essample a Lodevis, Ki plus ad que vus nen avez : Riches est e poesteïz, Sur tuz altres reis curunez : Déguerpit ad e vair e gris, Chastels e viles e citez : Il est turnez a icelui Ki pur nus fut en croiz penez. Ki ore irat od Loovis Ja mar d’enfern avrat pouur, Char s’aime en iert en pareïs Od les angles nostre Segnor.
Prenez exemple sur Louis, Qui possède bien plus que vous, Il est riche et puissant, Sur tout autre roi couronné : Il a abandonné et vair et gris* (fourrures) Châteaux et villes et cités, Et il est revenu vers celui Qui pour nous fut torturé en croix. Celui qui désormais ira avec Louis Ne redoutera plus jamais l’enfer Car son âme sera (mise) en Paradis Avec les anges de notre seigneur.
IV. Deus livrât sun cors a Judeus Pur mètre nus fors de prisun ; Plaies li firent en cinc lieus, Que mort suffrit e passiun. Or vus mande que Chaneleus E la gent Sanguin le felun Mult li unt fait des vilains jeus : Or lur rendez lur guerredun ! Ki ore irat od Loovis Ja mar d’enfern avrat pouur, Char s’aime en iert en pareïs Od les angles nostre Segnor.
Dieu livra son corps à ceux de Judée Pour nous mettre hors de sa prison Ils lui firent des plaies en cinq endroits, Tant qu’il souffrit mort et passion. Maintenant, il vous commande que les païens Et les gens de Sanguin le félon Qui lui ont fait tant de vilainies (mauvais tours): En soient récompensés en retour. Celui qui désormais ira avec Louis Ne redoutera plus jamais l’enfer Car son âme sera (mise) en Paradis Avec les anges de notre seigneur.
V. Deus ad un turnei enpris Entre Enfern e Pareïs, Si mande trestuz ses amis Ki lui volent guarantir Qu’il ne li seient failliz…. Ki ore irat od Loovis. Ja mar d’enfern avrat pouur, Char s’aime en iert en pareïs Od les angles nostre Segnor.
Dieu a engagé un tournoi Entre Enfer et Paradis, Et, oui, il mande tout ses amis, Qui veulent le défendre; Qu’ils ne lui fassent pas défaut. Celui qui désormais ira avec Louis Ne redoutera plus jamais l’enfer Car son âme sera (mise) en Paradis Avec les anges de notre seigneur.
VI. Char le fiz Deu al Creatur Ad Rohais estre ad un jorn mis : La serunt salf li pecceùr ………………………………… Ki bien ferrunt e pur s’amur Irunt en cel besoin servir ………………………………… Pur la vengance Deu furnir. Ki ore irat od Loovis Ja mar d’enfern avrat pouur, Car s’aime en iert en pareïs Od les angles nostre Segnor.
Car le fils de Dieu le créateur A fixé le jour pour être à Rohais Là seront sauvés les pêcheurs. ……………………………………………. Qui, pour l’amour de lui, frapperont bien et iront le servir en ce besoin ………………………………… Pour accomplir la vengeance de Dieu Celui qui désormais ira avec Louis Ne redoutera plus jamais l’enfer Car son âme sera (mise) en Paradis Avec les anges de notre seigneur.
VII. Alum conquere Moïses, Ki gist el munt de Sinaï ; A Saragins nel laisum mais, Ne la verge dunt il partid La Roge mer tut ad un fais, Quant le grant pople le seguit ; E Pharaon revint après : Il e li suon furent périt. Ki ore irat od Loovis Ja mar d’enfern avrat pouur, Char s’aime en iert en parais Od les angles nostre Segnor.
Allons conquérir Moïse, Qui gît au Mont Sinaï Ne le laissons plus aux Sarrasins, Ni la verge qu’il utilisa pour séparer La mer rouge d’un seul coup Quand le grand peuple le suivit ; Et Pharaon qui le poursuivait vit périr lui et les siens. Celui qui désormais ira avec Louis Ne redoutera plus jamais l’enfer Car son âme sera (mise) en Paradis Avec les anges de notre seigneur.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : troubadour, lyrique courtoise, galaïco-portugais, poésie, chansons médiévales, cantigas de Amigo, galicien-portugais, musique médiévale Période : Moyen-âge central, XIIIe, début XIVe Titre : Ai flores, ai flores do verde pino Auteur : Denis 1er du portugal (1261-1325) Interprètes : La Batalla et Pedro Caldeira Cabral
(cantigas de amigo, 1984)
Bonjour à tous,
près avoir fourni quelques éléments sur le Roi Denis 1er du Portugal, sa biographie et son oeuvre poétique, nous vous présentons aujourd’hui l’une de ses chansons. Cette Cantiga de amigo est pour ainsi dire un classique et c’est aussi d’ailleurs, une des compositions les plus célèbres du roi troubadour.
Du point de vue thématique, elle se situe tout à fait dans la veine des « Chansons pour l’ami » typiques de la littérature galaïco-portugaise médiévale. Le poète y met en scène une belle qui se tient dans la longue attente du retour de l’être aimé. Avec des termes et des rimes toujours d’une grande simplicité et d’une grande pureté, la montée en tension, la dimension dramatique de l’attente, autant que l’espérance s’opèrent ici par la répétition du refrain et les variantes introduites au fil de la chanson.
Semblablement à la lyrique courtoise des troubadours, la nature fournit souvent le cadre poétique de ces Cantigas de Amigo. Plus qu’un simple décorum c’est une source d’inspiration, un miroir des états d’âme du poète. Quelquefois, au delà, cette nature devient un interlocuteur actif avec lequel le troubadour engage un véritable dialogue et en attend des signes et des réponses. Ici c’est une modeste fleur de pin vert que la belle questionne, ailleurs ce pourra être une autre fleur ou le chant d’un oiseau.
Un cantiga de Amigo du Denis 1er par Batalla et Pedro Caldeira Cabral
La Batalla et Pedro Caldeira Cabral
En 1984 le compositeur guitariste, flûtiste, joueur de vièle et multi instrumentiste portugais Pedro da Fonseca Caldeira Cabral fondait, à la demande du Monastère Santa Maria da Vitória, le groupe La Batalla. Dans le courant de la même année et à la faveur de leur création, la formation sortait, sous sa direction, un album ayant pour titre Cantigas de Amigo.
On peut y retrouver onze pièces du moyen-âge central dont celle du jour de Don Diniz. Le reste se partage entre des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X (les Cantigas 322 et 100), deux pièces de Martim Codax (Ondas do mar de Vigo et Mandad’ei comigo), quelques pièces d’autres troubadours gallicien-portugais (Joâo Zorro, Dom Sancho et Fernand’ Esquyo) et d’autres pièces anonymes et musicales dansées, de la même période (estampie, trotto, et ductia) empruntées au Chansonnier du Roy (MS Fr 844), au BM Harley 878 et encore au Manuscrit de Londres (MS Add 29987).
Pedro Caldeira Cabral,
grand nom de la scène musicale portugaise
« A tout seigneur, tout honneur ».Pedro Caldeira Cabral semblait l’un des mieux désigné pour servir dignement cette Cantiga de Amigo du roi Denis. Né à Lisbonne en 1950, ce musicien compositeur de formation classique compte en effet parmi les plus grands noms de la scène musicale portugaise, autour de la Early Music.
Dés le début des années 70, il s’est passionné à la fois pour les instruments anciens et les musiques de l’Europe méditerranéenne et s’est fait, depuis une place de choix, dans le champ des musiques médiévales, baroques et renaissantes. Avec une ample discographie et plus de trente albums enregistrés au cours de sa longue carrière, il a largement exploré d’autres répertoires. On le retrouve ainsi sur des musiques traditionnelles, populaires et folkloriques ou même encore dans des registres plus modernes et contemporains.
En plus de nombreux programmes, événements et séminaires sur la musique auxquels il a participé ou qu’il a même organisés et animés, on doit également à Pedro Caldeira Cabral des publications sur son instrument de prédilection dont notamment un livre en 1999 dédié à la guitare portugaise, auquel on pourra ajouter diverses contributions (Les instruments de musique populaire portugais sortis en 2001). Découvrir son site web officiel ici.
Ai flores, ai flores do verde pino
Paroles et traductions
Ai flores, ai flores do verde pino, se sabedes novas do meu amigo? Ai Deus, e u é?
Oh fleurs, oh fleurs du pin vert Avez-vous des nouvelles de mon ami ? Oh mon Dieu, et où il se trouve?
Ai flores, ai flores do verde ramo, se sabedes novas do meu amado? Ai Deus, e u é?
Oh fleurs, oh fleurs du pin vert Avez-vous des nouvelles de mon aimé ? Oh mon Dieu, et où il se trouve ?
Se sabedes novas do meu amigo, aquel que mentiu do que pôs conmigo? Ai Deus, e u é?
Avez-vous des nouvelles de mon ami ? Celui qui a menti au sujet de qu’il avait convenu avec moi Oh mon Dieu, et où il se trouve ?
Se sabedes novas do meu amado, aquel que mentiu do que mi há jurado? Ai Deus, e u é? Ai Deus, e u é?
Avez-vous des nouvelles de mon aimé ? Celui qui a menti sur ce qu’il m’avait juré Oh mon Dieu, et où il se trouve ? Oh mon Dieu, et où il se trouve ?
Vós me preguntades polo voss’amigo e eu bem vos digo que é san’e vivo. Ai Deus, e u é? Ai Deus, e u é?
Vous me questionnez sur votre ami Et je vous dis qu’il est sain et sauf Oh mon Dieu, et où est-il? Oh mon Dieu, et où est-il?
Vós me preguntades polo voss’amado e eu bem vos digo que é viv’e sano. Ai Deus, e u é? Ai Deus, e u é?
Vous me questionnez sur votre aimé Et je vous dis qu’il est sain et sauf Oh mon Dieu, et où est-il? Oh mon Dieu, et où est-il?
E eu bem vos digo que é san’e vivo e será vosco ant’o prazo saído. Ai Deus, e u é? Ai Deus, e u é?
Et je vous dis qu’il est sain et sauf Et qu’il sera avec vous avant la date échue Oh mon Dieu, et où est-il? Oh mon Dieu, et où est-il?
E eu bem vos digo que é viv’e sano e será voscant’o prazo passado. Ai Deus, e u é? Ai Deus, e u é?
Et je vous dis qu’il est sain et sauf Et qu’il sera avec vous avant que la date ne sois passée Oh mon Dieu, et où est-il? Oh mon Dieu, et où est-il?
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes
Sujet : trouvères, poète anglo-normand, chanson, musique médiévale, chant de Croisades, 3e croisade, vieux français Période : moyen-âge central, XIIe siècle Auteur : Anonyme Titre : « Parti de mal e a bien aturné» Interprète : Early Music Consort of London Album :Music of the Crusades(1971)
Bonjour à tous,
n partance pour le moyen-âge central et plus précisément le XIIe siècle, nous vous parlons, aujourd’hui, d’une chanson médiévale assez rare et en tout cas peu connue du grand public. Demeurée anonyme, elle a été rédigée en vieux-français mais avec quelques tours linguistiques qui démontrent clairement que son compositeur était Anglo-normand.
Sources historiques & manuscrit ancien
Une chanson en exemplaire unique.
Du point de vue thématique, c’est un chant de croisade. Il ne nous en est parvenu qu’un seul exemplaire, recopié, avec sa partition, sur le dernier feuillet d’un manuscrit du XIIIe siècle : Chronique des ducs de Normandie de Benoît de Sainte-Maure.
Connu sous le nom de MS Harley 1717, ce manuscrit ancien est conservé au British Museum et la British Library a eu l’excellente idée de mettre quelques uns de ses feuillets en ligne dont celui qui nous intéresse aujourd’hui ( photo ci-contre.voir également le site de la British Library ici )
Origine, période et autres hypothèses
Dans son ouvrage les chansons de croisade par Joseph Bédier avec leurs mélodies par Pierre Aubry (1909), le romaniste et spécialiste de littérature médiévale Joseph Bédier nous apprend que cette chanson ancienne porte sans doute sur la 3e croisade. Il formera encore, non sans quelque précaution, l’hypothèse que les seigneurs auquel le trouvère fait référence, à la fin de cette chanson, et dont il espère que Dieu leur accordera ses grâces, pourraient être Richard Coeur de Lion, ses frères et son père Henri II d’Angleterre. Il s’agirait alors d’une allusion aux querelles incessantes de ces derniers.
Concernant l’auteur de cette poésie, en 1834, dans son Essai sur les bardes, les jongleurs et les trouvères normands et anglo-normands (T2), l’Abbé de la Rue émettait, de son côté, l’hypothèse qu’il pouvait s’agir de Benoit de Saint-Maure, l’auteur même de la Chronique des Ducs de Normandie ; cette hypothèse ne semble pas avoir connu un grand succès à date.
« Parti de mal e a bien aturné », par Le Early Music Consort de Londres
Au début des 70’s, le Early Music Consort
of London et les musiques de croisade
C’est donc à l’Ensemble anglais Early Music Consort of London que nous devons ce chant de Croisades servi par l’interprétation vocale du célèbre contre-ténor James Bowman.
Nous avions déjà touché un mot ici de cette excellente formation et de son fondateur David Munrow, ainsi que de cet album de 1971, riche de 19 pièces sur ce même thème, aussi nous vous invitons à vous y reporter (voir article ici).
Pour acquérir cet album ou pour plus d’informations le concernant, vous pouvez cliquer sur la pochette ci-contre.
« Parti de mal e a bien aturné », la chanson
et sa traduction en français moderne
Concernant notre traduction du vieux français teinté d’Anglo-Normand du poète médiéval vers le Français moderne, elle procède à la fois de recoupements (voir notes en bas de page) mais aussi de recherches et de choix personnels. Pour ce qui est des tournures, nous les avons, autant que faire se peut, tenues proches de la langue originelle pour leur conserver une note d’archaïsme. Les comptages de pieds n’étant pas toujours respectés il ne s’agit pas d’une adaptation.
Parti de mal e a bien aturné Voil ma chançun a la gent fere oïr, K’a sun besuing nus ad Deus apelé Si ne li deit nul prosdome faillir, Kar en la cruiz deignat pur nus murir. Mult li doit bien estre gueredoné Kar par sa mort sumes tuz rachaté.
Séparé du mal et tourné vers le bien
Veux ma chanson à tous faire oïr
Puisqu’à son aide, Dieu nous a appelé
Certainement, Nul prud’homme ne lui doit faillir,
Puisqu’en la croix il a daigné pour nous mourir
Fort doit-il en être récompensé
Car par sa mort, nous sommes tous rachetés.
II
Cunte, ne duc, ne li roi coruné Ne se pöent de la mort destolir, Kar quant il unt grant tresor amassé Plus lur covient a grant dolur guerpir. Mielz lur venist en bon jus departir, Kar quant il sunt en la terre buté Ne lur valt puis ne chastel ne cité.
Comtes, ni ducs, ni les rois couronnés Ne se peuvent à la mort soustraire Car quand ils ont grand trésor amassé Mieux leur convient à grand douleur s’en défaire Mieux leur vaudrait s’en séparer justement (1) Car quand ils sont en la terre boutés, A plus rien ne leur sert, ni château, ni cité.
III
Allas, chettif! Tant nus sumes pené Pur les deliz de nos cors acumplir, Ki mult sunt tost failli e trespassé Kar adés voi le plus joefne enviellir! Pur ço fet bon paraïs deservir Kar la sunt tuit li gueredon dublé. Mult en fet mal estre desherité!
Hélas, Malheureux !, nous nous sommes donnés tant de peine Pour satisfaire les plaisirs de nos corps, Qui faillissent si vite et qui si tôt trépassent (2) Que déjà, je vois le plus jeune vieillir ! Pour cela, il est bon de mériter le paradis Car les mérites (bonnes actions, services) y sont doublement rétribués. Et c’est un grand malheur d’en être déshérité.
IV
Mult ad le quoer de bien enluminé Ki la cruiz prent pur aler Deu servir, K’al jugement ki tant iert reduté U Deus vendrat les bons des mals partir Dunt tut le mund ‹deit› trembler e fremir – Mult iert huni, kei serat rebuté K’il ne verad Deu en sa maësté.
Il a vraiment le cœur illuminé par le bien Celui qui la croix prend pour aller Dieu servir, Car au jour du jugement qui tant sera redouté Où Dieu viendra les bons, des méchants séparer Et dont le monde entier doit trembler et frémir, Il connaîtra grand honte, qui sera repoussé, Car il ne verra Dieu dans sa majesté.
V
Si m’aït Deus, trop avons demuré D’aler a Deu pur sa terre seisir Dunt li Turc l’unt eisseillié e geté Pur noz pechiez ke trop devons haïr. La doit chascun aveir tut sun desir, Kar ki pur Lui lerad sa richeté Pur voir avrad paraïs conquesté.
Dieu vienne à mon secours, nous avons trop tardé D’aller jusqu’à Dieu pour sa terre saisir Dont les Turcs l’ont exilé et chassé A cause de nos pêchés qu’il nous faut tant haïr. En cela, doit chacun mettre tout son désir Car celui qui pour lui (Dieu) laissera ses richesses Aura, pure vérité, conquis le paradis.
VI Mult iert celui en cest siecle honuré ki Deus donrat ke il puisse revenir. Ki bien avrad en sun païs amé Par tut l’en deit menbrer e suvenir. E Deus me doinst de la meillur joïr, Que jo la truisse en vie e en santé Quant Deus avrad sun afaire achevé !
E il otroit a sa merci venir Mes bons seignurs, que jo tant ai amé k’a bien petit n’en oi Deu oblié!
Il sera grandement, en ce monde, honoré Celui à qui Dieu donnera de revenir. Qui aura bien servi et son pays aimé Partout, on devra le garder en mémoire et souvenir Et Dieu me donne de la meilleure (des dames) jouir (disposer), Que je la trouve aussi en vie et en santé, Quand Dieu aura ses affaires achevées.
Et qu’il octroit de venir en sa merci (en ses grâces) A mes bons seigneurs que j’ai tant aimé Que pour un peu, j’en ai Dieu oublié.
(1) Sur ce vers J Bédier hésite et le laisse ainsi : « Mieux leur vaudrait… » Mais dans une traduction anglaise de Anna Radaelli, 2014 (voir lien sur le site de l’Université de Warwick), on trouve : « It would be better for them to divide it up by good agreement » : Il serait meilleur pour eux de le diviser de manière accorde. soit de partager leur richesse équitablement avant que de partir en croisade.
(2) Ici nous suivons l’idée de Bédier. Ce sont les corps qui trépassent. A noter toutefois que la traduction anglaise (op. cit.) opte pour la présence d’un autre sujet sous-entendu dans ce « mult » et qui se rapporterait à certains disparus, en particulier: « many [of us] have prematurely faded and passed away, » : Nombre d’entre-nous ont failli prématurément et trépassé. De fait, on trouvera, chez la même traductrice, l’hypothèse que le poète pourrait faire ici allusion aux deux fils d’Henri II d’Angleterre décédés prématurément, et le vers suivant pourrait alors s’adresser au plus jeune des fils de ce dernier encore vivant.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes.