Sujet : musique médiévale, poésie médiévale, amour courtois, fine amor, langue d’Oil, vieux-français, rondeau, Ars Nova, compositeur médiéval, MS 146 Période : Moyen Âge central, XIIIe, XIVe siècle
Auteur : Jehannot (ou Jehan) de Lescurel(ou L’escurel) Interprète : Ensemble Syntagma, direction d’Alexandre Danilevsky
Album : livre-disque & media book sur Jehan de Lescurel
Bonjour à tous,
ous revenons aujourd’hui, en musique et en chanson, au Moyen Âge du XIVe siècle avec Jehannot de Lescurel. Annonciateur de l’Ars nova, pour ses innovations autant que pour sa rigueur dans l’approche des formes, cet auteur et artiste médiéval, n’est déjà plus considéré comme un trouvère mais bien comme un compositeur.
Comme les autres pièces de l’auteur, la chanson du jour est tirée du MS Français 146. Manuscrit ancien daté du XIVe siècle, conservé à la Bnf, l’ouvrage contient, en plus du célèbre Roman de Fauvel, les dits du clerc Geoffroi de Paris, ainsi que les chansons et compositions de Jehannot de Lescurel. Voici d’ailleurs, ci-contre, le feuillet de ce manuscrit correspondant à la pièce du jour.
« Fine amor » d’Oc en Oil
On s’en souvient, du point de vue thématique, le legs de Jehannot de Lescurel gravite principalement autour de la « fine amor ». La chanson du jour, qui est un rondeau, se situe donc en plein dans cette tradition lyrique courtoise héritée des troubadours du sud de la France et largement retranscrite en langue d’Oil, par les trouvères du nord, dans le courant du XIIIe siècle.
« De gracieuse dame amer », Jehannot de Lescurel – Ensemble Syntagma
Comme nous avons déjà consacré un article sur le travail de l’Ensemble Syntagma autour de Jehannot de Lescurel (notamment au sujet du livre disque et média book que la formation a dédié à ce compositeur), nous vous invitons à le consulter pour plus de détails. Vous y trouverez un portrait de la formation et de son directeur, ainsi que des éléments supplémentaires sur le compositeur médiéval.
« De gracieuse dame amer »,
de Jehannot de Lescurel (en français ancien)
De gracieuse dame amer Ne me quier( de querre, querir : désirer, vouloir) jamès departir (séparer). Touz bienz en viennent, sanz douter, De gracieuse dame amer, Et tous deduiz* (plaisir, divertissement).N’en veil cesser : Car c’est ma joie, sans mentir ; De gracieuse dame amer Ne me quier jamès departir.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
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Sujet : musique, chanson médiévale, poésie médiévale, humour, trouvère, auteur, poète médiéval, vieux-français, motet, humour, renouvel. Période : moyen-âge central, XIIIe siècle. Auteur ; Colin Muset (1210-?) Titre : « En May (mai), quant li rossignolez» Interprète : Ensemble Syntagma
Album : Trouvères in Lorraine – Touz Esforciez (2004)
Bonjour à tous,
ous voici de retour au XIIIe siècle avec une chanson du trouvère Colin Muset. Loin de la neige et loin du froid, il nous chante ici le mois de mai et le réveil printanier et avec lui ses oiseaux et ce « renouvel » de la nature si cher aux poètes médiévaux.
Inspiré par le chant d’un rossignol, le trouvère cueillera une branche de saule pour s’en faire une flûte et chanter l’amour mais, bien sûr, comme il s’agit de Colin Muset, il en profitera encore pour nous conter son goût pour les chapons, les viandes rôtis et les bons gâteaux, mais aussi pour les hôtes généreux envers son art et qui dépensent sans compter.
En may, quant li rossignolez – par l’Ensemble Syntagma
La pièce est tirée d’un album de 2004 que la formation a dédié entièrement aux trouvères lorrains et dont la production a même d’ailleurs été soutenue par le Conseil Général de Lorraine. On peut y retrouver trois chansons de Colin Muset, mais également de belles pièces de Jaque de CysoingJeannot de Lescurel, Guillaume d’Amiens ou encore Gauthier d’Epinal. Ces compositions, signées du XIIIe siècle, en côtoient quelques autres de la même période, demeurées anonymes: chansons, motets ou pièces instrumentales.
On peut trouver cet album en ligne sous deux formes, l’une dématérialisée (en MP3), l’autre au format CD classique. En voici les liens : Touz Esforciez : Trouvères en Lorraine
« En mai, quant li rossignolez »
les paroles de Colin Muset
en vieux-français et leur traduction
En mai, quant li rossignolez Chante cler ou vert boissonet, Lors m’estuet faire un flajolet* (une flûte), Si le ferai d’un saucelet* (une branche de saule), Qu’il m’estuet d’amors flajoler* (chanter, conter) Et chapelet de flor porter Por moi deduire* (réjouir) et deporter (divertir, amuser) Qu’adès ne doit on pas muser. (1)
L’autr’ier en mai, un matinet, M’esveillerent li oiselet, S’alai cuillir un saucelet, Si an ai fait un flajolet ; Mais nuns hons* (nul homme) n’en puet flajoler* (en jouer), S’il ne fait par tout a löer En bel despendre et en amer(2) Sanz faintisë et sanz guiler* (tromperie).
Gravier* (nom ou prénom), cui je vi jolïet, (que je vois toujours joyeux) Celui donrai mon chapelet. De bel despendre s’entremet, (qui sait bien dépenser) En lui nen a point de regret, Et por ce li vuil je doner Qu’il ainme bruit de hutiner* (dispute, combat) Et ainme de cuer sanz fauser ; (et aime d’un coeur pur) Ensi le covient il ovrer.(comme il convient de le faire)
La damoisele au chief blondet Me tient tot gay et cointelet* (gracieux, agréable) ; En tel joie le cuer me met Qu’il ne me sovient de mon det. Honiz soit qui por endeter Laira* (de laisser) bone vie a mener ! Adès* (aussitôt) les voit on eschaper, A quel chief qu’il doie torner.
L’en m’apele Colin Muset, S’ai maingié maint bon chaponnet* (chapon), Mainte haste* (viande rôtie, broches), maint gastelet* (petit gâteau) En vergier et en praelet* (prairie), Et quant je puis hoste trover Qui vuet acroire et bien preter, Adonc me preng a sejourner Selon la blondete au vis cler* (doux visage).
N’ai cure de roncin lasser Après mauvais seignor troter : S’il heent* (haîssent)bien mon demander, (S’ils détestent quand je demande, quémande) Et je, cent tanz, lor refuser (je deteste cent fois plus quand ils refusent)
(1) « Qu’adès ne doit on pas muser » :car le temps est venu de se divertir.
(2) « S’il ne fait par tout a löer, En bel despendre et en amer » : s’il ne sait pas faire de belles louanges, qu’il n’est pas généreux et qu’il ne sait aimer.
En vous souhaitant une très bonne journée.
Frédéric EFFE.
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Sujet : musique médiévale, Cantigas Santa Maria, galaïco-portugais, lyrisme médiéval, culte marial, Période :XIIIe, moyen-âge central « Auteur » :Alphonse X de Castille, Alphonse le Sage (1221-1284) Interprète :Ensemble Syntagma Titre:Cantiga de Santa Maria 49
Bonjour à tous,
ous suivons de nouveau, aujourd’hui, le fil des Cantigas de Santa Maria, célèbres chants et odes à la vierge composés sous le règne et sous la férule d’Alphonse X de Castille.
Cette fois, nous parlons de la Cantiga 49, et nous vous en présentons une version interprétée par l’excellent ensemble de Musiques Anciennes Syntagma. Pour plus d’informationssur cette formation musicale et son directeur Alexandre Danilevsky, nous vous invitons à vous reporter à l’article détaillé les concernant. Nous en profitons aussi pour toucher un mot du culte marial dans l’Occident médiéval et chrétien.
Alphonse le Sage, ici « conteur » des Cantigas Santa Maria et médiateur entre la Vierge et les musiciens, Miniature du Manuscrit MS TI1 de l’Escorial, XIIIe (1284)
La Cantiga 49 : des pèlerins perdus & sauvés, histoire d’un miracle et d’une apparition
En introduction de ce chant poétique galaïco-portugais du XIIIe siècle, dédié à la Sainte-vierge, on trouve la phrase suivante : « Esta é de como Santa Maria guiou os romeus, que yan a sa eigreja a seixon e erraran o camo de noite. »
Ce qui donne, une fois adapté en français moderne : « Cette Cantiga conte comment Sainte-Marie guida les pèlerins qui se rendaient à son église de Soissons et s’étaient perdus la nuit, en chemin. »
Ainsi, ce chant nous narre le récit de pèlerins que la nuit avait surpris en pleine montagne. Perdus et effrayés, ils se mirent à redouter l’attaque de voleurs et à prier la vierge de leur pardonner leurs péchés et de les protéger, afin qu’aucun mal ne leur soit fait. Le miracle survint et la Sainte leur apparut dans une grande lumière pour les guider dans l’obscurité, jusqu’à leur destination. Comme le conteur (est-ce Alphonse le sage lui-même?) nous le rapporte, à la fin du chant, dès leur arrivée à l’église de Soissons, nos voyageurs, sains et saufs, se mirent à genoux devant l’autel et prièrent, à nouveau, la vierge pour la remercier.
Bien sûr, entre temps, le poète nous aura expliqué à quel point tout cela démontre combien il faut se garder de faire le mal et garder foi en la Sainte Vierge qui jamais n’oublie ses ouailles. Elle vient, nous dira-t-il encore, les secourir des « grands soucis et angoisses qui ne cessent de les assaillir »et cette histoire n’est qu’un exemple parmi tant d’autres des miracles qu’elle peut accomplir pour ceux qui lui sont dévoués, car « il a vu de nombreuses hommes et femmes qu’elle a assistés, de jour comme de nuit ». Comme le chant le scandera d’ailleurs tout du long, en guise de refrain :
« Ben com’ aos que van per mar a estrela guia, outrossi aos seus guiar vai Santa Maria. »
« Comme ceux qui vont par les mers, sont guidés par l’étoile Elles vient aussi guider les siens Sainte-Marie. »
La Cantiga Santa Maria 49, dirigée par le talentueux Alexandre Danilevsky
L’importance du culte marial au moyen-âge central
Présent à l’origine du christianisme et dans son essence même pourrait presque t-on dire, le culte autour de la Sainte Vierge, prendra dans l’occident médiéval, et à partir du XIe siècle, des proportions fortement marquées. On lui vouera alors un véritable amour et quand on ne voudra, ni n’osera s’adresser directement à Dieu, ou même au Christ (qui plus que le « fils » du créateur est aussi considéré comme Dieu lui-même incarné et mort en croix. cf Thibaut de Champagne), on s’adressera souvent et avec, semble-t-il plus de facilité, à sa Sainte-Mère dans l’espoir qu’elle intercède auprès de lui.
Alphonse le Sage, priant devant la vierge Marie et l’arbre de Jessé, Cantigas Santa Maria, Miniature du Manuscrit MS TI1 de l’Escorial (1284)
De la même façon, pour paraphraser l’historien, écrivain et académicien chrétien Daniel Robs (1901-1965), spécialiste de ces questions dans un article de 1952 (références plus bas dans cet article), on se tournera plus favorablement vers les Saints dans une recherche de « médiateurs » qui apparaissent plus proches, peut-être plus terrestres et donc mieux à même de comprendre les faiblesses de notre nature humaine, autant que les souffrances et les petites misères à laquelle elle se trouve exposée.
Quoiqu’il en soit, pour en revenir au culte voué à Sainte-Marie, il s’étendra dans l’Europe catholique, bien au delà de l’Espagne médiévale et ne se limitera pas, loin s’en faut, aux Cantigas de Santa Maria. La puissance de cette dévotion religieuse, mais aussi affective et directe, qui pourra même parfois prendre des tours passionnels, s’affirmera encore aux XIIe et XIIIe siècles.
« Marie, Mère du Christ, est aimée d’un amour qui ne ressemble à nul autre, comme une mère à qui l’on cache ses peines, comme à une avocate qui plaidera en haut lieu la cause des pécheurs, et même presque comme une surnaturelle amante ; n’est-elle pas celle que le franciscain Jacques de Milan, dans l’Aiguillon d’amour, appelle « la ravisseuse des cœurs » ? On recherche dans l’Ancien Testament les figures qui prophétisent la sienne ; on médite – Eva, Ave, – le mystère qui fait que la faute de la première femme ait été rachetée par le moyen d’une autre femme. » Daniel-Rops – Le Moyen-âge époque mariale.
Revue Marie (1952)
Pour faire écho à cette citation, on retrouve d’ailleurs littéralement cette idée du rachat de la faute de l’Eve originale, dans cette Cantiga 49 : « Ca ela nos vai demostrar de como nos guardemos do demo e de mal obrar, e en como gãemos o seu reyno que non á par, que nos ja perdemos per don’ Eva, que foi errar per sa gran folia ». « Elle (la Sainte Vierge) nous montrera comment nous garder du démon et du mal, et comment nous gagnerons son Royaume sans égal, et ce que nous avons perdu par la faute de Doña Eva, qui est tombée dans l’erreur par sa grande folie. »
Ainsi donc, on lui élèvera des cathédrales que l’on baptisera de ce « Notre Dame » que les cisterciens auront contribué à consacrer et promulguer dans un rapprochement avec les valeurs courtoises qui confirme encore la nature fortement affective de la relation qu’on entretient avec la Sainte. On fera de grands pèlerinages vers ses lieux saints (cathédrales, églises ou lieux d’apparition). On donnera encore pour elle des miracles. Bernard de Clairvaux, empreint de dévotion, s’enflammera pour elle et les poètes du moyen-âge lui voueront encore d’innombrables odes, hommages ou prières. Au final, le culte marial se répandra dans le monde chrétien et son imagerie, et Sainte-Marie trouvera, au sein de l’église comme dans le coeur des hommes du moyen-âge, une place bien plus grande qu’aucune époque lui avait jamais consacrée, devenant indissociable de la religion catholique et de l’occident médiéval, ce qui fera encore dire à l’Historien Daniel Rops dans un grand élan, indéniablement affectif et chrétien :
« Ainsi, en occupant dans la religion la place éminente que nous lui voyons, le culte de la Vierge donne au Christianisme une nuance de tendresse unique, irremplaçable : il est un des fleurons du Moyen Âge. » Daniel Rops. – Opus cité.
Les paroles originales de la Cantiga 49
On notera que, dans la version musicale présentée plus haut, le texte de la Cantiga 49 est plus court que l’original et ne présente que la première partie de l’histoire. De notre côté, nous avons choisi de vous livrer, ici, le texte complet.
Au passage, pour les plus anglophones d’entre vous, notez que l’Université d’Oxforda mis en ligne un base de données très utile pour l’étude et la compréhension des Cantigas de Santa Maria. Vous n’y trouverez pas la traduction littérale de l’ensemble des chants, mais de bonnes pistes pour les comprendre et surtout d’excellentes références en termes de bibliographie, de manuscrits anciens et d’imagerie médiévale. Si cela vous intéresse, elle se trouve ici : The Oxford Cantigas de Santa Maria Database.
Ben com’ aos que van per mar a estrela guia, outrossi aos seus guiar vai Santa Maria.
Ca ela nos vai demostrar de como nos guardemos do demo e de mal obrar, e en como gãemos o seu reyno que non á par, que nos ja perdemos per don’ Eva, que foi errar per sa gran folia.
Ben com’ aos que van per mar …
E ar acorre-nos aqui enas mui grandes coitas, segund’ eu sei ben e oý, quaes avemos doitas; ca muitos omees eu vi e molleres moitas a que el’ acorreu assi de noit’ e de dia.
Ben com’ aos que van per mar…
E, segund’ eu oý dizer, ha mui gran conpanna de romeus ar foi guarecer en ha gran montanna, en que ss’ ouveran de perder con coita estranna, porque lles foi escurecer e perderon via.
Ben com’ aos que van per mar…
E sen aquest’ un med’ atal enos seus corações avian mui fero mortal, ca andavan ladrões per y fazendo muito mal; porend’ orações fezeron todos y sen al, quis come sabia.
Ben com’ aos que van per mar…
E chamand’ a Madre de Deus, com’ é nosso costume, que dos graves pecados seus perdess’ ela queixume; e logo aqueles romeus viron mui gran lume e disseron: «Ai, Sennor, teus somos todavía.»
Ben com’ aos que van per mar…
E en aquel gran lum’ enton viron ha mui bela moller de corp’ e de faiçon, e ben come donzela lles pareceu; e pero non siia en sela, mas ta na mã’ un baston que resprandecia.
Ben com’ aos que van per mar…
E poi-la donzela chegou, todas essas montannas do seu gran lum’ alumou, e logo as compannas dereito a Seixon levou e per muit’ estrannas terras en salvo os guiou come quen podia.
Ben com’ aos que van per mar a estrela guia, outrossi aos seus guiar vai Santa Maria.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
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Sujet : musique médiévale, poésie médiévale, amour courtois, Ars Nova, compositeur médiéval, Roman de Fauvel, Manuscrit français MS 146 Période : Moyen Âge central, XIIIe, XIVe
Auteur : Jehannot (ou Jehan) de Lescurel(ou L’escurel) Ensemble: Syntagma et Alexandre Danilevsky
Album : livre-disque & media book sur Jehan de Lescurel
Bonjour à tous,
ous avons le plaisir de vous présenter aujourd’hui à la fois un compositeur des XIIIe, XIVe siècles, un ensemble musical ayant une prédilection pour les musiques anciennes, mais encore un livre-disque qu’ils ont édité autour de ce compositeur. En route donc pour un voyage au coeur de la musique médiévale actualisée par la vibrante passion d’artistes de notre temps !
Jehannot de Lescurel :
compositeur et poète des XIIIe, XIVe siècles
Compositeur, chansonnier et poète, Jehannot de Lescurel n’a laissé pour trace que son oeuvre : trente-quatre pièces lyriques, annexées au célèbre et très satirique « Roman de Fauvel« , dans le manuscrit ancien, fr 146 de la BnF, daté du XIVe siècle. De la vie de cet artiste, pour l’instant, nous ne savons rien et les quelques hypothèses fantasques qui en avaient fait, au début du XXe siècle, un clerc à demi-criminel, pendu en 1304 à Paris pour « débauches, meurtres et vols » ont depuis été rejetées par les historiens, faute de documents pouvant l’attester; il semblerait en effet, qu’on se soit alors emballé un peu vite sur la foi d’une simple homonymie.
Malgré cette absence de biographie certifiée, du point de vue artistique, les musicologues avertis s’accordent à faire de Jehannot de Lescurel un des maîtres annonciateurs de la transition vers l’Ars Nova. On le décrit aussi comme à la synthèse de la tradition musicale des trouvères et celle des troubadours provençaux, même s’il n’est déjà plus lui-même un trouvère, mais bien un compositeur à part entière, comme le sera Guillaume de Machaut autour de la même période.
Du point de vue de leur notation, ses compositions pourraient être parmi les premières de l’Histoire de la musique occidentale et médiévale à pouvoir être jouées « littéralement ». On se souvient que les systèmes de notation musicales précédents cette période laissaient souvent un large et libre champ aux interprètes sur certains points, notamment la rythmique (voir article troubadours).
Du legs de Jehan de Lescurel, on ne dispose, pour l’instant, que d’une seule composition polyphonique même si les pièces retrouvées laissent supposer qu’il ait pu en produire bien plus. Elles sont donc toutes, à un exception près, monophoniques et se répartissent, dans des formes déjà clairement fixées, en virelais, ballades, rondeaux et Dits entés. Du point de vue des thèmes de prédilection, les chansons et poésies du compositeur gravitent autour de l’amour courtois dans un style très épuré, qui, il faut bien le dire, tranche totalement avec le ton satirique et pamphlétaire du Roman de Fauvel du MS 146 auquel on les a trouvées jointes.
SONGÉ .I. SONGE : un livre-disque original tout entier dédié à l’art de Jehan Lescurel
Faire mieux connaître et surtout donner à entendre la musique et l’art de Jehannot Lescurel, voilà donc le pari relevé par l’Ensemble Syntagma, formation spécialisée dans les musiques anciennes et qui nous en livre, aujourd’hui, une véritable étude. L’oeuvre se présente comme un Livre-Disque et le CD y est donc accompagné d’une véritable présentation sur le compositeur du XIIIe siècle. En tout, ce sont plus de 80 pages de réflexions et d’impressions sur la poésie des XIIIe, XIVe et sur l’auteur du dit « Gracieux Temps », à destination des amateurs éclairés ou simplement curieux de musique et de poésie médiévale.
Pour la partie sonore, musicale et acoustique, treize pièces du compositeur médiéval sont présentées entre versions instrumentales et lectures. En voici d’ailleurs un extrait donné par l’ensemble au Festival International de Wilz, au Luxembourg (2011).
L’ensemble Syntagma à la redécouverte des musiques anciennes ou médiévales oubliées
L’ensemble Syntagma a été fondé en 1996 par le compositeur et instrumentiste Alexandre Danilevsky. Pianiste, luthiste, vielliste, cet artiste aux multiples talents est russe de naissance, mais vit en France depuis de nombreuses années. Après avoir étudié la composition à Saint-Petersbourg, sa passion pour la musique l’a conduit à se pencher sur la « early music » qu’il a étudiée en Suisse, à la Scola Cantorum Basilensis, institut de recherche et d’enseignement spécialisé dans les musiques anciennes. Pour lui, dusse-t-elle avoir été écrite il y a 800 ans, la musique est faite pour être jouée et sa place n’est pas dans les musées. De fait, il s’emploie désormais activement à faire vivre un répertoire qui va du moyen-âge à la renaissance, et c’est à cette fin qu’il a fondé l’ensemble Syntagma.
Curieux de tout, créatif jusqu’au bout de l’âme, et entièrement dévoué à son art, Alexandre Danilevsky semble avoir une prédilection pour aller chercher dans les répertoires passés et, en l’occurrence pour ce qui nous intéresse, le moyen-âge, des oeuvres méconnues ou peu jouées, auxquelles il se plait à redonner vie. C’en est à un point qu’il caresse même l’idée de créer un jour « Un festival des premières » dans lequel on ne jouerait – pour la première fois donc – que des musiques anciennes méconnues. On en rêverait !
Pour comprendre ou réaliser l’importance que peut avoir pour lui son art, nous traduisons pour vous ces quelques lignes tirées d’un interview qu’il donnait, il y a quelque temps, à Tobias Fischer du site Tokafi.com en réponse à la question : « Quel est votre point de vue sur la scène musicale actuelle ? Y a-t-il une crise ? »
« La Crise est un état permanent pour l’artiste en recherche. En triompher suppose un acte volontaire pour donner naissance à un travail artistique. Notre musique est la fondation du monde. Quand nous l’écrivons ou nous la jouons, le monde s’arrête, sinon pourquoi le ferions-nous? Le monde repose sur notre musique, c’est ce en quoi doit croire un compositeur, sans quoi ce qu’il fait n’a aucun sens. Aller contre la marée est notre destinée, notre destin, notre devoir ou appelez cela comme vous voulez ». Alexandre Danilevsky, compositeur, directeur de l’ensemble Syntagma Tokafi.com 15 questions to A Danivelsky
Avant d’en terminer, et pour témoigner de l’excellence du travail de l’Ensemble Syntagma, ajoutons encore que la formation a déjà reçu deux Awards en 2008 et 2011 par la Medieval Music & Arts Foundation pour ses productions et enregistrements.
Pour entrer en contact avec eux, nous vous conseillons leur page facebook : Ensemble Syntagma Vous pouvez également retrouver des extraits de leurs productions sur leur chaîne youtube officielle early mysic ensemble Syntagma.
Amours que vous ai meffait, les paroles
de la chanson de Jehannot de Lescurel
Amours, que vous ai meffait, Qui amie non amée Au dous plaisant m’avez fait ? Lasse ! et point ne li agrée. Et de quelle eure fui née, Quant je n’ai loial ami ? Amours douce et desirrée, Enamourez le de mi.
J’ai grant paour que il n’ait Aillieurs mise sa pensée ; Quar tant est de dous atrait, Sa guise si savouré[e], Qu’aucune autre enamourée L’a at[r]ait, ce croi, a mi. Amours douce et desirrée, Enamourés le de mi.
Ses regars m’a du cors trait Mon cuer ; ainsi m’a navrée Doucement ; très bien me plait. Dex ! s’aussi m’avoit donnée S’amour, plus beneurée Ne seroit pour ce vous pri, Amours douce et desirrée, Enamourez le de mi.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.